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Accueil du site > Actualités > Economie > Essai pour l’introduction souple et efficace d’une « monnaie » (...)

Essai pour l’introduction souple et efficace d’une « monnaie » temporelle dans les Systèmes d’Échanges Locaux (S.E.L.)

Ce texte est un vieil article rédigé juste avant le passage à l’euro (il s’exprime en francs et j’ai tenu à garder cette vieille unité) à une époque où je faisais partie d’un Système d’Échange Local (SEL). Je l’avais publié (c’était encore l’époque du web.01) sur une « page perso » aujourd’hui disparue, sous le pseudo de L. C. Chaupourel.

Sans prétendre jouer les économiste, je tiens à ce texte pour deux ou trois raisons :

1) il contribue à la réflexion générale sur les SEL, l’économie solidaire et même l’autogestion ;
2) il analyse ce que peut être une « récommune » pour parler comme Frédéric Lordon dans « La crise de trop » (Fayard, 2010) ;
3) il cerne les principes d’une économie monétaire sans dette possible, ce qui n’est pas sans actualité.

Bonne lecture aux économistes et aux « sélidaires » !

J’avoue avoir longtemps hésité entre deux visions contradictoires réparties à peu près également sur l’ensemble des SEL existant dans le monde : une vision monétariste des échanges et une vision complètement abolitionniste de toute monnaie.

Les monétaristes créent une monnaie spécifique ("pots", "grains", "brouettées", et même : "heures" et "minutes"), tiennent une comptabilité centrale, publient régulièrement les soldes de tous les adhérents au SEL. Par exemple : qui a reçu, en une période donnée, pour 1000 pots de services et en a rendu pour 2500 se trouve créditeur de 1500 pots ; qui a reçu, dans la même période, pour 3000 pots de services et en a rendu pour 150 se trouve débiteur de 2850 pots ; qui n’a rendu aucun service et en a reçu pour 100 pots se trouve débiteur de ces 100 pots ; qui n’a rendu ni reçu aucun service se trouve avec un solde égal à zéro. Tous les comptes sont transparents les uns aux autres, ce qui est très différent du système bancaire officiel, et, du reste, un solde négatif ou nul ne constitue aucunement un signe infamant. Un solde débiteur de 1000 pots peut signifier que Monsieur A a rendu pour 3000 pots de services (à une ou plusieurs personnes) et qu’il en reçu pour 4000 pots (d’une ou de plusieurs personnes), ce qui est très honorable ; un solde nul peut signifier que Monsieur A a rendu pour 7800 pots de services et qu’il en a reçu pour 7800 aussi, l’ensemble étant aussi fort honorable. Cette comptabilité centrale permet au coordinateur des échanges (sorte de comptable des "pots", "grains" ou autres unités de compte) de repérer un éventuel profiteur, c’est-à-dire une personne qui recevrait toujours sans jamais rendre, encore que le cas ne se présente pratiquement jamais dans des structures de ce type, souvent de petite taille, et où toute action participe peu ou prou d’une forte culture de la solidarité. En outre, elle lui permet d’évaluer statistiquement le volume total des échanges et de mesurer ainsi le dynamisme du SEL. Pour travailler, le coordinateur se fonde sur des bons d’échanges que les adhérents lui envoient régulièrement, ces bons mentionnant la date, la nature du service rendu, le bénéficiaire du service, l’offreur du service. On terminera sur une précision : les fleurons des SEL monétaristes sont les foires aux échanges, encore que les autres SEL ne rechignent pas forcément au procédé. Il ne s’agit alors plus d’échanges de services à proprement parler, mais d’échanges de biens d’une manière non commerciale (une sorte de troc collectif). Dans une grange ou une salle des fêtes, on dresse des stands, où Jean propose des portions de gâteaux, Jacqueline des crêpes, Paul des barquettes de crème, Fabienne un bric-à-brac qui sort de son grenier, Dudule son vieux tourne-disque, etc. Dans une foire de ce type, il est vrai que la monnaie facilite grandement ce qui ressemble, il faut bien le dire, à de l’achat-vente, d’autant que tous les biens ne sont pas à égalité (le bric-à-brac du grenier n’a rien coûté à Fabienne, alors que Paul propose la crème venant de son exploitation agricole, et que Jean a acheté dans le commerce les ingrédients de ses gâteaux). L’existence d’une comptabilité transparente limite le risque qu’un adhérent peu scrupuleux s’empare de tous ces objets pour les gaspiller, les revendre, etc.

Les abolitionnistes ou échangistes non-monétaristes souhaitent, au contraire, qu’il n’existe ni monnaie parallèle, ni comptabilité centrale. 1) Parce que des particuliers n’ont pas vraiment le droit de frapper monnaie, s’agirait-il d’une monnaie de singe. 2) Parce qu’une monnaie, même dans un contexte très différent du système bancaire et monétaire officiel, réintroduit des considérations malsaines de profit, d’accumulation, de richesse, de pauvreté : quelqu’un qui reçoit beaucoup de services et reste longtemps sans en rendre (fût-ce pour des raisons légitimes : maladie, accident... ) peut devenir, à être jugé trop vite, le paria du SEL, le débiteur de tout le monde, le profiteur des autres, le "glandeur" de l’association... 3) Parce que la monnaie induit souvent une ambiance formaliste et soupçonneuse qui entrave l’échange au lieu de le favoriser : on a connu, dans certains SEL, des atmosphères très "coincées" où tout un chacun calculait au plus juste le prix du moindre service rendu et offert, chacun s’effrayant d’être "volé" ou même de voler son prochain (pour les plus altruistes) ! Les abolitionnistes fonctionnent donc autrement. Ils s’appellent les uns les autres lorsqu’il y a tel ou tel besoin ponctuel (ce qui se fait dans tous les SEL, du reste), et, d’une manière plus générale, ils s’arrangent pour organiser des journées de travail collectif : ce dimanche, on repeint la grange de Bonemine ; samedi prochain, on va faire du débroussaillage chez Hippolyte. Chacun travaille à son rythme ; il y a, certes, des plus costauds et des plus efficaces, mais personne ne va espionner ce genre de détail, personne n’étant jamais totalement inutile ; Théodule part deux heures après pour une obligation quelconque, mais Théophile, qui n’a rien à faire de toute la journée, reste jusqu’à l’heure du goûter gracieusement offert par la famille dont on débroussaille le jardin ou repeint la grange ; au final, tout s’organise afin de joindre l’utile à l’agréable, sans qu’intervienne la moindre formalisation comptable ou administrative.

Une troisième tendance se dessine actuellement, à mi-chemin entre le monétarisme et l’échangisme informel. Pour les échanges ponctuels, de gré à gré entre deux personnes, on conserverait la monnaie dans certain cas ; on l’abolirait dans d’autres, notamment en ce qui concerne de tout petits échanges à peine évaluables ; ce système amusant fait dire aux petits plaisantins qu’il y a même du travail au noir dans le SEL, déjà accusé par les autorités de produire du travail au noir déguisé ; on obtiendrait donc du noir dans le noir ! Pour les foires aux échanges, l’utilisation de la monnaie serait obligatoire. Pour les journées de travail collectif, elle serait interdite. Dudule, par exemple, "paye" de 150 pots une séance d’initiation à l’informatique effectuée par Théophile, l’informaticien du groupe. Mais Dudule ne "paye" pas deux autres heures d’informatique effectuées, cette fois, par Fabienne qui s’y connaît aussi : Fabienne demande simplement à Dudule de la retenir à dîner avec sa grand-mère, de passage dans la région, - ou bien Fabienne récoltera un cageot de légumes venant du jardin de Dudule, - ou encore Fabienne s’en fiche, car elle connaît bien Dudule et elle sait que celui-ci rendra des services un autre jour, à elle ou à quiconque. Mais Dudule va aussi "vendre" (échanger) des gâteaux produits par ses soins à la foire aux échanges. Dudule, de même, participera à la grande journée de débroussaillage chez tel ou tel adhérent. On a donc, au total, quatre types d’échanges, deux du genre monétariste, deux du genre non-monétariste. A noter enfin que tout peut se combiner et que la complexité des échanges autorise toute une alchimie entre des parties d’échanges monétarisées et des parties non-monétarisées. Sans compter que la monnaie officielle et l’économie habituelle interviennent aussi : il faut acheter dans le commerce les ingrédients des gâteaux proposés à la foire aux échanges, et Dudule peut envisager de rembourser l’essence dépensée par Fabienne dans le trajet qui la mène à lui (surtout si c’est loin).

C’est là qu’intervient ma proposition d’une nouvelle monnaie, la plus souple et la plus efficace possible, afin qu’à l’intérieur même du monétarisme soit introduite l’exigence légitime de simplicité et de spontanéité exigée par les abolitionnistes. Rassemblons les paramètres.

1) Cette monnaie doit être temporelle, rédigée en heure et en minute. Ce système est plus parlant, moins abstrait, que celui des pots, grains et autres brouettées, souvent calqués sur la monnaie officielle (par exemple, 1 pot = 1 franc). Elle abolit les distinctions malsaines entre certaines tâches manuelles, souvent peu payées et peu considérées, et certaines tâches intellectuelles, chères et survalorisées. 1 heure 30 minutes d’informatique = 1 heure 30 minutes de ménage = 1h30mn en monnaie temporelle. On notera, du reste, qu’il s’agit là de la seule monnaie mondiale ou universelle possible.

2) Cette monnaie doit passer par un support d’une simplicité extrême. Les carnets d’échanges de certains SEL monétaristes sont trop peu commodes : il s’agit de carnets de la taille d’un carnet de chèque, réunissant des formules en trois coupons, l’un à conserver par le bénéficiaire du service, l’autre par l’offreur du service, le dernier à envoyer au coordinateur des échanges chargé de la comptabilité centrale. D’autres SEL ont expérimenté des formules un peu différentes ("feuille de richesses partagées", cahiers personnels de tenue des comptes, etc. ), mais presque aussi contraignantes. Le problème tient au nombre de précisions qu’il faut inclure en remplissant de telles formules : date du service, nature du service, coordonnées du bénéficiaire, coordonnées de l’offreur, montant en chiffre et en lettre du service : en trois exemplaires, c’est du marathon sportif, sans compter qu’on peut oublier son carnet d’échanges ! Il faut donc proposer autre chose : Un bout de papier + un nombre temporel XX h XX mn + le nom du bénéficiaire du service avec signature. Et c’est tout !

Cela requiert bien des précisions. Théophile reçoit chez lui Théodore qui passe la journée à poser du papier peint : huit heures de travail. Théophile s’empare, à la fin de cette journée, d’une bout de papier, blanc au moins d’un côté, par exemple le quart d’une vieille photocopie de format A4. Il marque, en chiffre, 08h00mn, écrit son nom (Théophile Duviau), et signe. Théodore empoche le billet signé de Théophile, et repart chez lui content. Eh, bien ! on a tout à gager que ce système est parfaitement INFALSIFIABLE, et ce, malgré et à cause de son extrême simplicité. Car :

1) Un billet comportant une seule rature n’est plus valable. C’est la règle générale.

2) On ne peut falsifier le nombre. La formule XXh XXmn est réglementaire et obligatoire. Une écriture telle que "8h" peut être falsifiée en "18h 30mn" ; Théodore pourrait imiter l’écriture de Théophile et rajouter un "1" et un "30mn". Mais comment peut on falsifier sans rature la formule 08h 00mn ? D’autant que les formules à trois chiffres ("308 h") ne sont pas admises.

3) On ne peut falsifier le nom. Il est déjà difficile, en soi, d’imiter l’écriture et la signature de quelqu’un. Théodore, à moins d’être très habile, ne saurait fabriquer de faux billets mentionnant les noms et signatures d’adhérents auxquels il n’a pas rendu service. Admettons cependant que Théodore soit très habile. Il se fabrique, par exemple, un billet signé par Fabienne pour deux heures de travail (02h 00mn). Or, il faut déjà que Théodore soit un salaud, cas assez rare dans les structures du type des SEL, qui participent globalement d’une culture de la solidarité. Il faut ensuite qu’il ait une grande expérience de l’écriture de Fabienne, condition pas toujours réalisable. Son stratagème, enfin, serait de toute manière immédiatement remarqué en assemblée générale. Il reste alors à préciser le rôle de cette assemblée générale.

4) L’assemblée générale du SEL contrôle la non-falsification des billets de reconnaissance de services rendus. A chaque assemblée générale (par exemple : tous les six mois), chaque adhérent égrène les services qu’il a rendus. Théodore y compris. Deux heures à Dudule, huit heures à Théophile, trois heures à André, trente minutes à Xavier, six heures à Gaëtanne, deux heures à Fabienne. Fabienne se lève alors et s’écrie qu’elle ne comprend pas, que dans les derniers six mois Théodore ne lui a rendu aucun service (ou bien : qu’il ne lui a rendu qu’un service de trente minutes). Au pire, une expertise graphologique trancherait le litige. Il pourrait d’ailleurs se produire le litige inverse : Fabienne, ayant réellement bénéficié de services, se mettrait à contester un billet qu’elle aurait réellement signé. Là encore, au pire, une expertise graphologique... Mais une telle extrémité ne pourrait pratiquement pas se produire. Dans une structure comme le SEL, les "arnaqueurs" éventuels se repèrent avant même qu’ils aient eu l’occasion de sévir. En outre, même en cas d’escroquerie, qui est lésé ? Fabienne ne devient pas débitrice puisque, 1) dans un SEL, personne n’est nommément débiteur de personne, on est tout au plus débiteur vis-à-vis de la communauté entière, 2) dans le présent système, en outre, les "soldes" sont ou bien positifs ou bien nuls, et le concept même du "débiteur" est aboli ; chacun vient avec sa pile de morceaux de papier (il y a autant de "reconnaissances de service" que de service rendus) ou sans aucun billet, pour ceux qui n’ont rendu aucun service. Si Fabienne a rendu des services, l’escroquerie de Théodore ne retranchera pas un iota au nombre d’heures de service qu’elle a rendu de son côté. C’est, tout au plus, les statistiques globales du SEL qui seront faussées : le volume global des échanges - plus exactement des heures de services rendus - sera surévalué à cause des abus de Théodore (mais cela, notons le, ne nuit en rien à l’image de marque du SEL, bien au contraire).

Un tel système gagnerait à être valorisé. Il a le mérite d’abolir toute idée de dette, de découvert, de débit. Tout au plus peut-on être comptablement "nul", vis-à-vis d’un SEL, ce qui reste moins infamant que d’être "négatif". En outre, dans les SEL classiques, un solde négatif ou nul peut cacher une grande capacité à rendre service, ce qui n’est pas le cas ici, où la capacité à rendre service se remarque d’une manière très claire en volume d’heures et de minutes. Enfin, ce système n’est même pas un "fliquage" dirigé contre d’éventuels "glandeurs" : pour éviter de jeter l’infamie sur quiconque, il faut favoriser les journées de travail collectif (par essence, non monétarisées) de telle sorte que même un adhérent au solde nul puisse dire qu’il a bien travaillé et aidé les autres. Enfin, cet adhérent, même paresseux, peut encore se constituer en petit solde positif en "vendant" des choses dans les foires aux échanges (par essence, monétarisées). Bref : dans un tel système, le négatif n’existe pas, le nul n’est pas vraiment un nul, il y a tout au plus des degrés de vertus, et jamais de vice !

Les pessimistes demanderont : et si un adhérent en cambriole un autre pour lui faucher tous ses billets de reconnaissance de services ? Car le nom de l’offreur du service (c’est-à-dire celui a rendu le service et qui possède alors physiquement le billet correspondant) n’est pas mentionné sur ledit billet, écrit et signé seulement par le bénéficiaire du service. André pourrait ainsi dérober à Dudule une pile de billets équivalent à 130 heures de services. André se retrouverait alors très vertueux en apparence, et Dudule passerait pour nul, n’ayant plus aucun billet à produire en assemblée générale devant le statisticien du SEL. Mais un tel crime serait forcément porté à la connaissance des autres par Dudule. Admettons alors qu’André ait menacé Dudule pour l’empêcher de parler. Comment André pourrait-il démontrer alors qu’il a rendu service à tous ces gens qui ne l’ont jamais vu bouger le petit doigt ? Admettons qu’André ait menacé tout le groupe et même le statisticien du SEL, pour que son compte soit abusivement déclaré créditeur d’heures de services effectuées en réalité par Dudule. Qu’est-ce que cela changerait au fond des choses ? André passerait pour ce qu’il est : un salaud, et cela n’empêcherait aucunement les autres de continuer à échanger des services entre eux, y compris Dudule dont le solde, rendu nul par le vol des billets, n’aurait aucune importance aux yeux de ses camarades. Inutile de dire qu’il s’agit-là d’une pure fiction : André serait de toute manière déjà enfermé pour violation de domicile par effraction, pour insultes, pour menaces, etc., toutes choses qui regardent moins le SEL que les institutions répressives de l’Etat.

D’autres pessimistes rétorqueront qu’un adhérent peut bien en forcer un autre (par exemple, sous la menace d’une arme) à lui signer une reconnaissance de service, se constituant ainsi un vrai-faux billet. Mais ce cas, surréaliste, se réduit à peu près au précédent, et s’efface devant les mêmes arguments.

Et si, en assemblée générale, certains oublient leurs billets ? Et si certains sont absents ? Voilà ce que demanderont encore les pessimistes... Mais on peut envoyer les billets par la poste au président ou au statisticien du SEL avant l’assemblée. Ou encore, si aucune donnée n’est disponible, le statisticien se contente de mentionner un point d’interrogation en face du nom de l’adhérent déficient. Le tableau statistique doit être complet dans la mesure du possible, comme tout un chacun doit assister aux assemblées générales : question d’éthique. Mais des absences ou des oublis rares et ponctuels n’entraveront pas fondamentalement la bonne marche des choses.

Certains esprits chagrins trouveront encore ce système insuffisamment formaliste. Il est des gens qui ne sont rassurés que par des imprimés. Certains déploreront notamment que le nom de l’offreur ne soit pas mentionné sur les billets qu’il détient, oubliant que cela répond précisément à l’exigence d’une simplicité de rédaction maximale, et qu’il s’agit, de fait, de billets "au porteur". Il est vrai, cependant, que la mention du nom de l’offreur évite que celui-ci ne mélange ses billets avec ceux du voisin lors d’une assemblée générale un peu désordonnée ou un peu trop arrosée... Cela dit, si les esprits tatillons veulent faire évoluer le billet rédigé à la main sur un bout de papier vers des formules d’un style plus élégant, on propose alors ci-dessous un type de formulaire aisément intégrable en carnet. Une bonne photocopieuse et tout s’arrangera pour les formalistes ! A noter que de tels carnets peuvent être utilisés indifféremment par l’offreur et le bénéficiaire, si l’un deux a oublié son carnet, puisque les formules sont strictement identiques et que les carnets ne comportent pas de talons. L’idée même d’un talon réintroduirait l’idée qu’on puisse être débiteur, ce qui est contraire à l’esprit même de ce système : de tels carnets ne sont pas des carnets de chèque. Dernière souplesse : si tout le monde a oublié son carnet, on peut encore utiliser des bouts de papier.

SEL des Granges ; 28 rue des Bâtiments

99999 Granges-sur-Ferme

(Rature engendre nullité)

Nom DUDULE

Prénom Stanislas

Signature xxxxxxxxx

J’ai bénéficié d’un service de :

1

0

heures

2

5

minutes

 

 

Rendu par :

Théodore DUFLANC [mention non obligatoire]

Un tel système est fascinant. Il s’agit en fait d’une mini-constitution politique et sociale qui rend le crime ou hautement improbable ou radicalement impossible ou encore inutile, inopérant et inefficace. Les deux figures tant redoutées du "glandeur" et de "l’arnaqueur", figures qui effrayent et séduisent particuliers et institutions dans le contexte de l’économie classique et officielle, deviennent ici, dans l’économie solidaire et alternative des SEL, des figures abstraites, d’un grotesque dérisoire, et ne représentant plus aucun danger. Le vieil Emmanuel Kant écrivait qu’avec une Constitution suffisamment solide on pouvait rendre pacifique même un peuple de démons, et à plus forte raison un peuple d’hommes. Les systèmes d’échanges locaux, à leur manière, fournissent une illustration vivante et significative à cette hypothèse vénérable.

Nota : Certains trouveront peut-être étrange que des objets matériels soit échangés en "heures" et en "minutes". Par exemple, dans une foire aux échanges, on peut libeller un prix comme suit : "Un gâteau = 10 minutes". C’est que faire des gâteaux prend du temps. En outre, le prix des ingrédients achetés dans le commerce peut se traduire en une quote-part du prix moyen de l’heure de main d’œuvre. Si ce prix est, par exemple, égal à 57 francs, et que j’ai acheté pour 57 francs de farine, œufs, etc., je devrais donc incorporer une heure (01h 00 mn) à la valeur temporelle de mes gâteaux, en plus du temps passé à les faire. Le système des SEL ne tourne donc pas complètement le dos à la monnaie réelle. Comme on le voit, il y a une espèce de change tacite entre la monnaie réelle officielle et la monnaie temporelle (appelée aussi "virtuelle"). Pour éviter l’incongruité, certains SEL pourraient d’ailleurs s’exprimer un peu différemment. Au lieu d’écrire 1 gâteau = 10 mn, ils peuvent écrire par exemple 1 gâteau = 0010 "pots" ou 0010 "grains" ou 0010 tout ce qu’on voudra. Cette formule à quatre chiffres obligatoires "XXXX unités de compte" évite autant la falsification des billets manuscrits que la formule "XX h XX mn". On peut adopter indifféremment l’une ou l’autre.


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26 réactions à cet article    


  • viva 14 mai 2010 12:11

    Rien n’empeche les peuples de battre monnaie et de l’utiliser pour leurs échanges


    • Luc Paul ROCHE Luc Paul ROCHE 14 mai 2010 12:31

      Une sortie de l’euro ??? Pourquoi pas ? smiley


    • pingveno 14 mai 2010 12:14

      Dans la mesure où ce système repose sur l’existence d’un organisme central, que pensez-vous de la possibilité d’informatiser tout ça, à travers un site internet ?
      - Impossible d’oublier ses carnets de chèques : n’importe quel ordinateur peut accéder au site
      - le débit et le crédit sont immédiats, chacun peut connaître son solde à tout instant
      (et même la liste des transactions, après tout)
      - signature électronique : sa falsification n’est pas à la portée du premier venu
      Avez-vous des exemples de tels cas ?


      • Luc Paul ROCHE Luc Paul ROCHE 14 mai 2010 12:28

        Disons que la centralisation informatique devrait se faire lors de l’AG, et/ou un peu tous les jours, au bon soin du coordinateur (il y a des membres de SEL qui n’ont pas d’ordinateur ni Internet).

        Pour la rédaction de cette « monnaie » il me semble bon de rédiger un bout de papier à la fin de la journée de travail ; le bénéficiaire de service signe sa reconnaissance de service et la donne à l’offreur de service. Ces bouts de papier (libre ou portant la griffe du sel) servent ensuite à la centralisation informatique.


      • pingveno 14 mai 2010 14:32

        il y a des membres de SEL qui n’ont pas d’ordinateur ni Internet

        D’accord, donc disons qu’on peut faire les deux : saisir toutes les semaines une centaine de chèques sur l’ordinateur de l’association n’est vraiment pas la tâche la plus passionnante à faire dans le cadre des « heures d’informatique ».

        Un peu comme les impôts qui vous accordent une ristourne ou un délai si vous faites votre déclaration sur internet, sans vous interdire pour autant de le faire sur papier.


      • perlseb 14 mai 2010 19:11

        Bien sûr, pingveno.

        Un lien pour des outils de gestion SEL.

        Un autre lien pour une page d’accueil dans un de ces outils.

        En gros, avec un PC de base, on peut remplacer n’importe quelle banque. Je pense qu’avec la crise qui s’annonce et la grave déflation qui s’enclenche (comme en 1929), les SEL pourront être un échappatoire à la descente aux enfers des peuples.

        Si les SEL fonctionnent souvent en parallèle avec le système marchand classique, ils permettront peut-être à certains de survivre dans les jours sombres à venir, avec un système marchand anéanti.

        Pour l’instant, les interventions dans un SEL ne doivent pas être régulières pour ne pas s’apparenter à du travail au noir, mais quand l’économie ne nous alimentera plus, on pourra franchir ce pas sans l’autorisation des gouvernements qui nous auront conduit au chaos.


      • pingveno 14 mai 2010 12:16

        1 heure 30 minutes d’informatique = 1 heure 30 minutes de ménage = 1h30mn en monnaie temporelle.

        Je pourrais objecter que je souhaiterais amortir, dans les 1h30 d’informatique, les années d’études au cours desquelles je n’ai pas touché un centime.
        Par contre dire 1h30 d’informatique = 1h30 de guide dans un musée, pourquoi pas.


        • Luc Paul ROCHE Luc Paul ROCHE 14 mai 2010 12:30

          La distinction travail manuel/travail intellectuel est rarement pratiquée dans les SEL ; c’est assez contraire à l’éthique fraternitaire de ces associations.

          Pour avoir fait moi-même des journées de démolition en maçonnerie, je ne sache pas que cette journée harassante doivent être moins bien « payée » qu’une journée passée à enseigner la philosophie, par exemple.


        • FRIDA FRIDA 14 mai 2010 13:33

          @PINGVENP

          « Amortir des années d’études au cours desquelles je n’ai pas touché un centime », si c’est des études qui ont été prises en charge uniquement par vos dépenses personnelles, cela peut se comprendre, quoique vous introduisez un coté marchand dans un réseau basé sur la solidarité. Si c’est des études assumées en totalité ou en partie par la collectivité, c’est mal venu de les faire amortir, la collectivité n’a pas demandé un retour sur investissement pour ces dépenses.


        • pingveno 14 mai 2010 14:35

          La distinction travail manuel/travail intellectuel est rarement pratiquée dans les SEL

          Ce n’est pas cette distinction que je fais :

          Pour avoir fait moi-même des journées de démolition en maçonnerie, je ne sache pas que cette journée harassante doivent être moins bien « payée » qu’une journée passée à enseigner la philosophie, par exemple.

          Alors prenons un exemple : pour une heure de philo devant les élèves il faut au moins la moitié en préparation. Facture-t-on 1h ou 1h30 ?

          De votre côté, allez-vous facturer uniquement l’heure de démolition ou compter votre temps de transport (pour vous et votre matériel) ?

          Remarque  : je joue un peu l’avocat du diable, si un tel SEL arrivait près de chez moi j’y adhérerais bien volontiers.


        • foufouille foufouille 14 mai 2010 18:19

          @ ping
          seul le travail est compte
          tu es pas non plus face a un patron

          pour le cours de philo, un ou 30, c’est pas pareil
          apres tu peut creer ton propre sel


        • pingveno 15 mai 2010 20:45

          @foufouille : désolé je n’ai rien compris à ton message.
          La question était : si pour donner 1h de cours à un élève je dois faire 30 minutes de préparation dois-je lui compter 1 heure ou 1 heure et demie ?


        • eyox 14 mai 2010 12:44

          Un système central
          Une problématique de « valorisation » du travail ....
          Au fait c’est quoi la différence avec la « vraie » monnaie" ? A part le plaisir du jouer au Monopoly ?


          • Luc Paul ROCHE Luc Paul ROCHE 14 mai 2010 12:48

            C’est une différence d’état d’esprit disons ; une sorte d’économie d’appoint et de solidarité (à côté de l’économie conventionnelle dont on connaît par ailleurs les graves dysfonctionnements).

            Pour de plus amples renseignements je vous renvoie au site de SELIDAIRE

            http://selidaire.org/spip/

            Cordialement.

            Luc


          • pingveno 14 mai 2010 15:43

            Pour parler en termes économiques, la différence est la contrepartie de la monnaie, c’est à dire ce que tu pourrais avoir en échange.

            Autrefois la contrepartie de la monnaie était un stock de métal précieux, le plus souvent les stocks d’or de la banque centrale.
            Avec les accords de Bretton Woods, la contrepartie du franc français n’était plus que le dollar dont la contrepartie était... le dollar lui-même. C’est à ce moment que le système a commencé à dériver, c’est facile de créer de la monnaie qui ne repose sur rien, comme disait Devos : une fois rien, rien, deux fois rien, rien, trois fois rien...

            La proposition qui est faite dans l’article, si je comprends bien, c’est que la contrepartie de cette monnaie est un temps de travail : tant que le SEL n’est pas dissous je peux échanger mes « grains » contre des heures de travail d’un autre membre.

            Une idée que je suis tout à fait prêt d’essayer, même si comme je le dis dans d’autres interventions, la notion exacte d’heure de travail (incluant ou non le transport, les études, etc.) reste à évaluer.


          • foufouille foufouille 14 mai 2010 15:49

            « la notion exacte d’heure de travail (incluant ou non le transport, les études, etc.) reste à évaluer. »
            ca depend des sel
            c’est plutot egalitaire
            tes etudes on s’en fout
            reste dans le capitalisme


          • pingveno 14 mai 2010 16:33

            Fort bien, ça tombe bien dans le système capitaliste aussi les études on s’en fout : une fille qui fait BAC+5 de philo finit souvent caissière de supermarché.
            Et si je suis très critique vis à vis du système capitaliste, j’estime qu’on le critique beaucoup mieux quand on le connaît bien (ça ne veut pas dire le cautionner ou en faire partie à 100%) plutôt qu’en répétant le discours d’un militant de base qui ne comprend rien à ce qu’il raconte.


          • perlseb 14 mai 2010 19:25

            @ pingveno,
            Je ne comprends pas pourquoi il faudrait s’attacher à rémunérer mieux les diplômés (je précise que je suis ingénieur).

            Si on décide d’un système égalitaire, alors il est vrai que beaucoup ne feront plus d’études. Et bien tant pis pour eux s’ils ont les moyens d’en faire et que seule l’argent ou l’oisiveté les intéresse. Mais on trouvera toujours des gens motivés pour apprendre des choses sans vouloir écraser les autres avec leur connaissance. Peu importe s’ils ne sont pas très nombreux.

            Cherchons plutôt à rémunérer les étudiants pour leur permettre d’être autonomes au même âge que les autres.


          • pingveno 14 mai 2010 23:04

            @perlseb : en effet, proposition intéressante.
            Soyons clair : je considère les SEL comme une expérience à petite échelle mais destinée à proposer des alternatives concrètes au système capitaliste actuel. Donc j’y suis 100% favorable à condition qu’ils n’existent pas juste pour se couper du système mais pour générer une vraie réflexion à long terme derrière.
            Donc j’étudie avec soin l’idée de la rémunération à l’heure et je pointe les problèmes potentiels à long terme. Alors l’idée de rémunérer les études, oui c’est une bonne réponse à ma question. Sauf que dans ce cas il y a bien un créditeur mais qui est le débiteur ? Ne risque-t-on pas à terme de voir l’excès inverse, des perpétuels étudiants, et plus personne pour proposer certains services ?


          • perlseb 15 mai 2010 13:58

            Merci pingveno pour cette réponse.

            Pour parler de ma propre expérience, je dois avouer que j’ai trouvé les études un peu trop longues.

            Je pense que faire des études, ça doit aussi se mériter par le travail : qu’il soit scolaire au début, mais aussi effectif dans la vie.
            Si un maçon embauche 2 personnes sans qualification, qu’une est douée pour le métier et pas l’autre, il serait assez juste que la personne douée puisse également devenir maçon à son tour (et que l’autre puisse avoir une chance d’essayer un autre métier).
            Dans la société individualiste actuelle, un maçon « standard » renverra la personne qui ne convient pas et tirera un profit maximum de la personne douée en lui cachant autant qu’il peut le bénéfice qu’elle lui fait faire. Et c’est comme ça que toutes les entreprises fonctionnent (personne ne connait la valeur ajoutée réelle de son travail, souvent très spécialisé).

            Il faudrait créditer les jeunes d’un « montant » pour leur permettre de faire des études (pas immensément longues car il y a risque de gâchis réciproque). Ensuite le travail devrait redonner petit à petit un crédit à la formation et chacun devrait pouvoir se spécialiser ou, au contraire, changer de voie en cas d’échec.

            Etudes trop longues avec un risque de chômage malgré tout (vous faites des efforts mais vous n’êtes pas adapté au monde du travail !) est une forme de servitude sans fin.


          • eyox 14 mai 2010 13:15

            Merci
            J’ai lu, mais j’ai pas compris.
            Si je comprend bien on en reviens à échanger des biens ou des services. Le tout avec une sorte d’unité d’échange (genre 1 minutes = 1 grain de sel).
            Si ce taux de change est fixé par la confrontation du « vendeur » et de « l’acheteur » dudit service on est quand même pas bien loin de la fixation du prix sur un marché banal.
            A moins que le plaisir d’échanger dans une monnaie privée soit supérieur à celui d’une monnaie publique.
            D’autant que je cours un risque de liquidité : la solidité des mes partenaires dans cet écahngé, du cours du sel, ou la capacité a trouver des personnes qui « prennent » mon sel n’est pas évident.
            En somme, je pourrais aussi échanger avec mes Miles Flying Blue ou mes points Auchan, non ?

            En fait je comprend le système comme un espace d’échange, de solidarité et de convivialité, mais alors pourquoi au diable devoir y installer de la monnaie, et si on doit être solidaire avec de la monnaie pourquoi pas un bête €, genre 1 minutes = 0,5 € ?


            • foufouille foufouille 14 mai 2010 15:30

              en general le « prix » est fixe par le sel


            • foufouille foufouille 14 mai 2010 13:48

              en realite, les SEL ont des comptes deficitaires cree par des « profiteurs »
              les decisions sont prises par celui qui « represente » le mieux le SEL


              • foufouille foufouille 14 mai 2010 15:30

                il sufit de lire les rares forums tenus par des selistes
                certains sel (paris) ont meme dut limites les echanges dans un seul sens
                en plus comme il faut du temps libre et de cerveau, ceux qui les tiennent sont des classes moyennes/retraites qui ont tout vu tout fait


              • brieli67 14 mai 2010 17:13

                Comme toujours : c’est vieux comme le Monde


                les zamours tarifés :

                Comment faire figurer ma voisine leste, joyeuse et nymphomane, tenir les cordons des bourses sans finir au trou pour macro_économie ?

                J’épousette votre intérieur, les fesses à l’air selon le tarif en vigueur contre remplir mes bocaux, huiler mon carbu, multiplier mes perles et mes diamants.. dixit Belle de Jour 
                Le Bel aux tempes gris-sonnantes aussi. 

                • piedm 14 mai 2010 19:06

                  Adhérent à 2 SEL avec carnet d’échange l’un est une association loi 1901 l’autre non
                  l’un a un bureau élu par les participants, l’autre pas de bureau pas de compta sauf pour ceux ou celles qui ont du mal à décrocher du système monaie

                  Merci pour cet article

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