Daech du point de vue américain
Dans son rapport annuel sur la lutte contre le terrorisme, le département d’État américain a déclaré que, malgré la victoire de l’administration sur le groupe en Syrie, puis l’élimination de son chef Abu Bakr al-Baghdadi, Daech a élargi sa présence dans le monde en 2018.
« Les tactiques terroristes et l’utilisation des technologies ont évolué tout au long de l’année 2018, » peut-on lire dans le Country Reports on Terrorism. « En outre, des terroristes aguerris sont rentrés chez eux après la guerre en Syrie et en Irak ou ont voyagé dans des pays tiers, posant de nouveaux dangers. »
Bien que Daech ait perdu tout son territoire, le rapport indique qu’elle a prouvé sa capacité d’adaptation et de survie, notamment par ses activités visant à motiver ou orienter ses partisans par le biais de l’Internet.
Pour les spécialistes de la lutte antiterroriste, les conclusions du rapport américain ne sont pas si surprenantes. Tuer al-Baghdadi et vaincre son groupe sur le plan militaire ne signifie pas pour autant son éradication définitive.
Les organisations terroristes reposent avant tout sur une idéologie véhiculée pour persuader leurs sympathisants potentiels de s’engager activement dans les activités de l’organisation, ou du moins d’aider à promouvoir et défendre ses idées. En cette ère de l’informatique et de l’Internet, la viabilité de ces organisations demeure extrêmement élevée.
Ces organismes ont transformé le cyberespace en espaces de djihadisme virtuel. Ils chargent cet espace de plates-formes médiatiques gratuites qui font promouvoir leurs idées et leurs activités terroristes.
Difficile cependant de juger de l’efficacité de ces organisations et de leur capacité opérationnelle par leur seule présence en ligne. Une telle présence ne reflète pas nécessairement les niveaux spécifiques de menace que posent ces organisations, pas plus qu’elle ne signifie que le danger est complètement éliminé.
Pour déterminer les niveaux de risque et de menace, le véritable critère consiste à surveiller les mesures et les plans de ces organismes.
En particulier, on devrait surveiller sa capacité de mettre en œuvre ce qu’il promeut en ligne, qu’il s’agisse de menaces directes ou de celles prévisibles sur la base d’une analyse du discours et de la propagande des médias, les trajectoires de développement de l’organisation et ses régions géographiques d’intérêt.
Afin de déterminer la capacité spécifique de Deash à continuer, plusieurs facteurs doivent être notés.
Tout d’abord, à mon avis, vient le rôle du nouveau leadership. L’organisation a déclaré un successeur à al-Baghdadi, Abu Ibrahim al-Hashimi al-Qurashi.
L’annonce de la mort d’al-Baghdadi et la révélation de l’identité du nouveau dirigeant témoigne de la cohésion relative de l’organisation, du moins aux échelons supérieurs.
L’annonce a été faite en moins d’une semaine. Cela a peut-être contribué au fait qu’il y avait un « testament » de Bagdadi pour nommer son successeur, ce qui a aidé à résoudre toute controverse éventuelle sur la direction de l’organisation.
On note aussi dans l’annonce de l’investiture du nouveau chef de Daech qu’il a conservé le titre de « Commandeur des fidèles et calife des musulmans. » La déclaration de l’organisation à cette occasion que la poursuite de la démarche terroriste de Daech, en parlant de « conquérir des pays. »
Au cours de la période qui a précédé la mort d’al-Baghdadi, il n’y a eu aucun débat idéologique au sein du Conseil de la Choura de l’organisation à propos du concept d’État, du changement d’action cachée, des objectifs ou du modus operandi de l’organisation. La déclaration contient des références telles que « l’Etat se trouve aujourd’hui aux portes de l’Europe et de l’Afrique centrale ? Non, elle s’étend et persiste, si Dieu le veut, d’Orient en Occident. »
Mais elle sous-entend aussi une reconnaissance de la défaite. La déclaration prend un ton de repli, « Ne vous réjouissez pas, Amérique, » en référence à ce qu’elle a accompli dans sa guerre contre l’organisation.
La référence à Daech étant aux portes de l’Europe et de l’Afrique centrale ne sert qu’à remonter le moral des éléments de Daech et à suggérer la force, la viabilité et l’expansion du Daech. En pratique et quelques jours après la publication de la déclaration, l’organisation a perpétué deux attentats terroristes. Le groupe a ciblé deux points militaires au Mali, tuant plus de 50 soldats.
De telles déclarations doivent être traitées avec la plus grande prudence. Cette déclaration ne prouve pas qu’il y a un nouveau dirigeant de l’organisation, ni que l’organisation est capable de se ressaisir, surtout en l’absence d’informations précises sur son identité ou sur sa nationalité.
Il se peut que cette annonce soit l’une des ruses des éléments de l’organisation pour garder le projet en vie, en attendant ce qui se passera plus tard.
Du point de vue analytique, l’indicateur le plus important est que le business du terrorisme est encore jeune et couvre une vaste zone géographique du monde. En 2018, les opérations terroristes se sont étendues à 84 pays, dont environ 85 % au Moyen-Orient, en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne. Seuls 10 pays (Afghanistan, Syrie, Irak, Inde, Nigeria, Somalie, Philippines, Pakistan, Yémen, Cameroun, Inde, Nigéria et Syrie) ont subi environ 75 % de tous les attentats terroristes dans le monde.
Les organisations terroristes continuent de recevoir des fonds suffisants pour mener à bien leurs crimes, dans des zones géographiques qui souffrent déjà du terrorisme ou ne sont pas sous le contrôle de l’État mais des milices terroristes.
Un des aspects les plus dangereux chez Daech est que ses membres ne sont pas tous des fervents partisans. Une grande partie de ses éléments sont des mercenaires. Leur fidélité à l’organisation dépend de la mesure dans laquelle les nouveaux dirigeants de l’organisation peuvent continuer d’acheter leur loyauté grâce à de l’argent qui peut encore être entre les mains de ces grands éléments.
Avant sa défaite militaire, l’organisation disposait, selon des estimations occidentales, de ressources estimées à six milliards de dollars au plus fort de ses activités. L’organisation les a reçus de taxes, d’extorsion, de vols de banque en Irak, de revenus provenant de la vente de pétrole et de gaz et d’autres revenus.
Mais l’effondrement de l’état présumé de l’organisation et la fragmentation de ses éléments, ainsi que l’effondrement de son réseau de sécurité, ont remis en question le fait qu’une part importante des fonds de l’organisation est toujours là.
En somme, le rapport américain sur le terrorisme avertit le monde que la mort de Bagdad ne signifie pas la fin de la menace terroriste.
Il est donc impératif de maintenir la continuité et l’efficacité des plans, stratégies et alliances antiterroristes à l’échelle mondiale, afin de ne pas créer les conditions favorables à une nouvelle vague de cette menace mondiale.
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