France : sous influence
Sale, obscène, honteux : c'est parfois le sentiment dégagé lorsqu'on évoque en France l'influence et le lobbying. Mais la bête est partout...
"Vérité en deça des Pyrénées, erreur au delà" aimait à dire Blaise Pascal. Une formule qui s'applique à merveille à l'influence : honni dans l'hexagone, les métiers de l'influence ont le vent en poupe outre-Atlantique. Pour preuve : parmi les fonctions les plus demandées malgré la crise qui frappe l'économie figure en troisième position les spécialistes du marketing. Les commerciaux apparaissent en septième position et les professionnels des relations publics en treizième position.
Or, le point commun entre ces trois fonctions repose sur la notion d'influence : persuader le prospect d'acheter le produit constitue la priorité des métiers du commerce et du marketing. Et pour ce faire, l'entreprise doit cultiver et entretenir son image de marque, notamment à travers les professionnels de la relation publique. La présence de ces trois métiers dans le top 20 des métiers qui auront le vent en poupe en 2013 montre qu'Outre-Atlantique, la préoccupation sera à la fois de convertir les prospects en clients et les clients en ambassadeurs de la marque et de l'entreprise qui la produit et la commercialise.
Ces métiers traditionnels se sont néanmoins vu bousculés avec la démocratisation d'Internet dans les années 2000. Tout le monde s'est alors mis à parler de tout sur Internet, y compris en France. Or, parler, c'est déjà commencer à influencer. Il suffit de conseiller à un ami un film à aller voir, un livre à lire ou un CD à écouter pour faire de l'influence. Dès lors, chacun d'entre nous est un influenceur, à un moment ou à un autre de son existence. Face à cette déferlante d'influenceurs et d'ambassadeurs sur Internet a émergé un nouveau métier : le Community Manager. Et si, au milieu des années 2000, il suffisait de connaître les réseaux sociaux pour se prétendre Community Manager, force est de constater qu'aujourd'hui, le métier se structure. Fini l'amateurisme des débuts, il importe aujourd'hui d'avoir le bon profil. Et aujourd'hui, nombreuses sont les entreprises françaises à s'être doté de leur Community Manager. Pourtant, le Community Manager est, lui aussi un influenceur, puisqu'il va aller écouter les conversations sur Internet, identifier les ambassadeurs de la marque et prendre la parole pour défendre les valeurs de son entreprise.
POURQUOI TANT DE HAINE ?
Cette réticence française devant l'influence se retrouve dans deux ouvrages : "Le Contrat Social" de Jean-Jacques Rousseau et "De la démocratie en Amérique" d'Alexis de Tocqueville.
Fondement de la société française du XIXe siècle, la pensée de Jean-Jacques Rousseau considère que la démocratie résulte de l'expression de la volonté générale, et de sa prééminence sur les intérêts particuliers. Pour lui, la propriété privée est une aberration, et le suffrage universel un bienfait. Cette prééminence de l'intérêt général sur les intérêts particuliers aboutira, en France, au vote de la loi Le Chapelier, le 14 juin 1791, qui interdira la constitution des syndicats durant le XIXe siècle.
Décrivant la société américaine, Alexis de Tocqueville affirme, au contraire, le nécessaire dialogue entre intérêts particuliers et intérêt général afin d'éviter "la dictature de la majorité". Les partis partageant, peu ou prou, la même idéologie, l'économique prend alors le pas sur le politique.
Cette différence se retrouve aujourd'hui dans les approches française et anglo-saxonne de l'influence. Aux Etats-Unis ou en Angleterre, l'influence est intégré à la vie politique du pays, avec des lobbyistes ayant pignon sur rue. En France, influence est encore synonyme d'ascendant, de pouvoir, de mainmise, voire de suggestion, et suscite la méfiance et le rejet.
L'INFLUENCE EST-ELLE INEXISTANTE EN FRANCE ?
Pourtant, elle fait partie intégrante de la vie politique et économique française. Lorsqu'un projet d'arrêté évoque l'extinction des panneaux publicitaires lumineux entre 1h et 6h du matin, ce sont les professionnels de l'éclairage qui s'allument... De même lorsque la nocivité des moteurs diesel est suggérée, le Comité des constructeurs français d’automobiles monte au créneau.
Le temps de la loi le Chapelier est, en effet, révolu. La loi du 1er juillet 1901 autorise désormais la création d'associations, mais aussi d'organisations de défense professionnelle. Et en plus d'un siècle, celles ci ont fleuri. Mais Internet a également pavé la voie du lobbying en ligne, grâce à la surabondance d'information et du peu de temps dont dispose l'individu pour les intégrer, qui l'incite à rechercher des messages directeurs clairs. Un boulevard pour les influenceurs...
ET EN EUROPE ?
C'est cette même surcharge informationnelle qui fait le bonheur des influenceurs et des lobbyistes, qui s'invitent désormais à la Commission Européenne et au Parlement Européen, lieux où se prennent les décisions transposées dans les législations nationales. Au point que la ligne de démarcation entre le licite et l'illicite s'estompe parfois. Pour avoir franchi la ligne blanche avec le tout-puissant lobby du tabac, un commissaire européen a été contraint de présenter sa démission. Les industriels du tabac n'ont cependant pas le monopole du lobbying auprès de Bruxelles. En témoignent les démarches d'influence autour de l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste.
La question se pose donc moins de l'existence de l'influence et du lobbying que des limites fixées aux démarches possibles. Car ne pas parler d'une chose ne la fait pas disparaître, elle la rend simplement occulte, et ouvre alors la voie à des pratiques discutables, et mêle joyeusement naïveté et hypocrisie, tant il est vrai qu'« On peut tout faire avec des idées... surtout influencer les autres ».
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