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Et le néolibéralisme devient un capitalisme d’État

Avec de nombreux détours dans des considérations sur l'actualité, il s'agit dans ce long article de démonter la fable racontée par certaines thèses libérales qui affirment, d'une part, qu'il existe des régimes politiques libéraux où l'État n'en serait pas le principal acteur économique, et ne servirait qu'à optimiser un marché autorégulateur qui rationalise parfaitement l'activité productive. D'autre part, que les deux formes de capitalisme d'État, socialiste et libéral, qui se sont confrontées pendant la Guerre Froide, seraient antagoniques, alors qu'elles partagent entre elles bien plus de ressemblances qu'avec toute autre forme d'organisation économique. Enfin, le contexte de l'élection présidentielle française de 2017 sera évoqué et mis en perspective avec les incertitudes sur les conséquences de cette fusion des États avec le capitalisme privé.

 

Le grand défi posé par la confusion entre public et privé

Au sein des démocraties libérales, dans le sillage de la grande crise financière de 2007-2008, les structures privées et publiques tendent à fusionner. Toujours davantage de cadres formés dans les grandes entreprises privés, notamment bancaires, accèdent aux plus hautes fonctions du pouvoir politique. Alors que la fin des politiques interventionnistes, de l'État-providence, a été annoncée maintes fois, les entreprises privés ne cessent de recourir à la force publique dans le but d'accroître son action en leur faveur, non sans risques pour les populations.

L'extension du libre-échange et la dérégulation des marchés financiers, encouragées par les réformes néolibérales, ont fini par déboucher sur un résultat totalement opposé à leurs objectifs : le retour du contrôle par l'État de la politique économique, mais en désignant au pouvoir des gestionnaires financiers venant du secteur privé, et même dans quelques pays des patrons milliardaires qui n'hésitent plus à clamer des discours populistes afin de se faire élire.

Revanche ironique de l'histoire, qu'une profonde amertume empêche encore de célébrer. Sous le coup d'une énorme fatigue, accumulée depuis des décennies de matraquage idéologique par les médias de masse et de maltraitance psychologique planifiée par les innombrables armées de managers formées dans les grandes métropoles, les populations restent majoritairement convaincues des bienfaits divins du marché autorégulateur, qui sous aucun prétexte ne doit être gêné par les actions sociales et administratives, c'est-à-dire tout ce qui concerne la vie, la nature, la culture, l'esprit et l'humanité.

L'État néolibéral universel, ou le capitalisme d'État universel, faussement incarné par les États-Unis, est en train d'accomplir une intégration globale de toutes les structures nationales au sein d'un marché mondial unique. La fusion entre zones économiques continentales (entre ALÉNA et Union Européenne, par exemple) est concomitante à la fusion des États avec l'ensemble des systèmes productifs nationaux. Cette concentration, virtuellement possible avec la compression de l'espace-temps par la cybernétique, offre la possibilité d'un nouveau gouvernement global qui régule toute l'activité économique de la planète. Mais il offre aussi la possibilité d'un nouveau totalitarisme : au moment où seuls huit individus possèdent autant de richesses que la moitié de l'humanité, plus rien n'empêche à un seul d'en avoir autant que la totalité.

 

Jusqu'à ce jour aucune expérience historique ne révéla l'existence d'un marché autorégulateur effectif à un niveau macroéconomique. En réalité, les pays qui développent le libre-échange et une concurrence non-faussée ont fusionné les structures des marchés internationaux avec celles de leurs États, qui jouent encore le rôle central de faciliter la domination territoriale des grandes entreprises privées sur tous les autres agents économiques. En ce sens, la dérégulation est un faux nom qui désigne la croissance phénoménale des lois et des règles budgétaires publiques que les États imposent à l'économie de marché au niveau local, régional et national. Quand l'autorégulation est évoquée afin de justifier des politiques libérales, elle est le plutôt le fruit d'une association entre les gouvernements des États et les grands cartels privés, qui négocient entre eux toutes sortes d'accords sur les prix, les quotas, les subventions, les dettes, le crédit bancaire, etc.

En conséquence de cette contradiction entre la politique et le néolibéralisme, l'Union Européenne est une des zones économiques du monde qui est la moins favorable pour réaliser librement des fusions entre des marchés locaux, sans le truchement des pouvoirs publics et des grands monopoles privés. Probablement la faute à des manipulations sur les croyances dogmatiques en l'existence du marché autorégulé, chaque fois évoqué pour imposer de façon autoritaire et déloyale la fusion procédurale des actes publics avec ceux des multinationales privées. La faute aussi à un silence coupable sur le manque de coopération entre les gouvernements de chaque pays et entre les systèmes administratifs nationaux qu'ils sont censés gérer.

Porte-à-faux des populations qu'ils représentent, les élites politiques européennes préfèrent flatter un certain chauvinisme en encourageant la compétitivité nationale, tout en restant accrochées aux privilèges honorifiques que leur offre encore la souveraineté des États-nations. Si les élites des différentes pays européens se recroquevillent et ne fusionnent pas entre elles au niveau supranational pour former un véritable « capitalisme d'État européen », et non un simple agrégat de structures dépourvues d'instances démocratiques, qui mélange partiellement les grandes entreprises privés avec les services publics, il n'y a aucune raison de croire à une aventure fédérale des peuples, pour les peuples et par les peuples. Sans un projet d'union fédérale qui dissolve totalement les souverainetés des États-nations, le communauté européenne est vouée à l'échec et à une dislocation certaine dans les prochaines années.

 

La Guerre Froide et ses deux (ou trois) versions du capitalisme d'État.

Pendant la colonisation des temps modernes, âge archéologique du capitalisme d'État, pour la première fois de l'histoire humaine se sont créés des empires universels avec des espaces d'échange directement intercontinentaux, organisés par les États mercantiles européens. La fusion de ces derniers avec l'ensemble des marchés sous leur influence était néanmoins impossible, pour des raisons purement techniques et logistiques, et les espaces d'échange économique restaient discontinus et avaient un développement plutôt endogène. Les cultures régionales façonnaient et organisaient encore le système d'échange, même quand le territoire était colonisé.

La période qui suit la colonisation européenne et japonaise, celle la Guerre Froide, fut une étape supplémentaire dans la fusion des États avec les systèmes productifs régionaux. En sous-jacence à la bipolarité géopolitique départageant communisme et libéralisme, les États-nations issus de la colonisation moderne – entendue ici comme pluralité de zones discontinues qui échangent entre elles – s'intégraient à des plus grands blocs (ceux de l'Est, de l'Ouest, du Tiers-Monde ou des Non-alignés) dominés par les plus grands capitalismes d'État (Russie, États-Unis, Chine, pays européens). Le conflit idéologique qui a duré jusqu'aux années 1990 masquait un autre processus plus fondamental d'une évolution du capitalisme qui avait déjà commencé depuis le début du vingtième-siècle, dans les années 1910-1920 : celle d'une fusion progressive des différentes formes de capitalisme, organisées par les différents États-nations, en un capitalisme d'État universel (l'autre nom du néolibéralisme) dominé par le modèle occidental.

 

Face au mensonge du socialisme d'État qui était en réalité un capitalisme d'État très inégalitaire, un autre mensonge, encore plus important que le précédent, n'a toujours pas éclaté et perdure : les plaisanteries savantes sur un capitalisme importé depuis les États-Unis qui se dit « libéral », où l'économie administrée par la puissance publique serait rejetée au profit d'une merveilleuse anarchie des forces naturelles, concurrentielles, libres et harmonieuses qui feraient du marché une perfection rationnelle absolue dans la gestion de toutes les choses existantes. Loin s'en faut évidemment, les États appliquant une telle gouvernance se révèlent aussi omnipotents, bureaucratiques et contraignants que les autres, à la seule différence que leurs proportions en taille paraissent bien plus réduites au milieu de la consommation surabondante et irresponsable qu'ils génèrent.

Opposé à l'U.R.S.S. pendant la Guerre Froide (1947-1991), l'Occident portait en étendards la liberté et les droits de l'homme, et les pays participant à cette joyeuse coalition ont connu pendant les Trente Glorieuse une telle croissance économique qu'ils remportassent la bataille idéologique sans grandes difficultés. Dorénavant, la liberté dépasse l'égalité, la puissance publique est moins efficace que les acteurs privés pour gérer l'économie. Et donc le capitalisme privé et libéral surpasse les régimes politiques de toute l'histoire de l'humanité depuis le paléolithique inférieur. À quelque chose près, le discours dominant chez les populations occidentalisées, surtout parmi leurs classes moyennes et supérieures et chez les personnes d'un certain âge qui restent bloquées, comme le montre le film Requiem for a dream, dans un stade avancé de lobotomisation systémique. Michel Onfray a raison, il n'y a plus rien à attendre de l'Occident et de son avatar qu'est le capitalisme faussement libéral.

 

Pendant l'euphorie de cette victoire acquise sans batailles qui continue aujourd'hui, le néolibéralisme productiviste se répand sur toute la planète, et malgré l'évaporation des ennemis, les États-Unis, grand pays vainqueur de la guerre contre le communisme d'État, n'ont jamais exprimé le souhait de partager leur position hégémonique. D'où la question : puisque l'ennemi idéologique a quasiment disparu, quels sont désormais les réels objectifs de cette grande coalition occidentale formée pendant la Guerre Froide ?

 

À son tour le grand mensonge sur le capitalisme libéral se révèle peu à peu. Dénonçant hier l'étatisme égalitaire, forcené et obscurantiste de l'U.R.S.S., les États-Unis disent maintenant avec Donald Trump : notre lutte historique pour la liberté n'a jamais été de favoriser l'émancipation des peuples. Pendant ce temps, cette lutte reste bien motivée par la recherche de nouveaux profits, et c'est pourquoi elle continue de nos jours. Ce n'était pas l'idéologie communiste de l'Union soviétique en tant que telle qui était le véritable enjeu de la stratégie de guerre, mais son monopole économique d'État qui empêchait le libre-échange entre l'Occident et une grande partie de l'Asie. Finalement, ce grand spectacle idéologique allant de la Terre à la Lune fut le théâtre d'une simple guerre classique entre grandes puissances qui s'accaparaient des ressources et utilisaient les valeurs morales comme simples prétextes pour agresser sommairement des petites puissances (Corée, Vietnam, Iran, Chili… pour les États-Unis ; Afghanistan, Hongrie, Tchécoslovaquie… pour l'U.R.S.S.). La seule idéologie que les puissants reconnaissent est celle qu'ils prêtent à leurs adversaires et à leurs ennemis. En soi, jamais ils ne croient un instant aux idées qu'en public ils se proposent de défendre.

Bien sûr, les communistes ou les soviétologues avertis le savent, mais ce qui a moins attiré l'attention sont les ressemblances manifestes des structures politiques américaines avec celles de la Russie et de la Chine. La Guerre Froide était une grande façade spectaculaire derrière laquelle se déroulait une autre histoire : celle de la fusion des États dans un capitalisme mondialisé. Avec des parcours différents dans la course aux extrêmes du gigantisme politique, la Chine, la Russie et les États-Unis ont tous adopté des structures similaires avec chacun un capitalisme d'État organisé autour d'un dispositif militaire qui sécurise les approvisionnements en hydrocarbures à l'échelle mondiale, et en même temps d'un dispositif sécuritaire colossal pour encadrer étroitement les populations et protéger les lieux sensibles où les activités économiques se concentrent (zones touristiques et industrielles, quartiers de services financiers et administratifs, bases militaires). Il faudrait un jour écrire La Contre-histoire de la Guerre Froide, en insistant plus sur les ressemblances que sur les différences entre les dynamiques des deux superpuissances et des différents blocs (Est, Ouest et Sud). En démontrant que la Guerre Froide ne fut qu'une étape de la construction du capitalisme mondialisé, après laquelle les différentes formes nationales de capitalisme d'État fusionnent en un seul capitalisme d'État universel, encore orienté par l'Occident et recoupant tous les espaces terrestres.

 

Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, tous les beaux discours sur la liberté et cette fausse opposition entre les deux jumeaux d'une même pièce, le capitalisme d'État des U.S.A. et celui de l'U.R.S.S., ont soudainement été démentis par l'élection à la Maison Blanche d'un milliardaire populiste et fascisant. Le totalitarisme n'a pas de couleur et son origine provient toujours d'une politique qui consacre la soif d'argent à tout prix, aussi bien celle des puissants que celle des malheureux qu'ils exproprient. Pour alimenter cette barbarie du profit capitaliste, les riches font en sorte d'augmenter la reproduction des pauvres afin d'augmenter la leur, et davantage quand le système atteint ses extrémités et craque d'un bout à l'autre – c'est le sens profond du chômage de masse. Et au niveau national, les fascismes réactionnaires ne sont que des déclinaisons relatives à cette profonde dérive, désormais incarnée par Donald Trump à la plus haute fonction du capitalisme mondialisé. Entouré de banquiers aux méthodes suspectes et de négationnistes patentés, le nouveau président américain a désormais les mains libres pour déclencher toutes les guerres qu'il voudra (sans trop porter préjudice aux intérêts financiers amis, quand même...). Inutile de préciser que le complexe militaro-industriel hérité de la Seconde Guerre Mondiale reste au coeur de cette stratégie impérialiste du capitalisme d'État américain, qui se voudra universel encore et encore une nouvelle fois.

 

La crise du capitalisme d'État selon le modèle néolibéral américain

The eleventh of september, Two thousand and one, le journal Le Monde titrait « Nous sommes tous américains  ». G.W. Bush, héritier multimillionnaire stupide, venait d'être élu président, et hormis l'Iran et quelques États-clients exotiques, le monde entier lui apporta son soutien. La suite malheureuse est connue : guerre civile généralisée dans les pays arabo-musulmans et féodalisation des relations internationales, pudiquement nommées par les experts médiatiques de « guerre contre le terrorisme ». Fortuitement, l'islamiste radical a remplacé l'anarcho-communiste et de cette manière le capitalisme d'État occidental peut justifier son maintien et son ordre. Et cela d'autant plus que les ennemis sont invisibles et cachés dans la ville. Heureusement pour les maîtres qui s'apeuraient de voir des grandes parts de population leur échapper lorsqu'ils commençaient à leur appliquer des politiques d'austérité monétaristes, l'État d'exception mondial construit pendant la Guerre Froide redevient la norme et de nouveau la guerre peut être déclarée sans fin.

Tout l'édifice de paix perpétuelle entre les peuples, commencé en 1648 avec les Traités de Wespthalie qui avaient pour but d'arrêter les guerres de religions entre catholiques et protestants, est remis en cause avec la grande guerre de civilisations proclamée par les néoconservateurs occidentaux. Dans le fond, c'est le principe même de relations internationales qui est mis en cause. Derechef, les peuples n'arrivent plus à négocier sans se porter préjudice mutuellement, parce que leurs élites dirigeantes sont possédées par une illusion anarcho-libérale qu'ils cherchent à imposer au monde entier, en niant que la source primaire de leurs richesses est toujours produite localement et grâce aux structures de différents capitalismes d'État aujourd'hui considérés, parfois à juste titre, comme des modèles « archaïques » dignes du dix-neuvième siècle, avec leurs droits sociaux, leurs impôts, leurs bureaucraties, leurs peuples et leurs cultures, détestés par tous les docteurs néolibéraux de la planète. Or la fuite en avant de la dérégulation et de la course à l'argent virtuel a pour corollaire la création d'antagonismes entre lieux de production, entre populations et entre segments d'une même population. Dans cette optique, en faisant le lien avec le fonctionnement du capitalisme d'État, il ne reste plus aux néolibéraux qu'à prendre le contrôle de ces bureaucraties « archaïques » et de les transformer en machines de guerre « modernes » qui terrassent leurs concurrents sur le marché mondial. Les petits paysans des quatre coins du globe peuvent les remercier d'avance pour cette future renégociation qui leur sera très fructueuse.

 

Conçu dans les années 1930 en Europe pour faire face aux extrêmes, puis mis en œuvre à partir des années 1950 en Allemagne (l'économie sociale de marché) ainsi que dans le monde entier depuis les années 1970 (la révolution conservatrice), le néolibéralisme construit en Occident pendant la Guerre Froide repose encore sur une stratégie militaire à vocation géo-économique, qui n'a même plus besoin de recourir à la violence symbolique, puisqu'il est fondé sur la négation à la fois de toute idéologie, de toute entité politique qui lui serait distincte, et de tout ce qui existe indépendamment de lui. En un sens, il s'agit d'un nihilisme passif et totalitaire qui a fait du monde son objet mais ne lui attribue aucune qualité ni identité ni projet particulier, qui ferait partie d'un ensemble de significations qui relèvent d'un plan historique défini, comme c'était le cas avec le nazisme (l'espace vital de la race aryenne) et le stalinisme (l'État-parti international des travailleurs exploités).

L'infrastructure du néolibéralisme est une modalité virtuelle du système totalitaire moderne, qui est à la fois extensive, souple et individualisable. La gestion horizontale et dérégulée de ce nouveau capitalisme, qui s'appuie sur les performances de la cybernétique, lui permet d'être universellement transposable synchroniquement et rend superflue toute discrimination culturelle. Il ne se différencie pas du réel, son aspect est fait de la matière qu'il utilise, toute son action est indifférenciée et n'est pas perceptible en dehors des objets qu'il met en relation. Le partage de données qu'il produit semble aléatoire et individualisé et procure un contact agréable, puis stimulant et parfois jouissif, comme une sorte de cocktail avec des psychotropes, et les effets néfastes s'étendent insensiblement et lentement, de manière progressive, dans une pure consommation du temps présent et en dehors de tout plan historique constitué (la fameuse Fin de l'Histoire qui s'apprête à devenir l'Histoire de toutes les histoires). Le néolibéralisme est une pure immanence de l'instant concret et il retranche le temps présent du domaine de l'absolu, celui de l'avenir. Sa fonction principale est d'économiser la durée et d'accélérer à l'infini les échéances temporelles de la production. Le capitalisme mondialisé est un cosmos de poche, un smartphone qui donne accès à la synchronisation de toutes les individualités potentielles.

Depuis la grande crise financière de 2007, le néolibéralisme mondial, ou plutôt le capitalisme d'État universel, surcharge les infrastructures logistiques pour surmonter les contraintes physiques. Et menacés d'effondrement sous le poids du circuit financier, les piliers du système s'enfoncent toujours un peu plus dans le gaspillage et l'inefficacité, pour le meilleur (les anarcho-capitalistes forcenés et les mondialistes libéraux) ou pour le pire (les paysans sans terre et les altermondialistes révoltés). L'histoire d'un autre monde ne commencera qu'après la fin du capitalisme, si la coextension de celui-ci avec la nature revient uniquement à l'action humaine et non à l'immanence d'un mécanisme virtuel sui generis qui tourne à vide, comme le professent les docteurs Folamour de la secte du capitalisme néolibéral avec leur marché autorégulateur informatisé, qui est une sorte de dieu fou qui aurait perdu la tête.

 

Quand des torrents de boue envahiront leurs châteaux, en raison du réchauffement climatique, peut-être leur viendront à l'esprit de ces docteurs qu'à nouveau les choses doivent être reprises en main, ou alors laissées à elles-mêmes si les moyens d'en changer l'usage ne sont pas réunis. Qu'ils réalisent enfin que la nature ne saurait être uniquement destinée à une consommation brute irresponsable, que le souci d'équilibre et de pérennité de la biosphère oblige à encadrer tout du long des chaînes productives. Heureusement, de plus en plus de responsables politiques et industriels s'en rendent compte, mais c'est encore bien insuffisant.

 

À la crise du néolibéralisme mondial, deux issues possibles :

Soit la construction d'un État fédéral universel, dans un prolongement de l'O.N.U. vers une fusion de toutes les souverainetés dans une grande assemblée fédérale qui se trouverait aux U.S.A. ou ailleurs. Si une troisième guerre mondiale éclate, il faudra bien y songer par la suite...

Soit une désintégration assez conséquente des structures modernes qui organisent le capitalisme mondialisé, qu'elles soient techniques, institutionnelles et culturelles, faisant revenir l'économie mondiale au niveau où elle était avant le vingtième siècle, en plus de dégâts écologiques irréversibles sur des centaines ou des milliers d'années. Ce risque est à prendre très au sérieux, étant donné les défis écologiques qu'impose le modèle productiviste du développement mondial actuel.

 

Une classe moyenne française et occidentale en proie à la réaction autoritaire.

Arrive ici un jeune séducteur impétueux, à l'orée de la quarantaine, au regard d'acier bleu azuré, le cheveu impeccable, la tête carrée et dure, mais au verbe facile et cordial, et qui ose titrer « Révolution » son livre de campagne présidentielle. Incarnation sublime de la classe moyenne supérieure du secteur tertiaire, de tendance centre-gauche sur les valeurs, mais bien de droite charitable face aux pauvres déclassés, il se dit prêt à travailler avec toutes les forces progressistes qui veulent réformer le modèle social. Il n'a pas de parti et a lancé En Marche !, son grand mouvement qui doit « révolutionner » le pays. Un de ses conseillers aurait-il eu l'intelligence de l'éclairer qu'une révolution sans le peuple, ça s'appelle un coup d'État ?

Emmanuel Macron a suivi un parcours professionnel qui représente bien le processus de fusion entre pouvoirs publics et capitalisme privé, encouragé par les réformateurs issus du Parti Socialiste, des partis du centre et de la droite. Pour des raisons intrinsèques à la cohérence de la gouvernance libérale, le programme d'En Marche s'appuie sur des dynamiques réelles qui animent la société et il compte mobiliser les classes moyennes supérieures afin de hisser la France dans l'Europe et dans le monde, grâce à la dérégulation des régimes sociaux construits après la guerre, et en libérant les forces innovantes des entraves sociales et administratives qui les bloqueraient dans la compétitivité sur le marché mondial.

Au moins, il a contribué à la destruction du Parti Socialiste et il serait injuste de ne pas lui reconnaître une certaine implication dans le volontarisme. Résultat du déclassement généralisé des sociétés européennes suite à l'émergence de nouvelles grandes puissances économiques en Asie, Emmanuel Macron veut représenter un renouvellement et un rajeunissement de la classe politique, aujourd'hui enfoncée dans le clientélisme et l'incurie administrative, et complètement dépassée par les transformations sociales. Dans la lignée de l'ancien président du conseil italien Matteo Renzi, lui aussi de centre-gauche et de trois ans son aîné, Macron sera président à 39 ans et les rares fois qu'en France un homme aussi jeune devint chef de l'État fut Napoléon Bonaparte en tant que Premier Consul, à 30 ans en 1799... et en tant que président ce fut en 1848 pendant le Deuxième République avec… Napoléon III, qui avait 40 ans. Une coïncidence qui jette quand même un trouble sur l'avenir de la République. Serait-on « en marche » vers une dérive autoritaire du régime politique français ?

Une fois passé en revue tous les conflits sociaux, les attentats islamistes, la mise en coupe réglée de tous les médias et l'épuration politique qui s'ensuivit, l'état d'urgence depuis plus d'un an et demi, la montée des extrêmes, les soupçons d'une tentative de coup d'État ne paraissent pas aussi extravagants. Parce qu'il faut remonter à la guerre d'Algérie (1954-1962) pour trouver autant d'éléments d'une crise politique aussi violente et profonde en France. Dans le contexte présent, la classe moyenne supérieure, dominant les médias, les fonctions politiques et organisant l'encadrement dans les grandes entreprises, est en position de faire basculer la société vers l'un ou l'autre extrême de l'échiquier politique. À mon grand regret, depuis 2002, sous l'effet de la droitisation et du populisme ethnique qui affectent l'ensemble des pays développés, les classes moyennes préfèrent aux critiques positives d'extrême-gauche les solutions brutales proposées par l'extrême-droite, avec aujourd'hui en tête de ligne le nouveau président américain Donald Trump.

Mais pourrait-il en être autrement, avec le durcissement des politiques néolibérales et le déclassement irréversible qu'elles engendrent dans les classes moyennes ?

 

Le débat de l'entre-deux tours entre Marine Le pen et Emmanuel Macron ressemblait au jeu des gendarmes et des voleurs, où les convictions ont laissé place aux impostures. La candidate du Front National, qui a l'appui électoral d'une bonne moitié des forces de sécurité et des militaires, essayait de se faire passer pour une femme du peuple qui défend les pauvres grâce à la lutte des classes, en attaquant péniblement et maladroitement le programme libéral de son adversaire. Celui-ci, profitant de cette imposture, avait tout le loisir de faire passer les réformes néolibérales de droite qu'il entend mener comme une politique modérée qui évite la casse sociale et la montée des extrémismes.

Les franges de la classe moyenne supérieure affiliées à la gauche libérale, dont les éditorialistes politiques assimilent volontiers Jean-Luc Mélenchon au stalinisme ou au fascisme, tiennent une grande responsabilité dans la dérive réactionnaire de droite de la société française. Affirmer sans retenue que les militants de la France Insoumise défendent les mêmes valeurs et le même projet politique que le Front National est une de ces contrevérités qui visent à fabriquer de l'ignorance, à étouffer la critique positive et donc à favoriser la barbarie. Ayant suivi docilement les consignes du Parti Socialiste pendant plus de vingt ans, et qui s'en éloigna à partir du milieu des années 1990 lorsque la ligne du parti était fixée par le premier secrétaire François Hollande (1997-2008), l'ancien sénateur socialiste et mitterrandien est aujourd'hui affublé par la droite et les sociaux-libéraux de nationaliste réactionnaire, dont les compétences se limitent à beugler sauvagement des propos incohérents et fascisants.

Seulement, Jean-Luc Mélenchon, avec son projet de Sixième République, représente la dernière chance d'apaiser les conflits et de procéder aux réformes institutionnelles profondes qui peuvent clarifier les véritables lignes de clivage idéologiques, et permettraient de trouver des grands points d'accords sur ce qu'est la France, comment son peuple se définit lui-même au sein de la mondialisation, et les grandes lignes de sa stratégie dans le concert des nations. Le candidat de la France Insoumise est, en fait, le dernier des modérés parmi d'autres qui n'ont pas encore pris conscience de l'ampleur des conséquences des troubles internationaux sur le territoire français. Excepté François Fillon, le candidat malheureux du parti Les Républicains, accusé lui aussi d'accointances avec Vladimir Poutine, aucun autre n'a proposé d'organiser de grande conférence de sécurité à l'échelle continentale avec la Russie, dont les frontières s'étendent jusqu'en Corée du Nord... En contraste de ces positions, Emmanuel Macron est un atlantiste qui suivra docilement toute l'action militaire et diplomatique du président américain Donald Trump.

Pour l'avenir de la démocratie française, et pour la clarification idéologique, il est vital que la gauche libérale autoritaire, gravitant autour de la droite du Parti Socialiste et de Manuel Valls, et aujourd'hui agrippée de désespoir à Emmanuel Macron, migrent vers les partis de droite et évitent de semer la confusion, en dénigrant davantage leurs adversaires qui se trouvent à sa gauche que ceux de droite-extrême qui leur font face. Pourquoi tiennent-ils tant à rester de gauche ? Ce n'est pourtant pas la place qui manque chez Les Républicains, où le renouvellement est aussi nécessaire. Non, en fait, ce courant de gauche libérale exprime autre chose : le basculement progressif d'une grande partie des classes moyennes supérieures dans la réaction autoritaire et fascisante, qui préfèrent à une répartition plus équitable des richesses sur l'ensemble du territoire une réaction défensive de leur pré-carré au sein des grandes métropoles, et se contenter de jeter quelques miettes à tous ceux qui se trouvent en dehors.

 

Chez les intellectuels en vue sur les grands médias, le portrait-robot de l'ennemi est subtilement arrangé par des pseudo-laïcards et des pseudo-progressistes qui définissent un courant islamo-gauchiste, figurant aux côtés d'un mouvement islamo-fasciste, comme si les partis politiques extrêmes en Occident organisaient des synodes et signaient des chartes d'adhésion communes avec des courants salafistes. Au lieu de dire tout simplement « islamistes sympathisants de gauche ou de droite », qui forment au mieux 10 à 15% du corps électoral dans quelques circonscriptions, quelques belles âmes se proclamant libertaires et démocrates préfèrent ne définir un islamiste qu'au milieu d'une populace agitée, forcément débile et réduite aux extrêmes politiques, – et sans oublier le plus important – rétive au mode de vie du capitalisme occidental. La bonne plaisanterie… Misérable petite géopolitique des quartiers bourgeois face à ceux des pauvres, à laquelle ne s'adonnent même plus les émirs tout-puissants qui se gorgent de nos pétrodollars et qui financent tous ces réseaux semi-clandestins. La guerre de basse intensité contre les pauvres est tout autant dommageable que les relations diplomatiques françaises avec les pays arabes. Quand ces derniers étaient plutôt attirés par le modèle soviétique, curieusement les mouvances islamistes étaient moins gênantes.

Dans le fond, les réformateurs sociaux-libéraux savent pertinemment qu'ils ne maîtrisent plus les classes populaires, où la plupart se fichent bien des étiquettes politiques. Le seul garrot dont ils disposent pour les mettre au pas est celui de la pression financière, qu'ils subissent eux-mêmes de leurs grands patrons. Tout cela dans une situation où l'ensemble des autorités est complètement discrédité, en raison des politiques néolibérales qui ont dérégulé une grande partie des activités économiques, et où le Front National, fort ses appuis dans les rangs des policiers et des gendarmes, se tient en embuscade, prêt à lâcher les chiens dans les quartiers populaires et les associations qui y travaillent.

 

Emmanuel Macron aura ainsi à gérer toutes les contradictions de la société française, qui connaît à la fois une grave crise des autorités publiques, des fortes oppositions sociales, ethniques et religieuses et la destruction d'une bonne partie du système productif engendrée par plus de trente années de rigueur économique encouragée par la politique de l'Union Européenne. Mais le président, très jeune pour ce type de fonction, étant aussi l'incarnation d'une fusion du capitalisme privé avec les États, en train de se répandre dans le monde entier, pourra-t-il clarifier les rapports de force, se détacher au-dessus de la mêlée, sans être lui-même entraîné vers un bord ou l'autre des extrêmes ?

Il est possible que la solution à ces troubles politiques soit la construction d'un grand parti du centre qui rassemble tous les modérés. Le problème est que le vide d'autorité aux plus hautes fonctions de l'État ne date pas d'aujourd'hui et a été sciemment organisé au profit des intérêts privés afin de réaliser la fusion des structures administratives avec celles du marché européen et international. La reprise du pouvoir réel sur la population se fera donc par une rupture de tout ce qui a été fait jusqu'alors, ce qui provoquera sans nul doute des conflits sociaux majeurs dans les années à venir. Espérons que la violence ne finisse pas par devenir l'unique solution pour apaiser les tensions, dans un pays où, depuis 2012, un parti d'extrême-droite comme le Front National rassemble à chaque élection au moins 30 % des électeurs.

 

 

Je remercie les lecteurs qui ont eu le courage de lire jusqu'au bout, étant donné la longueur de texte. Certainement comme beaucoup de français que la crise internationale de la démocratie libérale inquiètent, il m'a semblé nécessaire de partager avec vous un diagnostic de la situation qui permette de remettre les choses dans leur contexte, afin d'agir ensuite en connaissance de cause, et pour qu'à l'avenir nous puissions nous reconnaître et ne pas sombrer nous-mêmes dans le chaos. N'hésitez surtout pas à dire la vérité et à faire face aux manipulations qui vous enferment dans le ressentiment et la volonté de vengeance. Un jour peut-être tout cela ne sera plus que le souvenir lointain d'un cauchemar et j'espère que nous pourrons, quelque soit la condition sociale de chacun, tous se retrouver en paix


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6 réactions à cet article    


  • Louve de France Louve de France 10 mai 2017 13:48

    « Et le néolibéralisme devient un capitalisme d’État »

    Voue voulez dire une religion d’état ? Bienvenue chez Kim Jong Macron. 

    • Parrhesia Parrhesia 16 mai 2017 09:46
      @Louve de France

      Bien vu -
      Le président Macron et la chancelière A. Merkel sont des inconditionnels du Mondialisme !
      Or, l’œil averti et analytique du Gaullisme intemporel (hé oui, j’ai bien écrit : « intemporel ») ne voit pas en quoi tout Mondialiste pourrait avoir quoi que ce soit de commun avec tout concept d’État de Droit, et surtout d’État humainement équilibré sur le plan socio-économique !!!
      (Or, nous pourrions croire aujourd’hui que les neuneus du troupeau de droatte, non plus que les neuneus du troupeau de gôche, ne perçoivent les réalités et gravités du danger mondialiste qui ne sont ni de droite ni de gauche, mais seulement hypnotisés par des medias sous influences financières médiatiques étrangères !!!
      Le corps électoral, toutes tendances confondues, doit maintenant submerger les leaders combinards de tous bords en ne soutenant que les candidats qui rejettent la poursuite de l’actuelle politique de cette contre-europe mondialisée et des candidats ouvertement partisans du retour à une politique socio-économique humaine et équilibrée !!!


    • karibo karibo 10 mai 2017 22:48

      Merci pour ce moment : EXCELLENT !


      • CN46400 CN46400 11 mai 2017 08:23

        Vous découvrez l’eau tiède, il n’existe pas de capitalisme sans état. Indispensable pour faire respecter les règles élémentaires du capitalisme. C’est d’ailleurs pour cela que le capitalisme a du mal à ce développer en Afrique, faute d’état efficace ou trop corrompus.


        • Boogie_Five Boogie_Five 11 mai 2017 18:15

          @CN46400

          Oui, c’est vrai que c’est difficile de détacher l’état et le capitalisme. Pour ce qui est des pays africains, c’est plus complexe parce que ça dépend leur situation géographique. Les pays côtiers, plus développés, sont tournés vers l’exportation et sont encore dominés par la puissance économique des états étrangers investisseurs. Les ressources naturelles comme le pétrole ou des matières premières sont exploités par des grands groupes souvent associés au gouvernement de leurs pays d’origine. L’Afrique du Sud est quand même une grande puissance autonome, même si son économie reste dominée par les blancs. Les pays enclavés à l’intérieur, comme le Burundi, le Tchad... ont un plus développement plus limité et effectivement des états moins importants.

          Oui, ce n’est pas une découverte que le capitalisme s’appuie la force des états, mais ça fait juste plus de trente ans que les capitalistes nous disent le contraire. C’était juste pour faire un piqûre de rappel et ne pas oublier que les états jouent un grand rôle dans l’économie.


        • babelouest babelouest 5 juillet 2017 08:52

          Déjà, par ce qu’il entraîne, le libéralisme est un mal car les peuples, les législations, les langues, les cultures, les géographies ne sont pas homogènes – et c’est tant mieux ! car seule la diversité est bénéfique.

          Quand on en arrive au néocapitalisme, qui sait tricher parce qu’il se sait au-dessus des législations, des garde-fous, cela devient l’horreur absolue. Les USA, pays de libéralisme pour les autres, ne s’y trompent pas quand ils taxent à 250% l’acier chinois par exemple.

          Il faut donc des États forts, qui permettent aux habitants des pays correspondants d’être protégés de la voracité de certaines personnes, de certains groupes. Le libéralisme bien compris, c’est donnant-donnant.

          Il avait d’ailleurs été étudié un document intéressant, sur lequel les pays du monde s’étaient accordés en 1948. Pourquoi a-t-il capoté ? Une seule cause : en 1949 le Congrès US a changé de majorité, et a refusé la ratification. Il serait très judicieux de reprendre ce texte, de le remettre à jour, et de s’en servir pour créer non plus l’OMC bien trop néolibérale, mais une OIC, une internationale du commerce entre nations mutuellement consentantes à égalité. C’est là.

          https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/havana_f.pdf

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