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Chronique du temps qui lasse...

A force de scruter un quotidien saturé, zappant d’inutilités en futilités, on avait le pénible sentiment à chaque instant d’être spectateur d’une chronique du temps qui lasse..
Les images terribles de corps déchiquetés, ensanglantés, meurtris et à l’agonie, dans les rues de cette Inde autrefois grouillante de vie, passées en boucle, inlassablement sur les chaînes de télévision, charognards contemporains des sanglants non-sens, ont suscité partout le même sentiment de réprobation et de compassion. L’on a pu voir durant des jours entiers, le rouge salissant des vies arrachées, des douleurs indicibles, badigeonner les écrans de télévision, témoins presque oculaires du spectacle macabre que nous offre le monde, jamais satisfait de son lot quotidien d’horreurs, toujours à l’affût du moindre drame pour plomber un peu plus un moral en berne. Face à ce choc, il n’eut sur toutes les lèvres que cette expression toute trouvée qui illustrait judicieusement la sensation d’apocalypse total, le « 11 septembre indien ». Ce fameux chiffre 11 et ce triste mois de septembre supplantant en ce début de siècle le maléfique 666, tombé en ringardise grâce aux irréductibles ayatollahs de l’islamisme de la terreur.
 
Depuis que les tours jumelles furent réduites en un amas de poussière il y a quelques années par des guerriers en conflit avec la Civilisation et ses « démoniaques » influences, chaque géant de la planète vivait dans la peur d’avoir à compter ses morts par centaines ou par milliers un jour où le soleil ne se lèverait pas au bon endroit et se coucherait plus tard que prévu. Des lois nouvelles avaient à cette fin de protection et d’anticipation été à la sagesse de l’émotion votées, tuant sans le dire les libertés et stigmatisant en passant une minorité de citoyens aux convictions religieuses soit disant à risque. Dans l’opinion l’on fit volontairement l’almagame entre islam et islamisme, entre modérés et radicaux, et l’on vit d’un œil plus suspect toute personne portant un nom aux consonances étrangement orientales et aux couleurs moins pâles que la majorité qui s’empressa de rappeler que le vieux continent selon la formule d’un illustre personnage était avant tout celui d’une société chrétienne et d’une civilisation gréco-romaine. Le même personnage hésita ce jour-là un instant sur le terme « blanc », le ravalant par précaution, mais l’assistance en furie contre ces étrangers ingrats le pensa tellement fort que l’on eut des frissons dans ces banlieues abandonnées où s’étaient entassés les infâmes barbares.
 
Malgré donc des lois, des politiques sécuritaires répressives, le renforcement des contrôles aux frontières, les chevaliers ombrageux de l’islamisme moyenâgeux réussissaient à semer la zizanie là où ils le souhaitaient, créant une sorte d’anarchie momentanée qui favorisait la radicalisation des consciences et préparait tout en les poussant les peuples « impies » à l’affrontement final prochain. Cette stratégie du chaos n’avait pour seul but que le choc tant attendu des civilisations. L’Inde, petite puissance qui montait, ayant l’ambition de par l’importance de sa population, son arme nucléaire offert par l’ami américain, son économie florissante et ses discriminations persistantes, semblait devenue aux yeux de nombreux islamistes l’épine satanique de la sous-region. Elle, qui laissait sa jeunesse se corrompre à l’impureté de la modernité, s’offusquant contre des morales tombées en désuétude, devait être impérativement châtiée de sa témérité. Quelques bombes, quelques jeunes endoctrinés et armés, quelques hôtels luxueux regorgeant de touristes fortunés et d’hommes d’affaire richissimes, tout était réuni pour que le carnage soit mémorable à la hauteur de l’insolence d’un gouvernement sourd et aveugle à une menace pourtant sérieuse quand l’on sait que le Pakistan voisin est désormais le nid préféré de tous les monstres à la Ben Laden, et que les services de renseignement du monde civilisé n’ont cessé de mettre en garde les autorités indiennes contre une probable vague d’attentats. Incompétence ou insouciance, ce qui devait arriver arriva, et pendant des heures on fit le décompte quasiment en direct des dépouilles retrouvées et des cervelles explosant dans les suites présidentielles. Et comme cela était le cas pour tout évènement sensationnel, rassasié et repu, les mêmes charognards attirés par l’odeur du sang, s’envolèrent vers d’autres drames, laissant le peuple indien enterrer ses morts et faire le ménage.
 
Depuis l’élection de Barack Obama à la tête de la future ancienne première puissance mondiale, la planète n’avait d’yeux que pour ce bel homme, charismatique, singulier, et messianique qui allait changer on ne sait par quel miracle le quotidien de chacun si ce n’est l’avenir de tous. Son élection opportune faisait ressurgir ça et là les sempiternels débats sur les minorités non visibles, de leur place dans les sociétés occidentales, du plafond de verre qui bloquait les plus ambitieux à un niveau que l’on jugeait raisonnable, de l’hypocrisie formidable des personnes qui louaient le phénomène Obama tout en estimant dans un sondage paru dans le Parisien que près de 81 pour cent des français estimaient qu’un Obama national était un rêve absolu. Devait-on y voir du racisme sincère et décomplexé ? Certainement pas. La question était en soi prématurée, il fallait procéder par étape, préparer les populations, mieux assimiler les prétendants aux fonctions suprêmes, leur faire confiance et s’assurer qu’ils articulaient convenablement les mots.
 
D’ailleurs, dans son volontarisme débordant, l’impérial président français n’avait pas attendu Obama pour nommer à un poste ministériel fantoche une femme issue de cette minorité très colorée qui devait dire aux hordes fainéantes des quartiers difficiles que désormais tout était possible. Mais dans le 93 où l’on regardait amusé ce drôle d’oiseau qui se soupoudrait odieusement le visage avec du teint blanc, ressemblant aux masques des personnages des commedia del arte, la sous-ministre aux droits de l’homme n’était presque personne et aucun de ces jeunes banlieusards ne pouvait affirmer connaître son rôle dans l’amélioration d’une existence condamnée au pire. C’est vrai qu’entre des soupçons de tricherie sur un plateau de télévision et un livre ô combien utile sur les droits de l’enfant, un de plus, faute d’actions précises sur le terrain, elle n’avait pas chômé contrairement aux milliers de diplômés issus des ZEP qui poussaient les portes de l’Agence Nationale Pour l’Emploi chaque jour. L’effet Obama pouvait donc attendre quelques siècles encore, le temps de faire comprendre à la société que ce qui est différent n’est pas forcement dangereux, méprisable et incontrôlable.
 
En outre, il ne fallait pas trop demander à la société. Le peuple n’avait-il pas choisi un fils d’immigré pour présider aux destinés de la nation ? Ne l’avait-il pas couronné roi, ce hongrois d’origine qui s’était donné tant de mal pour se faire accepter par les milieux conservateurs et dont l’énergie rassurait ? Lui qui osa pour la première fois de l’histoire nommer le premier préfet noir et qu’il veilla personnellement quelques années auparavant à s’assurer de son ascension avec le paternalisme qui sied aux hommes généreux. Non, la France n’était pas raciste. Elle avait déjà fait beaucoup d’effort, des efforts titanesques, gargantuesques. Elle avait créé un organisme pour lutter contre les discriminations, ce qui n’empêchait pas les minorités de pâtir de leur différence, elle avait toléré la création d’un conseil de représentants des noirs qui ne représentaient que les beaux discours dénonciateurs de ses dirigeants incapables de transformer cet appareil en véritable groupe de pression. Un cuisant échec alors ? La preuve, jamais reçu par la plus haute autorité du pays, lui qui recevait tout le monde, renvoyait ce machin communautariste à ses délégués et autres collaborateurs de seconde zone. La France n’avait rien à se reprocher, c’est elle qui inventa l’effet Obama. Cela se voyait sur le fronton de chaque bâtiment administratif inscrit comme un appel à l’universel : liberté, égalité, fraternité. Cela se voyait dans la composition du gouvernement où les Rachida Dati côtoyaient les Brice Hortefeux dans un ensemble homogène voire fusionnel. Cela se voyait tous les jours dans les entreprises, les partis politiques, les administrations publiques. C’est dire que Obama lui-même était sûrement français.
 
Il y eut la liesse de la victoire historique, la ferveur du changement annoncé, les larmes d’un bonheur incommensurable. Le 4 novembre dernier fut le jour où tout bascula. L’on commença à croire en l’américain qui ne semblait plus si sot que l’on l’eut cru. L’américain qui avait envoyé par deux fois s’asseoir un sombre ignorant dans le prestigieux fauteuil de patron du monde, dont l’héritage était à l’image du célèbre tableau de Picasso, Guernica, d’une beauté morbide. Des milliards de dollars perdus dans des conflits armés sans fin, des doctrines idéologiques nauséeuses coupant le monde entre les forces du Bien, incarnées par les anges de la libération yankee, et les spectres de l’Axe du Mal, ces intransigeants tyrans des ténèbres qui menaçaient le sommeil paisible de l’occidental moyen. A l’intérieur, les dégâts causés par l’administration Bush furent aussi impressionnants que ceux de l’ouragan Katrina et des attentats du 11 septembre réunis. Aide sociale charcutée, économie branlante, désespoir galopant et pauvreté devenue plus populaire que lui, le cow-boy texan aura définitivement été à la hauteur de son intelligence, et de la naïveté d’un peuple qui a cru trop longtemps en sa puissance éternelle. Barack Obama hérite d’une Amérique en perte de vitesse et sur le déclin. Il lui faudra plus qu’un « Yes we can » pour que ce pays aux pieds devenus d’argile puisse continuer à assumer ses responsabilités politiques internationales tout en donnant l’apparence d’être solide économiquement. Un vrai challenge dont il semble avoir conscience, lui qui promettait la rupture avec l’establishment de Washington, voudrait dorénavant compter sur l’insubmersible Hillary Clinton qui s’accapare des affaires étrangères, le pragmatique Robert Gates qui rempile à la défense, et de nombreux autres briscards qui constitueront l’ossature d’une administration « All Stars ». Ce qui est clair c’est que le nouveau président américain a déjà gagné avant même d’avoir commencé dans la mesure où avec autant de désespoir il lui suffira de faire dans l’agitation et le sensationnel comme son « ami » de l’autre coté de l’Atlantique pour donner l’impression que les choses bougent alors qu’elles stagnent et s’enracinent dans le statu quo.
 
D’ailleurs en parlant d’agitation, l’on ne compte plus le nombre de conférences internationales et de réunions au sommet, organisées et à venir, pour montrer l’activisme de certains leaders face à une crise financière qui les dépassent et dont les solutions ne sont nullement à leur portée. On crée l’évènement, on multiplie les déplacements pour qu’au final les places monétaires continuent leur chute vertigineuse, que les bourses se vident et que le taux de chômage ne cesse d’augmenter. La tactique du tonneau vide est semble-t-il plus efficace que de vraies stratégies à long terme. On va visiter des usines en difficulté avec des légions de journalistes courtisans promettant de tenir ferme, engueuler ceux qui se lèvent tôt pour un salaire de misère, pour que le lendemain à la Une des gazetiers l’on découvre que les mêmes usines fermeront les portes et licencieront en masse des personnes qui auront consacré toute leur existence à se sacrifier pour les dividendes des actionnaires. Ce mois de décembre verra de nombreuses familles dans la rue, faisant la queue dans les centres de charité, ravalant leur fierté devant les tentes des restos du cœur. Et des sans domiciles fixes abandonnés dans le froid hivernal, s’éteignant au même moment que l’on dressera sur les places des communes de somptueux arbres de Noël. On apprendrait par des indiscrétions bien tenues que le budget du Château serait revu à la hausse pour répondre au rôle désormais de sauveur de l’humanité qu’à endosser l’homme trop excité qui donne tellement de fierté à la nation affamée. La décence n’étant qu’un sentiment commun aux personnes frustrées, la course à l’exhibition, des anneaux en diamant étalés à la première page des magazines dits sérieux, aux augmentations salariales exorbitantes des collaborateurs du Prince, continuera tant que le peuple ne comprendra pas qu’il n’existe que pour être la vache à lait de ses gouvernants.
 
On célébra presque dans l’anonymat il y a quelques jours les luttes contre cette pandémie mondiale qui touche de plein fouet les plus miséreux de la planète, le Sida, en détaillant comme chaque année les réalisations toujours insuffisantes, et les attentes toujours nombreuses des organismes chargés de mettre fin à ce drame sanitaire. Comme à l’accoutumée on entendit les promesses succéder aux promesses, de grandes personnalités appeler à la compassion internationale, à la pitié généreuse des riches, pour que ces cimetières ouverts que sont l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud, puissent survivre dans la dignité. Il suffisait d’une dizaine de milliards pour éradiquer ce fléau mais c’était trop demander à ceux qui dans l’urgence de la crise financière parvenait à trouver des milliers de milliards pour se sauver des eaux. Quoi de plus légitime. Le Tiers-monde était « une source de grosses emmerdes » comme le chuchotait bas un diplomate occidental. Les populations passaient leur temps à quémander et à faire l’aumône aux portes de l’occident au lieu d’arrêter de se multiplier comme des virus et de commencer à se prendre en main. Décidément, avec le Sida et la famine, la « bite des noirs » selon la formulation d’un légendaire intellectuel des shows télévisés, est le vrai drame de l’Afrique. Il suffisait donc de la couper pour mettre fin à ce supplice insupportable qu’était le spectacle effroyable de peuples affamés obligés de se manger entre eux. C’était là près d’un siècle après Lévi Strauss, la panacée de la Civilisation aux indigènes encore trop primitifs. Alors exit la coopération qui ruinait les économies locales, l’aide humanitaire qui servait de levier politique, les réseaux mafieux politico-financiers qui empêchaient toute forme d’indépendance, la rupture devait se transformer en coupure. Cisailler le sexe des africains, c’était le nouveau mot d’ordre.
 
Le Vatican quant à lui martela que l’abstinence était l’unique solution face au Sida et exigea des jeunes un meilleur contrôle de leur sexualité c’est-à-dire aucune sexualité avant le mariage, et dans le mariage seulement la fidélité des conjoints comme rempart. Et en cas de contamination autre que sexuelle de l’un des conjoints ? La réponse se trouvait dans les cieux impénétrables du Seigneur.
 
La même impénétrabilité s’opposait à tout observateur du quotidien d’un monde qui valsait entre le délire de l’évènementiel et l’empressement à passer sur l’essentiel. Tandis que les inondations ensevelissaient des milliers de personnes au Bengladesh, que l’on assistait à un génocide dans le Congo que l’on disait riche et maudit, que des milliers d’individus chaque jour mourait de paludisme, que les injustices atroces étaient des conséquences des politiques cannibales, de l’autre coté on orientait l’attention vers la démesure, vers l’étincelant qu’il soit écarlate ou grisant, et vers cet étrange comportement qualifié de « bling bling » ou de « gore » afin de mieux démontrer de la drôlerie d’une époque en pleine mutation. A force de scruter un quotidien saturé, zappant d’inutilités en futilités, on avait le pénible sentiment à chaque instant d’être spectateur d’une chronique du temps qui lasse..

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