Yassin, le bon Samaritain des familles
Ultime recours avant expulsion.
Cela fait cinq longues années que Yassin, un parmi des milliers d’autres étrangers sans papiers, travaille avec dévouement et efficacité pour le Relais orléanais. Il est celui qui est chargé de faire manger les familles. Chaque fois que je viens apporter ma modeste contribution à cet organisme, je le vois s'affairer pour que chacun reçoive la même chose.
Yassin est un bénévole de l’association qui fait l’unanimité parmi tous. Il ne peut bénéficier d’un emploi aidé compte tenu de sa situation administrative, ce qui ne l’empêche nullement de travailler cinq jours par semaine. Il salue chacun de nous, prend des nouvelles des uns et des autres, discute du temps qu’il fait alors que manifestement, le ciel semble lui tomber sur la tête plus souvent qu’à son tour. Depuis quelque temps, je le voyais avec un air las, une mine qui ne respire pas la bonne santé. J’ai fini par poser des questions …
J’ai découvert sa situation administrative à ma grande surprise, tant je pensais ce garçon intégré. J’ai appris qu’il n’avait pas de domicile, qu’il vivait là où le hasard ou bien la solidarité le menait. Pourtant, pas une fois, il ne venait à manquer à sa tâche. Mieux même, ce service aux familles, il le conduit avec une abnégation exemplaire, un souci de l’équité absolue. Il n’est pas question pour lui de faire des préférences, de servir mieux l’un que l’autre.
Comme je prépare souvent des desserts, il vient régulièrement me voir pour vérifier qu’il pourra prendre sa part afin de servir tous ceux dont il a la charge. Il est scrupuleux, toujours en mouvement, toujours disponible pour ces gens qui arrivent de loin, perdus, égarés dans un monde qu’ils découvrent tout juste, avec des enfants en bas âge et des difficultés de langue. Yassin est leur truchement.
Mais son histoire à lui n’est guère dissemblable de la leur. Il est arrivé en France, venant du Maroc, sans connaître la langue. Le fonctionnaire qui l’a reçu a fait appel à un traducteur. De petites incompréhensions, des erreurs de traduction et voilà l’imbroglio administratif qui se met en place. Au pays, on l’appelle Mohamed comme il était le dernier garçon de la famille sur l’état civil. Il fut inscrit sur l’état civil de Tanger sous le prénom double de Mohamed-Yassin. Une erreur qui sème la suspicion dans une nation peu encline à se montrer bienveillante envers ceux de son origine.
Son cas empira encore quand il dit son nom de famille. Yassin, incapable de nommer les lettres, d’épeler son patronyme en français se fia au traducteur algérien qui commit une inversion. Voilà le pauvre garçon affublé d’un faux nom et d’un prénom d’emprunt. Rien d’idéal pour se lancer dans la folle aventure de l’intégration.
Yassin en 2012 s'est lancé dans l’aventure du Relais avec le dévouement dont je vous ai parlé plus haut. Rapidement il a trouvé des alliés dans la place pour l’aider dans ses démarches tant il était apprécié. Il a surtout retrouvé dans cette association la confiance en lui qu’une aventure sentimentale avec une Française avait détruite. Le Relais s’est porté garant, il a utilisé les services d’un avocat pour aider le garçon, pour lui permettre d’obtenir l’indispensable sésame : un titre de séjour lui permettant enfin de travailler.
De rejet en recours, de procédure en appel, de refus en mise en demeure, le voici au bout de l’espoir, attendant l’ultime décision, craignant le départ sans retour. La justice n’a que faire de ses états de service, se soucie comme d’une guigne de tous ces bénévoles qui attestent de son intégrité et de sa capacité à s’intégrer, démontrée un peu plus chaque jour. La justice examine des pièces administratives, se montre impitoyable avec les humbles et si clémente pour les margoulins de la hiérarchie. C’est ainsi ; le fléau de la balance n’est jamais équitable …
Yassin est né dans un famille de sept enfants qui n’a pas été marquée du sceau de la tranquillité. Un divorce mal vécu a poussé Yassin à suivre sa mère. Sa scolarité se passe dans une école en langue arabe uniquement. C’est à quatorze ans qu’il quitte l’école en ne connaissant que sa langue maternelle.
Avec sa mère, il vit désormais à la campagne, loin de la ville. Sa mère fait du négoce de fripes sur les marchés, lui, tient la maisonnée. Le malheur s’abat sur les siens. Il perd une petite sœur, âgée seulement de huit ans, d’une jaunisse fulgurante. Puis, c’est son frère de trente-sept ans qui les protégeait qui meurt assassiné.
Sa mère se retrouve dans l’incapacité à subvenir à leurs besoins. Elle pousse Yassin à tenter l’aventure européenne. Il se rend seul à la frontière marocaine, là où s'élève ce fameux mur de cinq mètres de haut. À la douane, il est trois heures du matin, un inconnu l’informe qu’un car européen va bientôt passer. Il attend le changement de garde, il est cinq heures, les douaniers se relaient et pendant ce bref instant d’inattention Yassin se glisse sous le car.
Le car monte sur le bateau en direction de l’Espagne. Yassin est très à l’étroit dans sa minuscule cachette. Il y passe soixante heures, au ras de la route : sa vie étant menacée à chaque chaos, à chaque arrêt, sans boire ni manger à l’exception d’un arrêt en Espagne où il parvient à fouiller des poubelles pour y découvrir une pomme et une moitié de petite bouteille d’eau. Il retourne se cacher jusqu’à la France.
C’est quand le car s’arrête pour descendre une passagère dans une station Total entre Orléans et Paris que Yassin tente l’aventure. Il est couvert de graisse, de fumée ; il est totalement perdu. Il entre dans la station, espérant que quelqu’un vienne à lui. C’est un employé de la station qui finit par se diriger vers ce curieux client hagard et sale. L’homme parle arabe.
C’est là qu’il découvre qu’il est en France, lui qui voulait aller en Espagne car les démarches y sont plus faciles. Yassin tente de traverser l’autoroute, il veut repartir en sens inverse. Des automobilistes signalent ce curieux piéton. La police arrive et le prend en charge et il se retrouve au commissariat d’Orléans.
La police l’écoute, c’est là que les erreurs de traduction sont commises d’autant plus que Yassin est en état de choc après ce périple insensé. La police le place alors au foyer de la maison de l’enfance. Il a quinze ans ; il est mineur sans papier. Il y restera dix-huit mois, le temps d’apprendre la langue avec une enseignante de classe allogène. Puis il passe de foyer en foyer jusqu’à ses dix-huit ans.
À sa majorité il se retrouve à la rue avec un contrat jeune majeur qui ne dure qu’un mois. C’est alors qu’il découvre l’amour avec Amandine et passe onze années avec elle. Il vit de petits boulots, Yassin étant particulièrement doué pour réparer des PC ; d’ailleurs c’est lui qui tient l’atelier informatique du Relais pour les bénéficiaires.
Après la rupture, il se retrouve à la rue. Il a de gros problèmes dentaires : il a besoin de soins. Il a vingt-neuf ans et entre en contact avec une assistance sociale qui lui permet d’avoir la carte d’aide médicale et lui indique le Relais pour manger. Il se fait retirer onze dents ce qui vous donne une petite idée de ses douleurs ! Ainsi peut commencer sa nouvelle existence de bénévole.
C’est cette période vide de onze années qui lui est reprochée. Il n’a aucune trace légale sur ce long tunnel durant lequel il a survécu d’expédients honnêtes. Mais comment le faire savoir ? Ce billet vous permettra de découvrir ce garçon et de vous faire votre opinion.
Voilà le récit que m’a fait Yassin, un matin au Relais. J’ai voulu vous faire part de ce parcours. Une histoire de vie banale, comme la misère et la pauvreté en génèrent tant. Je souhaite de tout cœur que ceux qui ont un pouvoir puissent, eux aussi, découvrir à quel point ce garçon mérite notre confiance. Je lui ai accordé la mienne ; puissent d’autres faire de même ! En tout cas, pas un des quatre-vingts bénévoles du Relais orléanais ne viendra dire du mal de Yassin. Alors, qu’attendons-nous pour lui ouvrir les bras de ce pays dans lequel il vit depuis plus de seize ans ?
Formidablement sien.
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