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Guinée : certains signes encourageants, et certains signes inquiétants pour l’avenir du pays

La pression internationale s’accentue sur Moussa Dadis Camarra, autoproclamé président de la République de Guinée suite à un coup d’Etat militaire sans effusion de sang le 23 décembre, quelques heures après le décès du général-président Lansana Conté. Cette pression concerne l’organisation d’élections démocratiques que la communauté internationale souhaite le plus vite possible.
Par ailleurs, le capitaine-président Camara et la junte au pouvoir ont arrêté cette semaine seize militaires et trois civils, dont plusieurs proches du défunt président Lansana Conté.


De plus, le président Camara a accordé sa première interview à nos confrères de Jeune Afrique, le magazine hebdomadaire français consacré au continent africain .

L’occasion pour nous de nous interroger. Que signifie cette purge de l’armée ? Où en est la situation en Guinée ? Celle-ci évolue t-elle dans le bon sens ?

Dans le journal Jeune Afrique, sur un ton rappelant son discours prononcé le 27 décembre devant des représentants de la société civile, Moussa Dadis Camara révèle les raisons du putsch militaire : « l’armée devait prendre ses responsabilités pour mettre fin à des années de dérive. Elle l’a fait fidèle à son devoir de protection de la nation ». Il fait allusion à la corruption qui touche le pays dans les hautes sphères de l’Etat ; cette lutte contre la corruption et le népotisme était apparue comme sa priorité dans ses premiers discours au moment de sa prise de pouvoir afin de rendre les richesses au peuple et d’améliorer les conditions de vie des Guinéens. Rappelons que le pays est le premier exportateur mondial de bauxite (principalement utile pour la fabrication de l’aluminium) et que son sol contient aussi or, diamant et uranium.

De nombreux Guinéens, y compris des dirigeants syndicaux et de l’opposition, ont donc vu dans la prise du pouvoir par les militaires une chance de rompre avec près d’un quart de siècle d’un régime corrompu, sous la présidence de Lansana Conté.

Camara avait promis de placer des civils dans son gouvernement : si la junte a bien nommé comme Premier ministre un civil, Kabine Komara, elle a placé des militaires à la tête des ministères de la Défense et de la Sécurité. Comme ministre chargé de la sécurité présidentielle, c’est l’un des dirigeants de la junte, le sous-lieutenant Claude Pivi, qui a été nommé. Le CNDD a aussi nommé comme chef d’état-major de l’armée le lieutenant-colonel Oumar Sanoh, ancien chef de la région militaire de N’Zerekore, dans le sud-ouest du pays, dont est aussi originaire… le capitaine Camara.

Interrogé sur son prédécesseur à la tête de la Guinée, Moussa Dadis Camara déclare que Lansana Conté lui « inspire le respect » et fait cette confidence : « j’ai attendu sa disparition pour prendre un pouvoir qui était à ma portée depuis plusieurs années  ». Cette pensée déjà évoquée lors de sa prise de pouvoir fin décembre est toujours aussi étonnante. Nous pouvons de ce fait vraiment nous interroger sur ses politiques futures et sur les réels changements qui seront opérés dans ce pays s’il éprouve un tel respect pour le précédent dictateur.

Conscient des condamnations ou désapprobations de la communauté internationale que son coup d’Etat miliaire a provoqué, le natif de Nzérékoré ne demande qu’une seule chose : « qu’on nous juge nos actes au lieu de nous rejeter sans nous connaître  ». Il affirme que cette dernière « reviendra bientôt à des meilleurs sentiments si elle nous regarde agir  ». Sauf que la communauté internationale ne peut pas accepter sans rien dire des prises de pouvoir illégales telles que celle du 23 décembre grâce à un coup d’Etat militaire ; de plus depuis le sommet d’Alger en 1999, une déclaration a été adoptée par l’Union Africaine condamnant le coup d’Etat comme mode d’accession au pouvoir.

Quant à ses actes, la communauté internationale et surtout le peuple guinéen n’attendent que ça, après des décennies de souffrance et de pauvreté.

Dans l’entretien réalisé avec Jeune Afrique, Moussa Dadis Camara avoue n’avoir « jamais été animé par l’ambition d’exercer le pouvoir  », dévoile ses priorités pour redresser le pays comme le fait que « Tous les contrats de l’administration vont être revisités » et annonce son programme : assurer la transition, organiser un scrutin présidentiel et retourner en caserne. Donc si l’on comprend bien cette dernière volonté, Camara n’aurait pas l’intention de rester au pouvoir, et s’effacerait quand un nouveau président serait élu. Nous verrons cela lors des futures élections.

A propos de l’organisation des prochaines élections, il semble que la priorité qui incombe à la junte soit la préparation d’élections libres et crédibles : c’est LE point sur lequel la Guinée et la communauté internationale se sont affrontées.

Au moment du coup d’Etat, la junte avait promis de tenir des élections en décembre 2010, soit à la fin du mandat du président Conté. Mais la communauté internationale avait protesté car ce délai était jugé trop long. Dès le 25 décembre, le président français Nicolas Sarkozy demandait des "élections libres et transparentes" à "bref délai" en Guinée. Les Etats-Unis et l’Union européenne évoquaient un délai de six mois, l’opposition guinéenne d’un an.

Washington a accentué sa pression sur les putschistes pour un retour rapide du pouvoir aux civils. Les Etats-Unis, très en pointe dans ce dossier, ont annoncé mardi qu’ils suspendaient leur aide à la Guinée "à l’exception de l’aide humanitaire et des programmes en faveur du processus démocratique". Quant à la France, l’ancienne Métropole, elle a donné l’assurance, par l’intermédiaire de son secrétaire d’Etat à la Coopération, Alain Joyandet, premier haut responsable occidental à rencontrer la junte au pouvoir depuis le 23 décembre 2008, que la France serait beaucoup plus "présente" et a réaffirmé « la proximité entre la France et la Guinée doit se consolider dans le cadre d’une nouvelle étape de l’histoire de la Guinée ». Il faut savoir que depuis l’indépendance du pays en 1958, la France ne s’en était plus trop préoccupé ; rappelons la déclaration du Général de Gaulle au moment où la Guinée avait préféré son indépendance en votant « Non » à une Constitution proposée par de Gaulle pour l’établissement d’une Communauté franco-africaine : « L’indépendance est à la disposition de la Guinée mais la France en tirera les conséquences ».
La France serait donc maintenant davantage disposer à aider la Guinée s’il s’y tenait des élections rapidement.

Et la pression internationale semble avoir finalement fait son effet puisque suite à la rencontre entre le Comité National pour la Démocratie et le Développement et le secrétaire d’état français le 4 janvier 2009, le capitaine Moussa Dadis Camara réitère l’engagement de la junte à organiser des élections libres et transparentes, auxquelles ni les membres de la junte, ni les membres du futur gouvernement de transition ne seront candidats, à la fin décembre 2009. Cela constitue un délai plus raisonnable afin d’avoir une transition vers une ère de démocratie nouvelle pour le peuple de Guinée. Nous pouvons saluer le fait qu’aucun membre de la junte ne se présenterait à l’élection présidentielle : cela tendrait à prouver la bonne foi de Camara et le fait qu’il n’ait pas menti en disant qu’il ne souhaitait pas le pouvoir à tout prix.

Pour l’heure le président Moussa Dadis Camara s’est occupé de sécuriser son pouvoir en procédant à des arrestations au sein de l’armée d’anciens fidèles de Lansana Conté.

Cette vague d’arrestations est intervenue avant le sommet de vendredi 9 janvier au Nigeria des chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui devraient officiellement confirmer la suspension de la Guinée de cette organisation régionale.

L’Union africaine (UA) avait déjà suspendu Conakry le 29 décembre de ses activités. Mais des divergences sont apparues sur le continent, les dirigeants sénégalais Abdoulaye Wade et libyen Mouammar Kadhafi ayant pour leur part appelé à soutenir les putschistes. Le président sénégalais, qui fut le premier chef d’Etat à appeler à soutenir la junte, s’est rendu quant à lui mercredi à Conakry pour rencontrer la junte, une initiative diversement appréciée par des journaux sénégalais : "Wade accusé de complicité de coup d’Etat" titrait mercredi à la une Le Quotidien. Le chef de l’Etat sénégalais a réitéré à Conakry son soutien à la junte. Camara lui a répondu que « la place des militaires est dans les casernes et non au pouvoir », montrant ainsi de nouveau sa volonté de ne pas s’accrocher au pouvoir.

Les dix-neuf personnes arrêtées par vagues successives depuis samedi sont détenues au camp Alpha Yaya Diallo, plus important camp militaire du pays et quartier-général des putschistes. Parmi les personnes arrêtées figurent trois généraux mis à la retraite par la junte : l’ancien chef d’état-major de l’armée, le général de division Diarra Camara – celui-ci s’était dès le départ opposé au putsch -, l’ex-chef d’état-major de la marine, le vice-amiral N’fali Daffé, ainsi que son adjoint, le contre-amiral Fassiriman Traoré. Ces hommes ainsi que d’autres officiers sont soupçonnés de complot contre le Conseil national pour la Démocratie et le Développement (CNDD).

L’armée guinéenne constituait le pilier des régimes de Ahmed Sékou Touré (1958-1984) et Lansana Conté (1984-2008) mais le putsch du 23 décembre a révélé au grand jour des divisions entre les généraux et la troupe. Deux colonels dont Vivas Sylla, un des proches du "général-président" Lansana Conté, trois commandants dont Siaka Camara, neveu du défunt président et un des membres de sa garde présidentielle chargée de sa sécurité personnelle, comptent aussi parmi les personnes détenues. Il y a également trois capitaines, un lieutenant, trois sous-lieutenants et un sergent. Trois civils sont en plus détenus : un douanier, un haut fonctionnaire et un journaliste. Aucune explication officielle n’a été donnée sur cette vague d’arrestations.

Sans raison valable, ces purges dans l’armée sont très contestables : ce sont tout simplement ici les opposants à Moussa Dadis Camara qui ont été arrêtés ! Cela ne n’est pas très démocratique.

Nous pouvons rappeler des exemples historiques, car cela est malheureusement assez classique que de procéder à de telles purges après un coup d’Etat militaire :


- Idi Amin Dada (1971-1979) pris le pouvoir en 1971 en Ouganda suite à coup d’Etat qui avait renversé Milton Oboté. Dada purga en 1972 tous les officiers qui étaient de la même ethnie (Lango) que son prédécesseur.


- Omar Hassan Ahmad el-Béchir, l’actuel président du Soudan, commandait la 8e brigade de l’armée régulière au plus fort de la guerre civile entre le gouvernement de Khartoum et le Mouvement de libération du peuple du Soudan (SPLA), lorsqu’il a su habilement tirer profit de la grogne de ses officiers pour prendre le pouvoir en 1989. Il a exercé son pouvoir par le biais d’un Conseil de commandement de la révolution (RCC) et d’un gouvernement de salut national, après une purge dans les rangs de l’armée.

Mais précisons tout de même que Moussa Dadis Camara n’a pas abattu les officiers arrêtés.

"Le président (Camara) suit une logique de purge de l’armée (...) mais cela ne règle pas les problèmes fondamentaux d’indiscipline et de corruption qui seront plus difficiles à régler", note un officier guinéen. Cette corruption, tant dénoncé par Camara, provient surtout du trafic de drogue qui touche beaucoup la Guinée. En effet, ces dernières années, des responsables onusiens de la lutte contre les stupéfiants ont affirmé que la stabilité de la Guinée et de ses voisins était gravement menacée par des cartels de la drogue colombiens qui ont transformé la région en plaque tournante du trafic de cocaïne vers l’Europe. "Selon certaines informations, des narcotrafiquants ont infiltré toutes les structures, y compris l’exécutif et l’appareil judiciaire", explique Antonio Mazzitelli, représentant en Afrique occidentale de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC).

Mais certains des militaires qui le soutiennent faisaient partie de ceux qui, sous couvert de réprimer une mutinerie de la police, ont saccagé les bureaux de l’agence anti-drogue, en juin, détruisant toutes les archives.

"L’UNODC et la communauté internationale vont suivre l’évolution de la situation en Guinée en espérant que la reconstruction du pays inclura l’élimination de toute implication présumée de hauts responsables et d’officiers dans des activités illicites, notamment le trafic de drogue", a dit Antonio Mazzitelli à Reuters.

Le travail ne manque pas pour Moussa Dadis Camara.

 Ainsi Moussa Dadis Camara a-t-il donné des signes encourageants en envisageant des élections courant 2009 et en précisant que les militaires ne s’y présenteraient pas. Mais la purge de l’armée n’est pas faite pour rappeler des bons souvenirs, ainsi que les nombreuses nominations militaires au sein des ministères, en contradiction avec ses déclarations.

Néanmoins, nous pouvons laisser une chance à Camara d’améliorer les choses, comme il l’a tant promis, jusqu’aux prochaines élections libres ; nous pourrons alors juger, selon les résultats et la manière dont elles se seront déroulées, si la transition démocratique en Guinée a réussi. Nul doute que de nombreux experts et contrôleurs internationaux veilleront à ce que la Guinée évolue vers une vraie démocratie. Si les élections s’avèrent libres et transparentes, force serait de constater que le coup d’Etat de Camara aurait servi à quelque chose. Encore faudra t-il que Camara puis le futur gouvernement démocratique éradique vraiment la corruption qui semble bien implantée en Guinée avec les trafics de drogue notamment...


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1 réactions à cet article    


  • jfbiz 10 janvier 2009 15:40

    C’est bien de nous parler un peu de la Guinée qui traverse une de ces crises dont l’Afrique a le secret.

    Des élections en 2009 ? sans les militaires ?
    Attendons de voir si le nouveau président ne prend pas goût au pouvoir !

    En tout cas, je souhaite bien du courage au peuple Guinéen

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