La Belgique en a ras-le-Fortis
Le Comte Maurice Lippens voué aux gémonies, les sarcasmes du ministre néerlandais des Finances (« la Belgique est un nain bancaire »), les cachotteries de Messieurs Leterme et Reynders, une action de « bon père de famille » réduite à que dalle : c’en est trop pour les clients et actionnaires de Fortis. Les actionnaires, potentiellement ruinés, organisent la riposte.
Alors que la cotation de Fortis restait suspendue toute la semaine à la Bourse de Bruxelles, les commentaires allaient bon train pour dénoncer la surprenante rapidité avec laquelle l’Etat belge avait refilé en douce à BNP Paribas ce qui restait du colosse aux pieds d’argile. Les socialistes et les Verts, montés au créneau dès la semaine dernière, continuent à demander une commission parlementaire d’enquête, pendant que les petits actionnaires, furieux, demandent que le Comte Lippens et les autres responsables du désastre soient traduits en justice. Le mouvement tarde à s’organiser, mais les langues se délient et il est clair que l’on va chercher à faire tomber des têtes.
Au tribunal pour beaucoup moins
Fred Chaffart, ex PDG de la Générale de Banque (intégrée à Fortis en 1999), n’a pas hésité à déclarer au « Morgen » : « Tromper les actionnaires, divulguer de fausses informations, prendre des risques injustifiables : il y en à qui ont du se justifier devant les tribunaux pour beaucoup moins. » Maurice Lippens, qui se terre dans sa propriété du Zoute, n’aura pas manqué d’apprécier, démissionnant dans la foulée de son mandat chez Belgacom. Le fondateur de « l’empire Fortis » quitte donc sur la pointe des pieds le théâtre de ses anciens « exploits ». Avant d’y revenir pour rendre des comptes ? Nul n’ignore que les luttes internes (entre Lippens et Votron, notamment), les querelles d’égo et une ambition démesurée dans la conquête du leadership européen ont largement contribué à précipiter la chute de Fortis. Les placements « toxiques » ont fait le reste. Sans oublier les fines manœuvres de Wouter Bos, le ministre des Finances néerlandais, qui a su exploiter habilement les rivalités aveugles des dirigeants belges et que que le « Standaard » résume ainsi : « Il a déstabilisé la banque en déclarant qu’il y aurait eu des problèmes comptables non-connus au moment de l’approbation de la reprise d’ABN Amro. Ceci a déchaîné un véritable raid sur la banque : aux Pays Bas les clients se sont mis à retirer massivement leur argent de chez Fortis. Le problème de liquidité créé de cette manière a permis à Bos de récupérer les actifs néerlandais de Fortis à très bon prix. Pour donner le coup de grâce, Bos déclara encore que les activités ‘empoisonnées’ étaient toutes retenues en Belgique. » En résumé : Lippens s’est fait avoir comme un débutant.
Peau de banane
En Belgique, des centaines de milliers de particuliers avaient acheté l’action Fortis pour son statut de valeur de bon père de famille, réputée stable. Rassurés par la nationalisation partielle annoncée le week-end, ils ont largement déchanté en apprenant, lundi matin, que l’Etat s’était débarrassé de cet encombrant fardeau en le « refilant » à BNP Paribas, qui rôdait depuis plusieurs jours autour de la dépouille. Certainement pas dans la perspective de la racheter au prix fort ! Aujourd’hui, ces petits porteurs dépouillés écoutent avec incrédulité MM. Leterme et Reynders annoncer, à longueur de journaux télévisés, qu’ils hériteraient le moment venu (mais quand ?) d’une part (indéterminée) des bénéfices (potentiels) à attendre de la prise de participation de l’Etat au capital de BNP Paribas. Une promesse qualifiée de « floue, inchiffrable ». On doute que cela suffise à calmer la colère des actionnaires. D’autant que Dexia, malgré l’arrivée « rassurante » de Jean-Luc Dehaene, continue de dégringoler en parfaite symphonie avec l’ensemble des banques européennes, et rien ne dit qu’à l’arrivée, BNP Paribas ne glissera pas à son tour sur une peau de banane… La boucle serait bouclée !
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