Le Danemark officiellement en faveur de l’entrée de la Turquie dans l’UE
Les objections initiales du gouvernement turc à la nomination d’Anders Fogh Rasmussen au poste de Secrétaire Général de l’OTAN auraient pu affaiblir la volonté des autorités danoises de la voir rejoindre l’UE. Il n’en est rien. Contraint de réagir à l’offensive médiatique de l’ancien Ministre de l’Economie et candidat aux européennes, Bendt Bendtsen, qui se prononce désormais contre l’entrée de la Turquie dans l’UE, le nouveau Premier Ministre danois, Lars Løkke Rasmussen, rappelait récemment sa position sur le sujet : “Il est dans notre intérêt d’exercer une pression positive sur la Turquie. Il est impossible de le faire en échafaudant des alternatives ou des raccourcis vers des avantages dont elle pourrait bénéficier sans remplir les conditions posées” (1).
Une position qui bénéficie du soutien d’une grande partie des membres du Folketing, mais qui, sans surprise, peine à convaincre les citoyens danois, malgré la présence d’une forte communauté turque dans le pays (2). Le dernier sondage mené sur la question indique en effet que les 2/3 des Danois sont opposés à l’entrée de la Turquie dans l’UE, seuls 29% approuvant une telle perspective (3). Il faut dire qu’au Danemark comme en France, le niveau des débats n’a, à de rares exceptions près, jamais volé très haut du fait du recours à une succession de poncifs, d’approximations et d’arguments pour la plupart largement contestables. Parmi ces derniers :
- La Turquie ne peut entrer dans l’UE car elle ne serait géographiquement pas européenne. Comment alors expliquer la présence du Portugal, qui n’a de façade maritime qu’avec l’Atlantique, au sein de l’Union Méditerranéenne tant souhaitée par le locataire actuel de l’Elysée ? Sans parler de Chypre, déjà dans l’UE…
- La Turquie ne serait historiquement pas européenne. Rappelons que les Anatoliens ont des descendants qui ont fait partie des deux civilisations grecques et romaines (Empire romain d’Orient), que la Turquie abrite quelques-uns des lieux les plus sacrés (Nicée, Smyrne, Antioche…) d’une catholicité présentée par certains, d’une manière réductrice, comme le socle commun de l’UE, que l’Empire Ottoman a occupé les Balkans pendant cinq siècles, et que depuis le début du XIX siècle, la Turquie a adopté un mode de vie résolument européen…
- La Turquie ne respecte pas encore tous les critères de démocratie. L’Espagne a adhéré à l’UE en 1986 alors qu’elle était une dictature jusqu’en 1975. La situation a été à peu de choses près la même pour la Grèce et le Portugal…Doit-on également souligner que les femmes turques ont obtenu le droit de vote avant les femmes françaises ?
- L’adhésion de la Turquie ferait le jeu américain. Depuis quand devrait-on se prononcer sur la question de l’élargissement de l’UE sur la base de l’opinion émise par les Etats-Unis ? Les mettre dans l’équation c’est leur donner une importance qu’ils ne doivent pas avoir dans le débat.
- La Turquie ne pourrait intégrer l’UE car elle est un grand pays dont la majorité de la population est de religion musulmane. Un raisonnement frileux contribuant à nous faire manquer deux fantastiques opportunités. La première est qu’avec la Turquie les autres grands pays auraient l’occasion de passer d’un raisonnement en termes d’influence à une vision plus respectueuse des desseins supérieurs de l’UE. La seconde est qu’une adhésion de la Turquie serait une chance historique de montrer que la prospérité et la démocratie sont à portée de main d’un pays musulman et de proposer par la même occasion une alternative crédible à la politique d’usage de la force au Moyen-Orient telle qu’elle a été menée ces dernières années.
Ajoutons qu’intégrer tous les pays des Balkans (terme d’origine turque…) dans l’UE à l’exception de la Turquie n’a aucun sens. En l’intégrant, on facilite la réconciliation entre les peuples de la région et on n’évite que des conflits comme ceux vécus dans l’ex-Yougoslavie ne se reproduisent. Bref, on s’assure que l’on continue à vivre dans une Europe en paix et prête à affronter les défis du futur.
Les arguments habituellement avancés par les opposants d’une entrée de la Turquie dans l’UE sont donc contestables. Cela n’empêche pas ces mêmes opposants de continuer à recycler, au Danemark comme en France, le moindre déficit démocratique comme une preuve supplémentaire de son incompatibilité avec nos “valeurs”. Dernier exemple en date, le jugement pour blasphémie de l’écrivain turc Nedim Gürsel (4). Un jugement certes hautement regrettable, mais qui ne l’est certainement pas moins que le tout récent licenciement d’un employé de TF1 pour avoir exprimé son opposition au projet de loi Hadopi…(5). Mais comme d’habitude, évitons de nous regarder dans le miroir…
Mieux vaut plutôt limiter au maximum le contenu des débats : les autorités françaises présentes au Danemark soulignaient ainsi récemment dans la presse danoise que “le renforcement de l’Europe politique ne s’accorde pas avec une adhésion de nouveaux pays de la taille de la Turquie. C’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas favorables à l’entrée de la Turquie dans l’UE. Pas à cause de la Turquie elle-même, mais du fait du projet politique que nous défendons pour l’UE” (6).
Autrement dit, après avoir rallié une bonne partie de l’opinion publique contre son adhésion à l’aide d’arguments souvent fallacieux, on se drape désormais derrière un projet politique visant le maintien des “équilibres institutionnels et politiques européens”, sous-entendu le maintien d’un raisonnement contre-productif en termes d’influence. Mais prenons les autorités françaises au mot, par exemple en termes de politique de sécurité : la France ne vient-elle pas de rejoindre le commandement intégré d’une organisation (l’OTAN), dont la Turquie est membre à part entière depuis 1952 ?
Même les Danois, pourtant majoritairement opposés à l’entrée de la Turquie dans l’UE, ne semblent pas comprendre la pauvreté et l’hypocrisie de l’argumentation avancée précédemment. Morceaux choisis parmi les commentaires de lecteurs :
“A chaque fois qu’un grand pays a demandé à rejoindre l’UE, la France s’y est opposée. Cela a été le cas pour la Grande-Bretagne, pour l’Espagne, la Pologne et maintenant pour la Turquie (…). Si la France choisissait pour une fois de mener une politique constructive sans penser exclusivement aux aides à son secteur agricole et sans abuser des relations qu’entretiennent Chypre et l’Arménie avec la Turquie afin de démotiver les Turcs, nul doute que la Turquie serait allée beaucoup plus loin dans ses réformes”.
“Vous devez pouvoir percevoir une injustice dans le fait d’approuver la tenue de négociations en vue d’une pleine adhésion pour ensuite bloquer certains chapitres de négociations. Si vous étiez vous-mêmes soumis au même traitement lorsque vous demandez une adhésion, par exemple à votre club de golf local, estimeriez-vous ce club comme étant crédible ? Vous savez bien que la Turquie deviendra membre de l’UE un jour ou l’autre, tout comme les autres gouvernements européens d’ailleurs. Pourquoi ne pas plutôt soutenir les réformes en Turquie à l’aide du principe de la carotte et du bâton plutôt que par ces jeux de Noël ridicules ?”.
Et le journal Politiken, dans lequel ont été publiées les positions exprimées par les autorités françaises présentes au Danemark, de renchérir : “Comme tous les autres Etats européens qui sont disposés à remplir les conditions d’adhésion et à se joindre à notre communauté, la Turquie est évidemment la bienvenue” (7).
Point particulièrement regrettable, l’absence de considération pour ce que les Turcs ont à nous dire à propos de l’éventuelle adhésion de leur pays à l’UE. Une absence de considération doublée au final d’une certaine méconnaissance de l’Europe : connaissez-vous par exemple l’ampleur des différences culturelles entre un Français et un Danois avant de prétendre pouvoir juger celles entre un Français et un Turc ?
Vous l’aurez compris, Courrier Danemark n’est pas en phase avec la position officielle aujourd’hui défendue par le Mouvement Démocrate sur une éventuelle adhésion de la Turquie à l’UE. Il faut néanmoins saluer la vigueur des débats menés au sein de notre parti sur la question, signe que cette position est susceptible d’évoluer. Mais quelle que soit l’issue de ces débats, soyons bien certains d’avoir saisi l’importance de la réponse qu’il faudra bien un jour donner à la Turquie !
(1) “Statsministeren fastholder tyrkisk EU-medlemskab” Kristelig Dagblad, 6 mai 2009 http://www.kristeligt-dagblad.dk/artikel/322978:Danmark–Statsministeren-fastholder-tyrkisk-EU-medlemskab
(2) Selon Danmarks Statistik, un peu plus de 57 000 personnes d’origine turque vivaient au Danemark en 2008. http://www.dst.dk/pukora/epub/Nyt/2009/NR051.pdf
(3) “Regeringen isoleret i syn på Tyrkiet” Berlingske Tidende, 6 mai 2009 http://www.berlingske.dk/article/20090506/verden/705060087/
(4) “L’écrivain Nedim Gürsel jugé en Turquie” Le Figaro, 5 mai 2009 http://www.lefigaro.fr/livres/2009/05/05/03005-20090505ARTFIG00518-l-ecrivain-nedim-grsel-juge-en-turquie-.php
(5) “Etre anti-Hadopi lui coûte son poste à TF1” Le Monde, 7 mai 2009 http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/05/07/etre-anti-hadopi-lui-coute-son-poste-a-tf1_1189867_651865.html
(6) “Den svære debat omkring Tyrkiets medlemskab af EU” Et fransk pust, 5 mai 2009 http://blog.politiken.dk/franskpust/2009/05/05/den-sv%C3%A6re-debat-omkring-tyrkiets-medlemskab-af-eu/
(7) “Politiken mener : Tyrkiet bør da være velkommen i EU” Politiken, 8 mai 2009 http://politiken.dk/debat/ledere/article707347.ece
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