Stylos Reynolds choisit de licencier 257 personnes
Toute la production de stylos Reynolds est délocalisée. Désormais, plus aucun stylo Reynolds ne sera fabriqué en France. 257 salariés sont sacrifiés sur l’autel de la rentabilité.
L’inquiétude des salariés de l’usine Reynolds de Valence était donc justifiée. Au cours d’un Comité d’entreprise extraordinaire (dont les conditions de déroulement avaient été discutées le 5 juillet) auquel étaient conviée une délégation de la direction parisienne (la même que pour de la réunion du 29 juin 2006, enrichie de la présence de M. de Pommereau, directeur financier pour l’Europe du Sud), un argumentaire économique a été présenté aux élus. La direction, dans une tentative de dramatisation, a essayé de faire signer aux élus un accord de confidentialité relatif à la diffusion des documents écrits (en fait une présentation Power-Point classique). Finalement, les élus ont estimé dans un bel ensemble que la teneur de ces documents ne méritait pas de s’embarrasser d’un tel accord, et ont donc décliné l’offre de recevoir une copie papier de la présentation. Ces documents ont tenté de démontrer que le site industriel de Valence n’était pas assez rentable, et que les ressources nécessaires à la défense de la marque Reynolds n’étaient pas suffisantes. En conséquence de quoi, après une bonne vingtaine de slides parsemés de taux de variation négatifs, de courbes descendantes et de marges qui s’effritent, il apparaissait vital d’améliorer la rentabilité pour pouvoir investir en communication et en R&D. Pour cela, il apparaissait nécessaire de réduire les coûts de production de 30%, soit de 7 millions d’euros. L’annonce des conséquences fut faite, à la demande des élus, après la pause déjeuner. Mais il semblait d’ores et déjà évident que les objectifs affichés nécessitaient une réorganisation très lourde.
Selon la direction, trois options furent envisagées. Une réorganisation partielle de la production d’abord, mais cela ne permettait pas d’atteindre les objectifs de rentabilité. La fermeture totale de la société Reynolds SAS (entrepôt logistique compris) a été envisagée aussi, mais il semble que cela aurait occasionné, au moins à court terme, des difficultés d’approvisionnement. Enfin la dernière solution, celle finalement retenue, est la suppression complète de la production sur le site de Valence, soit 257 postes. Bien que beaucoup de salariés s’attendissent à une annonce de cette teneur, le coup fut très rude et certains salariés s’effondrèrent en larmes. Certains ont en effet passé toute leur vie professionnelle ici, se sont investis, n’ont pas compté leurs heures. On leur dit en substance que ce n’était pas assez, qu’il fallait mieux faire, qu’on les jetait.
Alors que vers 18 h 30, la réunion était suspendue, la délégation parisienne (direction) étant au téléphone avec les États-Unis, un certain nombre de salariés sont entrés dans la salle de réunion, et certains membres de la délégation parisienne ont pu avoir un contact direct avec ces salariés de la production, directement concernés par les suppressions d’emplois. Cela n’était bien sûr pas prévu, et un échange improvisé a eu lieu, en direct, sans le filtre des institutions. Ce fut sans doute salutaire, mais tout n’a pu être dit. En tous cas, un peu de la déception, de la colère, du dégoût et de l’incompréhension est certainement passé, mais était-ce assez ? Ce qui caractérise généralement ces événements, c’est la dépersonnalisation. L’argumentation strictement comptable a en effet plusieurs avantages. Elle décharge le décideur de toute responsabilité morale liée aux hommes, et la présence de chiffres, de courbes, etc., donne au discours les apparences de la raison, d’une certaine nécessité, voire d’une logique implacable contre laquelle on ne peut rien. Ne nous y trompons pas, bien qu’à aucun moment de la démonstration économique il n’ait été fait référence au projet dit « Acceleration » destiné à réduire d’un tiers le nombre des usines du groupe et de supprimer 5000 emplois dans le monde, il est évident que ces suppressions de postes sont une déclinaison locale de cette décision stratégique annoncée en septembre 2005. Il s’agit bel et bien d’une décision issue de choix. Le choix d’un certain niveau de rentabilité, le choix d’une certaine politique de marque, le choix enfin de sacrifier des salariés aux choix précédents.
Les salariés vont bien sûr lutter pour essayer d’éviter la fermeture, ou si c’est impossible, partir le plus correctement possible. Il est bon à ce propos de préciser que contrairement à ce qu’il est trop souvent écrit ici ou là, il est facile de fermer une usine et de licencier le personnel. Les recours juridiques sont peu nombreux, complexes et parviennent plus souvent à freiner qu’à annuler une décision de cette nature. Cela est particulièrement vrai depuis le passage de François Fillon (et la mise en place des lois qui portent son nom) au ministère de l’Emploi. La déréglementation n’est jamais neutre, et avantage ceux qui ont les ressources, tant financières qu’intellectuelles, pour maîtriser les outils du droit. Le personnel licencié n’a le plus souvent qu’un accès très restreint à ces moyens. On peut écrire sans mentir que les lois Fillon facilitent les licenciements. Il est regrettable que des élus de la République, des ministres, servent ainsi les plus forts contre les plus démunis.
Les précédents articles ici et là ainsi que des infos en temps réel sur le blog Restructuration.
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