Europe : entre coma profond et rêveurs éveillés. Le choc du Réel
"Tous les hommes rêvent mais pas de la même façon. Ceux qui rêvent de nuit, dans les replis poussiéreux de leur esprit, s'éveillent le jour et découvrent que leur rêve n'était que vanité. Mais ceux qui rêvent de jour sont dangereux, car ils sont susceptibles, les yeux ouverts, de mettre en oeuvre leur rêve afin de pouvoir le réaliser. C'est ce que je fis."
T.E. Lawrence, Les Sept Piliers de la sagesse - Seven Pillars of Wisdom : A Triumph (1926 -1935)
Il y a quelque chose de préocupant dans la dangerosité de tous ces dirigeants européens qui poursuivent leurs chimères et tentent par tous les moyens de plier la réalité à leurs rêves en essayant d'enfoncer des vis avec un marteau. Fort heureusement, la réalité et le monde sont rétifs à leurs agissements au point que parfois on se prend à souhaiter que leurs projets les plus mortifères puissent se fracasser contre l'intangible.
C'est peut-être là ce qui est en train de se produire en marge de l'actualité avec ces politiques européennes qui déraillent complètement et nous révèlent l'ampleur des dommages qu'elles seront susceptibles de causer si elles viennent à leur fin.
I-Tout se délite, comme les sujets du même nom. Un examen rapide
- Pacte de stabilité budgétaire et rigueur économique :
Le pacte de stabilité budgétaire européen est désormais révisé à la baisse avec la double hémorragie financière que représentent la folie d'une invasion migratoire décidée unilatéralement et la conduite d'une guerre en passe de s'imposer à l'UE toute entière avec la lutte contre l'hydre terroriste.
L'Allemagne tente d'imposer et de partager le fardeau de l'accueil des bénéficiaires d'un pseudo droit d'asile avec ses partenaires européens qui y rechignent très fermement tandis qu'après avoir vu une Grèce mise à genoux économiquement et financièrement, bientôt réduite à devenir une immense gare de triage pour personnes déplacées (une sorte d'Ellis Island continental) le Portugal entre à son tour dans une expérience politique complexe.
- Politique migratoire :
Et voilà qu'en France, sans doute contraint par la réalité inquiétante des carnages parisiens du 13 novembre 2015 de manger son chapeau et sa garniture, le Premier ministre M. Manuel Valls a déclaré dans un entretien publié ce mercredi 25 novembre par le quotidien allemand "Süddeutsche Zeitung", souhaiter que l'Europe cesse d'accueillir des réfugiés.
"Nous ne pouvons plus accueillir de réfugiés en Europe, ce n'est pas possible. [...]. Si nous ne le faisons pas , alors le peuple ne voudra plus de l'Europe", a alerté le chef du gouvernement. Vous vous méprenez, M. le Premier ministre : le « peuple » ne veut plus de cette Europe-là. La nuance est de taille.
Ajoutant que "l'Allemagne a pris là une décision honorable" en ouvrant ses portes aux réfugiés, il a souligné que "ce n'est pas la France qui a dit : ‘Venez !’", sans doute enfin alarmé par les conséquences du choix allemand d'accueillir jusqu’à un million de demandeurs d’asile cette année.
« Padamalgam ! » souvenez-vous bien de ce mantra. Pourtant, n'est-ce pas le même qui vient justifier sa volte-face sur l'accueil des migrants après avoir appris (ce que tout le monde avait parfaitement imaginé et perçu depuis longtemps, sauf lui) que deux des tueurs des attentats du 13 novembre à Paris avaient profité du flux de migrants pour traverser l'Europe et rejoindre la France ?
On est encore loin de renoncer à la politique d'open bar du 25 septembre 2015 favorable à la venue en France de 30.000 personnes, mais n'y aurait-il pas comme un infléchissement ? http://www.euractiv.fr/sections/politique/manuel-valls-confirme-laccueil-de-30000-refugies-en-france-pas-plus-317966.
La vérité toute crue est que ce gouvernement et son chef sont perdus.
Ils ne savent plus quoi faire après avoir laissé passer la chance (et l'obligation) qui leur étaient offertes de réagir immédiatement après le déjà sanglant attentat perpétré contre la rédaction du mensuel Charlie-Hebdo. Une décapitation et un Thalys plus tard, il ne se passait toujours rien.
- Financements :
Rien ne va plus ! Voilà encore que les ministres français et allemand en charge des économies respectives de leurs pays, MM. Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel, ont appelé à une plus grande coordination de la France et l'Allemagne sur la sécurité et l'arrivée de réfugiés, via un fonds qui serait doté de 10 milliards d'euros. On le voit, le papier ne refuse pas l'encre.
"Des réponses strictement nationales pourraient fragiliser les réussites les plus précieuses de l'Union européenne, notamment la liberté de circulation des personnes, des biens, et des services", écrivent les deux ministres. Le fonds en question, censé renforcer la dynamique franco-allemande, agirait dans trois domaines : le contrôle des frontières extérieures, la sécurité (partage de renseignements, coopération policière) et la gestion de l'arrivée des réfugiés.
L'entourage de M. Macron prend toutefois le soin de préciser que le chiffre de 10 milliards n'est "pas un totem" et que ce fonds, franco-allemand au départ, pourrait être ouvert à tout Etat européen désireux d'y participer. Avis aux généreux donateurs ! Mais ne nous méprenons pas : il s'agit de gérer la répartition des réfugiés – traduisez leur installation définitive en Europe - mais surtout pas de prévoir leur retour dans leurs pays...On ne change pas une équipe qui perd.
- Circulation intra-européenne :
Mais gardons le meilleur pour la fin. Voilà que lors de la première session plénière du Parlement européen tenue depuis les attentats de Paris, le président de la Commission, M. Jean-Claude Juncker, a évoqué dans son discours la question largement débattue du fonctionnement des accords de Schengen.
« Je voulais dire ici, a déclaré M. Juncker, que nous devons sauvegarder l'esprit de Schengen. Oui, le système de Schengen est partiellement comateux, et il faudra que ceux qui croient en l'Europe, en ses valeurs, en ses principes et en ses libertés essaient - et ils le feront - de réanimer l'esprit Schengen. Si l'esprit Schengen quitte nos territoires et nos cœurs, nous perdrons plus que Schengen. Une monnaie unique ne fait pas de sens si Schengen tombe. Et donc il faudra savoir que Schengen n'est pas un concept neutre, n'est pas un concept anodin, mais que c'est une des pièces maîtresses de la construction européenne. »
« Réanimer Schengen ! » Mais Schengen est mort, fort heureusement ! Comment imaginer en effet la viabilité d'un tel dispositif dès lors que les frontières extérieures de l'UE sont devenues de véritables passoires ? En veut-on un exemple ? Le voici avec la saisie à Trieste d'un chargement de 800 fusils à pompe en provenance de Turquie.
- Monnaie unique :
Relisez bien cette déclaration. Que dit M. Juncker ? « Si l'esprit Schengen quitte nos territoires et nos cœurs, nous perdrons plus que Schengen. Une monnaie unique ne fait pas de sens si Schengen tombe. »
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : de l'euro, la pierre angulaire désormais irrémédiablement friable de la construction européenne.Manifestement, M. J-C. Juncker n'a toujours rien compris.
II- Perspectives
La crise de Schengen est donc partie pour dépasser par ses effets celle de l’euro. Consciente de ce qu'elle représente pour elle – un constat d'échec monumental - la Commission travaille pour la fin de l’année à un renforcement des frontières extérieures de Schengen. Mais les tentatives de réguler et de tarir le flux des réfugiés n'aboutiront pas. Leur répartition comme les modalités de financement de cette très grave situation intra-européenne s’engagent en effet (fort heureusement) très lentement, chaque membre de l'Union ayant parfaitement perçu l'ampleur des conséquences à venir si l'Europe persiste à prêter le flanc à cette erreur de déstabilisation géopolitique majeure commise par l'Allemagne.
Quant à l'euro, vicié dès sa conception, tout porte à croire que ses défenseurs feront tout pour éviter jusqu'au bout qu'il ne soit remis en cause tant dans ses fondements que dans son fonctionnement avec la proximité de l'adoption du TAFTA et de tout ce qu'induit pour l'UE le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement actuellement en cours d'élaboration.
Rien n'est pourtant encore joué.
La pression financière de la crise des réfugiés, tous coûts confondus, est génératrice d'un accroc financier majeur dans le pacte budgétaire, invitation implicite à ce que d’autres accrocs surviennent, ce qui ne va pas manquer de susciter des idées auprès des partenaires européeens de plus en plus vigilants et hostiles à une politique qui a montré son échec dans tous les domaines : sociaux, économiques, financiers, constitutionnels, politique et géopolitiques.
Une réforme inéluctable est en marche.
Les divergences d’approche qui avançaient jusque là soigneusement occultées ou réprimées (comme ce fut le cas avec la reprise en main de la Grèce) vont être appelées à davantage s’exprimer.
Les négociations avec le gouvernement britannique dans la perspective du référendum sur le maintien dans l’Union européenne du Royaume-Uni, de l'Ecosse ou de la Catalogne, vont à leur tour contribuer à brouiller toute vision de l’avenir de la construction européenne ainsi que du renforcement de sa gouvernance.
Il va donc falloir rapidement passer à autre chose et se décider à siffler la fin de la récréation tant il est désormais urgent de résoudre les vrais problèmes et les désordres naissants, aussi bien en France qu'en Europe.
Les événements surgissent sans prévenir, comme vient de le montrer l'incident aérien survenu à la frontière turco-syrienne.
Leur gravité est telle que le traitement qu'ils appellent ne peut sérieusement s'accommoder d'une UE dirigée par des gens qui l'ont plongée dans un coma profond et ont montré l'étendue de leur incapacité. Les rêveurs éveillés sont dangereux. Ils empoisonnent nos nuits et nos jours.Il faut les écarter.
Sources :
Libre circulation des hommes et des marchandises :
Saisie à Trieste de de 800 fusils à pompe en provenance de Turquie.
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