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Génération volée : un douloureux devoir de mémoire

Le devoir de mémoire est le devoir qu’a un pays de reconnaître les souffrances subies par certaines catégories de la population, surtout lorsqu’il en est responsable. De discours en commémorations, en passant par l’établissement de « lois mémorielles », quelques Etats se penchent sur leur passé et tentent de l’intégrer à leur avenir.

Marquant ainsi une étape sur le chemin de la repentance et du devoir de mémoire à l’égard de la communauté aborigène d’Australie, Kevin Rudd, le Premier ministre australien, ouvrira la session parlementaire du 13 février 2008 par un discours présentant les excuses du gouvernement à la « génération volée  » des aborigènes d’Autralie.

Ramenez-les à la maison !

La prise de conscience des Australiens sur les injustices dont avait été victime la communauté aborigène s’est effectuée progressivement à partir des années 80.

Mais c’est en avril 1997, quand paraît le rapport « Bringing them home » (Ramenez-les à la maison), que le pays réalise ce que son gouvernement a réalisé au cours du siècle précèdent.

Ce rapport détaillait comment, entre 1869 et 1969, des enfants métis de la communauté aborigène avaient été enlevés à leurs parents, sans leur autorisation, pour être placés dans des institutions ou dans des familles d’accueil blanches.

A partir de 1950, chaque Etat australien disposait d’un arsenal législatif permettant à la police et aux agences gouvernementales d’enlever les enfants métis de la communauté aborigène, et de les confier à des institutions spécialisées.

Le but déclaré de ces placements d’office était de faciliter l’assimilation culturelle des métis dans la société australienne blanche.

D’après la commission d’enquête, au moins 100 000 enfants soit 10 % des enfants aborigènes furent ainsi retirés à leurs parents, et chaque famille aborigène a été affectée, sur une ou plusieurs générations sur la période allant de 1910 à 1970. Si la commission a mis en exergue les nombreux cas d’éloignements forcés, de tromperies par des agents gouvernementaux ou d’enlèvements sous la menace, elle a aussi noté que certaines familles aborigènes s’étaient séparées volontairement de leurs enfants.

La plupart des enfants étaient placés dans des institutions religieuses ou charitables et y étaient formés comme ouvriers agricoles pour les garçons et domestiques pour les filles, avec interdiction de parler leurs langues natales et de fréquenter des aborigènes.

A l’issue de ce rapport, la commission faisait trois recommandations au gouvernement :

  • subventionner les associations indigènes qui permettraient aux personnes concernées de faire les recherches généalogiques nécessaires pour retrouver leur famille ;
  • accorder des réparations aux victimes d’éloignements forcés ;
  • que les Parlements australiens présentent leurs excuses officielles et qu’ils reconnaissent la responsabilité de leurs prédécesseurs aux titres des lois, règlements et pratiques liés aux éloignements forcés.

Le rapport se conclut par des mots d’une rare violence : « Les communautés et familles aborigènes ont enduré des violations flagrantes de leurs droits fondamentaux. Ces violations continuent d’affecter les aborigènes aujourd’hui. Il s’agissait d’un génocide, destiné à anéantir les cultures, communautés et familles aborigènes, pourtant vitales au précieux et inaliénable héritage de l’Australie  ».

Une repentance contrariée

Si les parlements des sept Etats et territoires formant la fédération présentèrent leurs excuses entre mai et septembre 1997, le gouvernement fédéral de John Howard, élu en 1996, s’y refusa et ne proposa que le vote d’une motion au Parlement ne contenant que les mots « ... regrets sincères et profonds...  », craignant d’avoir à payer des réparations aux victimes si des excuses officielles étaient présentées.

Dès 1998, fut instaurée la Journée nationale du pardon (National Sorry Day), fixée au 26 mai, pour reconnaître le mal fait aux familles aborigènes et pour permettre le début d’un processus de guérison.

Depuis la publication du rapport, des membres de la frange ultraconservatrice du Parti libéral (au pouvoir de 1996 à 2007) mettent en doute la véracité des faits décrits dans le rapport.

En outre, ils remettent en cause l’interprétation de l’histoire de l’Australie faite par les historiens, c’est-à-dire comme entachée par l’impérialisme, l’exploitation, les mauvais traitements, les expropriations et le génocide culturel.

En 2000, le ministre des Affaires aborigène présentait au Parlement un rapport qui mettait en doute le fait qu’une « génération volée » ait jamais existée dans la mesure ou 10 % des enfants ne pouvait pas constituer une génération complète.

Face aux protestations de la presse et de manifestants, le ministre présenta des excuses disant « comprendre que certains pouvait se sentir offensés », mais refusa de remettre en cause le rapport.

Le chemin à parcourir

Après l’annonce par le nouveau Premier ministre travailliste, Kevin Rudd, élu en décembre 2007, que le gouvernement australien ferait des excuses, la controverse continue.

Le Parti libéral, désormais dans l’opposition, est divisé. Le journaliste conservateur Andrew Bolt, taxé de négationnisme par le Pr Robert Manne (The Age, 9 septembre 2006), publie le 30 janvier un article dans le Herald Sun intitulé : « Nous ne devrions pas nous excuser auprès des aborigènes », n’hésitant pas à dire que rien de tout ceci n’est jamais arrivé.

De plus, s’il est prêt à présenter des excuses, le gouvernement Rudd refuse de le faire au nom du peuple australien. Il refuse également d’envisager de dédommager les victimes, arguant que les générations actuelles n’ont pas à être pénalisée à cause du comportement des anciennes.

Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir à l’Australie avant de faire la paix avec son passé, d’autant qu’il lui faut aussi traiter avec les « lois pour une Australie blanche » (White Australia Policy), qui interdisaient ou limitaient fortement l’immigration de personnes non-européennes ou non-blanches de 1901 à 1973 et qui hantent le débat politique avec l’émergence de partis nationalistes comme One Nation.

Gageons qu’une grande démocratie comme l’Australie saura, comme la France l’a fait en son temps, trouver le courage de regarder son passé et ne plus avoir peur.

Sources :

Bringing them home : Report of the National Inquiry into the Separation of Aboriginal and Torres Strait Islander Children from Their Families

Bringing them home : Community Guide


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7 réactions à cet article    


  • Black Ader 5 février 2008 15:50

    Bon, c’était pour éduquer les sauvages dans la mixité. Ca partait de bons sentiments..


    • Cris Wilkinson Cris Wilkinson 5 février 2008 17:04

      Le fait d’intégrer des métis à la société blanche est un bon moyen de faire changer la vision de celle-ci sur le peuple aborigène.

      Mais ce qui m’étonne le plus, c’est le % d’enfants métis.

      On nous dit toujours que les aborigènes sont traités comme des sous-hommes et cloisonés dans des réserves, mais ils trouvent quand même le moyen de se reproduire avec le salaud de blanc.


      • Didier B Didier B 5 février 2008 17:22

        En fait, il n’y a pas de reserves en Australie, contrairement aux USA ou au Canada.

        Et le problème de la propriété de la terre est toujours bien vivant pour les Aborigènes, même si la situation s’est améliorée ses 20 dernières années (comme la protection des zones culturelles, Uluru par exemple) et la reconnaissance de 15% du territoire national en tant que terre aborigène... Mais bon, ces 15% sont essentiellement des déserts ou des jungles.

        Et aujourd’hui, environ les 2/3 des aborigènes vivent en zone urbaine.


      • Kookaburra Kookaburra 5 février 2008 18:28

        Avant de faire un jugement moral sur cette affaire il serait utile de s’informer sur ce peuple les indigènes d’Australie. Il serait inexacte d’imaginer ils sont comparable aux noirs des Etats-Unis. Et donc bien intégrés mais souvent désavantagés par des préjugés. Une comparaison plus juste serait avec les Indiens des Etats-Unis. C’est un peuple nomade, très attaché aux traditions et coutumes ancestrales et qui, pour cette raison a toujours résisté à l’intégration dans une société difficilement compréhensible pour eux. L’erreur a été de vouloir à tout prix les intégrer. D’où cette tentative stupide et condamnable des les intégrer « de force » en

        installant 10% des enfants métis dans la société blanche. L’intention était « bonne » au moins de leur point de vue à l’époque. Ce que ne l’excuse pas, bien entendu. Parler de « génocide » est excessif. Il y avait bien des massacres, des deux cotés, et comme les carabines sont plus efficaces que les flèches, les victimes étaient plus nombreuses ces les noirs que chez les blancs, mais il n’y avait jamais une volonté de génocide.

        Le peuple aborigène a peu évolué. Beaucoup vivent aujourd’hui presque comme il y a mille ans. Le contact avec notre civilisation leur est le plus souvent néfaste. Raison pour laquelle de vastes territoires du continent ne sont accessibles aux blancs qu’avec un permis. Les noirs peuvent aller partout mais pas les blancs. Ils ont un terrible problème d’alcool. On voulait l’interdire, mais les bien-pensants ont protesté que les noirs devraient avoir les mêmes droits que les blancs, y compris à l’alcool.

        Ces mêmes bien-pensants ont beaucoup agité pour un méa culpa, mais la génération actuelle des blancs ne se sent pas coupable des erreurs et des crimes de leurs ancêtres. C’est un vaste sujet et qui déchaîne des passions comme des questions comparables dans plusieurs pays, y compris la France. Je ne me sens pas suffisamment informé pour faire un jugement là-dessus, mais une chose est certaine, je ne me sens nullement coupable !  Nous avons déjà fait énormément d’efforts de rétribution, critiqués comme excessifs par beaucoup, mais le problème reste entier.

         


        • Ann-onym 6 décembre 2017 20:25

          @KookaburraSuite à l’invasion de lapins survenu en Australie. Des ouvriers australiens non aborigènes ont été envoyés pour construire des barrières (de 3.000 km) séparant les lapins et les aborigènes des non aborigènes. 

          N’oublions pas que les 3.000 km ne se sont pas construits en un claquement de doigts et ajoutons à cela des ouvriers bien loin de leurs « distractions » habituelles (bordel, femme -pour les mariés, honte à eux- etc...) qui décidèrent donc de se tourner de l’autre côté de la barrière (sans mauvais jeu de mots) et de s’intéresser aux femmes aborigènes. Arriva se qui arriva : pleins de petits métis !! Qui sont rejetés par les les non aborigènes (car étant à moitié « noir », d’où la désignation de « half castes » en anglais) et par les aborigènes (car ils étaient à moitié « blanc », et comme tu l’as si bien dit les aborigènes n’était pas très ouverts envers les occidentaux, mais on peut les comprendre smiley). Donc très vite, il eu beaucoup d’enfants abandonnés le long des barrières (côté occidentaux). Et pour citer Wikipedia : « Au xixe siècle, les théories eugénistes et le darwinisme social affirment que le contact entre colons d’une « race supérieure » blanche et peuple colonisé d’une « race inférieure » amène inévitablement, par un processus de sélection naturelle, à la disparition de ces derniers. Or, le nombre croissant de métis en Australie est perçu comme une menace envers la « pureté » de la « race blanche », ainsi que comme une entrave au processus d’extinction « naturelle » des Aborigènes.Conséquence, dès 1869, la loi autorise le gouvernement à saisir les enfants « métis » (half-castes)7, officiellement pour s’assurer de leur bien-être en les intégrant à la société blanche. Lorsque les politiques de saisie des enfants sont harmonisées au niveau fédéral dans les années 1930, leur but explicitement annoncé est d’accélérer la disparition des Aborigènes. Cecil Cook, Protecteur des Indigènes dans le Territoire du Nord, déclare ainsi que l’assimilation biologique des métis dans la société blanche résoudrait le »problème aborigène«   : « Toutes les caractéristiques indigènes de l’Aborigène australien sont généralement éradiquées à la cinquième génération, et le sont invariablement à la sixième. Le problème de nos métis sera rapidement éliminé par la disparition complète de la race noire, et par la submersion rapide de sa progéniture au sein de la blanche. » (pour le citer...) ».


          Regarde bien les mots en gras et si ces derniers ne te font pas penser à un
          génocide (si,si...) culturel, alors je voudrais bien déclamer haut et fort que le canadien J.B
          est le meilleur artiste que cette terre ait connue smiley...



          Amicalement :-> Ann-Onym

          Ps : si tu n’arrives pas à lire certaines phrases va sur Wikipedia, voici le lien :


        • (---.---.202.128) 5 février 2008 21:14

          La France a massacré des centaines de milliers d’Africain, beaucoup de ces "indègènes" des colonies français sont Français et vivent en France depuis fort longtemps......et ce n’est pas pour autant que la France demande pardon ! loin de là !

          Que devons-nous faire nous Français issue de...descendants d’esclaves et de colonisés ?

          Je connais des amis Français dont les arrières grands parents ont été gazé par le maréchal pétain au tout début de la colonisation ? Ne leur doit-on pas réparation ??

           

          http://www.parti-multiculturel-francais.fr

           

           


          • dom y loulou dom 11 février 2008 01:14

            @kookaburra

             

            je comprends ton raisonnement, mais en fait même si tu ne portes pas la culpabilité des ancêtres qui ont fait des horreurs comme nous ne sommes pas responsables ni de la shoa ou des bûchers de l’inquisition, en aucune façon celà nous dédouanerait de suivre les mêmes états d’esprit qui ont amené ces barbaries. Tu comprends n’est-ce pas ? 

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