Exportations et marges des sociétés
La valeur de change de l’euro ne cesse de battre ses propres records. La France conteste la mission de la BCE alors que d’autres pays non.
1. Objet du billet
L’objet de ce billet est de présenter des modèles qui expliquent l’actuelle problématique des entreprises face à la concurrence internationale et les difficultés liées à la valorisation de l’Euro.
Il fait suite à l’article du 17 juillet 2007 "Pourquoi la France n’arrive pas à suivre".
Le présent billet n’est pas orienté macro-économie et ne compare pas la France à d’autres pays. Par rapport à l’article pré-cité, il apporte une vision avec une orientation différente. Cet article adopte le point de vue des entreprises.
Au travers de modèle de gestion d’entreprise, il explique et montre les difficultés et les conséquences liées à une forte évaluation de l’euro sur la marge des entreprises. Il explique également les raisons pour lesquelles la demande est sensible aux variations de la valuation de l’euro.
La cadence de ce billet est déroulée en plusieurs temps :
- présentation des impacts de la variation des prix sur les quantités vendues et leurs conséquences sur les marges des entreprises ;
- présentation d’un modèle décrivant pourquoi certaines productions sont plus sensibles que d’autres aux variations de prix est décrit ;
- projection des possibilités de manœuvres des entreprises à la vue des modèles présentés dans ce billet.
Ce billet est basé sur deux de mes essais :
- Euro I - Economie d’entreprise - Exportations et marges des sociétés ;
- Euro II - Economie d’entreprise - Euro et positionnement produit.
2. Présentation de la problématique
- la première évidence est l’impact de la valeur de l’euro sur les prix de vente. Plus la valeur de l’euro est importante, plus le prix hors zone euro est important ;
- le deuxième chose est l’impact des produits intermédiaires (utiles pour la production) et matières premières sur les coûts de production ;
- la dernière chose est l’importance de la variation du prix de vente sur la demande.
Ces trois critères sont interdépendants :
- l’augmentation de la valeur de l’euro augmente la marge unitaire sur la vente d’un produit ;
- l’augmentation de la valeur de l’euro diminue le prix d’achat des produits importés qui rentrent dans la composition du produit final ;
- l’augmentation de la valeur de l’euro rend le produit commercialisé moins concurrentiel autant en zone hors euro (augmentation du prix de vente) que dans la zone euro (diminution potentielle du prix de vente des produits concurrents importés).
Fondamentalement, d’un point de vue strictement comptable, l’augmentation de la valeur du change est bénéfique (augmentation du prix de vente, diminution du prix des composants). Par contre le problème vient de l’impact sur les quantités vendues.
La suite de ce billet tente de montrer les conséquences de la variation du change de l’euro et de montrer quels sont les moyens possible pour en maitriser les effets.
3. Impact et modification du prix
a. Variation de la demande par rapport au prix
Lorsque le prix de vente varie, les comportements d’achats évoluent. De façon naturelle, il nous semble qu’une augmentation des prix provoquerait une diminution des ventes en quantité. Mais il peut apparaître que, dans certains cas, une augmentation des prix peut provoquer une augmentation des ventes en quantité. Ceci peut être vrai dans des secteurs tels que le luxe. Une telle "corrélation" se mesure en économie via une coefficient d’élasticité de la demande par rapport au prix. Un tel coefficient permet d’estimer quelle sera la variation de la demande par rapport à une variation de prix. Lorsque ce coefficient est positif, une augmentation du prix provoque une augmentation de la demande. Lorsqu’il est négatif, une augmentation du prix provoque une diminution de la demande.
b. Variation de la marge
Nous l’avons vu avec la présentation de la problématique, une augmentation de la valeur de l’euro va provoquer une diminution du coûts des produits et des matières importés constituant de la production. A l’inverse, une augmentation de la valeur de l’euro va provoquer une augmentation du prix de vente. La différence entre les deux va provoquer une augmentation de la marge unitaire (marge par produit vendu).
Donc d’un point de vue unitaire, une augmentation de la valeur de l’euro est plutôt bénéfique d’un point de vue purement comptable.
Mais, il ne suffit pas de multiplier la marge unitaire par la quantité de produits vendus pour obtenir la marge totale.
Les constituants des coûts d’un produit peuvent être modélisés en distinguant les coûts variables et les coûts fixes.
c. Les différents coûts de production
Les coûts variables sont directement liés aux quantités produites. Par exemple le métal utilisé pour fabriquer un objet est directement proportionnel au nombre d’objets fabriqués. Par rapport à ces coûts variables, il est possible de déterminer la marge sur coûts variables. Cette marge correspond au prix de vente multiplié par les quantités vendues dont est déduit le coût variable qui a été nécessaire pour produire les quantités vendues. Pour déterminer la marge totale, il suffit de déduire de cette marge sur coûts variable, le montant total des coûts fixes.
Les coûts fixent ne varient pas proportionnellement aux quantités produites. Il existe néanmoins un lien entre les deux. Par exemple l’amortissement des immobilisations génère un coût fixe qui ne dépend pas des quantités produites jusqu’au moment où il est nécessaire de réinvestir dans des outils de production pour augmenter la capacité de production. En reportant la marge sur coûts variables sur la courbe des coûts fixes, il est possible d’identifier à partir de quelle quantité de produits vendus, l’activité devient bénéficiaire. De tels points d’intersection s’appellent seuils de rentabilité. Avec ce modèle il est aisé de comprendre pourquoi une diminution des quantités vendues diminue la marge totale.
Quand les quantités vendues diminuent, le chiffre d’affaires se réduit. La valeur de la marge sur coûts variable diminue proportionnellement à la diminution des ventes. Par contre, les coûts fixes ne varient pas. Comme la valeur de la marge sur coûts variables diminue et que les coûts fixes ne changent pas, la différence entre les deux diminue. Cette différence correspond à la marge totale.
Conclusion : si la marge sur coûts variables compense la diminution des quantités vendues par une augmentation du prix unitaire, alors la marge totale est maintenue. La pente de la courbe de la marge sur coûts variables augmente, ce qui diminue la quantité de produits à vendre pour atteindre le seuil de rentabilité et améliorer les bénéfices si la quantité ne varie pas.
Par exemple :
- Prix de vente unitaire = 10 € ;
- Coût variable unitaire (1 $=1 €) = 4 € ;
- Coût fixe total (1 $=1 €) = 150 € ;
- Quantités vendues = 100 ;
- Provenance des coûts : 75 % de la zone hors euro.
Le premier diagramme montre la variation de la marge totale dans le cas ou 75 % de la production est commercialisée en zone euro et le second diagramme montre l’évolution de cette même marge si la production est commercialisée à 75 % hors de la zone euro.
Les étiquettes à droite identifient les courbes en fonction du coefficient d’élasticité de la demande par rapport au prix.
Il est évident que les entreprises dont leur activité est plus forte à l’exportation se voient pénalisées si la demande varie en proportion inverse au prix de vente.
D’où l’idée de faire varier le prix à l’exportation pour compenser la variation de l’euro et maîtriser la variation de la marge totale.
Le diagramme suivant montre la variation de la marge pour un euro à 1,3 dollar, un prix de vente initial (1 € = 1 $) de 15 € soit 15 $ et une quantité vendue initiale (pour 1 $ = 1 €) de 15 unités. Ce diagramme se limite aux produits exportés.
Ce qu’indique le diagramme c’est que les situations sont toutes différentes et surtout qu’elles varient en fonction du coefficient d’élasticité de la demande par rapport au prix. Mais dans certains cas, il est possible de compenser la variation de la marge liée à l’euro par une modification du prix de vente à l’exportation.
Mais pourquoi la demande est-elle aussi sensible à la variation de prix ? La demande peut-elle être insensible ou peu sensible aux variations de prix ?
4. Positionnement produit
a. Description du positionnement
L’impact de la variation de l’euro sur les quantités vendues ne sont importantes (élasticité élevée) que si le critère du prix est important dans la décision d’achat.
L’image du produit, voire celle de la société productrice, peuvent rentrer en ligne de compte.
Le prix peut ne pas être le seul élément pris en compte par la concurrence et la décision d’achat.
Positionner un produit permet de le "cadrer" relativement à la demande, mais aussi à la concurrence. Ce positionnement permet aussi de définir la stratégie d’une entreprise afin d’adapter ses efforts pour satisfaire au mieux la demande et ne pas gaspiller de l’énergie sur des axes imprécis et inefficaces. Le positionnement d’un produit s’effectue selon plusieurs variables (dimensions). Les dimensions qui servent à positionner les produits sont celles qui entrent en ligne de compte dans le choix de tel ou tel produit de telle ou telle société.
Par exemple, sur un segment les dimensions qui entrent en ligne de compte dans la décision d’achat peuvent être les suivantes :
- image,
- utilité,
- qualité,
- fiabilité,
- prix,
- service associé,
- personnalisation du produit.
Une fois les dimensions déterminées, il est possible de positionner la demande, la concurrence et le produit sur un diagramme.
Pour représenter le positionnement de la demande, de la concurrence et d’un produit visuellement, il faut disposer d’axes rayonnant d’un centre, pour chaque dimension. Les dimensions dont l’importance est primordiale dans le choix ont des points éloignés du centre. Les autres ont des points proches du centre. Ensuite en joignant les points de chaque axe adjacent pour la demande, la concurrence et le produit, on obtient une vision du positionnement relatif du produit par rapport à la concurrence et par rapport à la demande. Plus la courbe du produit est éloignée de la courbe de la demande et plus le produit est mal positionné.
L’offre la mieux positionnée est celle qui se rapproche le plus de la courbe de la demande.
Si le prix a une grande importance dans le positionnement de la demande, alors une variation de celui-ci aura un impact fort sur les quantités vendues. Ce que l’on peut également comprendre avec ce modèle c’est l’effet d’un repositionnement de la concurrence sur les ventes du produit.
Par contre dans le cas où le positionnement ne donne pas un rôle prédominant au prix, alors l’impact sur la demande d’une variation du prix sera faible comparé au cas précédent.
Une synthèse de la détermination du positionnement existe. Elle résume les différentes dimensions selon trois axes. Le premier axe "qualité produit" représente une situation où la qualité du produit est essentielle. Le prix n’est pas déterminant dans la décision d’achat, mais la qualité, la technicité du produit sont les principaux déterminants. Le deuxième axe est l’ "Efficience opérationnelle". Cet axe privilégie le rapport qualité-prix. Le dernier axe est la "proximité client" où ce qui compte c’est le service rendu au client et la personnalisation du produit en fonction des clients.
c. Conséquences du positionnement
Le positionnement produit permet d’expliquer pourquoi certaines productions ne sont pas aussi sensibles aux variations de prix et de changes.
Ceci permet d’expliquer pourquoi avec un positionnement d’efficience produit, les coûts sont extrêmement importants et peuvent devenir insurmontables lorsque la variation de change devient trop défavorable. Le prix à l’exportation devient un véritable handicap et les coûts non importés ne permettent pas de compenser la différence (sauf à les diminuer) pour maintenir la marge. A l’opposé, à l’importation, les prix des produits importés deviennent plus compétitifs et la demande se transfert vers ceux-ci au détriment des produits nationaux ou européens s’ils ne subissent pas une augmentation importante de leurs coûts de production à cause de la faiblesse de leur devise face à l’euro.
Dans un tel cas, une politique de diminution des coûts permet de maintenir la marge. Par contre, elle ne garantit rien à long terme si la tendance de la variation du change persiste. A un moment donné, il ne sera plus possible de réduire les coûts pour maintenir l’efficience opérationnelle.
Par contre, envisager un repositionnement produit au sein d’un même segment de marché n’est pas garant d’une amélioration de la situation. En effet, le positionnement doit être adapté à la demande. Il faut que la demande existe pour un positionnement dans lequel le prix n’a pas une importance primordiale.
Reste un changement de segment ou de marché. Pour réaliser cela, il faut avoir une vision à plus ou moins long terme. Une telle stratégie peut demander des investissements lourds pour des retours sur investissements plus ou moins différés dans le temps.
5. Synthèse et conclusion
La première partie de ce billet montre les effets d’une variation du prix (liée ou non à la variation de l’euro) sur les quantités vendues et sur la marge des entreprises.
Avec la deuxième partie, nous voyons qu’un positionnement de type "efficience opérationnelle" rend les marges sensibles à la variation de prix. Dans ce cas, il est possible d’arriver à un optimum pour maximaliser les marges sans toucher à la structure des coûts en ne jouant que sur le prix de vente. Mais au-delà de cet optimum, seule une action sur la structure des coûts permettrait d’améliorer la marge.
Mais cette deuxième partie nous enseigne aussi que dans d’autres cas, avec des positionnements différents, le prix de vente ne remet pas en question les quantités vendues et que le prix n’est pas l’élément principal sur lequel jouer pour faire varier les quantités vendues.
Au-delà de cette démonstration, il faut qu’une demande existe pour chaque positionnement et les segments de marché sur lesquels les produits sont présents.
Pour une entreprise, toute la difficulté est de bien définir son positionnement en fonction des segments et des marchés sur lesquels elle est présente. En cas de difficulté sur un positionnement de type "efficience opérationnelle", l’entreprise n’a que deux choix :
- avoir une politique d’optimisation des coûts ;
- changer de marché ou de segment pour trouver un positionnement différent.
Dans le premier cas, les bénéfices sont immédiats si la réduction des coûts peut se faire rapidement.
Dans le second cas, il s’agit d’un pari dont les effets sont différés et pouvant demander des investissements non négligeables (remplacer les outils de production, revoir l’ensemble des processus, découvrir un nouveau marché...).
A court terme, le première solution est efficace, par contre, elle ne change pas la sensibilité de la demande par rapport à la variation des prix et des changes à l’exportation. Cette solution peut n’être qu’une manière de retarder l’inévitable si l’augmentation des prix est liée à des raisons structurelles (long terme). Par contre, dans le cas de causes conjoncturelles (court terme), ce peut être un bon moyen pour passer le cap.
La deuxième solution est plus une solution sur l’avenir. Elle permet d’adapter l’entreprise à l’évolution des marchés et lui permet de répondre à des causes structurelles.
L’inconvénient de la seconde solution est qu’il faut que l’entreprise ait les moyens de faire sa conversion. Et lorsque les problèmes sont présents, c’est rarement le cas. Dans cette configuration, afin de pouvoir se transformer, l’entreprise doit retrouver une certaine santé pour entamer sa conversion. Par conséquent, une phase d’optimisation des coûts peut précéder la phase de restructuration de son activité.
Mais la concurrence s’applique également sur d’autres dimensions que celle de l’efficience opérationnelle.
Pour réussir sa reconversion une entreprise dont être concurrentielle sur son nouveau marché ou segment de marché mais aussi sur son positionnement.
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