E-recrutement et CV anonyme
On le sait, le CV anonyme va devenir obligatoire pour les entreprises d’au moins 50 salariés dans le cadre de la loi sur l’égalité des chances. Je n’aborderai pas ici la question de la pertinence de la mesure, mais plus prosaïquement celle de ses conséquences sur l’e-recrutement.
Car elles risquent d’être nombreuses et il n’est pas évident que cette dimension ait été présente à l’esprit des rédacteurs de l’amendement. Beaucoup d’interrogations persistent en l’état actuel du texte et le décret d’application sera à surveiller de près, non seulement pour connaître les sanctions et les modalités de contrôle, mais aussi pour mesurer pleinement l’étendue du champ d’application, qui reste pour le moment assez flou.
Trois types d’acteurs sont en effet à distinguer :
- les recruteurs finaux
- les structures de placement et d’intérim
- les bases Internet de CV ou de “profils professionnels” (job boards et plates-formes de réseautage)
Du point de vue des recruteurs finaux, les choses apparaissent relativement claires. La mesure s’applique “simplement” aux entreprises d’au moins 50 salariés. L’obligation d’anonymer les CV va fortement stimuler l’informatisation de leur processus de traitement : c’est la seule manière de d’automatiser l’anonymisation. Les éditeurs de logiciels de gestion de candidatures le savent bien, et prennent rapidement position sur un marché qui s’annonce juteux.
Le CV anonyme va-t-il également favoriser l’externalisation du recrutement ? Il y a de fortes chances. En effet, une grande entreprise confiant à un prestataire la gestion complète de son processus de recrutement, à l’exception des entretiens finaux, se verrait théoriquement exonérée de la mesure, dont l’application serait reportée sur le prestataire en question.
Les grands acteurs du travail temporaire qui, depuis la loi de cohésion sociale, investissent également le marché du recrutement “permanent”, travaillent sur le sujet depuis longtemps, et en ont fait un enjeu de communication important. Ils ont été les premiers à être montrés du doigt, et sont conscients des enjeux en termes d’image. Leur approche “industrielle” du recrutement facilite l’intégration du CV anonyme.
La question est différente pour les cabinets de recrutement. Certains, à la manière des grandes ETT, en ont fait un enjeu de différenciation et communiquent beaucoup sur le thème. D’autres, et en particulier parmi les petites structures pour lesquelles la chasse constitue une activité importante, sont furieux et se demandent si le CV anonyme est compatible avec le coeur même de leur métier. Le Syntec-Recrutement remet quant à lui en cause plus généralement la pertinence de la mesure.
En tout état de cause, on ne peut que remarquer la contradiction forte qui existe entre la problématique du CV anonyme et la multiplication des informations nominatives disponibles sur Internet, qui imposent de plus en plus aux individus de gérer “leur réputation en ligne”, que ce soit au niveau des blogs, des plates-formes de réseautage en ligne, ou tout simplement des CVthèques des job boards.
La loi va-t-elle s’appliquer à ces dernières ? Certains responsables de sites attendent la réponse avec impatience. Au moment où j’écris, leur association professionnelle, l’APPEI, ne s’est pas prononcée sur l’amendement. Cela ne devrait cependant pas tarder, puisque c’est justement à des fins de lobbying sur la question du CV anonyme que l’association a été relancée fin 2004.
Rares sont les sites qui ont anticipé la mise en place du CV anonyme, mais ceux qui l’ont fait ont été confrontés aux problèmes de l’anonymisation des CV au format Word. Jobtransport déclare par exemple être obligé de faire ce travail manuellement. Ceci risque d’être une véritable révolution culturelle pour la plupart des job boards, qui n’avaient pas mis en place de procédure de contrôle des CV entrants. Bien sûr, dans le cas d’une CVthèque fondée exclusivement sur un formulaire électronique à remplir, la question ne se pose pas ; mais la possibilité de joindre un CV Word est maintenant quasi généralisée.
Les interrogations les plus fortes, quant au champ d’application de la réforme, concernent les plates-formes de réseautage en ligne.
Il serait pour le moins hypocrite de considérer que les profils
disponibles sur ce genre de sites ne s’apparentent pas à des CV. Les
chasseurs de tête les utilisent déjà massivement dans leurs recherches
et, si ces services sont destinés à un usage professionnel généraliste,
l’emploi est pour beaucoup d’entre eux une activité “vache à lait”. On
se demandait déjà si les plates-formes de réseautage ne menaçaient pas les CVthèques des job boards
pour certains profils. Mais si elles étaient exonérées de la procédure
d’anonymisation (laquelle procédure, si elle leur était appliquée,
remettrait en cause le principe même) et si ce n’était pas le cas des
CVthèques des job boards, les recruteurs se tourneraient sans doute encore davantage vers ces nouveaux services...
Le CV anonyme est décidément une question bien délicate qui pourrait, selon ses modalités concrètes d’application, largement redessiner les positions des intermédiaires du marché du travail et le marché de l’e-recrutement.
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