Quatre petits cochons dans une bulle
Vérité en deçà de la Manche, erreur au delà…
The Daily Telegraph :
Staying out of the euro has spared us a Spanish-style catastrophe
Inutile de multiplier les exemples : pour les économistes britanniques, la chute de la Livre par rapport à l’Euro est une bouffée d’oxygène, elle relance les exportations, et réduit le risque de déflation. Dans la classe politique, personne non plus ne parle de rejoindre l’Euro. En Grande-Bretagne, les taux de change fixe évoquent de mauvais souvenirs, que ce soit le Gold Standard entre les deux Guerres ou, plus récemment, le Système Monétaire Européen, que Margaret Thatcher s’était laissée convaincre de rejoindre en 1990. Dans les deux cas, asphyxié par la crise, le Gouvernement avait fini par revenir au change flottant, en 1931 et 1992 respectivement, permettant à l’économie britannique de respirer de nouveau. C’est ainsi que la Grande-Bretagne se vit épargner le pire de la crise des années 30, évitant notamment l’apparition d’un mouvement fasciste de masse. Et en 1992, libérée d’un taux de change devenu trop élevé, elle entame le cycle de croissance le plus long de son histoire (désormais bien fini, hélas).
Comme un ouragan (Stéphanie de Monaco)
Mais, me direz-vous, l’Euro ne nous a-t-il pas épargné de terribles tempêtes ? Le Monde le dit bien : "Si la politique de la Banque centrale européenne peut être critiquée, nul doute que l’euro nous a protégés ces derniers mois (…)”. Ah, puisque nul ne doute… Et au fait, de quoi nous a-t-il protégés ? Poursuivons : “(…) évitant à de nombreux pays, dont la France, d’inquiétantes dévaluations." Le mot est lâché : dévaluation ! Votre sang se glace-t-il d’effoi ? Ah bon, pas vraiment ? Effectivement, un petit rappel de bon sens s’impose :
Perdre son logement : traumatisant
Voir sa monnaie nationale dévaluée : agaçant, pour ceux qui souhaitaient passer des vacances a l’étranger.
Le meilleur moyen de détruire le capitalisme, c’est de s’attaquer à la monnaie (Lénine, cité par Keynes)
Et c’est bel et bien ce choix qui s’impose aux Espagnols. Membres de la zone Euro, ils ne subissent pas de dévaluation par rapport aux autres pays européens. Hourra ! Par contre, ils comptent 1 million de chômeurs de plus en un an, dont 140 000 pour le seul mois de décembre, et l’industrie est à l’agonie. Dans ce “PIGS” que l’on citait il y a un an encore comme modèle, l’Euro avait entraîné une baisse spectaculaire des taux d’intérêt : l’Espagne en plein boom adoptait une politique monétaire conçue pour dynamiser une économie allemande amorphe, les taux d’intérêt devenant même, entre 2002 et 2006, inférieurs à l’inflation.
Arriva ce qui devait arriver : les Espagnols se mirent à emprunter tant et plus (pourquoi se priver, quand on rembourse en monnaie de singe !), saisis d’un vertige immobilier. Le feu couvait, la BCE (Banque Centrale Européenne) a jeté un baril de pétrole dessus, puis un deuxième, puis un troisième... On a construit depuis le début de la décennie plus de logements en Espagne qu’en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne réunies. Désastre écologique d’abord (côtes ravagées par les constructions sauvages), économique ensuite. Et malgré cette offre surabondante, malgré ces centaines de milliers de logements vides, leur prix explosait, telle était la frénésie immobilière. Jusqu’à ce que, brutalement, la fête se termine : gueule de bois, les Espagnols sont endettés jusqu’au cou, le déficit de leur balance des paiements est colossal, et ils ne peuvent pas recourir à la dévaluation de leur monnaie pour sortir de ce cauchemar. 13,5% de chômeurs aujourd’hui, probablement 20% en fin d’année. Un succès, vraiment ? La politique monétaire unique, appliquée à des pays qui ne constituent pas une “zone monétaire optimale”, a mené l’Espagne au désastre.
-les marchés anticipent un risque de défaut de paiement de l’Etat grec
-les marchés anticipent un risque de sortie de la Grèce de la zone Euro.
A moins que ce ne soient les deux… Les agences de notation commencent elles aussi a sonner le tocsin : ainsi Standard & Poors vient-elle d’annoncer qu’elle allait revoir la notation AAA qu’elle avait attribue aux Etats grec, irlandais et espagnol. En clair : Standard & Poors considère désormais qu’il existe un risque significatif de défaut de paiement de ces Etats.
Les anticipations des marchés peuvent très vite devenir auto-réalisatrices : les investisseurs perdant confiance dans les emprunts grecs/espagnols/irlandais, ces Etats doivent payer des taux d’intérêt de plus en plus élevés pour emprunter, ce qui rend le fardeau de leur dette insupportable, ce qui réduit encore la confiance que les investisseurs leur accordent… Le petit cochon se mord la queue. Bientôt, il n’y a plus d’alternative : il faut sortir de l’Euro. Une fois que cela est arrivé à l’un des Etats (la Grèce est en pole position), la brèche est ouverte pour les suivants. On n’en est pas encore là, mais le scénario devient chaque jour plus plausible.
Ils ont des yeux pour voir et ils ne voient pas. Ils ont des oreilles et ils n’entendent pas (Evangile selon Saint Matthieu)
Les signes sont donc là, de plus en plus insistants, encore faut-il accepter de les voir. Or la représentation téléologique du devenir européen est tellement enracinée dans le discours dominant qu’un échec de son incarnation la plus concrète à ce jour, l’Euro, est inadmissible. Parmi les dogmes partagés qui définissent le “Cercle de la Raison” cher a Alain Minc, il y a, avant tout, l’Europe. Refuser d’y faire allégeance, c’est se condamner à errer dans le neuvième cercle de l’Enfer, le plus terrible de tous, celui que Dante réservait aux traîtres. Loin du cercle enchanté, celui des initiés du Sens de l’Histoire.
Mais si ce n’était pas dans l’Histoire avec un grand “H” qu’il fallait chercher des augures ? Qui peut mieux nous éclairer sur le sort de nos quatre malheureux PIGS, sinon l’histoire des trois petits cochons ? L’Euro sera-t-il une maison de paille, qui s’envole au premier souffle du loup, ou une maison de briques, qui résiste à la tempête ?...
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