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Vers un « redressement productif » d’Arianespace ? Ou une prise de risque inutile et stupide !

Stéphane Israel, Directeur de Cabinet d'Arnaud Montebourg, a été nommé PDG de la société européenne, devenue leader mondial des lanceurs (actuellement 60% du marché). Mais quelle expérience a-t-il donc du management des hommes ? Cela aurait-il été infamant pour lui d'être embauché à Arianespace, pour lui permettre d'apprendre le métier, puis de se hisser à sa direction ?

Une nomination politique ?

Fusée Ariane5 {JPEG}Oui, assurément. Par suite de désaccord entre le directeur de cabinet d'Arnaud Montebourg et son ministre, il fallait trouver un poste pour Stéphane Israel.

Mais est-ce là un véritable problème ? Les alternances politiques se sont généralement accompagnées du remplacement de nombre de dirigeants, à la tête d'organismes publics et parapublics.

Non, le problème est à la fois moins "politique" et plus grave. Il est symptomatique d'une propension très française à nommer des personnes brillantes, au niveau intellectuel, par exemple des énarques, à des postes de direction d'entreprises, alors qu'ils n'ont pas fait leurs preuves dans ce domaine.

Une habitude bien française à sous-estimer la difficulté du management...

Plus généralement, c'est aussi le signe d'une extrême difficulté des hommes politiques français à comprendre la réalité du management d'entreprise, et même de la direction de toutes sortes d'organismes... y compris de partis politiques !

Deux exemples récents, à droite et à gauche, ce qui montre que c'est un défaut très français, mais très partagé dans le monde politique, des deux côtés de l'hémicycle :
- Patrick Devedjan Secrétaire Général de l'UMP (entre le 25 septembre 2007 et le 5 décembre 2008), qui n'aura donc 'tenu' à ce poste qu'un peu plus d'un an
- Harlem Désir premier Secrétaire du PS, depuis octobre 2012, où le moins qu'on puisse dire est qu'il ne fait pas non plus l'unanimité.

Que les choses soient claires : les personnes citées ne sont pas en cause, il s'agit simplement de constater que les responsabilités de dirigeant ne s'improvisent pas. Dans le cas de Harlem Désir, le fait qu'il s'en soit bien sorti pendant une phase d'interim, et au cours d'une période très particulière (de la campagne présidentielle), ne suffit pas à confirmer ce talent très particulier, et plutôt très rare.

... et les exigences opérationnelles d'un poste de direction, et l'importance du travail en équipe


Le défaut, à gauche, réside dans la répugnance à considérer les qualités humaines, les compétences opérationnelles des individus, puisque la tendance naturelle consiste à considérer que l'histoire relève plus de succès collectifs que de la marque impulsée par des individus et notamment des chefs.

A droite, le défaut serait plutôt de privilégier le charisme, et le statut de "chef", sans tenir compte des exigences très opérationnelles d'un poste de direction ; ce qui est finalement le point commun entre ces tendances naturelles à gauche et à droite.

C'est finalement le défaut bien français à :
- envisager les choses d'un point de vue théorique, et non très pragmatique. Au fait, "connaissez-vous la différence entre la théorie et la pratique ?" Réponse : "en théorie, il n'y en a pas"  ;-)
- ne pas prendre en compte les différences entre par exemple être n°2 brillant et n°1 efficace et pertinent ; entre être excellent conseiller, même au plus haut niveau, et être Directeur Général d'une entreprise
- ne pas non plus prendre en compte la dimension des préférences au travail de chacun, ni l'importance décisive de la répartition des tâches, selon justement ces préférences, dans une équipe idéalement équilibrée. Voir par exemple
"Préférences de travail et travail en équipes (équilibrées)" et "Comment tirer parti du talent de ses collaborateurs... Une nouvelle approche de la performance : l'équipe".

"Une maladie bien française, susceptible de faire des ravages dans nos industries et nos entreprises"


Une fois n'est pas coutume, c'est du journal "Libération" que vient l'analyse la plus affutée sur cette question, très 'économique' et 'pragmatique'.

En voici quelques extraits ( Israël nommé PDG d'Arianespace, Libération, 18 avril 2013 ) :

"Devant chaque nomination de ce type, où la trajectoire de l'impétrant n'a pas de rapport avec une montée en puissance de compétences et de responsabilités dans une entreprise, la question se pose : s'agit-il de la bonne personne au bon endroit ? Le cas de Stéphane Israël est intéressant en ce qu'il relève d'une maladie bien française, susceptible de faire des ravages dans nos industries et nos entreprises."

"Il s'agit ... d'une tête bien remplie, rapide, formée... mais aussi formatée, typique de la haute fonction publique sélectionnée par concours à 20 ans de notre pays. Le problème, c'est la transformation du groupe des "premiers de la classe" en caste dont l'accès aux fonctions de direction ne passe pas par la vérification des capacités à exercer ce type de fonction, et celle précise pour laquelle ils sont nommés. Diriger Arianespace n'a rien à voir avec les activités auxquelles Stéphane Israël a été jusqu'alors confronté."

"1. La décision opérationnelle sur des systèmes techniques complexes, prise après échange avec les experts en charge des dits systèmes. ...

2. Ensuite, l'animation d'équipes et la nomination de responsables, premier travail d'un PDG. Ce travail suppose un haut niveau de capacité au travail collectif et au jugement des capacités des individus à exercer les fonctions auxquelles on les nomme. Les échecs spectaculaires dans ces deux domaines de personnalités présentées comme remarquables montrent le monde qui sépare les qualités qui vous font "premier de la classe", magistrat de la Cour des Comptes, contrôleur de gestion ou Dircab de ministre, de celles exigées par la direction d'une entreprise. ..

3. Enfin, la tenue d'une position délicate d'Arianespace dans le réseau de pouvoirs dont dépend l'industrie spatiale - Etats, désormais s'y ajoute la Commission Européenne, industriels fabricants et utilisateurs des lanceurs, Agences spatiales nationales et l'ESA, partenaires Russes. Arianespace n'est plus ce qu'elle était lorsque Frédéric d'Allest cumulait les fonctions de DG du Cnes et de PDG d'Arianespace (entre 1982 et 1989). Elle a ensuite été dirigée par des ingénieurs ayant une grande expérience de l'activité spatiale (Jean-Marie Luton, Charles Bigot), aussi bien opérationnelle que de son système industriel.

Par son expérience et sa longévité, mais aussi par l'arrivée de Yannick d'Escatha (...) qui a eu l'intelligence et l'honnêteté intellectuelle de prendre le temps nécessaire pour maîtriser les dossiers, Jean-Yves Le Gall avait donné à la fonction de PDG d'Arianespace une dimension supplémentaire, dont son poids dans la décision prise sur Ariane-6 lors du dernier conseil ministériel témoigne (lire cette note). Supposer que le nouveau PDG puisse se glisser dans ce costume d'emblée paraît ridicule."

"Cet épisode aurait pu être évité. Après tout, si S. Israël a vraiment une passion pour les activités spatiales, pourquoi ne pas l'embaucher à Arianespace, lui permettre d'apprendre le métier, puis se hisser à sa direction ?

En quoi cette démarche serait insultante pour lui ? En quoi serait-elle inefficace pour la société ?"

Oui, effectivement ! Voilà qui est bien résumé, voilà qui serait bien conforme à l'intérêt de toutes les parties !

Car la France et l'Europe pourraient-elle se payer le luxe de perdre stupidement des points dans un de leurs domaines d'excellence ? Le déficit du commerce extérieur de la France n'est-il déjà pas suffisamment énorme ?

De fâcheux précédents. Par exemple un autre énarque à la tête de BULL, en 1997.


Les exemples abondent, malheureusement. Prenons en un, relativement récent (pour une liste, voir l'article de l'Ifrap cité en note de bas de page) : rappelons-nous l'entreprise (publique) BULL, qui s'est longtemps distinguée par une gestion pour le moins chaotique.

La société revenait de loin. Après de nombreuses années avec de très lourdes pertes, c'est Jean-Marie Descarpentries (classé en 1989 par le magazine américain Fortune dans les « 25 chefs d'entreprise mondiaux les plus fascinants ») qui reprend les rennes en 1993, et redresse superbement (ou poursuit le redressement engagé avant lui) l'entreprise en quelques années.

Et en 1997 c'est Guy de Panafieu, lui aussi énarque [1], promotion Turgot (1966-1968), et inspecteur des finances qui prend la relève. Et sous sa direction c'est une longue série de revente d'actifs, pour essayer de gommer les énormes pertes de l'entreprise, évaluées en 2001 par le journal 'JDN Solution' à 253 millions d'euros.

"En l'espace de 5 ans, de 1997 à 2001, cet ancien inspecteur des finances va vendre plus de la moitié de l'entreprise Bull, alors fleuron de l'industrie informatique française. Devenu président-directeur général de Bull en 1997, Guy de Panafieu va démanteler l'entreprise, faute de recapitalisation.

A partir de décembre 1999, il commence par vendre la participation de la société dans Ingenico, puis les imprimantes et les automates bancaires. Du cash rentre dans les caisses de Bull. Mais cet afflux de capitaux n'est pas suffisant.

En 1999, Bull prend une provision de 272 millions d'euros pour supprimer sa part dans le capital du fabricant américain Zénith-Packart Bell. Cette opération ne suffit toujours pas à combler les déficits existants. Alors Guy de Panafieu va vendre successivement les différentes filiales de Bull : vente de l'usine Bull Electronics d'Angers en 2000, cessation de la filiale CP8, de la filiale irlandaise Cara, de la filiale indienne PSI Data Systems en 2001.

Fin 2001, Pierre Bonelli succède à Guy de Panafieu devenu quant à lui président de la commission internationale du Medef en 1998." [2]

Souhaitons simplement que ce dirigeant inexpérimenté en tant que tel ne sera pas tenté d'imprimer sa marque, par des décisions hasardeuses, au moment même où le secteur spatial européen fait face à une lourde mutation, vers Ariane 6, supposée coûter moins cher à l'exploitation (à horizon 2025), et temporairement vers Ariane 5 ME (Midlife Evolution), dès 2017. Voir par exemple : "Ariane 5 ME ou Ariane 6 ? Plus de concurrence en tout cas" et : "Ariane 5, ses succès et la concurrence internationale"

Souhaitons donc qu'il ne cherchera pas à "redresser" une société et un secteur qui sont à la fois sur une orbite favorable, et en même temps très fragiles !

[1] De la "promotion Titanic" du nom donné par l'Ifrap du fait d'un grand nombre de dirigeants ayant plombé les comptes des entreprises dont ils avaient été nommés dirigeants

[2] Extraits du paragraphe 'Guy de Panafieu', de l'article "ENA, la "Promotion Titanic" : des pertes, dettes ou transferts abyssaux !", en grande partie repris d'un article de l'IFRAP.

Bull : Perte annuelle en 2001 de 253 millions d'euros (chiffres du JDN Solution), les effectifs de l'entreprise passent de 21 267 en 1997 à 6 000 en 2001 (selon les estimations de "l'Expansion")

Décorations : Chevalier de la Légion d'Honneur et de l'Ordre National du Mérite.


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6 réactions à cet article    


  • frugeky 24 avril 2013 10:31

    Et bientôt vente des parts françaises d’Arianespace pour combler le déficit de l’Etat dû aux aides pour la compétitivité des entreprises ?

    Sont trop forts ces socialauds !


      • aviso aviso 24 avril 2013 16:41

        Un nouveau Baron de notre République


        La nomination de Stéphane Israël dircab de Montebourg à la tête de Arianespace est un passage obligé de notre couardise politique qui veut des collaborateurs au top niveau, sous payé. Pourquoi refusons de reconnaître que cette qualité ça se paye … C’est comme au foot !!!

        D’ou cette pratique incongrue qui veut que cette reconnaissance en terme de modération salariale soit récompenser par un Duché hautement rémunérateur, accompagné de jetons de présence dans de petites baronnies.

        Combien de DIRCAB sont a tête de nos fleurons tricolores de la finance, des services ou de l’industrie ?


        • Laurent Simon 24 avril 2013 17:06

          Donc, si je comprends bien, le besoin d’hommes (et de femmes) de qualité, dans des postes publics (gouvernement) oblige à prendre le risque de détruire des activités économiques, parce que l’on ne trouverait pas de poste à forte rémunération en dehors des postes de PDG ?

          Alors que les dirigeants des entreprises privées ne sont pas nécessairement les mieux payés de ces entreprises !
          De toute façon, est-il si nécessaire, en période de crise profonde, de nommer 40 ministres et secrétaires d’état ? (et tout le personnel -conseillers- dont le nombre a cru sans discontinuer depuis des décennies. Je n’ai pas les chiffres sous la main, mais ils sont impressionnants).

          Faut-il rappeler que les résultats ne sont pas fonction du nombre de personnes ? Même et surtout à la tête (« un mauvais général vaut mieux que deux bons »).
          Voir par exemple l’accident d’avion du Vol 401 Eastern Air Lines où 4 personnes dans le cockpit ont fait beaucoup moins bien que trois (nombre qui était la règle alors), le pilote et le mécanicien ayant en quelque sorte abandonné leur poste.


        • bigglop bigglop 25 avril 2013 01:30

          Il en va de même pour Nicolas Dufourcq, Directeur Général de la nouvelle Banque Publique d’Investissement.
          Et bien accompagné par sa porte-parole, la Folle du Poitou.


          • Laurent Simon 26 avril 2013 14:48

            Ségolène Royal qui se fait remarquer à la BPI, n’appréciant pas qu’il soit dit, et redit, que la BPI n’est pas là pour soutenir des « canards boiteux »...

            Voir « Ségolène Royal à la BPI : le clash de trop », La Tribune, 23 avril 2013

            Dont voici un long extrait :

            "Un parachutage difficilement digéré par Jean-Pierre Jouyet

            Dans n’importe quelle entreprise, l’un ou l’autre des deux camps aurait été démis ou aurait pris ses cliques et ses claques dans les meilleurs délais.

            La BPI n’est pas une entreprise comme les autres, direz-vous. Justement ! Elle est née dans la douleur, son statut est complexe, elle doit regrouper des entités qui ne s’adorent pas forcément comme Oseo, le FSI et CDC Entreprise, et intégrer la voix des régions qui se sont fait un rien dépouiller de ce qu’elles estimaient être un peu leur bébé. Pas simple.

            Certains, un rien naïfs, avait vu dans le parachutage de Ségolène Royal un mal nécessaire pour faire parler la société civile et politique dans ce repaire de technocrates. Après tout, pourquoi pas ? Même Jean-Pierre Jouyet, ami historique du couple Royal-Hollande avait fini par digérer le morceau. C’était sans compter l’appétit d’une vice présidente pour micros et caméras. Pour exister.

            Les optimistes se rassureront en disant qu’elle peut toujours parler, sa voix ne porte pas bien loin. Les autres se diront que ce n’est pas le moment de laisser prospérer un nouveau foyer d’incohérence dans un appareil d’Etat qui n’en a vraiment pas besoin. Et ils n’auront pas tout à fait tort."

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