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Histoire des Boycotts

Les embargos, les actes de sabotage, la tactique de la terre brûlée, les actes de désobéissance, peuvent être vus comme autant de formes primitives de boycott. Ce sont des moyens qu’on pourrait qualifier de non-violent à priori, moins violent que la lutte armée en tout cas. Mais comme vous le verrez on peut aussi estimer qu’ils constituent malgré les apparences une forme de violence parfois meurtrière.

Qu’est-ce qu’un boycott sinon une stratégie visant à isoler son adversaire, à l’asphyxier socialement et économiquement, de telle sorte qu’il soit contraint à la négociation ou à l’exil ?

Considérant les innombrables conflits qui ont opposé les hommes entre eux au cours de l’histoire, il n’est pas étonnant que les uns et les autres aient très tôt développé ce genre de stratégies comme moyen de pression sur leurs adversaires.

I – Une pratique vieille comme le monde

Le principe qui consiste à interrompre toute forme d’échange avec quelqu’un dont on désapprouve les actes, que ce soit pour des raisons politiques ou morales, apparaît déjà dans le Lysistrata d’Aristophane. Dans cette Comédie grecque écrite en 411 avant J.-C., la belle Lisistrata persuade les femmes d’Athènes de se refuser à leurs maris, afin de contraindre les hommes de mettre fin à la guerre contre Sparte.

L’un des plus vieux exemples documentés de mise en pratique de cette stratégie se trouve dans l’histoire des peuples Quraysh (littéralement « petit requin »), dans la partie Nord de l’Arabie. Il s’agit du boycott mené contre les membres du Clan Banu Hashim, entre 617 et 620, en réaction à leur conversion à l’islam. Cette campagne fut organisée par les chefs des Clans Makhzum et Abd-Feintes de Banu et se formalisa par un traité. Les clans s’engageaient à ne pas épouser les femmes du Clan Banu Hashim, ni permettre que leur femmes se lient à eux, ni commercer avec eux d’aucune manière. Ce boycott contraint le Clan Banu Hashim à migrer dans la région de Shib Abi Talib où ils endurèrent une douloureuse période de famine.

On trouve un autre exemple bien plus tard, durant la seconde moitié du XVIIIème siècle en Amérique du Nord. Les colons américains eurent recours au boycott des marchandises surtaxées que le Parlement Anglais cherchait à leur imposer, dans le but de renflouer les caisses de l’État vidées par la guerre avec les Français. En 1768, quand les taxes furent étendues à des produits de première nécessité, un boycott massif se mit en place à Boston, qui en deux ans fera chuter les importations de moitié ! Les britanniques durent envoyer des navires de guerre pour empêcher les colons de s’approvisionner à l’étranger et sabrer les efforts des petits commerçants locaux, afin de les contraindre à acheter les marchandises qu’ils contrôlaient.

Mais c’est dans le cadre de la lutte anti-esclavagiste que le boycott va s’affirmer comme un outil puissant de mobilisation citoyenne, grâce au talent d’un des personnages clé du mouvement abolitionniste à la fin du XVIIIème siècle. Thomas Clarkson, co-fondateur de la Société pour l’Abolition du Commerce des Esclaves (Society for Effecting the Abolition of the Slave Trade), s’employa à sensibiliser la population britannique à la question de l’esclavage. Pour y parvenir il multiplia les pétitions, les réunions publiques, et les appels à ne pas acheter de produits issus de l’économie esclavagiste. Il inspira des mouvements semblables ailleurs en Europe et même Outre-Atlantique, et bientôt les premières lois abolitionnistes furent promulguées[1]. La campagne la plus célèbre de cette période est l’appel au boycott du sucre Antillais en 1790.

Quelques décennies plus tard, dans le Haut Canada, la colère grandit dans le cœur des colons, opprimés par un ensemble de lois injustes que leur imposent les Anglais. Dans ce contexte, Louis-Joseph Papineau, qui est un homme politique Canadien indépendantiste, grand orateur et harangueur des foules, lance un appel au boycott de certaines marchandises britanniques. Le 15 mai 1837, à l'Assemblée de Saint-Laurent, il prononce un discours célèbre dans lequel il invite ses concitoyens à se révolter non pas par des moyens violents, mais simplement en n’achetant plus les marchandises des Anglais.

[…] Je dois le dire, ce n'est ni la peur ni le scrupule qui me porte à dire que l'heure n'a pas sonné où nous devons répondre à cet appel [aux armes]. Ce n'est pas la peur : si la nécessité y était, la force du pays, dans son éloignement de l'Angleterre et sa proximité des États-Unis, pourrait effectuer cet objet. Ce n'est pas le scrupule : quiconque est familiarisé avec la connaissance de l'histoire de la juste et glorieuse révolution des États-Unis, voit un concert si unanime des hommes les plus éclairés et les plus vertueux de tous les pays du monde, qui applaudissent à la résistance héroïque et morale, qu'opposèrent les Américains à l'usurpation du parlement britannique, qui voulut les dépouiller et approprier leur revenu, comme il prétend aujourd'hui faire du nôtre, que ce serait pour ainsi dire s'associer aux réputations les plus grandes et les plus pures des temps modernes, que de marcher avec succès dans la voie qu'ont tracée les Patriotes de 74.

[…] Quels conseils nous ont donnés ceux de nos amis qui ont si honorablement pris notre défense au parlement ? Ils ont dit aux ministres : Les Canadiens sauront vous punir, et se combiner pour appauvrir votre commerce et votre revenu.... C'est la marche qu'ont pris les Américains, dix ans avant de combattre. Ils ont bien commencé, et ils ont bien fini dans des circonstances semblables à celles où nous sommes placés. Nous n'en sommes qu'à bien commencer... Je crois que nous devons prendre l'engagement de discontinuer l'usage des vins, eaux de vie, rhums et de toutes autres liqueurs spiritueuses, importées et taxées. L'on trouvera l'avantage public et particulier dans l'abstinence de ces objets. Mais qu'au moins, ceux qui croient trouver de l'utilité dans l'usage des spiritueux consomment ceux qui sont fabriqués dans le pays, plutôt que ceux qui viennent du dehors...

Ce n'est pas par une vaine gloriole que je le dis, la résolution me paraît trop naturelle pour qu'elle ait beaucoup de mérite, j'ai de suite renoncé à l'usage de sucre raffiné mais taxé, et acheté pour l'usage de ma famille du sucre d'érable ; je me suis procuré du thé venu en contrebande et je sais plusieurs personnes, qui en ont fait autant. J'ai écrit à la campagne pour me procurer des toiles et des lainages fabriqués dans le pays, et j'espère les avoir assez à bonne heure pour me dispenser d'en acheter d'importation. J'ai cessé de mettre du vin sur ma table et j'ai dit à mes amis : Si vous voulez vous contenter de la poule-au-pot, d'eau, de bière ou de cidre canadiens, puis de propos bien pleins d'indignation, si par hasard la politique vient en question ; bien pleins de gaîté sur des sujets légers, les plus variés que nous pourrons trouver sur le temps présent ou passé, sur tout ce qui nous passera par la tête, allons, venez, et dînons sans un verre de vin...[2]

Ainsi cette stratégie du « boycott » fut employée à plusieurs reprises et dans des contextes différents au cours de l’histoire. Mais elle n’a pas encore véritablement pris sa place dans les sociétés, en ce sens qu’elle demeure absente du langage : elle n’a pas de nom. Comme souvent dans l’histoire des mots, c’est un curieux concours de circonstances qui va donner à cette stratégie de « mise en quarantaine sociale » une sonorité propre et une définition claire.

 

 

II – Naissance d’un Éponyme : Histoire du Capitaine Boycott

Entre 1845 et 1850 en Irlande, une épidémie de mildiou se répand sur les champs de pomme-de-terre, provoquant une terrible famine. Les autorités britanniques importent du maïs américain et abolissent les droits sur le blé, mais ce n’est pas suffisant pour aider véritablement les paysans, principales victimes de cette crise. D’autant plus que dans le même temps le gouvernement applique une politique de répression systématique en faveur des propriétaires terriens fortunés, dont l’écrasante majorité refusent de renoncer à leurs droits de fermage, ni même de les réduire temporairement. Près d’un million de personnes périssent pendant la Grande Famine et autant s’exilent, principalement aux États-Unis.

Les Irlandais développent un sentiment nationaliste de plus en plus exacerbé. Ils accumulent patiemment la rancœur à l’égard de la couronne et surtout des grands propriétaires anglais, qui contraignent un nombre croissant d’habitants à quitter le pays chaque année. Les Landlords anglais, pionniers du capitalisme, concentrent de plus en plus de terres agricoles, exigent des droits de fermages invraisemblables et expulsent les paysans quand bon leur semble.

Lord Erne est l’un de ces grands propriétaires. En 1873 il confie la gestion des terres qu’il possède dans le Comté du Mayo, sur la côte Ouest de l’Irlande, à un certain Charles Cunningham Boycott, ancien Capitaine de l’armée britannique.

Le Capitaine Boycott était semble-t-il un personnage détestable : balourd, arrogant, mesquin et avare. Il s’installe à Lough Mask House, où il gère les affaires et perçoit les fermages pour le compte de Lord Erne, en s’accordant une confortable commission de 10% au passage. Il impose aux paysans des taxes absurdes et des interdictions injustes. Par exemple, dans une lettre adressée au Landlord, des paysans se plaignirent que le Capitaine Boycott exigeait qu’ils paient une taxe lorsqu’une poule passait sur son terrain ! Mais Lord Erne défend obstinément son intendant, et la colère monte[3].

À la même période, un certain Charles Stewart Parnell, pourtant issu d’une famille de grand propriétaire protestant, préside la Ligue Agraire (Irish National Land League) et défend avec virulence les intérêts des paysans. Les principaux objectifs de ce groupement politique soutenu par le clergé, sont exprimés dans les « 3 F » : Fair rent, fixation équitable de la rente que versaient les paysans aux propriétaires dont ils exploitaient la terre, Fixity of tenure, impossibilité pour le propriétaire d’expulser un paysans qui paie régulièrement son loyer, et Free sale, possibilité pour le paysan de céder son bail s’il le désirait et ce au prix du marché.

Parnell propose à la population, dans un discours public animé tenu à Ennis, le 19 septembre 1880[4], une stratégie de lutte pacifique contre les abus des Landlord, qu’il qualifie d’abord de « quarantaine morale » (« moral Coventry »).

[…] À présent, qu’allez-vous faire à un métayer qui obtient une ferme de laquelle son propre voisin a été expulsé ?

Je crois que j’ai entendu quelqu’un dire « Abattez-le ! », mais je souhaite vous suggérer une voie bien meilleure, une voie plus chrétienne et plus charitable, qui donnera aux pécheurs égarés une opportunité de repentir.

Lorsqu’un homme prend une ferme dont un autre a été expulsé, vous devez lui montrer sur le bord de la route lorsque vous le rencontrez, vous devez lui montrer dans les rues de la ville, vous devez lui montrer aux échoppes, vous devez lui montrer à la foire et au marché, et même à l’église, en le laissant dans une profonde solitude, en le plaçant en quarantaine morale, en l’isolant de ses semblables comme s’il était un lépreux d’autrefois – vous devez lui montrer votre anathème du crime qu’il a commis, et vous pouvez me croire, si le peuple d’Irlande met en œuvre cette doctrine alors il n’y aura pas un homme si enflé d’avarice, si désespéré de honte, pour défier l’opinion de tous les hommes sensés du pays, et pour transgresser votre implicite code de loi. […]

Quelques jours à peine après le discours de Parnell, à Lough Mask House, le 22 septembre, l’enceinte de la demeure du Capitaine Boycott est abattue, et son bétail dispersé sur les chemins. Personne ne veut plus désormais travailler pour lui, et il doit effectuer lui-même le travail aux étables et dans les fermes. Il se fait huer dans les rues et marche en baissant la tête. Plus personne ne lui adresse la parole. Il ne peut plus rien acheter ni vendre. Il se ravitaille par l’intermédiaire d’un ami à Cong car il a peur d’aller seul à Ballinrobe, où il s’approvisionnait d’ordinaire. Bientôt il quitte sa demeure et se rend au Harman Hotel à Dublin avec sa famille. Il cherche du soutien auprès du Landlord local, mais ce dernier lui explique qu’il ne peut pas rester sur ses terres, invoquant les messages de menace qu’il a reçus et qui le mettent en garde contre le péril qui l’attend si jamais il lui offre sa protection. Même la compagnie d’assurance de Boycott, la Railway Passengers Assurance Company, lui fait savoir qu’elle désire revoir certains termes de son contrat d’assurance vie s’il reste en Irlande. Cette situation de plus en plus intenable conduit le Capitaine et toute sa famille à quitter rapidement le pays…

L’histoire fut largement relayée à l’époque par la propagande nationaliste pilotée depuis les États-Unis. Elle focalisait l’attention des foules sur le personnage de Boycott et stimulait l’agitation populaire. Il semble que le verbe « boycotter » (to boycott) apparut pour la première fois un mois plus tard dans la presse, sous la plume de James Redpath, du journal américain Inter Ocean. Le journaliste raconte sa rencontre avec le père O’Malley, l’un des principaux organisateurs de la lutte à Lough Mask House. Alors qu’il demandait à O’Malley s’il n’y avait pas une expression plus populaire que « ostracisme » ou « excommunication sociale » pour désigner le traitement réservé au Capitaine Boycott, l’homme d’église aurait dit : « mais pourquoi ne pas dire que le propriétaire a été boycotté ? ».

En 1881, le premier Ministre britannique William Gladstone fit voter le Land Act, qui intégrait les « 3F » que la Ligue agraire avait exigé. Les tenanciers bénéficiaient enfin de vrais droits qui les protégeaient un peu mieux des abus des Landlord[5].

 

 

III – Les boycott au XXème siècle

Le boycott a désormais un nom. Et c’est sans aucun doute au siècle dernier qu’on va l’utiliser, le scander plus que jamais. Le boycott s’est imposé comme l’une des stratégies de lutte non-violente les plus populaires. Des centaines de pages ne suffiraient pas à faire une liste exhaustive de tous les boycotts lancés au XXème siècle, mais voici les plus célèbres.

1) 1er août 1920 : la Satyagraha du Mahatma Gandhi [6]

Fin de la Première Guerre Mondiale. Les Indiens qui se sont engagés en masse au côté des Anglais, au prix de centaines de milliers de morts, espèrent être récompensé par les autorités britanniques et obtenir enfin un certain nombre de droits. Mais leur déception est grande, car en réalité rien ne change ou presque. Si les administrations leurs sont désormais ouvertes, les Anglais les traitent toujours comme des sous-hommes. Par ailleurs le pays connaît une recrudescence des troubles religieux, et les modérés ont bien du mal à se faire entendre.

Gandhi appelle la population, le 6 avril 1919, à cesser le travail et à manifester pacifiquement pour protester contre les mesures d’austérité que les autorités maintiennent malgré la fin de la guerre. Sept jours plus tard, environ dix-mille hommes, femmes, enfants et vieillards manifestent à Amritsar, dans le Penjab, l’une des régions les plus touchée. Tandis que les manifestants se rassemblent dans les jardins de Jallianwala Bagh, le général Dyer ordonne à ses hommes d’encercler la foule. Les soldats ouvrent le feu. Des centaines de personnes périssent et des milliers d’autres sont blessées. La loi martiale est décrétée pour contenir les troubles qui font naturellement suite à ce massacre absurde. Le général Dyer est démis de ses fonctions et rentre en Angleterre où il sera accueilli en grande pompe…

Suite à cet évènement, même les plus modérés parmi les Indiens développent un sentiment nationaliste viscéral. C’est dans ce contexte que Gandhi lance un appel à boycotter les produits Anglais, les administrations, les écoles, etc. Dans une certaine mesure, ce boycott contribua à ce que les britanniques admettent qu’il était nécessaire de faire un premier pas vers l’autonomie du pays. Quelques mois plus tard, les lois Montagu-Chelmsford sont votées et les premières élections Nationales permettent à un plus grand nombre d’Indiens de prendre part aux décisions importantes.

2) 1er avril 1933 : boycott des commerces Juifs en Allemagne

À la fin du mois de janvier 1933, Adolf Hitler est nommé Chancelier par le président Hindenburg. Le 28 mars, la Parti National Socialiste Allemand des Travailleurs diffuse une ordonnance dans laquelle il exige le boycott des professions libérales et des commerces Juifs dans toute l’Allemagne.

[…] Les Comités d'Action emploieront immédiatement des moyens de propagande et d'information pour propager le boycott. Le principe doit être qu'aucun Allemand n'achète plus à un Juif, ou permette à un Juif ou à leurs agents de recommander des marchandises. Le boycott doit être général. Il doit être appliqué par la nation tout entière et doit frapper les Juifs à leur point le plus sensible.

[…] Le boycott ne doit pas commencer par étapes, mais tout de suite d'un seul coup, toutes les mesures préparatoires devant être prises immédiatement dans ce but. Ordres seront donnés aux SA et aux SS de poster des gardes à l'extérieur des magasins juifs dès l'entrée en vigueur du boycott, afin de mettre le public en garde contre l'entrée dans ces locaux. Le début du boycott sera annoncé par voie d'affiches, par la presse, par des tracts, etc. Le boycott débutera dès 10 heures précises, le Samedi 1er avril [jour de Sabbat !]. Il se poursuivra jusqu'à ce que la direction du Parti ordonne son annulation.[7] […]

Il s’agit de la première opération massive de discrimination contre les des Juifs d’Allemagne qu’organisèrent les Nazis. Certains y voient avec raison le prélude de la Nuit de Cristal. Malheureusement cet exemple historique est instrumentalisé de nos jours pour condamner l’utilisation de la méthode du boycott en général, en l’assimilant à une méthode antisémite et fasciste - particulièrement lorsque l’État d’Israël est visé. Nous allons voir que ça n’est pas aussi simple, car rien n’est jamais tout noir, ou tout blanc…

3) 24 mars 1933 : la campagne anti-nazis se poursuit

Le Congrès Juif Américain (Jewish American Congress) suit de près l’ascension d’Hitler, d’abord à la tête du Parti National Socialiste, puis à la Chancellerie. Ils voient naturellement d’un très mauvais œil cet homme qui transpire de haine contre les Juifs du monde entier. Ils organisent alors une campagne contre Hitler et le parti Nazis dont la principale arme est le boycott des produits allemands.

Le 24 mars 1933, le Daily Express, un quotidien britannique, rend compte de cette mobilisation de la communauté juive dans un article intitulé « La Judée déclare la guerre à l’Allemagne - Les Juifs du monde entier unis dans l’action »[8].

Tout Israël s’unit dans son courroux contre les assauts lancés par les nazis aux juifs en Allemagne. […]

Quatorze millions de juifs dispersés dans le monde se sont rassemblés comme un seul homme pour déclarer la guerre aux persécuteurs allemands de leurs coreligionnaires. Les différences de classes ou de partis et les antagonismes ont été abandonnés pour un but commun : se tenir aux côtés des 600 000 juifs d’Allemagne qui sont terrorisés par l’hitlérisme et l’antisémitisme, et contraindre l’Allemagne fasciste à mettre fin à sa campagne de violence et de suppression dirigée contre sa minorité juive.

La communauté mondiale a décidé de ne pas rester passive face à la résurgence des persécutions médiévales des juifs.

L’Allemagne peut être sommée de payer le prix fort pour l’antagonisme d’Hitler envers les juifs. Elle est confrontée au boycottage commercial, financier et ministériel. Elle peut se trouver dans l’isolement spirituel et culturel, en reculant devant la croisade ardente que les juifs de tous les pays lancent pour défendre leurs frères affligés.

Le prince négociant juif quitte son comptoir, le banquier la salle de réunion du conseil d’administration, le boutiquier son magasin et le colporteur son attirail pour s’unir dans ce qui est devenu une guerre contre les ennemis hitlériens du juif. […]

Cet appel au boycott de l’Allemagne aurait pu tuer dans l’œuf le Troisième Reich. Malheureusement, buisiness is buisiness, as usual, et de nombreux hommes d’affaire – dont certains Juifs comme le banquier Max Warburg - ne purent résister à la tentation des formidables profits promis par la guerre à venir. Mais ce n’est pas le sujet de ce document…

4) 1956 : le boycott des bus de Montgomery

Evènement majeur du Mouvement des droits civiques aux États-Unis, ce boycott fut organisé en réaction à l’arrestation d’une femme noire du nom de Rosa Park. Elle était poursuivie pour avoir refusé de céder sa place dans le bus à un blanc comme l’exigeait alors la loi. La nuit suivant son arrestation, les leaders de la communauté afro-américaine se réunirent à l’église de Dexter Avenue et fondèrent l’Association pour le Procès de Montgomery (Montgomery Improvement Association). Le célèbre pasteur, Martin Luther King fut immédiatement élu à la tête du mouvement. Ils débattirent des objectifs du mouvement et des actions à mener pour y parvenir. La stratégie pacifique de désobéissance civile proposée par King séduit l’assemblée.

35 000 tracts appelant au boycott des bus furent distribués à la veille du procès de Rosa Park. L’appel fut repris par la presse noire locale dès le lendemain. La population afro-américaine, qui représentait 75% des utilisateurs du réseau de transport, participa massivement au boycott. Des dizaines de bus public restèrent au dépôt des mois durant. La population s’organisa pour aller à pied, ou bien dans des taxis conduits par des noirs au prix du bus. Fidèles aux préceptes de Martin Luther King, elle demeura impassible et non-violente face aux actes de provocation et d’agression répétés d’une partie de la communauté blanche de Montgomery. Comme le mouvement prenait de l’ampleur et que des fonds provenant de sympathisants commençaient à arriver, un service d’autobus parallèle fut même mis en service. Les évènements de Montgomery provoquèrent de nombreuses manifestations de protestation contre la ségrégation raciale dans d’autres états du pays.

Finalement le 13 novembre 1956, la Cour Suprême des États-Unis décréta les lois sur la ségrégation raciale dans les bus anticonstitutionnelles.

5) La mobilisation Internationale contre l’apartheid

Depuis le début des années 50, le Congrès National Africain (African National Congress), fer de lance de la lutte contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud, appelait régulièrement au boycott et à la désobéissance civile pour faire pression sur le gouvernement. Les manifestations et les actes d’insubordinations se multipliaient, et ils étaient très souvent réprimés dans le sang.

Parallèlement à l’ONU, sont débattues des questions de Droits de l’Homme et de ségrégation raciale[9]. Le régime de l’apartheid subit de plus en plus de pression de la part de la communauté internationale. En signe de protestation, il se retire de l’UNESCO. Mais les Afrikaners peuvent bien gesticuler tant qu’ils le peuvent, en invoquant des arguments fallacieux, rien n’y fait, les remontrances continuent de pleuvoir.

Dans sa résolution 123 du 1er avril 1960, le Conseil de Sécurité demande à la République Centre-Africaine de mettre un terme aux politiques de discrimination raciale et de prendre des mesures pour se conformer aux objectifs de la Charte de l’ONU. En 1962, la résolution 1761 réclame que des mesures spécifiques soient prises pour amener l’abandon de l’apartheid, incluant la rupture des relations diplomatiques et commerciales avec l’Afrique du Sud et la fermeture des ports aux navires sud-africains. Le Conseil crée un Comité spécial chargé d’étudier la politique d’apartheid du gouvernement de la République Sud-Africaine. Le 29 juin, l’Organisation Internationale du Travail vote une résolution pour que l’Afrique du Sud quitte l’organisation.

Six ans plus tard, l’Assemblée Générale demande à tous les États membres de « suspendre tous les échanges à caractère culturel, éducatif ou sportif et autres, avec le régime raciste et avec les organisations ou les institutions » du pays. Dans sa résolution 2775D de novembre 1971, elle appelle à un boycott des équipes sportives sélectionnées pour les Jeux Olympiques en violation du principe de non-discrimination. De son côté, le Conseil de Sécurité adopte les résolutions 181 et 182 qui demandent à tous les États membres d’appliquer intégralement l’embargo sur les armes contre l’Afrique du Sud. En 1973 débute la Décennie de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale.

Le gouvernement de la République Sud-Africaine est de plus en plus isolé et son économie commence à pâtir des multiples boycotts dont il est la cible, tant de la part de certains États que de la part de la communauté civile Internationale. En dépit du bon sens, les Afrikaners vont poursuivre et même intensifier leurs attaques contre la communauté noire et les communautés d’immigrés. Ils se débattront comme ça pendant encore 20 ans avant de finalement céder, donnant lieue aux premières élections démocratiques en Afrique du Sud, lors desquelles sera élu le premier président noir du pays : Nelson Mandela.

6) Israël : Boycott, désinvestissement et sanctions

Lancée officiellement en juillet 2005 par 171 organisations palestiniennes et toujours d’actualité, cette campagne réaffirme l’unité du peuple Palestinien et son droit à l’autodétermination. Trois revendications sont mises en avant : la fin de la colonisation et de l’occupation des terres arabes ainsi que le démantèlement du mur de séparation ; l’égalité des droits des citoyens arabes vivant en Israël ; et le retour des réfugiés dans leurs foyers.

Les consignes sont assez détaillées – pour ceux que ça intéresse.

Concernant le boycott il s’agit de s’abstenir de participer aux conférences d’universités israéliennes ou d’assister à des conférences d’universitaires israéliens, de ne plus acheter les produits suivants et/ou de sommer les entreprises de cesser leur soutien au « régime d’apartheid » en ne vendant plus les produits suivants :

  • Les produits Israéliens, c'est-à-dire dont le code barre débute par 729[10] (voyez c’est très précis) ;
  • Les vins en provenance du plateau du Golan ;
  • Les produits de beauté Ahava provenant de la Mer Morte ;
  • Certains produits (sous-vêtements et systèmes d’hydratation) produits par des entreprises militaires israéliennes qu’on trouve chez Mountain Equipment Coop ;
  • Indigo/Chapter, dont les actionnaires soutiennent des militaires en Israël par l’entremise de la Fondation Heseg ;
  • Tous les produits et services des entreprises qui soutiennent l’État d’Israël que ce soit ouvertement ou par l’intermédiaire de leurs activités commerciales.[11]

En ce qui concerne le désinvestissement, il s’agit de s'informer des composantes de son fonds de pension – si on en a un - et demander qu'on en retire les entreprises israéliennes (sont particulièrement ciblées : Catterpillar, Motorola, ITT Industries, United Technologies). Les associations préconisent aussi de suspendre toute subvention, soutien financier ou organisationnel, et crédit idéologique accordé aux centres de recherche ou programmes culturels israéliens.

Enfin, le volet sanction invite une mobilisation citoyenne pour exiger de notre gouvernement :

  • qu’il vote en faveur des résolutions condamnant l’État d’Israël pour ses violations répétées du droit International ;
  • qu’il interdise toute importation de produits en provenance des territoires occupés ;
  • qu’il mette un terme aux accords franco-israéliens concernant principalement la défense et la recherche technoscientifique[12].

Malgré la médiatisation de cette campagne, notamment fin 2010 en France avec le procès de 3 militants pro-palestinien (pour avoir relayé cet appel au boycott), il y a de bonnes raisons de penser que le mouvement « Boycott, désinvestissement et sanctions » (Boycott, Divestment and Sanctions) bat de l’aile…

En effet depuis le lancement de la campagne en 2005, le PIB Israélien a augmenté d’environ 70%, passant d’un peu moins de 126M $ à plus de 200M $. L’exportation ne semble pas non plus avoir souffert de la campagne puisqu’elle a tranquillement poursuivie sa croissance, passant de 200M $ à plus de 250M $ aujourd’hui. De même les investissements étrangers sont au beau fixe, et certains soutiennent même que les pays d’Europe investissent plus en Israël que n’importe où ailleurs[13].

Qu’à cela ne tienne, les militants redoublent d’ardeur et grand bien leur en fasse ! S’il ne menait pas ce combat-là, personne ne se soucierait du sort du peuple Palestinien. Probablement qu’on ne saurait même pas qu’il y avait un peuple en Palestine avant l’arrivée des israélites. Et gardons à l’esprit que si le mot d’ordre était suivi, ce serait un outil puissant pour pousser le gouvernement d’Israël à se pencher sérieusement sur les revendications du mouvement.

7) On ne compte plus les appels au boycott

On le voit, la fréquence des appels au boycott a continuellement augmenté au cours de l’histoire. On le comprend aisément, si l’on admet que la sphère économique a pris une place de plus en plus importante dans nos sociétés. Le boycott est souvent assimilé au « dernier recours » des plus faibles, tant il est vrai qu’il joue un rôle fondamental dans les luttes populaires. Certains exemples comme celui du rôle de l’ONU dans la lutte contre l’apartheid Sud-Africain ou bien l’appel au boycott des JO de 1980 lancé par le président américain Carter lui-même, devraient écarter de nous l’idée que seul un sot inculte et inconscient – et nécessairement antisémite – peut avoir recours au boycott pour obtenir ce qu’il désire.

Aux États-Unis le boycott est un sport National, parfaitement intégré dans les données économiques. Du défenseur des animaux aux groupes d’extrême droite, toutes sortes de groupes de pression emploient le boycott comme moyen de pression sur les entreprises ou les élus. L’un des boycotts de grande ampleur les plus récent Outre-Atlantique a été baptisé le Grand Boycott Américain (Great American Boycott). Il eu lieu le 1er mai 2006 dans de nombreuses villes du pays. Les organisateurs appelèrent la population immigrée à cesser le travail, à ne plus consommer ni vendre quoi que ce soit, et à déserter les bancs de l’école, dans le but de protester contre la réforme de la loi sur l’immigration.

Chez nous aussi, en bon français, on boycotte à tour de bras, malgré la loi qui l’interdit. Rien que durant le mois qui vient de s’écouler (janvier 2011) on a au moins une dizaine d’appels au boycott : des enseignants appellent au boycott des évaluations de CM2 ; le manager du Bayern de Munich, Hoeness, appelle au boycott de deux joueurs – je n’ai pas bien compris pourquoi et je m’en tape ; le président en exil de la Côte d’Ivoire Alassane Ouattara appelle au boycott du cacao ivoirien ; des militants écologistes se demandent s’il ne faudrait pas boycotter les œufs en batterie ; au Liban, Farès Souhaid appelle au boycott du gouvernement de Mikati ; etc.

 


 

L’histoire des boycotts n’est pas terminée. Pas besoin d’être un fin analyste pour réaliser à quel point les grands capitalistes, qu’ils soient PDG d’une multinationale ou membre d’un groupe d’investissement, malgré l’immense pouvoir qu’ils semblent détenir, sont complètement dépendant du consentement du peuple afin de maintenir leur statut.

Qu’est-ce que la consommation citoyenne sinon un habile détournement sémantique ? Un pernicieux oxymore ? Être citoyen serait être un bon consommateur ? On ne peut pas être citoyen, c'est-à-dire un acteur politique, conscient des enjeux de son temps et soucieux d’œuvrer à l’avènement d’une société plus égalitaire, plus fraternelle, responsable de ses actes et pérenne ; et adhérer tout à la fois à la doctrine qui voudrait faire de nous des consommateurs perpétuels, d’un nombre toujours croissant d’objets et de services plus ou moins utiles, mais dont l’impact sur notre environnement est intrinsèquement néfaste.

Si le boycott fait si peur, c’est bien parce qu’il est le produit de l’idéologie dominante qui soutient que tout échange est une forme de contrat : je te propose quelque chose, on discute des conditions et si l’on parvient à un accord, l’échange peut se faire. Tu as le droit de refuser de signer le contrat. Comme tu as le droit d’expliquer à d’autres pourquoi ils devraient refuser le contrat – n’est-ce pas messieurs Rockefeller, Gates & Co ? Le boycott est une arme économique que les capitalistes ont eux-mêmes développé. À partir de là, il est légitime pour un citoyen de l’employer comme bon lui semble.

La criminalisation du boycott, déguisée en mesure humaniste pour défendre les Droits de l’Homme - je dirais surtout de certains hommes - n’est-elle pas la preuve la plus poignante du fait que le boycott est aujourd’hui l’une des armes les plus efficaces dont nous disposons pour exiger un autre système socio-économique ?

Comme le dit un jour Coluche : « Quand on pense qu’il suffirait que les gens ne les achètent plus pour que ça ne se vende pas ! »

A bon entendeur, salut !

Fabien C.

 

NOTES


[1] UNESCO, Luttes contre l’esclavage, Année internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition, 2004.

[3] Olivier Esteves, Une histoire populaire du boycott : 1880 – 1960, l’armée du nombre, Ed. L’Harmattan, 2005.

[4] G.M. Young, English Historical Documents 1874-1914 (Vol. 10), Eyre & Spottiswoode Ltd, 1977.

[5] André Larané, 1801 à 1916 - La Question d'Irlande, herodote.net.

[11] Liste non-exhaustive : Coca-Cola, Danone, Aquarius, Cherry Coke, Fanta, Nestea, Sprite, Minute Maid, Tropical, Arvie, Badoit, Belin, Blédina, Phosphatine, Chipster, Evian, etc. etc. etc.

[13] Jeffrey Goldberg, The Origins of Israel's Tech Miracle, The Atlantic, November 5. 2009.

 


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3 réactions à cet article    



    • zelectron zelectron 22 juin 2011 15:42

      Alliot-Marie a fait interdire le boycott : il eu fallut la boycotter !


      • caramico 23 juin 2011 10:06

        Quand je dis que les dis que les fruits et légumes en provenance d’ Israel sont sans saveur car produits sur du sable, hydroponiques avec ajout d’éléments nutritifs, donc je n’en achète pas, est du boycot ?

        Et une « loi » pourrait-elle m’obliger à en acheter ?

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