Avant notre analyse, deux précisions :
Pour John Maynard Keynes (1883-1946) : "
Ce sont, la propension à consommer et le montant de l’investissement nouveau qui déterminent conjointement le volume de l’emploi et c’est le volume de l’emploi qui détermine de façon unique le niveau de salaires réels − et non l’inverse (1)". En clair,
pour Keynes, c’est la demande qui crée la hausse des salaires et non l’inverse.
Ensuite, pour aller à l’essentiel, c’est-à-dire à l’analyse d’impact d’une hausse des salaires sur le volume de la demande, notre propos ne sera pas, aujourd’hui, de voir comment les salaires seront augmentés, ni même d’analyser les impacts éventuellement collatéraux de leur augmentation sur les coûts de production, notamment.
Cela étant dit, qu’elle est notre analyse ?
Si prétendre que, pour stimuler la demande, donc la croissance, il suffisait d’une simple hausse des salaires, un enfant − peut-être même Jean Sarkozy, sans diplôme ni expérience, à peine sorti de l’adolescence − pourrait fort bien occuper le poste de ministre en charge de l’emploi, de la croissance… voire du bien-être national comme aurait pu le dire notre ex-compatriote, Nobel d’économie 1983, le naturalisé américain :
Gérard Debreu (1921- ) .
Non, toute augmentation de salaire en France − en admettant qu’il s’agisse d’une augmentation du pouvoir d’achat réel, c’est-à-dire inflation déduite, et non d’une mise en scène politicienne −, ne se transformera malheureusement pas totalement en une augmentation de la demande française pour des biens et services français. Pourquoi ?
La France, comme 99 % des pays de la planète, vit dans une économie largement ouverte sur l’extérieur depuis les années 1970 et, totalement mondialisée et globalisée depuis le début des années 1990. Dans ce contexte :
a) "[...] la demande crée l’offre [...] l’emploi [...] le revenu [...], stimule la croissance (2)" disait Keynes.
Cela est parfaitement vrai en économie fermée, ou à quelques approximations près au niveau planétaire, si nous considérons toutes les économiques comme un seul est grand ensemble économique.
Cela est différent pour un pays ayant une économie ouverte, comme la France (Cf. : supra). En effet, toute variation supplémentaire de salaire ne va pas pousser automatiquement la demande à acheter un produit ou un service fabriqué en France. Ce pouvoir d’achat supplémentaire peut très bien être utilisé à l’acquisition de produits fabriqués à l’étranger. Dans ce cas, c’est l’offre internationale qui sera stimulée… avec nos propres augmentations de salaires !
Ce sera la production, l’emploi et le salaire des autres qui en bénéficieront. La dépense des uns − c’est-à-dire la nôtre − fera la recette des autres ailleurs, c’est-à-dire celle des travailleurs et travailleuses des pays étrangers, fussent-ils amis ou pas.
C’est le premier écueil ! Et, il est loin d’être négligeable.
b) Toute hausse de salaire n’a pas vocation à être dépensée !
Une partie sera épargnée. Là encore, Keynes est sans appel : "l’épargne et l’investissement sont [...] les résultantes [...] des déterminants du système, à savoir la propension à consommer, la courbe de l’efficacité marginale du capital et le taux d’intérêt (3)".
En clair : Consommation = Revenu − Epargne.
Même si nous pouvions fixer un taux d’intérêt à 0 %, l’épargne de précaution keynésienne ne serait pas nulle et viendrait en diminution de nos revenus… donc de notre propension à consommer, c’est-à-dire à acheter des biens et services.
Dans un avenir incertain, la thésaurisation est une donnée à ne pas omettre.
C’est le deuxième écueil. Lui non plus n’est pas négligeable, surtout quand on considère qu’actuellement le taux d’épargne des ménages en France est de
16% au dernier relevé de l’INSEE.
Ainsi, fort de ces premiers constats − sans appel au niveau du fond, même si idéologiquement c’est autre chose… −, augmenter les salaires ne veut absolument pas dire que cela va mécaniquement déclencher une hausse proportionnelle de la demande de produits et services fabriqués sur notre territoire. Même loin de là ! Hors nourriture (et encore !) et loisirs… notre taux d’ouverture sur l’étranger est énorme sur : l’habillement, l’électroménager, l’image & le son, l’ordinateur, la téléphonie, le jouet, etc.
Ah ! si nous vivions en économie fermée, comme dans les 3 ou 4 pays qui, encore sur notre planète, sont en quasi autarcie. Mais au prix d’un niveau de vie qui n’est vraiment pas en exemple mondial !
Soyons clairs, aujourd’hui ou demain en 2012, l’augmentation des salaires ne suffira pas à augmenter la demande des produits vraiment domestiques, c’est-à-dire ceux que nous fabriquons, ici, sur notre territoire.
Pour certains politiques et économistes − souvent de droite, voire extrêmes −, si nous voulons vraiment augmenter la demande nationale de produits et de services bien français et franchouillards, il faut :
- pour la demande intérieure, accroître nos mesures protectionnistes, c’est-à-dire fermer quelque peu nos frontières, même s’il faut prêter le flan aux rétorsions, et même plus (**) ;
- pour la demande étrangère : la stimuler en dévaluant ou en laissant se déprécier notre monnaie, l’euro, sur le marché des changes ;
… bref, sortir de l’Union économique et monétaire qu’est la zone euro, sous le contrôle peu ou prou, aujourd’hui, d’une politique allemande d’euro fort. Pour valider leur choix, ils (ceux souvent de droite, voire extrêmes) s’appuient sur les analyses qu’ils font de certaines thèses du dernier Nobel français d’économie 1988, le quand même regretté Maurice Allais (1911-2010) (4).
Alors, en guise de conclusion provisoire :
Comme nous avons essayé de le montrer − sous l’influence de Keynes −, augmenter la demande par la hausse des salaires, n’est donc pas si simple ! C’est d’ailleurs la raison pour laquelle un enfant… ni même une personne politique incompétente et inculte économiquement, ne peut être en charge du ministère de l’emploi, de la croissance, voire du bien-être… national.
Nous rappellerons modestement à notre camarade (*), plusieurs éléments de réflexion :
- l’expérience vécue par notre pays, "in live", en mars 1983, en ayant voulu mettre en œuvre une politique similaire ;
- qu’il ne suffit de gagner le pouvoir sur des promesses que l’on ne tiendra pas, encore faut-il y rester… au pouvoir, au moins deux mandats ;
- qu’un document de travail n’est qu’un document de travail, et qu’à ce titre là, il ne doit pas sortir des instances de décision ;
- que refaire le monde tel qu’on l’a imaginé en chambre, c’est-à-dire en méconnaissant les réalités du présent et du terrain réel, c’est souvent ouvrir la porte ouverte aux extrêmes ;
- enfin, et pour paraphraser Tocqueville : "une idée fausse mais simple est bigrement plus facile à imposer qu’une idée vraie mais complexe".
La relation de causalité salaire / demande est extrêmement complexe. Basiquement, c’est la production intérieure, c’est-à-dire nationale et domestique qui crée l’emploi, les revenus et les salaires. C’est en répondant à la demande intérieure autant qu’à la demande extérieure que la machine économique tourne. Même si une fois lancée, les revenus et les salaires entretiennent la demande dans un cycle dit vertueux.
Ainsi, il faut encourager la production des entreprises, les démarches entrepreneuriales, notamment celle de l’innovation. L’Etat doit être là pour inciter, stimuler, faciliter, promouvoir, soutenir, encadrer…
L’exemple allemand − qui brille malgré un euro fort − n’est pas à exclure d’un revers de main, trop souvent hautain de notre part − à nous Français les plus intelligents de la planète...
De même, la reconquête de la demande intérieure, ajoutée à la conquête de la demande extérieure, doivent faire l’objet d’études poussées pour mieux les servir et donc produire en conséquence sur notre territoire.
La recherche, le développement et l’investissement en innovation sont à ériger en priorités nationales. L’économie verte et de proximité (agriculture, transport… réparation, restauration, etc.), celle des sciences de l’éducation, celles des services et des conseils à haute valeur ajoutée… celles du bâtiment (première œuvre et second œuvre) et du tourisme aussi, etc.
Que diable, un peu d’imagination. Le pouvoir, ça se mérite quand même un tout petit peu, même si le "gouvernement" de la Commission européenne est de plus en plus structurant sur la macroéconomie de chaque pays membre de l’Union européenne.
(1) John Maynard Keynes (1883-1946) : Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), page 57, Editions Payot 2001.
(2)Keynes : op. cit ; le principe de la demande effective, page 51 et suivantes.
(3)Keynes : op. cit ; page 195.
(4) La mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance (édition Clément Juglar 2007). Page 241 et suivantes, notamment.
(**) Petit rappel historique, selon Adam Smith (1723 - 1790), la guerre de 1672 entre la Hollande et la France a été déclenchée à cause des mesures protectionnistes françaises. Elle dura 6 ans. La paix de Nimègue, en 1678, y a mis fin (Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), livre IV, chapitre 2, p. 480, Editions Economica, mars 2000).