Chômage : Un impôt sur l’infortune ?
Les chiffres alarmants du chômage du mois d’août, qui traduisent la morosité économique, se conjuguent avec un durcissement des conditions d’indemnisation du chômage. Alors que les charges pèsent sur les ménages, les solidarités familiales vont être sollicitées. Or, il ne peut y avoir de traitement économique du chômage sans traitement social.
Oui, triste mois d’août 2008 pour l’emploi. Ce mois est celui de l’annonce de suppressions massives d’emplois, chez Renault et Hewlett-Packard notamment, et celui de la faillite de la banque d’affaire Lehman Brothers, avec le vent de panique qu’elle a fait souffler sur le système financier. Selon des évaluations sérieuses, la crise des subprimes a détruit en quelques mois des richesses égales à 10% du PIB mondial, soit 4000 milliards de dollars. Conséquence, plus aucune banque ne prête à aucune banque, le crédit est plus difficile et les prix augmentent. Conséquence logique, le chômage repart à la hausse. Non seulement, il s’agit du cinquième mois consécutif de hausse du nombre de demandeurs d’emplois, mais ce mois d’août est aussi celui d’une multiplication par dix de leur nombre par rapport au mois de juillet, un record de hausse. Premières victimes de cet « impôt sur l’infortune » : les jeunes, les salariés les plus modestes, les femmes et les séniors.
Car ce mois d’août est aussi celui du durcissement des conditions d’indemnisation des chômeurs. Après les réductions des durées d’indemnisation de 2002, une loi sur les droits et devoirs des demandeurs d’emploi été en effet été publiée samedi 2 août dernier au "Journal officiel". Cette loi, votée entre le 17 et le 18 juillet 2008 à l’Assemblée nationale, prévoit de sanctionner les chômeurs qui refuseraient deux "offres raisonnables d’emploi", par une suspension des allocations. La définition de "l’offre raisonnable d’emploi" que le chômeur sera tenu d’accepter s’élargira avec le temps du chômage. Après 3 mois de chômage, temps de formation éventuel compris, l’emploi devra être payé au moins 95 % du salaire antérieur, puis 85 % au bout de 6 mois. Au bout d’un an, le salaire devra simplement être supérieur à l’indemnisation du chômage. L’emploi, qui peut être un CDD ou un CDI doit être situé à moins de 30 Km du domicile ou à une heure de trajet en transport en commun. S’il est vrai qu’il existe des abus, et que le régime à temps plein d’indemnisation ne favorise pas une reprise d’emploi, même si, au Danemark par exemple, ce système a fait ses preuves, il est indéniable qu’il tombe au plus mauvais moment. Ce texte supprime également, progressivement, la dispense de recherche d’emploi des chômeurs de plus de 57 ans et demi. Ces personnes, près de la retraite, devront donc chercher un emploi. Même si chacun s’attend à une nouvelle augmentation du nombre d’années de cotisations nécessaires à une retraite à taux plein, cette absence de garantie pour les seniors est nouvelle et devrait les inquiéter.
On peut donc s’attendre naturellement à une augmentation du nombre des exclus de l’assurance chômage. Ce sont ceux que l’on retrouve à l’ASS ou au RMI. Selon des études, près de la moitié d’entre eux ne peut prétendre à aucun autre mode d’indemnisation. Ces principales allocations du régime de solidarité en direction des chômeurs sont en effet soumises à des conditions d’âge (pour le RMI), de passé professionnel (pour l’ASS), mais aussi à des conditions de ressources. En effet, dès qu’il s’agit de prestations de solidarité, ce sont l’ensemble des revenus du ménage qui sont prises en compte, et non plus les droits individuels propres à l’assurance chômage ou à la retraite. Dès lors, ce sont les solidarités familiales qui vont être sollicitées. Même si le ménage à un bon niveau de vie - mais les plafonds ne sont pas si élevés – c’est bien les instances familiales qui vont supporter le plus les conséquences de l’augmentation du chômage et du durcissement des conditions d’indemnisations. Mais ce qui est caché, dans ce processus, c’est un retour forcé des femmes aux foyers, encouragé par des prestations familiales justes et souvent insuffisantes, mais qui seront nécessaires aux ménages fragilisés par la perte d’un revenu. On sait très bien que ce sont les femmes, dont le taux de chômage est plus élevé que celui des hommes et qui sont majoritaires chez les chômeurs non indemnisés, qui seront conduites à faire, volontairement ou non, le sacrifice de leur autonomie. Il ne peut y avoir, en France, d’impôt sur l’infortune.
Dès lors, on peut se demander si ce n’est pas le libre choix des individus les moins favorisés qui est désormais restreint. Qu’il s’agisse de jeunes cherchant à s’insérer dans la société sans revenus, de chômeurs voulant se reconvertir, de séniors sans emplois aspirant à une retraite progressive, mais aussi, avec le Revenu de Solidarité Active, (RSA), de RMIstes cumulant leur indemnité avec une action associative, une activité artistique ou un commerce de proximité non rentable. Quelle que soit son opinion sur cette société en marge de la société, ces foyers inactifs qui vivent d’allocations, il est difficile de faire payer ainsi un déséquilibre entre actifs et inactifs à la société. Mais il faut prendre la juste mesure des conditions d’un retour à l’emploi, de ceux que l’on nomme abusivement les « exclus ». Car il s’agit de citoyens victimes ou qui ne demandent le plus souvent qu’à retrouver un statut social et une dignité. On l’a vu avec la baisse du chiffre des Rmistes en période de croissance. Désormais, avec le RSA, ils seront invités, voire contraints d’accepter une activité, certes minimale, mais précaire. La société investit pour leur offrir un revenu supérieur au RMI, mais prend le risque de les installer à contre cœur dans une activité non choisie. A part son financement, cette mesure fait l’unanimité et est présentée comme un progrès social. Mais on peut se demander si cela ne s’apparente pas à une forme de renoncement au I d’insertion du RMI.
Former et préparer des hommes prend en effet du temps et demande des moyens. Dans les mesures annoncés, on peut se demander si ce n’est pas l’investissement humain, ferment de l’économie de l’immatériel, qui est négligé. Ne serait-il pas temps de lancer un vaste programme de formation tout au long de la vie, ouvert aux actifs comme aux inactifs, et s’appuyant sur le concept des « arbres de la connaissance » qu’avait déjà développé Michel Serres il y a une quinzaine d’année ? (1) Ce concept permettrait de valider des connaissances ordinaires, déjà acquise, mais aussi à se perfectionner ou se préparer à vivre une nouvelle vie professionnelle. Nous avons besoins d’actes à proposer à celle ou celui qui enchaine les CDD, aux travailleurs pauvres en CDI, comme aux fonctionnaires, aux cadres et aux dirigeants. Travailler plus, oui, mais aussi pour se former, y compris dans le cadre d’une année entière par exemple.
Bien sûr, c’est aux entreprises d’investir et de miser sur le capital humain. C’est à l’Etat et à l’Union européenne, maitres des horloges, de lancer des programmes d’infrastructures qui, comme le projet ITER, sont les gisements des emplois de demain. Mais il faut aussi investir sur l’humain, non pas en encoconnant les gens, mais pas en les insécurisant non plus. Il faut leur donner confiance en eux et en leurs capacités, en un mot, les motiver.
Heureusement, se disent les spécialistes, la relève des générations devrait générer des emplois de remplacement. Mais combien d’offres sont déjà et seront en inéquation avec la demande ? Comment, sans former mieux et toujours les salariés et les cadres, pourrons nous relever le défi économique ? Tous les gouvernements, de gauche ou de droite, qui veulent tous créer les conditions de la croissance et lutter contre le chômage, savent qu’ils ont deux mannettes à leur disposition : Le traitement économique du chômage et le traitement social. Il semblerait, après ce mois d’août, qu’il s’agisse des deux jambes pour avancer. L’une pour déverrouiller le contexte de la création de richesse, l’autre pour aider chaque individu à produire sa propre individualité active. Une dextre et une senestre, en quelque sorte. Ne l’oublions pas dans les choix publics à venir.
Eric DONFU
(1) En organisant, en décembre 1992, avec Joffre Dumazedier, à la Sorbonne, le bicentenaire du rapport Condorcet sur l’instruction publique, nous avions déjà plaidé pour cette nation éducative alors que Internet n’était encore qu’un rêve. Voir La leçon de Condorcet, Joffre Dumazedier, Eric Donfu, Lharmattan, 1994
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