Manifeste des partis socialistes et sociaux-démocrates en Europe : faible, vague et peu crédible
Les partis socialistes, sociaux-démocrates et travaillistes en Europe se sont donnés, lors d’une conférence de deux jours à Madrid en décembre 2008, un manifeste européen. Titre : Les citoyens d’abord ; Une nouvelle direction pour l’Europe.
Le manifeste est écrit avant toutes choses comme réponse à la crise financière et économique actuelle. Afin de la combattre, le manifeste appelle à une meilleure coopération au niveau européen. Des propositions concrètes, en particulier la nécessaire réforme des marchés financiers manquent pourtant. Le manifeste se contente d’exiger une « meilleure régulation »...
L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne est qualifiée de bénéfique pour plus de démocratie et une amélioration de la capacité d’action des institutions européennes.
Beaucoup de vieux concepts politiques de l’UE, qui ne sont même pas forcément sociaux-démocrates, sont rassemblés : une politique relative au droit d’asile juste et efficace, une lutte contre le terrorisme sans une restriction disproportionnée des libertés publiques, le respect des droits sociaux par les politiques européennes… Mais tout cela reste vague. Nulle part n’est expliqué comment les socialistes veulent mettre en œuvre leurs bonnes intentions et comment une majorité sociale-démocrate au Parlement européen pourrait s’imposer face au Conseil et à la Commission.
Ce manifeste mériterait très bien le titre de « Manifeste de l’hypocrisie » ou du mensonge ou de la naïveté ou de l’incapacité. Car les partis signataires du Manifeste, qui regrettent aujourd’hui l’actuelle dérive néolibérale de l’UE et la domination du marché et de la concurrence libre sur la solidarité et la politique, ont tous, sans exception, soutenu la ratification du projet de constitution européenne comme aujourd’hui celle du Traité de Lisbonne qui entérine cette direction politique néolibérale.
Ceux qui ne se sont jamais opposés au niveau européen à l’idéologie du libre marché, libre surtout d’une intervention d’état, avec notamment l’argument "qu’on ne pouvait pas être contre l’Europe", sont donc peu crédibles en exigeant aujourd’hui une nouvelle orientation d’un processus d’intégration européenne qui est aussi leur œuvre. Ce sont les partis du démantèlement de l’Etat, des privatisations, de l’Agenda 2010 en Allemagne et du "l’État ne peut pas tout" d’un Jospin en France.
Il est apparent que les signataires du manifeste constituent une coalition de circonstance qui a pour but de déguiser une simple juxtaposition des partis nationaux en un mouvement européen que serait le parti socialiste européen.
On voit mal comment le PS français, au sein duquel l’appellation social-démocrate fait grincer beaucoup de dents, pourrait être partie prenante d’un texte qui ne fait pas de différence entre un mouvement socialiste et un mouvement social-démocrate.
On se demande aussi, comment le SPD allemand, qui échoue au niveau national de se doter d’un programme social, pourrait soutenir une position au niveau européen qui supposerait une remise en cause de l’Agenda 2010. Ou encore comment Margot Wallström, Commissaire européen en exercice et donc pleinement responsable de la politique actuelle suivie par la Commission Barroso, peut, sans se renier, adhérer à un manifeste qui est censé modifier cette politique.
Un manifeste qui a été rédigé à la va-vite pour répondre à la crise financière, qui mélange des vieux concepts socialistes avec des remèdes peu concrets contre la crise et qui se limitent en fin de compte à des clichés : mieux coopérer ensemble pour mieux relever les défis de la globalisation…
Il est ahurissant de constater que dans l’imaginaire des sociaux-démocrates la globalisation est restée une force naturelle que l’on ne peut pas dompter, mais à laquelle les hommes doivent s’adapter ; leur politique veut se contenter de rendre ce processus d’adaptation plus efficace et moins douloureux. Le manifeste révèle surtout que manifestement les sociaux-démocrates n’ont pas compris que la globalisation est en effet un projet politique, voulue par les entreprises et les banques multinationales avec comme but de s’affranchir de toute intervention de l’état ; un projet voulu et encouragé par la Commission, car l’affaiblissement de l’Etat est surtout celui des pouvoirs des Etats-membres.
Les socialistes n’ont toujours pas compris que la crise financière marque le début de la fin de la globalisation.
Leur position de vouloir réguler les marchés au niveau européen tout en acceptant la globalisation est contradictoire – à quoi bon se donner des règles européennes si l’économie peut s’en affranchir en passant au niveau global ?
Les socialistes, qui comme tous les politiques et experts ont cruellement été incapables de prévoir la crise, semblent croire que la crise s’est abattue sur une Europe heureuse et innocente. Ils ne veulent pas admettre que l’Europe, ses industries multinationales et ses marchés financiers sont à la fois victimes et auteurs de la crise.
Les socialistes voient dans le traité de Lisbonne un renforcement de la démocratie. Ils manquent cependant d’en citer la preuve. Cela se comprend – il n’y en a pas : un droit de pétition à la Commission n’est pas un droit démocratique. Même des régimes absolutistes ont connu ce que l’on appelle « les lettres de doléances ». Il se peut que le Traité de Lisbonne confère plus de compétences au Parlement européen. Mais tant que le Parlement reste incapable d’exprimer une volonté politique européenne ancrée dans une légitimité transeuropéenne, tant qu’il n’est pas doté d’un droit d’initiative, la démocratie européenne ne peut pas se réaliser à travers le Parlement européen.
Un manifeste qui laisse transpirer le sentiment éternel de supériorité occidentale : comme les socialistes estiment que l’on ne peut pas contrôler la globalisation, il importe de rendre ses conséquences néfastes (par exemple. l’exploitation des salariés) plus supportables par les moyens d’un effort européen « plus intelligent » (plus intelligent que les Chinois ? Plus intelligent que les Indiens ? ).
Ils veulent "en finir" (en tant qu’euphémisme pour combattre) avec l’immigration illégale. Pourtant ils ne dénoncent pas notre politique commerciale européenne, qui détruit les bases matérielles de survie dans beaucoup de pays pauvres, qui est source de cette immigration ; et qu’en conséquence ce combat doit commencer par une politique européenne respectueuse des conditions de vie dans les pays source d’immigration.
Ils veulent veiller à ce que la lutte contre le terrorisme et la criminalité ne porte pas atteinte aux libertés publiques. Une telle prise de position des partis qui ne se sont pas opposés au principe du mandat d’arrêt européen ou au transfert de compétences supplémentaires à Europol ou à la police des frontières européennes, qui sont insuffisamment contrôlées par le parlement ou la justice, est peu crédible.
Les socialistes soutiennent le principe d’une coopération policière et judiciaire renforcée, sans tenir compte des dangers d’une telle coopération en dehors de la garantie d’un contrôle suffisant par le politique et la justice. Il serait sans doute judicieux de rappeler que la Cour constitutionnelle allemande a cassé la loi introduisant le mandat d’arrêt européen pour raison d’atteinte grave aux principes de démocratie et d’état de droit.
Vague, faible et peu crédible, avec ce manifeste les socialistes essayent de donner un aspect de mouvement européen à une juxtaposition des partis nationaux et se contentent de vanter les mérites démocratiques du Traité de Lisbonne (sans en donner d’exemples), et n’exigent en rien une élection transeuropéenne des dirigeants européens qui serait le seul véritable moyen d’assurer la démocratie au niveau européen.
Le manifeste ne met en avant aucune proposition concrète pour lutter contre la crise financière, comme le fait Newropeans qui développe dans le cadre de sa deuxième alerte socio-économique européenne une série de mesures de réformes concrètes, comme par exemple l’interdiction de titrisation des créances et leur vente, qui était cause et vecteur de la crise financière[1].
Le manifeste ne met en avant aucune proposition concrète d’une meilleure gouvernance de l’Eurozone, qui nous protège pourtant d’un plein impact de la crise, comme le fait Newropeans avec ses propositions d’un secrétariat permanent de l’Eurozone et d’un impôt européen pour les entreprises[2].
Le manifeste ne met en avant aucune proposition concrète pour lutter contre l’immigration illégale, comme le fait Newropeans en exigeant une politique commerciale respectueuse des conditions matérielles dans les pays pauvres[3].
Le manifeste tout entier appelle à des commentaires de ce genre. Il se perd dans des généralités, des bons vœux pieux. Et si la crise financière semble avoir enfin réveillé la conscience sociale des sociaux-démocrates, il est regrettable qu’ils aient participé jusqu’ici sans émettre de critique de fond au projet d’intégration européenne, qui est en contradiction, souvent directe, avec le modèle social qu’ils prônent aujourd’hui. Ils en ont été les co-auteurs, et aujourd’hui ils prétendent vouloir en devenir les réformateurs !
Certes, on peut se réjouir que les citoyens deviennent à nouveau un objet de politique, mais c’est d’abord mettre le citoyen aux manivelles du pouvoir afin qu’il puisse participer à la création de l’Europe à laquelle il aspire qu’il faut défendre. C’est le projet politique de Newropeans qui veut le citoyen en Europe comme sujet, comme décisionnaire, de la politique. Et c’est tout à fait une autre approche[4].
Harald Greib*
St Jean de Fos - France
Article publié et mis en forme par Newropeans-Magazine : www.newropeans-magazine.org
Notes :
[1] Alerte Socio-Politique Européenne n°2 - (15/01/2009) - Newropeans face à la crise mondiale : L’argent des sauvetages bancaires est en train de passer à coté de ses objectifs : Newropeans exige un engagement financier public européen efficace pour tous les citoyens !
[2] Newropeans lance la pétition pour la tenue d’un sommet de l’Euroland avant la fin 2008 ! (NM 09/10/2008)
[3] la politique d’immigration et d’intégration européenne : Pour une UE ouverte, capable de gérer de façon constructive ses flux migratoires et d’intégrer efficacement ses immigrés
[4] Démocratiser l’UE, c’est l’affaire de tous les citoyens
-> cf les 16 propositions - le programme transeuropéen
-> Lire : Les forces progressistes en Europe n’ont plus d’avenir au niveau national (NM 08/01/2009)
*Harald Greib est Vice-Président de Newropeans et auteur du livre "Berlin mit Bitte um Weisung" un roman politique européen publié par MDV en 2006.
10 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON