L’agriculture produit-elle assez ?
Je me consacrerai dans cet article à la question de l'offre alimentaire. Le premier impératif de l'agriculture est évidemment d'avoir une production suffisante en quantité. Alors que la Politique agricole commune (PAC) devrait prochaînement être redéfinie à Bruxelles (les choix budgétaires actuels prendront fin en 2013) et qu'auront lieu des arbitrages entre agriculture bio et agriculture intensive, il serait bon d'y voir plus clair. Produit on suffisamment dans le monde, en Europe ? Qu'en sera-t-il dans le futur ?
L'agriculture est un sujet complexe aux nombreuses problématiques : offre alimentaire, répartition, qualité, pollution, revenu des agriculteurs, productivité et compétition, stabilité, prix de production et sovabilité des acheteurs. Même si on se restreint dans ce court article à la question de la quantité produite, la question agricole ne se résume pas à la quantité de l'offre, loin de là.
Il y a aujourd'hui 850 millions de personnes sous-alimentées dans le monde (source FA0 2006). La production est cependant globalement suffisante. Le problème est dans la répartition et la distribution de la production agricole (guerres qui empêchent la circulation de la nourriture), dans la solvabilité des populations qui ont faim mais n'ont pas les moyens d'acheter, et dans la solvabilité des agriculteurs qui ne peuvent vendre leur production par manque de compétitivité et rejoignent les bidonvilles des grandes villes. Les quantités produites sont suffisantes (source : FA0 2000, La Situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture, page 193) ou peuvent l'être facilement (terres en jachère en Europe par exemple) pour pallier les faibles manques.
La situation pourrait être différente à moyen terme. Les démographes anticipent une hausse importante de la population d'ici 2050. Si la population atteint 9 milliards d'habitants sur terre, et si l'évolution du régime alimentaire vers un régime plus carné continue, il faudra multiplier par plus de 2 la production alimentaire en 2050. Mais en Europe, toujours selon ces prévisions, il faudrait moins de calories en 2050 qu'aujour'hui (source Bruno Parmentier : nourrir l'humanité).
Ces chiffres doivent être pris avec des pincettes. D'abord parce que les prévisions d'augmentation de population sont très spéculatives et de nombreuses prévisions historiques se sont avérées fausses. D'autre part, et c'est un point important. la demande mondiale dépend fortement du régime alimentaire de la population mondiale. Il faut grosso modo 4 calories végétales pour faire une calorie de poulet, et encore davantage pour la viande rouge. Les occidentaux vont ils adopter un régime plus végétarien ? Les indiens vont-ils adopter un régime plus carné comme le font les chinois en ce moment ?
Le premier levier dans une politique agricole visant la production de calories suffisante pour l'alimentation est donc l'incitation à un régime moins carné.
Un autre levier est dans l'augmentation des terres cultivées, ce qui est difficile au niveau mondial. Il reste quelques terres en jachère en Europe, mais ce ne sont pas les plus riches (les agriculteurs ne mettent pas leurs meilleures terres en jachère !), et les besoins seront en dehors de l'Europe. Pour le reste, l'extension des terres se fait se fait surtout par defrichement de la foret, notamment en Amazonie. Pas grand chose à attendre du côté des nouvelles terres arables donc.
La promesse d'exploitation de terres salées ou innnondées reste largement alimentée par le techno-optimisme et le besoin de financement des chercheurs qui survendent leurs travaux. Il n'y a pas aujourd'hui d'agriculture à grande échelle et économiquement rentable sur de mauvaises terres. Mêmes certaines bonnes terres Francaises et les subventions européennes ne suffisent pas toujours à faire vivre les agriculteurs décemment. Il est peu raisonnable d'imaginer un système économique s'appuyant sur des terres produisant moins et à cout plus cher qui soit satisfaisant économiquement pour les agriculteurs. Il est encore moins raisonnable d'espérer nourrir une partie significative de la population mondiale avec des techniques chères et peu productives.
Moins high-tech, mais plus prometteur, l'intensification des pratiques culturales. Cette intensification peut se faire dans une logique polluante de court terme (engrais chimiques, désherbants), mais ce n'est pas obligatoire. Voici quelques pistes possibles pour cette intensification.
Il est tout d'abord possible de multiplier les récoltes, c'est à dire de passer à 2 récoltes par an là où les conditions climatiques le permettent, avec un choix adapté de variétés.
Il est également possible d'améliorer et de diffuser des semences adaptées aux régions pauvres (si la volonté politique est là !) Il faut noter à ce sujet qu'une agriculture avec des semences bien selectionnées, adaptées à chaque territoire, et conduite à la main est très productive. La mécanisation augmente la productivité par travailleur, mais tend à dégrader la productivité par unité de surface. En effet un travail à la main permet une gestion très fine du champ (cohabitation des cultures dans l'espace et dans le temps, plantation en quinquonce pour optimiser la surface disponible, plantation à proximité des obstacles...). Une gestion aussi fine est impossible par la mécanisation, et la semelle de labour créée par les machines fait baisser le rendement. Dans un pays pauvre où la main d'oeuvre est peu chère, un tel duo formé par l'association semence technique/travail à la main peut être compétitive économiquement et particulièrement productive.
Enfin l'agroforesterie peut également permettre d'améliorer les rendements par unité de surface. Les systèmes agroforestiers sont parmi les plus productifs au monde et ils permettent d'eviter la monoculture appauvrissante pour les terres et la biodiversité. L'agroforesterie peut être adaptée à la mécanisation et elle convient donc bien aux pays d'Europe.
Pour ce qui est de la recherche, l'agroforesterie est un sujet prometteur qui s'inscrit dans un cadre plus large. Les systèmes productifs et stables sont ceux avec un taux d'humus important dans le sol et de grande biodiversité. Au lieu de chercher à maximiser la production à court terme, la recherche pourrait davantage chercher à construire des écosystèmes productifs. Les pistes sont nombreuses, agroforesterie comme on l'a vu, mais également BRF qui nourrit les champignons base de la chaine alimentaire, ou développement de plantes à humus dans le cycle de rotation des cultures. L'orientation de la recherche vers la construction de la fertilité naturelle peut être une piste intéressante, malheureusement quasi-inexistante dans nos politiques de court terme qui aboutissent au contraire à l'apauvrissement en humus de nos sols d'année après année.
Un dernier mot sur les OGM, souvent cités à tort pour des objectifs quantitatifs. Ils permettent de produire moins cher (moins de main d'oeuvre) sur des terres de bonne qualité, mais il ne permettent pas de produire davantage. Ils ont même tendance à être moins productifs que les variétés industrielles équivalentes (d'environ 10%).
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