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Accueil du site > Actualités > Economie > Grèce : les masques sont tombés

Grèce : les masques sont tombés

C’était il y a déjà plus de trois ans. La Grèce se voyait accorder un premier « sauvetage » qui allait l’entraîner avec une vitesse fulgurante dans une crise sociale, économique et politique d’une violence considérable. A la récession et au chômage sans précédents s’ajoutent désormais les velléités autoritaires du Premier ministre Antonis Samaras, illustrées par sa décision brutale de fermer l’audiovisuel public grec.

Une décision qui s’inscrit dans un contexte déjà lourd : menaces de mobilisation forcée voire d’arrestation de grévistes, suspension des conventions collectives, ratonnades organisées par le parti néo-nazi Aube dorée dans une impunité presque totale… Aucun de ces signes avant-coureurs du pire ne semble toutefois ébranler la volonté des gouvernements européens et de la Troïka (Commission, Banque centrale européenne et FMI) de conduire la Grèce plus avant dans l’abîme. Et pourtant, ce ne sont pas les remises en cause qui manquent...

Les potions magiques des « cures de rigueur » ? Plutôt des remèdes empoisonnés, reconnaissait en janvier le chef économiste du FMI Olivier Blanchard. Les grecs, quant à eux, n’avaient pas attendu son mea culpa pour constater les effets destructeurs de l’austérité...

Les « plans de sauvetage » et la « solidarité européenne » ? Vaste plaisanterie, démontre un rapport du FMI publié le 5 juin, qui dénonce des plans qui ont « sacrifié » les pays surendettés en faisant porter par eux tout le poids de l’ajustement au profit des économies du « cœur » de la zone euro.

Drôle de conception de la solidarité, qui a moins consisté à renflouer les comptes publics grecs qu’à sauver l’industrie financière : un rapport publié par Attac Autriche permet de mesurer l’utilisation des sommes débloquées pour les « plans de sauvetage » en Grèce, sur la base de données publiques, consultables notamment sur le site de la commission européenne : sur les 206,9 milliards versés depuis mars 2010, au moins 77% de cet argent a bénéficié directement ou indirectement au secteur financier.

Le tout dans une certaine opacité quant à l’attribution finale de ces montants et sans qu’aucune contrepartie n’ait été demandée aux banques en échange du versement de ces sommes.

Les masques sont tombés en Grèce. A commencer par celui des économistes orthodoxes et autres idéologues à gages de la finance, dont la rhétorique n’est plus capable de justifier la catastrophe économique et sociale dans laquelle leurs bonnes potions ont plongé la Grèce. Celui des gouvernements européens et des institutions de l’Union européenne, qui ont donné au terme de « solidarité européenne » une nouvelle définition, celle d’une mise à sac brutale d’un pays.

Les masques sont tombés le jour où François Hollande est venu en Grèce le 13 juin 2012, un mois à peine après avoir déclaré que « l’austérité ne pouvait plus être une fatalité », pour inciter les grecs, dans une menace à peine voilée, à « tenir leurs engagements », c’est-à-dire à voter en faveur du conservateur pro-austérité Antonis Samaras, ou alors à se préparer à sortir à leurs frais de la zone euro [1].

Les masques sont tombés le jour où l’entourage de Georges Papandreou, premier chef d’Etat grec à négocier les conditions du « sauvetage » de la Grèce avec la Troïka, a été mis en cause pour évasion fiscale en Suisse (suite à la publication de la fameuse « liste Lagarde » qui a valu au journaliste Kostas Vaxevanis une arrestation expresse).

Et quelle surprise de constater qu’en Grèce comme en France, les plus fervents défenseurs de la rigueur sont aussi les plus corrompus (ce qui fait dire à Emmanuel Todd que « la notion même d’austérité est véhiculée par des pourris »).

Les masques sont tombés, donc… mais cela ne semble pas embarrasser davantage les gouvernements et institutions de l’Union européenne. Les créanciers européens de la Grèce – dont la brutalité et le cynisme sont à même de tirer des remords au FMI – continuent en effet d’imposer des conditions drastiques au gouvernement grec : réduction à la hussarde des effectifs de la fonction publique, taille dans les budgets, réformes antisociales…

Il faut imaginer le degré de stupéfaction dans lequel se trouve plongé le peuple grec, depuis trois ans pris dans le piège de « cette catastrophe nommée sauvetage [2] » ; confronté à un rouleau compresseur que rien ne semble être en mesure d’arrêter, ni la preuve des conséquences désastreuses de l’austérité, ni des mobilisations sociales sans précédents.

C’est que le rapport de force avec les institutions et gouvernements européens semble disproportionné. Dans un contexte où la résignation et la survie semblent les seules options possibles, l’extrême droite progresse de manière spectaculaire en désignant les immigrés comme bouc-émissaires [3]. Un récent sondage montre une progression spectaculaire du parti néo-nazi Aube dorée, donné comme troisième force politique du pays.

Dans le même temps, la mise en œuvre de l’austérité en l’absence de toute légitimité démocratique, nécessite de recourir à des méthodes autoritaires. En janvier 2013, le gouvernement grec a décrété la loi martiale et mobilisé la police anti-émeute pour briser la grève de neuf jours des employés du métro d’Athènes.

Mesure impensable il y a quelques années, les conventions collectives ont été suspendues fin mars 2013, dans l’indifférence presque totale des grandes confédérations syndicales européennes, tandis que les attaques sur les droits du travail se multiplient [4].

La récente fermeture de l’audiovisuel public grec (qui a provoqué l’émotion des médias, mais aussi une importante mobilisation populaire en Grèce) est symptomatique de la manière discrétionnaire dont le gouvernement Samaras impose l’austérité : par décret. Epiphénomène de la rigueur sauvage imposée à la Grèce, elle pourrait néanmoins constituer un symbole, et provoquer une prise de conscience de l’alternative qui se présente en Grèce et en Europe : le lent glissement vers le pire, ou la rupture avec les diktats de l’austérité.

Si les tenants du néolibéralisme affirmaient en 1975 qu’il y avait « des limites désirables à l’extension de la démocratie politique [5] », il est désormais certain que la politique imposée à la Grèce et la démocratie ne sont plus compatibles.

Frédéric Lemaire

 


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12 réactions à cet article    


  • chapoutier 19 juin 2013 08:34

    c’est bientôt notre tour si on ne ne met pas un coup d’arrêt à ce cycle infernal de destruction de nos acquis pour simplement permettre aux capitalistes de s’enrichir toujours plus.


    • Aldous Aldous 19 juin 2013 12:27

      « Le peuple grec est anarchique et difficile à dompter. C’est pour cette raison que nous devons les frapper en profondeur dans leurs racines culturelles :


       Peut-être alors pourrons-nous les forcer à se soumettre. Je veux dire, bien sûr, s’en prendre à leur langue, leur religion, leurs ressources culturelles et historiques, de sorte que nous puissions neutraliser leur capacité à se développer, à se distinguer, ou à prévaloir ; ce qui éliminera un obstacle majeur à nos projets stratégiques vitaux dans les Balkans, la Méditerranée et le Moyen-Orient. »

      Kissinger en 1974 à la chute u régime des colonels.

      Anarchique, dans la bouche de l’élite ne signifie pas desordonné mais rétif à l’autorité impériale.

      • Aldous Aldous 19 juin 2013 12:44

        Pourquoi Kissinger a-t-il dit cela ?


        Pour les mêmes raisons qui ont poussé les leaders de la IIe guerre mondiale à dire ceci :

        « Nous ne dirons plus que les Grecs combattent tels des héros, mais que les héros combattent tels des Grecs ! »

        Winston Churchill

        « tous les peuples libres sont très impressionnés par le courage et la ténacité de la nation grecque... Qui se défend elle-même si vaillamment ! »


        Franklin Roosevelt


         « Le peuple Russe sera éternellement reconnaissant envers les Grecs pour avoir retardé l’armée allemande ainsi longtemps pour que l’hiver s’installe , et de ce fait nous donnant le temps précieux dont nous avions besoin pour nous préparer. Nous n’oublierons jamais. »


        Joseph Staline


        « Au nom du peuple français occupé bien que vivant, la France Libre transmet ses salutations au peuple grec, qui combat pour la liberté. Le 25 mars 1941, la Grèce se trouva au sommet de ses efforts héroïques et au sommet de sa gloire. Depuis la bataille de Salamine, la Grèce n’avait pas obtenu la grandeur et la gloire qu’elle a obtenues aujourd’hui. »

        Charles de Gaulle


        « Il doit être dit , pour le respect de la vérité historique , que parmi tous nos opposants , seuls les Grecs se sont battus avec autant de courage et de défiance envers la mort. »


        Adolf Hitler


        • Jacques Jacques 19 juin 2013 14:30

          Merci pour ces citations !


          • Aldous Aldous 19 juin 2013 15:08

            De rien,


            J’ajoute que c’est illusoire. 

            500 ans de domination ottomane ne sont pas parvenues à briser l’identité grecque. 

            C’est pas Van Rompuy et Barrosso qui vont réussir ce que les massacres répétés des Sultans ne sont pas parvenus à obtenir.

            Le Grec prefère être Grec et misérable plutôt qu’opulent et acculturé.

            Tant qu’il restera une mandoline pour danser, les Grecs resteront Grecs. 

            La pauvreté fait partie de l’hellénisme chrétien, elle ne fait que le renforcer.

            Mais ça, les oligarques et les vendus de Bruxelles ne peuvent pas le comprendre. Ca les dépasse.


          • lessonless 19 juin 2013 15:49
            A lire et écouter la soirée de mardi au Châtelet , solidarité avec le peuple Grec après la fermeture des écrans TV.
            La dictature revient... 


            • Alison 19 juin 2013 18:23

              Bonjour,

              « Celui qui ne sait pas se contenter de peu ne sera jamais content de rien. »

               Epicure


              • Jacques Jacques 19 juin 2013 19:26

                Voici une très belle intervention de Stathis Kouvelakis hier au théâtre du Châtelet en solidarité avec le peuple grec :

                http://www.dailymotion.com/video/x111nf2_stathis-kouvelakis-chercheur-professeur-en-philosophie-politique-en-soutien-au-peuple-grec-au-chatel_news#.UcHoRMppzWE


                • BA 19 juin 2013 21:26
                  Mercredi 19 juin 2013 :

                  Chypre est bien partie pour redevenir le cauchemar des Européens.

                  Car, pendant ce temps, l’économie chypriote se désintègre progressivement. Les prévisions de la troïka étaient de toute évidence irréalistes. Le PIB chypriote va reculer de 9 % cette année, peut-être 5 % selon le FMI l’an prochain, En deux ans, la richesse du pays sera réduite de 15 %. Même la Grèce n’a pas connu une telle cure. Les mesures d’austérité imposées par la troïka pèsent bien sûr, mais c’est surtout l’absence de vrai secteur bancaire et d’investissement en raison du contrôle des capitaux qui asphyxie l’économie chypriote. Tout ceci amène l’absence absolue de confiance dans l’avenir qui gèle encore le fonctionnement de l’économie. Et cette fois, il sera difficile de faire admettre que cette potion permettra d’assurer la « croissance future » du pays.

                  Quitter l’euro est-il une solution ?


                  En réalité, la zone euro est devenue un enfer pour Chypre. Il est désormais difficile de penser qu’une sortie du pays de l’UEM - aussi catastrophique soit-elle - donne lieu à une situation pire que celle que connaît le pays aujourd’hui. Sans doute, les Chypriotes devront-ils compter avec l’inflation générée par la dévaluation rapide de leur monnaie. Sans doute, l’Etat chypriote, devenu insolvable et incapable d’emprunter sur les marchés, devra-t-il serrer les vis. Mais, du moins, une nouvelle monnaie permettrait de faire fonctionner à nouveau l’économie, en particulier le système bancaire.

                  Prendre le risque de laisser sortir Chypre ?

                  La question se pose donc à nouveau de savoir si Chypre doit rester ou non dans la zone euro. Si l’Europe pense pouvoir régler le problème en l’ignorant, elle se trompe. Une sortie de l’île de la zone euro pourrait coûter cher à cette dernière. L’OMT, dont se vante tant Mario Draghi, le gouverneur de la BCE mais qui n’est encore qu’une menace, pourrait bien alors devoir être actionné. Les marchés seraient en effet tentés de tester la BCE sur le fameux « whatever it takes » (quoi qu’il en coûte) pour sauver l’euro de Mario Draghi. Or, ce dernier doit craindre un tel scénario, lui qui n’a pas encore, malgré ses promesses, publié le cadre légal de l’OMT (9 mois après son annonce !). Sans compter que si Nicosie quitte la zone euro, il y a fort à parier que le MES et la BCE doivent encaisser des pertes. Que l’Europe se méfie donc : la bombe chypriote est encore bourrée d’explosifs. Et c’est ce qu’a voulu dire Nikos Anastasiadès avec son appel au secours. L’ignorer serait inconscient.


                  • diverna diverna 20 juin 2013 11:09

                    Il y a une hypocrisie constate : on dimininue le niveau de vie en Grèce mais on n’investit pas et on fait mine de coire que le redémarrage peu venir de la Grèce elle-même. Si l’Europe avait encore les moyens de délocaliser en Grèce des industriess qui profiteraient des salaires devenus bas il y aurait moindre mal. Le problème est que l’Europe n’a rien à délocaliser (ou si peu...) comme le démontrent tous les combats en rance pour, à tout prix, maintenir l’activité sur le sol français. Ce « chacun pour soi » et la monnaie commune font mauvais ménage et expique le noeud coulant qui étouffe le peuple grec et bientôt d’autres peuples.


                    • Peretz1 Peretz1 23 juin 2013 17:35

                      Il faut voir ça comme une guerre coloniale livrée comme toujours par et pour la finance internationale. Le seul ennemi de Hollande parait-il. Il a baissé les bras. Donc ça sera notre tour un jour ou l’autre. Citoyens européens unissez-vous !


                      • socratis solomos 6 octobre 2013 23:10

                        Merci, ça nous chauffe le cœur.
                        Mais il commence a faire bien froid dans nos iles et nos montagnes et dans les villes les gens n’ont pas de chauffage ni - souvent - de nourriture et de médicaments..C’est une vrai guerre, plus une dictature sans nom qui s’abat sur le peuple. RÉSISTANCE et SOLIDARITÉ, les amis. Trouvons les moyens de soutenir les luttes du peuple grec.

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