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Ecole, justice : fantasque destinée

Il n’y a pas si longtemps, l’infamie lorgnait l’enseignant. « Pas une semaine sans pédophilie », avait tonné Ségolène Royal au Parlement, le 29 janvier 1998. L’Education nationale entendait protéger ses rejetons des violences sexuelles et ne plus « couvrir ses pédophiles ».

Dans les cours de récré, le vice avait délogé la vertu.

En revanche, nous pouvions compter sur notre justice qui adulait, au titre de Diké, Eva Joly et Laurence Vichnievsky. Trônant dans leur « pôle financier » aménagé à grands frais, elles traquaient, sans concession, les corrupteurs et prévaricateurs instillés dans notre cénacle d’hommes de bien.

Epoque révolue. L’opinion publique, par essence, est fantasque et, depuis le fatidique 11 septembre, notre monde prétend arraisonner l’absurde.

Ainsi, l’école est toujours le lieu de tous les dangers. Non plus pour ses élèves mais, maintenant, pour les professeurs. A en croire les informations, abondamment dispensées, l’enseignement est devenu le viatique de l’héroïsme. Les lycées et collèges, particulièrement en Ile-de-France, seraient aux mains des racailles qui, non contentes d’avoir mis le feu à nos banlieues, tyranniseraient leurs maîtres venus apporter la culture destinée à les sortir de l’univers morne dans lequel elles se repaissent.

Selon la Fédération autonome de solidarité (FAS), citée par Libération, 1 651 agressions physiques avec arme ont été enregistrées l’année dernière. Les salles de cours deviendraient des rings de boxe sans arbitre.

On se souvient de Karen Montet-Toutain, interviewée en pleurs, avec ses peluches, pour le magazine Sept à Huit du 15 janvier, sur TF1. Le mardi suivant, elle était sacrée Mater dolorosa de l’éducation par Gilles de Robien lors des questions au gouvernement, et acclamée par la représentation nationale.

Le lendemain mercredi, en direct de l’Assemblée, la France découvrait le calvaire des acquittés d’Outreau, broyés par une machine judiciaire impitoyable qui, du juge d’instruction à la chambre criminelle de la Cour de cassation, en passant par les officiers de police et les experts, s’était ingéniée à faire de l’incurie un des principes fondamentaux de la procédure pénale. Thémis s’est déchue, elle-même, du piédestal que le peuple lui avait érigé.

 

Mystique de la peur

 

Ainsi, les anciens prédateurs se sont métamorphosés en héros, et les justiciers d’antan ont, de leurs attributs, abandonné la balance, pour ne conserver que le glaive.

La violence et ses victimes sont, abondamment, mises en scène sur tous nos écrans de télévision, nouveau Thôt des temps modernes.

Il n’existerait donc pas, dans notre pays, d’enseignants ni d’élèves sereins, des lycées et collèges où règne la concorde ? Aucun tribunal ne connaîtrait de juges instruisant à charge et à décharge, écoutant les moyens soulevés par chacune des parties, et rendant des décisions sages et mesurées ?

Or, s’il s’en trouve, malgré tout, quelques-uns, vous ne les entendrez jamais s’exprimer. Nul média n’est intéressé par leur donner la parole. Prétoires et classes ne connaissent pas de journées portes ouvertes. Etrangement, les syndicats ne semblent pas pressés de montrer le bon côté des métiers qu’ils ont la charge de défendre.

Il ne s’agit nullement d’amoindrir les impardonnables souffrances et injustices, mais s’il faut bien admettre qu’école et justice doivent être réformées, ne serait-il pas judicieux de commencer par s’inspirer des expériences positives ? Tout s’organise pour en préserver le public. Chaque soir, à 20 heures, les vaticinateurs de service nous convient au trauma de notre quotidien. A côté de l’avenir qu’ils nous brossent, celui d’un Dantec ferait presque office de paradis. Nous assistons, ébahis, au spectacle de notre propre déclin.

Cette mystique de la peur a ses grands prêtres et son concile. Nicolas Sarkozy et le gouvernement ont beau jeu de nous proposer un arsenal ultra sécuritaire, allant de la vidéosurveillance aux sanctions judiciaires pour les enfants à partir de dix ans, ils ne reçoivent aucune opposition. Nous sommes devenus les lâches et les tièdes contre lesquels Sartre nous mettait en garde. Agir n’est pas de notre religion, et revendiquer confine au sacerdoce.

Et demain, lorsque les policiers s’inviteront dans les établissements scolaires et que les juges seront remis au pas, sous peine de sanctions, il sera temps pour les enseignants de s’insurger contre les lois liberticides et pour les magistrats de fustiger l’atteinte à leur sacro-sainte indépendance.

A moins que, de nouveau, l’opinion publique ne virevolte. Car c’est la mode, disait Pascal, qui fait l’agrément ; aussi fait-elle la justice.

A force de vaucrer dans la complaisance de soi, on s’englue inexorablement dans la vacuité.

Photo : Reuters


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1 réactions à cet article    


  • Un enseignant trentenaire (---.---.56.116) 26 janvier 2006 12:56

    Je répondrais par 2 citations :

    « Les gens heureux n’ont pas d’histoire » dicton populaire. ( vous connaissez bien le compositeur Felix Mendelsonn vous ? Il a eu une vie plutôt heureuse. Par contre vous connaissez sûrement Tchaïkovsky ou Beethoven, car leur vie est tragique. )

    Donc on ne parle jamais des jugements sereins et mesurés et des collèges paisibles et efficaces.

    Autre citation :

    « Un journal coupé en morceau, ca n’interesse pas une femme, mais une femme coupée en morceau ca interesse les journeaux »

    Coluche.

    Le bonheur dans les médias ne fait pas d’audimat, le malheur si. Canal Plus a bien essayé de lancer il y a un certain temps un « journal des bonnes nouvelles » pour lutter contre cette tendance. L’émission n’a guère duré.

    J’ai demandé à ma compagne pourquoi elle regardait les émissions racoleuses et déprimantes de Mireille Dumas, ou de Delarue, ou même les soaps comme « amour gloire et beauté » ou il n’est question que de trahison, de malhonneteté, de souffrance, de vangeance, de rancoeur etc...

    Il parait que ca la rassure, que ca lui permet de relativiser ses petits malheurs quotidiens, et que cela la confirme dans son opinion plutôt pessismiste concernant l’espèce humaine.

    Que répondre à cela.... Le malheur à la télévision serait-il devenu l’anxyolitique sans ordonnance et tout public de notre société en plaine sinistrose ? Un anxyolitique à accoutumance...

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