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Accueil du site > Actualités > Economie > Le marché libre est-il le meilleur système possible ?

Le marché libre est-il le meilleur système possible ?

Dans un article précédent, nous montrions en quoi le marché ne pouvait pas garantir une efficience morale absolue. Dans la mesure où il admet des hypothèses anthropologiques fallacieuses, il rendait évident le jeu à somme nulle entre les acteurs. Dans cette mesure, est-il le meilleur système possible ?

C’est l’homo economicus qui est critiqué ici, qui est remis en question. Cette version de l’Homme ne reconnait que les facteurs maximisateurs et égoïstes, il suppose des individus ne se réalisant qu’à travers l’échange optimum et mercantile, sous la seule contrainte du budget. L’économiste Amartya Sen propose donc une nouvelle anthropologie de l’économie de marché avec le concept d’homo moralis.

 

LES CONSIDÉRATIONS DE L’ULTRA-LIBÉRALISME SONT-ELLES ACCEPTABLES ?

Or, des deux côtés, ce n’est pas le marché qui est critiqué, ce sont les hypothèses initiales posées et ce qu’en ont fait les agents. Les tenants d’une économie de marché sont persuadés que l’ordre spontané se réalisera par le « laissez-faire », que l’Etat n’a qu’un rôle de législateur, celui garantir les contrats et protéger les échanges, et que finalement l’homo economicus est dans la nature de chaque individu. Alors que les thèses expérimentales ont prouvé l’inverse, l’Homme a besoin d’autrui pour exister, c’est un être social.

Qu’est-ce qui fonde alors les échanges ? Qu’est-ce qui pousse les agents à échanger et à former des relations si ce n’est le marché ? S’opposer à ce système revient à nier le caractère grégaire des individus, revient à refuser la notion de société. Nous vivons en harmonie mutuelle à travers les échanges et les relations que nous construisons sur un marché, qu’il y ait ou pas d’intermédiaire monétaire.

L’économiste Bertrand Lemennicier dit même que, critiquant les anarchistes de gauche qui s’opposent à la main mise de l’Etat bourgeois, un monde sans marché empêche la formation d’un ordre social. « [Les anarchistes] sont pris dans un paradoxe, car ils désirent lutter simultanément contre le capitalisme et contre l’État. Mais dans un monde sans État, ils ne peuvent empêcher le développement des droits de propriété privés ni la liberté contractuelle de fonder l’ordre social. ».

 

QUEL SYSTÈME FAUT-IL CRITIQUER ?

Ce n’est pas le marché qui est mauvais mais la contrainte libérale qui impose la concurrence déloyale entre les individus, la construction légitime des inégalités et de la hiérarchie économique. Par exemple, le libéralisme à la Walras soutient le laissez-faire mercantile tant que les dotations initiales garantissent une uniformité entre les agents, personne ne naît avec un handicap ou un pouvoir sur les autres. L’ordre spontané dépendra ici d’un choix non-contraint.

 

L’ALTERNATIVE ÉCONOMIQUE

On en vient donc aux thèses d’Amartya Sen et notamment celles des « capabilités ». Défendant le marché comme le meilleur moyen possible pour favoriser les échanges et l’harmonie sociale, l’économiste Indien montre néanmoins que l’idée du libéralisme est astreinte aux capacités de l’agent à agir comme il le souhaite. Il souhaite réussir à l’école or il n’a pas accès à des bibliothèques libres et gratuites, il veut obtenir un poste à responsabilité or il ne parle pas l’anglais, il aspire à partir en vacances mais il n’existe pas d’infrastructure de transport, etc.

Sen définit les capabilités comme des libertés réelles, par opposition aux libertés formelles, garanties par la seule possession de ressources. Dans un marché contraint par la construction sociale, les individus ne sont pas libres réellement. Bien qu’officiellement, formellement, on pose comme un droit absolu la liberté d’action, elle n’est pas réelle mais conditionnée par les ressources et les dotations.

Ainsi, on ne peut pas considérer un pauvre comme responsable de son échec s’il n’a aucun moyen de disposer des ressources et des conditions nécessaires à sa prospérité économique. Tout comme un chômeur qui ne peut pas être blâmé pour son inactivité si les conditions adéquates pour retrouver un emploi ne lui sont pas données.

Le marché doit alors construire l’ordre spontané en garantissant au préalable les capabilités des agents, les échanges ne doivent pas être contraints par les dotations économiques mais garantir une liberté réelle. S’il y a des pauvres et des riches, s’il y a des inégalités, ce n’est pas le fruit du marché mais de la contrainte initiale, de la construction sociale qui réduit les capacités d’action des individus. Un riche ne réussit pas parce qu’il s’est naturellement donné les moyens mais parce qu’il a été conditionné pour réussir, matériellement ou culturellement. Un pauvre ne l’est que parce qu’il a subi de plein fouet l’inégale répartition des ressources.

 

QUEL RÔLE DE L’ÉTAT ?

Dans ce sens, l’action publique est appelée à garantir cette liberté réelle, à assurer la capacité d’action qui permet à chacun d’être l’acteur de sa vie professionnelle et des autres dimensions de son existence. Les pouvoirs publics seront donc chargés de garantir à la fois un bien-être minimal et une égalité stricte entre les différents membres de la collectivité. Le marché devient le centre régulationniste des échanges et l’Etat un correcteur en retrait. C’est le seul moyen pour, à la fois, garantir l’efficience morale et la soutenabilité régulationniste. En tout cas pour Amartya Sen et ses partisans.

 

UNE VISION SUBJECTIVE, UNE PENSÉE PARTICULIÈRE

N’oublions pas que l’économie est idéologique et n’est pas une science exacte, personne n’a raison et personne n’a tort. Notre identité culturelle nous empêche de démontrer la thèse du marché comme meilleur système possible, cela supposerait de faire table rase du passé et de réformer entièrement les institutions du pays. De plus, l’expérience devrait être tentée avec des individus vierges de toute considération sociétale, des êtres désocialisés. Postulat bien compliqué …

 

Pierre Rondeau


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11 réactions à cet article    


  • howahkan Hotah 1er mars 2014 12:36

    Vous attendez quoi de « bon » exactement que de la compétition qui est en fait une élimination pour l’appât du gain personnel..à part le pire qui se renouvelle sans arrêt ?
    va peut être falloir grandir non ? 
    certes on a des machines et alors ?? l’univers physique n’en n’a aucunes de nos fameuses machines et pourtant il est là....

    décidément  smiley


    • Androm60 Androm60 1er mars 2014 14:02

      Bonjour et merci pour votre excellent texte mais n’est-ce pas la finalité de l’économie capitaliste qui est condamnable et non l’’économie de marché ? N’est-ce pas l’appat du gain qui dénature cette économie et non pas le service que se rende les acteurs ? Désolé pour cette amateurisme mais cette course à la richesse matérielle m’incite à me poser plus de questions qu’autrefois où la fatalité dictait ma modeste existence...


      • Francis, agnotologue JL 1er mars 2014 15:44

        Seuls les esprits binaires sont dans l’ornière.

        C’est pourtant simple : Le marché est le moteur, l’État régulateur est le conducteur. Le Marché sans l’État et comme un cheval sans cavalier.

        Aujourd’hui le libre échange mondialisé, l’impérialisme mercantile - un oxymore seulement pour certains - est comme Attila qui ravage tous sur son passage.

        La décadence est l’envers de la croissance néolibérale : Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, a dit Salomon. Dans nos sociétés, la conscience c’est la démocratie ; dans le capitalisme, la science c’est le profit. L’ultralibéralisme c’est quand le pognon peut corrompre les élus et les grands médias : la démocratie y est en état de catalepsie. L’ultralibéralisme est en train d’engendrer des monstres


        • zygzornifle zygzornifle 1er mars 2014 16:55

          Il faudrait éloigner les politiques de ce marché afin qu’il ne soit pas pillé ....


          • Tzecoatl Claude Simon 1er mars 2014 19:35

            Remplacer le marché ? Non, sincèrement, je ne vois pas. Quelqu’un a une idée ?


            Mais effectivement, celui qui ne respecte pas les règles du jeu s’enrichit plus vite que les autres (la Chine dont la monnaie est sous-évaluée par ex).
            Qui a dit qu’en économie les mauvaises pratiques chassaient les bonnes ?
            Dès lors, il y a antagonisme entre l’homo-economicus et l’homo-moralis.



            • antyreac 1er mars 2014 19:46

              Ce serait plutôt celui qui connait les règles du marché qui peut le manier à sa guise comme c’est le cas de la Chine capitaliste communiste.


            • G.L. Geoffroy Laville 2 mars 2014 00:27

              Il faut réformer le Capitalisme, le démocratiser et le socialiser. Le Capitalisme que ça vous déplaise est un système économique lié à une société libre et démocratique.

              Je suis d’accord que le rôle de l’Etat est donner à chacun, plus particulièrement aux plus faibles les moyens de « rentrer dans le jeu ». Son rôle est la protection de tous, la garantie de la liberté pour tous et non un interventionnisme débilisant et maternaliste.

              J’ajouterais que l’Etat faillit à ce rôle depuis des décennies à cause de ces liens endogamiques avec l’aristocratie économique. Cette dernière recherche bien entendu à contrôler le système économique et financier et ne veux pas partager. C’est du Capitalisme Concentrationnaire.

              La Société est d’avantage exposé par la faute de socialistes démocrates incompétents au Néo-Libéralisme (l’élite politico-économique) qu’à un Libéralisme Social et démocratique salvateur.


              • claude-michel claude-michel 2 mars 2014 08:28

                Le monde est dirigé par « Oncle Picsou »...qui veut toujours remplir de plus d’argent son énorme coffre... !

                L’humanité n’est pas assez intelligente pour trouver un équilibre...La preuve tous les pays ont des dettes astronomiques...et les peuples regardent passer les trains comme les vaches sans réagir.. !

                • vesjem vesjem 2 mars 2014 10:21

                  La machine et les « petites mains pas chères » vont naturellement progressivement ruiner nos pays sans aucun recours ;
                  Les bas de laine des capitalistes sont si extensibles qu’ils absorbent de plus en plus les dividendes des entreprises (financières ou manufacturière) ;
                  Il est temps de réfléchir pour inventer un truc qui remplacera le travail physique (et même intellectuel) pour occuper et rémunérer les gens en l’absence de travail ; en effet , à terme , la quasi-totalité des tâches sera accomplie par des robots 


                  • Robert GIL ROBERT GIL 3 mars 2014 10:42

                    voici un petit recapitulatif des origines du marché libre...

                    voir : LA DOCTRINE FRIEDMAN


                    • lsga lsga 3 mars 2014 14:33

                      Rappelons ici que la plupart des travaux en économie expérimentale ont contredit les fondamentaux de l’économie classique (dite « libréalisme »).

                       
                      Rationalité des agents, volonté de maximiser son intérêt, etc. etc. : tout ça ne résiste pas à de simples expériences de labo.
                       

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