Le ministre de la culture menacé par un jet de tomates...
Notre ministre de la culture RDDV, qui a l’air gentil (voire charmant) a dû quitter le Festival d’Avignon hier soir, menacé qu’il était par des tomates brandies par quelques centaines d’intermittents du spectacle.
Les manifestants emmenés par la CGT-spectacle indiquaient que le ministre n’a pas tenu ses engagements et que la situation des intermittents, qui aurait dû être réglée au 1er janvier, ne l’était pas : pour une fois, je dois avouer être d’accord avec eux...
Notre charmant ministre n’a rien réglé, n’a rien proposé qui règle le problème et lèguera à son successeur une situation tout aussi désastreuse.
A moi aussi de brandir une tomate, même si la mienne est un peu moins "rouge" que celles de la CGT !
Tout ou presque a été écrit ou dit sur le régime des intermittents, mais il est peut-être utile de rappeler les principaux éléments et faits associés :
- ce régime a été fondé en 1936 et a trouvé sa pérennisation dans 2 annexes à la convention d’assurance chomâge : en 1965, pour les techniciens et ouvriers du secteur audiovisuel (annexe 8) et en 1968, pour les artistes, ouvriers et techniciens du spectacle vivant (annexe 10). Aucune réforme sérieuse de tout cela n’a eu lieu depuis...
- ce régime connaît un déficit endémique (plus de 900 millions d’euros en 2004) avec un rapport entre cotisations et dépenses qui est vertigineux (476% de déficit en 2004 !). Ce déficit est aujourd’hui porté principalement par les 15 millions de salariés du secteur privé qui cotisent à l’UNEDIC (environ 60 euros par an et par salarié - soit quelques places de cinéma ou de spectacle dont ils ne profitent pas !) et les efforts de notre ministre n’ont consisté quasiment qu’en la création de fonds "permanent de professionnalisation et de solidarité" de l’ordre d’une centaine de millions d’euros financés par l’Etat donc par l’ensemble des contribuables...
- ce régime couvre environ 100 000 personnes (dans une industrie qui en emploie environ 300 000 personnes soit à peu près le même poids économique que l’industrie automobile) dont environ 40 000 pour lesquelles les indemnités "chômage" pèsent plus de 50% de leurs revenus annuels. Il y a sans doute sur-effectif dans le secteur...
- ce régime a été largement détourné par les entreprises du secteur audiovisuel (notamment Radio France, plus gros employeur de comédiens en France), plus anedoctiquement par le comité d’entreprise d’EDF (fief de la CGT et gros organisateur de spectacles) et surtout par leurs sous-traitants, suivant un système de fraude bien huilé par lequel l’employeur ne paie que les charges sociales de façon à permettre à l’intermittent d’avoir officiellement son "quota" d’heures travaillées et de toucher ses indemnités !
- ce régime est parfaitement inégalitaire puisque, si l’on compare le régime général à celui des intermittents, il faut travailler au moins 12 mois pour être indemnisé 14 mois pour un salarié "classique" alors que 10 mois suffisent pour être indemnisé pendant 24 mois pour un intermittent (calcul fait sur une période de 5 ans).
- ce régime est une "usine à gaz" que je n’ai pas le courage de vous décrire : je vous invite juste à visiter le site de notre cher (au sens propre et figuré) ministère de la culture et notamment les édifiants exemples de "situations concrètes" qui y sont présentés.
- ce régime comporte enfin une "perle" : Si l’intermittent n’atteint pas 507 heures de travail dans son métier, les heures effectuées dans d’autres activités pourront se cumuler et ouvrir droit au régime général d’indemnisation (cas de perte du statut d’intermittent)" qui explique à la fois l’attachement à ce statut et la très faible motivation qu’il peut y avoir pour ces intermittents à accepter d’autres "jobs" déclarés à côté...
Tout ceci me rappelle la blague habituelle faite à Los Angeles à quelqu’un qui déclare : "Je travaille dans le cinéma" et à qui son interlocuteur répond : "Ah oui ! dans quel restaurant ?".
Le grand paradoxe de tout cela réside, en fait, dans la création d’une hyper-flexibilité du travail dans un secteur où les employeurs en ont abusé alors que l’on refuse, par ailleurs, traditionnellement, toute forme de flexibilité (ou de compétivité accrue, cf. précédent "post" Service non compris).
Si le statut d’intermittent du spectacle était tout simplement celui des intérimaires (comme cela a été fait en Belgique où les agences de travail temporaire jouent un rôle d’administrateur/"purificateur" du système), si les électriciens du spectacle en manque d’activité complétaient leur activité "culturelle" par des "interims légaux" au sein des entreprises du bâtiment qui cherchent désespérément de la main-d’oeuvre, si les actrices, chanteuses ou danseuses en herbe faisaient de même dans la restauration, le tourisme ou l’hôtellerie...
Bref, si simplifier, responsabiliser et réformer était le pain quotidien du sieur de Vabres, la fameuse "culture française" n’en souffrirait pas et son "exception" serait bien moins coûteuse... Tout ceci mérite bien quelques tomates !
A propos de tomates, je vais m’en prendre quelques-unes au travers des commentaires des lecteurs de ce billet : c’est vrai que toucher à la sacro-sainte "culture" et vouloir, voire oser, l’assimiler avec le "monde réel" est un vrai tabou...
Je me consolerai avec le philosophe chinois Lao-tseu qui écrivait :
Plus règnent tabous et défenses, et plus le peuple s’appauvrit.
Plus abonde l’intelligence, et plus elle produit d’étranges fruits.
35 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON