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Accueil du site > Actualités > Citoyenneté > Démocratie antique et démocratie moderne

Démocratie antique et démocratie moderne

Dans son ouvrage Démocratie antique et démocratie moderne, Moses I. Finley nous rappelle les ressorts de toute véritable démocratie, c'est à dire sous sa forme directe comme elle l'a été durant 200 ans à Athènes, au siècle de Périclès et de Démosthène. Ce gouvernement par le peuple se fondait sur un enracinement social, d'abord animé par la discussion collective, puis renouvelé en permanence par ses modes de sélection impartiaux.

J'exagère à peine, mais aujourd'hui, si l'on veut changer les choses hors élections, il ne reste que le coup d'Etat ou l'assassinat ! Même l'ambition contestataire d'une grève n'amorce plus aucun changement.

La liberté citoyenne à Athènes consistait en la simple participation au processus de prise de décisions afin d'élaborer les lois gouvernant ses habitants. Ainsi le pouvoir majeur des citoyens était celui de la persuasion par le dialogue, autrement dit le débat démocratique. Le but de cette parole libre était de conduire à l'action. Une action qui engendrerait nécessairement un changement !

Mais réfléchissons désormais sur quelques objections fréquentes quant à la vision parfois idéale que nous présentons de cette démocratie athénienne.

Si le démos désignait à la fois l'ensemble des citoyens et les plus modestes d'entre eux - souvent illétrés -, il est légitime de se demander comment le niveau d'instruction de base de chaque citoyen était suffisant pour pourvoir aux problèmes complexes de la politique. D'ailleurs dans l'antiquité, tous les intellectuels, et en particulier les philosophes, ont toujours désapprouvé le gouvernement populaire. Mais leur réprobation, confondant savoir technique et compréhension des problèmes politiques, n'altéra que tardivement la bonne marche du pouvoir populaire.

Il faut rappeler que le monde grec fut avant tout un monde de la parole et non de l'écriture.

On comprend mieux comment la liberté d'expression était l'un des nerfs principaux de la démocratie. Les traités et autres libellés ne s'adressaient d'ailleurs qu'à une élite franchement hostile au bon fonctionnement de la société elle-même en action. Des experts pouvaient conseiller l'Assemblée citoyenne, mais les prises de décisions se constituaient après délibération, d'où l'intérêt de débats permanents et libres... sans intemédiaires !

Autre différence majeur avec aujourd'hui : il n'y a avait pas de mass-média pouvant influencer une opinion en fonction de l'intérêt de leurs commanditaires.

Là aussi, on comprend mieux pourquoi à partir de la mise en place du gouvernement représentatif par l'initiative particulière de Sieyès, en pleine Révolution Française , la presse se développa pour mieux informer le peuple alors trop occupé à travailler et pas suffisament instruit pour participer directement aux affaires publiques. On comprend surtout pourquoi aujourd'hui, nos médias ne sont que propagandes et parasites entretenant notre passivité. Ainsi, plus ils se développèrent, plus on nia le but éducatif de la pratique démocratique.

Malgré les défauts du système social et des idées morales de l'antiquité, la pratique des dicastéria (jurys) et de l'Ecclésia (assemblée) élevait le niveau intellectuel d'un simple citoyen d'Athènes bien au dessus de ce qu'on a jamais atteint dans aucune autre agglomération d'hommes, antique ou moderne... Il est appelé dans ce type d'engagements, à peser des intérêts qui ne sont pas les siens, à consulter en face de prétentions contradictoires une autre règle que ses penchants particuliers, à mettre incessamment en pratique des principes et des maximes dont la raison d'être est le bien public."

A Athènes, du fait qu'ils étaient tous concernés par la vie de leur cité, boutiquiers, paysans, artisans, fantassins, rameurs, etc... aux cotés de classes plus instruites, s'investissaient ensemble pour y résoudre les problèmes. Une conscience politique collective alimentée hors des assemblées par des discussions en boutique, en taverne, en diners, en place de marché...

Rien ne pouvait être plus éloigné de la situation actuelle, où le "citoyen" isolé de loin en loin, en même temps que des millions d'autres, et non pas quelques milliers de voisins, pose l'acte impersonnel de choisir un bulletin de vote."

Aujourd'hui l'électeur isolé souille son temps vacant dans la consommation et le divertissement, persuadé que sa liberté est à ce prix là. L'important c'est de jouir... même de sa servitude ! Nos médias et pouvoirs actuels sont d'ailleurs omniprésents pour le lui rappeler : un temps pour le travail, un autre pour le loisir et le confort. Ce qui est notablement différent des 40 000 citoyens athéniens qui jouissaient du travail de leurs 200 000 esclaves, leur permettant ainsi de se consacrer pleinement à l'organisation de leur cité... Mais à y réfléchir sérieusement, c'est un faux procès. C'en est même devenu un prétexte pour ne plus s'investir démocratiquement parlant... Car finalement les progrès techniques de nos sociétés industrialisées n'ont-ils pas relayé la production de cette main d'oeuvre asservie ? Une moissonneuse-batteuse, un monte-charge, un camion, une machine à laver ou un ordinateur... ça remplace combien d'hommes ?

C'est dans l'intérêt de nos maîtres-penseurs de nous convaincre qu'aujourd'hui il est impossible de participer au pouvoir autrement qu'en mettant le bulletin dans l'urne.

L'élite, qu'elle soit intellectuelle, politique, religieuse, économique ou médiatique, n'a jamais cessé de dévaloriser la réelle démocratie pour promouvoir un pouvoir aristocratique plus à même de l'honorer. Ce pouvoir qui, chez les grecs, se croyait légitime de par sa richesse, n'avait pourtant aucune influence dans le gouvernement du fait d'être minoritaire. D'ailleurs maintenant vous comprenez mieux pourquoi nous ne sommes absolument pas en démocratie, car si tel était le cas, la majorité du peuple, même pauvre, ne pourrait être dépossédé de son pouvoir le plus légitime : le droit de disposer de lui même.

          Cédric Bernelas


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10 réactions à cet article    


  • Fergus Fergus 5 septembre 2012 09:56

    Bonjour, Diktacratie.

    Article intéressant mais qui relaie - c’est dans l’air du temps - le fantasme d’un retour possible d’une forme de démocratie à l’athénienne. Car c’est bien de fantasme qu’il s’agit.

    Même à un niveau local la démocratie directe à la grecque est utopique dans la société moderne où, contrairement à l’Antiquité qui fonctionnait sur quelques lois et règles, les maires doivent faire face à une multitude de textes complexes dont beaucoup d’édiles sont incapables de venir à bout sans l’aide la préfecture quand ils rendent pas carrément leur écharpe.

    Encore ne parle-t-on là que des maires et pas des élus nationaux, confrontés à un univers législatif extrêmement complexe car régi par près de 100 000 textes de référence. Il est intéressant à cet égard d’observer la Suisse où les Landsgemeinde (assemblées populaires) ont longtemps pris à main levée les décisions qui s’appliquaient à tous avant de devenir des réunions folkloriques puis de disparaître, phagocytées par la complexification des textes en interaction avec les autres villages et a fortiori les autres cantons.

    Il n’est pas inutile de rêver, certes, mais encore faut-il ne pas s’engager dans une voie de garage. C’est pourquoi à la démocratie grecque, je préfère conserver le système actuel en lui imposant le contrôle des citoyens sous la forme de jurys populaires tirés au sort et amenés chaque année à entendre les élus de manière publique et à leur demander des comptes sur le non-respect éventuel des engagements, leur travail donnant lieu à un compte-rendu publié dans la presse au niveau adéquat. Cela fonctionne déjà dans des collectivités locales du nord de l’Allemagne, et cest à mon avis vers cela que nous devons tendre.


    • citoyenrené citoyenrené 5 septembre 2012 12:12

      @ Fergus,

      je me permets de vous répondre....vous parlez de la complexité des lois, (communales à nationales), interdisant de fait au citoyen lambda d’être maire ou député....il doit être né député ou maire ?....actuellement, on peut être député dès 18 ans...par exemple la descendante le pen, 22 ans, est armée face à la complexité des lois, a l’expérience de vie nécessaire....soit

      mais alors, par quel miracle le citoyen lambda serait interdit de compétence ?

      la compétence particulière de l’élu est un mythe !

      la compétence nait de l’apprentissage, surtout du débat contradictoire,

      puis vous parlez de notre unique solution : le contrôle des citoyens via les jurys populaires

      bonne idée, comment l’imposez-vous au parlement ? comment imposez-vous ces jurys citoyens (très bonne chose) ? ils n’en voudront jamais, ce serait leur fin...tout comme le référendum d’initiative citoyenne et le référendum révocatoire....le Front de Gauche apportera cela une fois au pouvoir, espérons le plus tôt possible, mais à part cela quel pouvoir concret avons-nous ?
      (le « pouvoir » pétitionnaire et le « pouvoir » des manifs ne sont pas des pouvoirs institutionnels, au bout du compte ce ne sont pas des pouvoirs, juste une illusion)

      oui pour votre contrôle citoyen via des jurys populaires, qui les imposera si ce n’est le citoyen lambda, porté au pouvoir législatif par désignation aléatoire ?

       


    • Fergus Fergus 5 septembre 2012 13:43

      Bonjour, Citoyenrené.

      Je relève une contradiction dans votre commentaire : les élus actuels feront évidemment tout pour interdire l’émergence des jurys citoyens, bien d’accord avec vous sur ce point, mais cela vaut pour n’importe quel système autre que celui qui les amenés là où ils sont.

      Vous avez d’autre part raison de rappeler que l’on peut être député dès 18 ans. En théorie du moins car en pratique, on est souvent un jeune député lorsqu’on est élu à... plus de 30 ans. Et c’est normal car le job - non dans les séances plénières mais dans les travaux de commission - demande un minimum d’expérience. Et c’est pourquoi l’écrasante majorité de nos élus nationaux a au préalable exercé un ou plusieurs mandats locaux avant de se présenter aux législatives et a fortiori aux sénatoriales.

      On met ici et là en avant le tirage au sort comme étant la panacée de la représentativité. Cela ne tient pas la route car on demanderait par ce biais à des béotiens de se prononcer sur des textes complexes sans la moindre expérience et par conséquent sans la moindre compétence, excepté pour quelques rares spécialistes du thème abordé.

      La difficulté de l’introduction de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels appelés à juger des affaires complexes dans les domaines techniques (juridique, financier, social, immobilier, etc.) est à cet égard instructive : après réflexion et avis de nombreux experts de la chose judiciaire, il a été fort heureusement renoncé à faire appel à ces jurés hors les affaires relevant des moeurs ou des violences.


    • citoyenrené citoyenrené 5 septembre 2012 14:20

      Bonjour Fergus,

      c’est une contradiction partagée, les députés de métier ne voudront ni des jurés citoyens ni d’une part de désignation aléatoire & rotation des charges

      que les travaux en commission nécessitent de « l’expérience », ni vous ni moi ne le savons à priori...et puis, concrètement, quelle expérience ? vivez le truc 1 fois, l’expérience sera présente la 2e

      à ce titre, l’intervention de Jacques Testart sur les jurés citoyens tirés au sort devrait vous plaire, peut être la connaissez-vous

      http://www.franceculture.fr/emission-a-voix-nue-jacques-testart-55-2012-06-08

      les gens deviennent compétents !

      vous faites de la « complexité » législative une porte d’entrée infranchissable au citoyen.....vous omettez ici la possibilité de conseils extérieurs contradictoires, et surtout l’intelligence des gens !

      vision élitiste, le commun des mortels, auquel le député de naissance n’appartient pas, est incapable, et par nature stupide devant la complexité législative

      je ne crois pas à cette vision..

      historiquement et sémantiquement, démocratie = désignation aléatoire....on a tordu le mot à l’envers, certains croient aujourd’hui qu’élection = démocratie, rendez-vous compte

      élection = gouvernement représentatif...

      que le gouvernement représentatif soit la meilleure gouvernance, ça se démontre, les 200 ans de ce système nous le prouvent chaque jour, du péril écologique à la liberté de prédation de la finance internationale, en passant par les abjects paradis fiscaux, nos « représentants » luttent pour le peuple chaque seconde, c’est flagrant

      « gouvernance du peuple, par le peuple, pour le peuple »

      en 1789, 80% d’illettrés, à la rigueur, on pouvait soutenir le principe oligarchique, et encore, les illettrés avaient leur idée sur l’intérêt général, mais ça va, en 2012, on devrait pouvoir pousser la souveraineté de peuple un cran plus loin

      bon, ce qui vous intéressera le plus peut être dans ce commentaire sera l’intervention remarquable de Jacques Testart sur France Culture


    • citoyenrené citoyenrené 5 septembre 2012 14:29

      et sur les tribunaux correctionnels : combien de temps dure le jugement ? 1 jour, 1 semaine ?

      évidement, sur un tel temps court, ne nous attendons pas à des prouesses de la part des jurés citoyens


    • miha 5 septembre 2012 15:42

      D’où l’intérêt, aussi, d’exiger des lois compréhensibles par le plus grand nombre, sans jargon juridique : la fin des textes « usines à gaz », quoi.


    • citoyenrené citoyenrené 5 septembre 2012 11:53

      intéressant article,

      dans la ligne de mire : les médias, qui nous déforment

      dans les solutions : l’éducation populaire

      le système actuel nous maintient sous anesthésie..on en oublierait l’article 2 de notre constitution actuelle : « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple »

      la première lutte de cette démarche sera ......sémantique : se réapproprier le mot « démocratie », pour l’instant aux mains des tenants du gouvernement représentatif

      bon article en tout cas, le sujet doit être posé, encore et encore


      • Taverne Taverne 5 septembre 2012 16:45

        Seulement voilà, il se murmure en Haut-Land que la rénovation de la démocratie on s’en fiche maintenant qu’on a tous les pouvoirs.


        • bernard29 bernard29 5 septembre 2012 19:23

          Fergus , je vous soumets ce projet du Pacte Démocratique pour l’instauration d’un contrepouvior citoyen.

          Pour un nouvel âge démocratique

          Les prétentions du pacte démocratique sont ;

          1. - de favoriser la participation électorale et le développement de l’esprit civique
          2. - d’assurer un renouvellement constant du personnel politique
          3. - de clarifier les fonctions des élections nationales (présidentielle et législatives)
          4. - d’instiller des éléments de démocratie directe et d’instaurer un contre pouvoir citoyen.
          http://pacte-democratique.blogspot.fr/ pour un contre pouvoir citoyen.






          • Mmarvinbear Mmarvinbear 7 septembre 2012 21:45

            C’est quand même fou cette attirance pour une herbe qui n’était pas si verte ailleurs quand on regarde bien.


            La democratie athénienne etait tout, sauf une véritable démocratie. Vous glorifiez Periclès. Oubliez-vous que c’est sous son impulsion que le corps electoral a ete reduit, excluant ceux qui n’avaient pas deux parents athéniens ?

            C’est facile de se dire démocrate quand on a la capacité de faire son propre corps électoral.

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