La musique a le blues
Paradoxalement, dans une société où la musique n’a jamais été aussi importante, les artistes vivent difficilement de leur métier. Les ventes de disques sont en chute libre et tous ne peuvent pas assurer leurs revenus par les concerts et les produits dérivés. Entre les prix trop élevés exercés par les majors et les mesures juridiques inefficaces contre le téléchargement, quel avenir peut-on imaginer pour les artistes ? Cette question se pose, d’autant plus que la concurrence dans ce domaine n’a jamais été aussi rude entre artistes connus et reconnus, les jeunes talents, ceux qui tentent leur chance par tous les moyens et les « machines à profits ».
On le sait, l’industrie de la musique est en crise depuis l’apparition de nouvelles technologies remettant complètement en cause les modes de distribution traditionnelle des majors (Universal, Sony, Emi, Warner). Baladeurs mp3, sites d’écoutes en ligne, téléchargements sur internet ont remplacé le mode d’écoute traditionnel des années 1990 : le disque compact. Désormais très facile d’accès, la musique est devenue un produit plus abordable et d’une certaine manière « jetable ». Si un grand mélomane qui avait les moyens, pouvait posséder une collection de centaines, voir de milliers de disques il y a quelques années, tout le monde trouvait cela exceptionnel. Aujourd’hui, la même chose serait considérée comme banal, la numérisation et l’augmentation des capacités de stockage ayant rendue l’accumulation de musique tout à fait accessible. Il suffit pour cela de quelques copier-coller. Chacun est libre ensuite, de faire de la place quand il en a besoin en supprimant quelques fichiers inécoutés…
Comme si cela ne suffisait pas, le téléchargement illégal s’est transformé, grâce à la généralisation de l’accès à internet en haut débit, en « major’s killer”. Il n’a jamais été aussi facile en effet, de se procurer des fichiers musicaux illégalement via les nombreux logiciels de peer-to-peer (parmi lesquels Napster fait figure de précurseur) ou de torrent. Malheureusement, pour l’instant, ce n’est pas l’adoption de la loi HADOPI (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet) qui empêchera ce fléau d’agir à l’image du bug survenu le 12 janvier 2011. On apprend dans Le Monde du 14 janvier que l’organisation a reconnu « l'existence de bugs et d'un manque de moyens dans sa mission de lutte contre le téléchargement illégal d'œuvres ». Concrètement, cela signifie qu’elle n’est pas en mesure de traiter toutes les adresses IP que les FAI lui fournissent. De plus, parmi toutes les données envoyées, seule une partie est réellement vérifiée et fait l’objet d’un rappel à la loi par email chez les intéressés.
Face à la tentative ratée de créer de nouvelles législations protégeant l’artiste, ses revenus et par conséquent, les royalties des majors de la musique, ces derniers tentent de s’organiser. En 2000, Sony devient le premier major à lancer sa plateforme de téléchargement légale de musique en ligne. Il est suivit rapidement par Universal. Toutefois, c’est la plateforme iTunes ouverte par Apple en 2003 qui fera connaître réellement ce modèle. Les prix exercés par ce moyen sont cependant restés très élevés (approximativement 1€ pour un titre). Aujourd’hui un album revient donc aussi cher en magasins qu’en ligne sauf que dans ce dernier cas, vous n’avez pas le droit à l’objet. L’achat légal de musique en ligne, malgré tout l’espoir que lui portaient les majors, n’a donc pas su convaincre. A part certaines personnes à l’éthique irréprochable et malgré l’envie de faire un geste pour l’artiste, le choix est vite fait entre se procurer un album à 20€ ou gratuitement. Avec ce système, les majors ont probablement réglé le problème du déplacement mais cette contrainte semble d’une importance mineure à côté de celle du prix.
Pour faire face à la chute inexorable des ventes de musique, l’Etat à mis en place un nouveau dispositif en octobre 2010 : une carte musique prépayée destinée aux jeunes de 12 à 25 ans. Le principe est simple. L’internaute choisit sur le site www.carte-musique.gouv.fr, une carte de x euros qui lui donnera le droit d’acheter l’équivalent en musique de deux fois le montant de sa carte. Selon les chiffres du ministère de la culture, 50000 cartes se seraient écoulées avant la fin du mois d’octobre. Cependant, les chiffres de fréquentation du site web cité ci-dessus, analysés par pcimpact.com, semblent assez faibles comparés aux ventes annoncées. D’autre part, si cette offre montre une certaine volonté de rendre la musique légale plus accessible, les prix ne sont que divisés par deux et restent élevés. Des critiques sont aussi apparues pour dénoncer une mesure inefficace financée par le contribuable. Enfin, cette carte, qui était censée servir de « contrepoids » à la loi HADOPI, reste particulièrement ciblée. Ce second échec montre que l’abaissement des coûts n’est pas suffisant pour attirer le consommateur.
D’autres entreprises se sont alors penchées sur ce problème afin d’y trouver une solution. C’est ainsi que sont nés les sites de financement communautaire. Le plus connu, et l’un des pionniers dans le domaine musical s’appelle My Major Company. Ce système a déjà permis à deux artistes de lancer leur carrière (Grégoire, Joyce Jonathan). Crée en 2007, le site avait pour objectif de donner une chance à n’importe quel artiste s’inscrivant sur le site. D’un côté un musicien s’inscrit sur le site, y dépose ses chansons, photos, vidéos, etc. De l’autre, les producteurs, des internautes, décident ou non de miser, de donner une somme d’argent à l’artiste. Lorsque que ce dernier obtient une certaine somme d’argent, le site prend alors en charge l’enregistrement d’un album, la promotion, les concerts… Quand l’artiste est vendeur, les producteurs chanceux pourront rentabiliser leur investissement grâce à la redistribution des revenus.
Si cette méthode ne règle en rien la contrainte du coût de la musique, elle permet au moins au futur consommateur de s’impliquer, concrètement, dans un projet qui lui tient à cœur. De plus, les producteurs qui auront envie que leur investissement rapporte, feront marcher le bouche à oreille. L’artiste produit par le « label communautaire » bénéficiera de son côté, non seulement d’une aide financière, mais aussi bien sûr, d’un soutient populaire. Le financement communautaire appliqué au domaine musical présente donc un avantage majeur par rapport aux majors. En effet, les musiciens produits à coup de millions d’euros (campagne de publicité, marketing…) bénéficient souvent d’une mauvaise image. Ils peuvent être perçus par la population comme des maillons d’un processus commercial bien huilé. Face à cela, les artistes issus des « labels communautaires » profitent de la légitimité acquis au fil du temps auprès des internautes. Enfin, quelqu’un qui a investit et suivit une personne sera plus enclins à lui acheter son album à sa sortie. Par conséquent, les ventes de disques pourraient augmenter (Grégoire en aurait vendu près de 800000 à ce jour).
Aussi attrayante qu’elle puisse paraître, cette offre semble toutefois montrer quelques limites. Premièrement, sur les centaines d’artistes qui choisissent cette voie pour se faire connaître, seuls quelques uns parviennent à récolter la somme nécessaire à la production d’un album. En effet, dans ce système, l’artiste est dépendant de la générosité et du porte monnaie de l’internaute. Les sommes maximales par personne étant souvent limitées, cela prend du temps d’accumuler l’argent requis. De plus, même si le placement à effectuer est moins élevé que pour d’autres secteurs où le financement communautaire existe (lancement de nouvelles entreprises), le risque reste tout de même élevé de perdre sa mise. A titre d’exemple, sur la trentaine d’artistes produit sur My Major Company, seulement deux se sont révélés très rentables. Si l’on admet, simple suggestion, qu’une grande partie des internautes intéressés par le concept ne mise qu’une seule fois ou, dans tous les cas, ne remise pas lorsqu’ils ont subit une perte. En admettant ensuite, de manière tout aussi subjective, que ceux qui, en misant beaucoup sur un artiste qui a eu du succès, ne mise plus ensuite parce qu’ils sont satisfaits de leurs gains. Enfin, si l’on considère que l’effet de nouveauté et le rêve de miser sur un artiste aussi profitable que Grégoire n’a plus autant d’effet qu’auparavant, il est difficilement imaginable que ce procédé puisse sauver l’artiste et les majors. Il semble tout aussi incohérent de penser que tous les artistes pourraient se financer de la sorte d’autant. En effet, ce procédé entraine mécanique l’augmentation de la concurrence et l’éparpillement des ressources.
La solution pourrait venir d’un concept simple mais efficace. Beezik en 2009, a été le premier site en France à l’utiliser. Il s’agissait de rendre le téléchargement de la musique entièrement gratuit et légal grâce à la publicité. L’idée parait tellement bonne (« révolutionnaire » selon Beezik.com) que l’on se demande pourquoi personne ne l’a appliqué avant. Par le visionnage d’une publicité vidéo, vous obtenez le droit de télécharger un morceau et vous reversez indirectement un revenu à l’artiste. La solution miraculeuse serait donc à chercher du côté du financement publicitaire. Reste que ce mode d’achat de musique présente encore quelques contraintes même si elles restent mineures. En effet, les fichiers téléchargés via ce site restent partiellement bloqués. Ils sont dotés de Digital Right Management (DRM) qui limitent les copies, les moyens de transferts (obligation d’utiliser le lecteur Windows Media) et bien sûr, la publicité reste présente, d’une manière ou d’une autre sur le titre…
Toutefois, le financement grâce à la publicité présente l’immense avantage de supprimer la cause principale du téléchargement illégal : le prix. A ce titre, cette solution semble la plus crédible pour relancer les « ventes » de musique. Elle n’en est qu’à ses débuts et mérite d’être encore améliorée par la suppression des limitation évoquées ci-dessus. Quelques questions restent tout de même en suspend. Quand est-ce que les majors, principaux acteurs de la vente de musique, accepteront de mettre ce système en place ? Est-ce qu’il s’avérerait aussi rentable et intéressant pour les publicitaires si tout le monde s’y mettait ? Une première limite vient alors porter une ombre au tableau : comment exiger des publicitaires assez d’argent pour que les sommes récoltées soient suffisantes si la concurrence pousse, au contraire, les prix vers le bas ?
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