« Travailler plus » cela se précise, quant à « gagner plus » rien n’est moins sûr !
L’Europe vient d’envisager de permettre à tout un chacun de négocier de gré à gré avec son employeur jusqu’à 65 heures de travail hebdomadaire ce qui ouvre avec la modulation la possibilité de travailler jusqu’à 78 heures par semaine et la délégation française ne s’est pas opposée à ce texte.*
La véritable question qui est de savoir comment ces heures travaillées seront payées n’a pas été abordée au niveau européen et fait l’objet de nouvelles interrogations en France.
La récente polémique sur une réduction envisagée de plus de moitié de la bonification salariale des heures supplémentaires (+10 % au lieu de +25 %) est tout à fait révélatrice de l’enjeu des propositions gouvernementales sur l’augmentation du temps de travail (voir l’article du JDD).
Ce n’est en effet pas la durée temps de travail déjà considérablement « assouplie » qui est en cause, mais la corrélation entre-temps de travail et rémunération payée.
L’enjeu est d’autant moins le dépassement des 35 heures de travail hebdomadaire que, depuis l’origine, ces 35 heures de travail ont toujours pu et peuvent toujours être très largement dépassées, y compris au-delà du contingentement annuel avec l’autorisation de l’inspection du travail.
Les statistiques d’Eurostats en administrent la preuve incontestable puisque la moyenne de la durée hebdomadaire du temps de travail pour un temps plein s’établissait en France en 2007 à 41,1 heures.
En réalité, une large partie du salariat de notre pays est restée à 39 heures ouvrées par semaine payées actuellement 40 heures, mais pour combien de temps ?
Outre la baisse de la bonification salariale des heures supplémentaires précitée, les propositions gouvernementales permettront en effet l’organisation de la baisse de la rémunération horaire salariale par de nombreux autres biais.
Quels sont les travers du dispositif proposé par le gouvernement ?
Les partenaires sociaux souhaitaient qu’une augmentation négociée au niveau national du contingent d’heures supplémentaires intervienne uniquement pour les métiers où cela s’avérait nécessaire.
Dans la droite ligne de la proposition européenne que la France a acceptée, la proposition gouvernementale met chacun de nous individuellement face à son employeur sur la question du temps de travail et du salaire afférent sans contrôle.
Or, les partenaires sociaux ont toutes raisons d’être circonspects pour au moins trois raisons :
1) L’augmentation du pouvoir d’achat ne sera pas forcément au rendez-vous pour les salariés :
Le nouveau projet de loi permet d’amplifier ce que l’on appelle « la modulation » du temps de travail.
De la modulation tout le monde en fait sans le savoir : lorsque pour finir une tâche vous restez plus longtemps au travail et que le lendemain vous partez plus tôt pour « récupérer » le temps de travail supplémentaire de la veille, vous faites de la modulation et vous ne touchez pas un centime de salaire en plus.
Lors de la signature d’un certain nombre d’accords de Réduction du temps de travail, cette modulation a été contractualisée en semaines de haute activité et semaines de basse activité en fonction des commandes notamment dans l’industrie. Si la moyenne annuelle hebdomadaire de travail ne dépasse pas les 35 heures, les semaines de haute activité ne donnent lieu à aucune rémunération supplémentaire.
En augmentant le contingent d’heures supplémentaires, le gouvernement amplifie la modulation possible et vous pourrez parfaitement travailler des semaines de 48 heures* en n’étant payé que 35 heures si au terme de l’année vous ne dépassez pas la moyenne de 35 heures hebdomadaires.
Or, il y a toujours des frais liés ne serait-ce qu’à une demi-journée de travail hebdomadaire supplémentaire : des frais de transport domicile/travail, des frais de garde des enfants, éventuellement des frais de repas supplémentaire pris à l’extérieur, etc.
Le « travailler plus » obtenu par l’augmentation du contingent annuel d’heures supplémentaires se traduira dans ces conditions par une perte de pouvoir d’achat parce que la contrepartie financière :
- soit n’existera pas ;
- soit sera insuffisante pour faire face à ces dépenses ;
- surtout si la bonification des heures supplémentaires est limitée de plus de moitié ;
- ou si, comme cela est prévu par le texte gouvernemental, des accords d’entreprise peuvent la minorer.
C’est d’ailleurs déjà le cas : sous la contrainte de licenciements économiques certains accords RTT tendent à être remodulés à 40 heures de travail hebdomadaire en moyenne payées 35 heures. Il en est ainsi chez BOSCH VENISSIEUX par exemple.
Rappelons également que l’exécution d’heures supplémentaires à la demande de l’employeur, même si elle a des conséquences négatives sur leurs ressources financières, ne peut être actuellement refusée par les salariés sauf à risquer de perdre leur emploi.
La généralisation du contrat au forfait à tous les salariés (contrat antérieurement réservé aux cadres et itinérants) qui rémunère un « forfait » d’heures supplémentaires a fait l’objet d’un article critique détaillé et risque également d’aboutir à une minoration des rémunérations horaires. Pour de plus amples informations, je vous invite à vous y reporter.
Ces différents dispositifs convergent donc vers une baisse progressive et généralisée des salaires horaires et c’est pour cette raison que le gouvernement détruit l’accord des partenaires sociaux sur le sujet.
2) Le dispositif gouvernemental risque également d’aggraver la précarité.
Actuellement nombre d’entreprises sont à 39 heures de travail hebdomadaire. Ces 4 heures supplémentaires multipliées par le nombre de semaines ouvrées dans l’année, cela fait environ un mois de travail en plus pour les salariés à temps plein qui en sont bénéficiaires. Dès qu’un atelier ou un service comporte une douzaine de salariés aux fonctions identiques le mécanisme des heures supplémentaires écarte d’un emploi pérenne un salarié précaire dont les périodes de chômage pèsent pendant ce temps-là sur la collectivité et donc sur l’impôt.
Objectivement, dans les entreprises, le dispositif des heures supplémentaires est le degré « 0 » de la réflexion sur l’organisation du travail.
La possibilité ouverte de faire plus d’heures supplémentaires ne peut donc qu’avoir une influence négative sur l’accès au travail à temps plein des salariés actuellement à temps partiel non choisi.
3) Le dispositif gouvernemental risque d’aggraver le nombre de maladies professionnelles.
Ces heures supplémentaires multipliées risquent en outre d’augmenter le taux des maladies professionnelles notamment pour les métiers qui comportent des gestes répétitifs et elles seront par ce biais également particulièrement coûteuses pour la collectivité.
Les troubles musculo-squelettiques sont devenus au fil du temps une des principales causes de mise en inaptitude à leur poste de travail des salariés et les nouvelles dispositions prévoient la réduction voire la suppression des repos compensateurs ce qui aggravera les phénomènes « d’usure au travail ».
Cette intensification du rythme de travail est perceptible dans les résultats d’un sondage paru sur le site "prud’hommes".
995 réponses. Les heures sup améliorent-elles votre vie ?
[65,5 %] non
[15,5 %] ni oui, ni non
[13,5 %] oui
[5,3 %] je n’en veux pas
1 140 réponses. Vos conditions de travail vous semblent-elles :
[ 55,4 %] en détérioration ?
[22,2 %] mauvaises ?
[12,1 %] bonnes ?
[8,5 %] pas d’avis
Sans une prise de conscience des salariés et notamment lors du mouvement du 17 JUIN ce sera à n’en pas douter à terme le « TRAVAILLER BEAUCOUP PLUS pour GAGNER BEAUCOUP MOINS », mais aussi pour les métiers les plus pénibles « PERDRE SA VIE à LA GAGNER ».
REFERENCES :
* Dépêche AFP durée maximale actuelle du travail hebdomadaire autorisée en Europe qu’il est envisagé de porter à 65 heures.
** Réponse à un sondage sur le site "prud’homme" suite à la mise en œuvre de la loi TEPA.
1 043 réponses. Je n’ai pas gagné plus parce que les heures sup sont :
[48,4 %] jamais payées
[22,2 %] compensées en repos
[15,4 %] inexistantes
[8,5 %] rares
[3,9 %] je ne veux pas gagner plus
[1,4 %] mise sur un CET
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