L’Américanisme produit ses fruits
Je suis en Argentine depuis quelques mois. Un pays merveilleux, mais qui a quelques problèmes écononiques. Problèmes « financiers » serait plus exact, car le problème est une dette odieuse que lui ont créée ses anciens dirigeants au profit de banquiers internationaux. La Grèce avant l’heure, quoi… !
Rien de nouveau sous le soleil : on corrompt, on prête des sommes folles qui serviront à payer des biens et services inutiles achetés des copains du prêteur… puis on vient réclamer le remboursement du prêt. Même les enfamts aujourd’hui le comprennent… Tous les Argentins savent qui est ce « ON » qui corrompt, qui prête, qui vend des babioles puis vient vider les caisses du pays pour le tenir a sa merci. Je n’ai pas rencontré, depuis des mois, un seul Argentin pour dire un mot gentil des USA.
Il s’est bâti ici une rancune solide contre le gringo. On n’en est pas à le lyncher, mais l’accueil n‘est plus ce qu’il était et le tourisme fond comme neige au soleil, ce qui n’arrange rien. Cette animosité s’est manifestée de façon spectaculaire, depuis quelques jours, par des MILLIERS de graffitis rendant hommage à Chavez et dont il est impossible de ne pas voir qu’ils sont autant de défis aux USA. La video du coup d’Etat contre Chavez, contrecarré par un soulèvement populaire, ( Voir l’article de Oscar Fortin), est diffusée inlassablement sous diverses formes et commenté partout comme une victoire de tous les « Latinos » sur l’oppresseut anglo-saxon. « ILS avaient eu Allende, ILS n’ont pas eu Chavez…. »
En fait, le lambda argentin sait bien « qu’ILS ont eu Chavez » – puisque Chavez est mort – mais croit que c’est la fourberie qui a transformé la victoire en défaite et que c’est un présage de victoire finale… puisque le peuple PEUT gagner. il faudra seulement être plus prudent, désormais, comprenant que l’Ennemi est abject et capable de tout…. Fourberie. Traitrise…. Il est implicite, ici, que l’homme de la rue voit la main des USA dans ce cancer de Chavez et cette maladie subite qui semble viser les leaders de gauche d’Amérique latine.
ll y voit l’influence américaine sans l’ombre d’une preuve, et c’est ça, la vraie mauvaise nouvelle pour les USA. L’Argentin de la rue VEUT croire qu’ON a fait mourir Chavez. Il y trouve la justification d’un ressentiment qui grandit à la mesure de sa pauvreté qui augmente et qui ressemble de plus en plus à de la haine.. Cette évolution est-elle irréversible ? J’écrivais, il y a quelques années, un texte (voir ci-après) décrivant une dérive « américaniste ». Je le reprends ici, car je crois qu’on y trouvait en germe ce qui a créé aujourd’hui cet antagonisme Nord-Sud. Se demander si on pourrait y mettre fin, c’est se demander si les Nord-Américains peuvent changer leur vision du monde. Le débat est ouvert…
***
On parle bien trop d’antiaméricanisme et pas assez d’Américanisme. On ne sait plus trop qui, de Huey Long, d’Upton Sinclair ou d’Albert Weisbord, a dit le premier, dans les années 30, que si le Fascisme s’établissait en Amérique, il s’appellerait « Américanisme ». Ça n’a d’ailleurs guère d’importance : on l’a redit tellement souvent depuis !
Quand on lui propose le couple de mots-clefs « Fascisme/Américanisme », Google a 144 000 références à vous faire, dont une bonne part ne disent pas autre chose. Ce n’est pas un secret. Que les USA soient en voie de fascisation n’est pas non plus un phénomène nouveau. Eisenhower, en ses propres mots, l’annonçait dans son discours d’adieu comme Président des USA et, à défaut de prendre le pouvoir, le Sénateur McCarthy a eu sur la politique américaine d’il y a deux générations une influence délétère dont les artistes et les intellectuels ont fait les frais et qu’on ne peut décrire que comme parfaitement fasciste.
Le phénomène n’est pas nouveau, pourquoi en parler maintenant ? Parce qu’on vient d’entrer dans la phase finale de mise en place de l’Américanisme. Je ne parlerai pas ici de l’Iraq, ni même de Cuba, mais de deux faits qui font aujourd’hui les manchettes et qui sont extrêmement significatifs, parce que, chacun à sa manière, ils marquent la fin de ce qui restait de l’État de droit et de la démocratie en Amérique.
Premier signal – le plus brutal – la fin de non-recevoir des USA à toutes les critiques concernant le camp de concentration de Guantanamo. On garde des centaines de prisonniers de toutes nationalités en cages depuis des années. Anonymes, sans procès, sans avocats, sans même qu’ils aient été l’objet d’une accusation précise. On les garde dans des conditions inhumaines dénoncées par la Croix-Rouge Internationale. Au mépris des conventions internationales, au mépris des lois américaines elles-mêmes. Au mépris de la simple humanité. Selon la logique et la jurisprudence du Procès de Nuremberg, ceux qui ont conçu et qui gèrent l’opération de Guantanamo devraient être pendus.
Ce qui rend Guantanamo significatif, ce n’est pas que les USA s’en rendent coupables, c’est qu’ils l’avouent. Les USA opèrent depuis 30 ans des écoles de torture en Amérique Latine, mais ils le faisaient discrètement : c’est toujours des locaux qui pédalaient la « gégenne ». Maintenant, Guantanamo est une politique officielle connue de la population américaine et mondiale, comme jamais Auschwitz et Treblinka ne l’ont été lorsqu’ils faisaient leur travail meurtrier. On n’a rien à cacher : Guantanamo sert les intérêts de l’Amérique et est donc « BIEN ». Comme il était « bien », à l’époque, qu’un Aryen puisse taper sur un Juif ou le tuer. Cette perversion de l’éthique au nom d’intérêts décrétés supérieurs, c’est ça l’essence du fascisme.
Deuxième signal – plus subtil mais tout aussi nocif – la déconstruction du Candidat Dean. Candidat à l’investiture démocrate pour disputer la présidence à Bush en novembre, Dean avait clairement dénoncé l’intervention américaine en Iraq. Il était le seul. Il menait dans tous les sondages. Mais en Iowa – où une procédure byzantine permet à qui en a les ressources de manipuler totalement les résultats sans qu’on puisse même jamais en faire la preuve – Dean a subi une défaite qu’aucun sondage ne laissait prévoir. Quand le Système le veut vraiment, la statistique peut cesser d’être une science
Ce n’est pas tout. Dean a subi une défaite et a réagi en faisant un discours. Quel discours ? Un tissu d’insignifiances, comme tous les discours de tous les candidats dans toutes les élections aux USA. Mais pour Dean, « on » a fait un spécial. Tous les médias, sans exception, ont crié haro sur le baudet. Chaque journal, chaque station de TV, le Système au complet, démocrates et républicains confondus – vulgairement, violemment ou subtilement selon sa clientèle – a « analysé » le discours de Dean pour en conclure qu’il n’avait pas l’étoffe d’un président. On l’a fait avec la même unanimité que la presse chinoise encensant Mao à l’époque de la révolution culturelle.
Quelques milliers de gens, sans plus, ont écouté le discours de Dean, mais c’est sans importance ; pour des dizaines de millions d’électeurs américains qui ne se renseignent que via les médias, Dean a dit des choses qui le rendent inapte à être élu. Quelles choses ? Tout le monde s’en fout. C’est la démocratie à l’américaine.
Résultat ? Dean a perdu les « primaries » au New Hampshire et n’est plus vraiment dans la course. Il ne faut pas de mouton noir sur la ligne de départ dans une élection américaine. Tous les candidats – 2 seulement, c’est plus facile – doivent n’avoir qu’une pensée : l’Américanisme. On ne peut pas avoir sur les rangs un candidat qui soit opposé sans nuances à la guerre en Iraq. On peut dire qu’il fallait la faire autrement, ou plus tard, mais dire que la guerre à l’Iraq a été une infamie, non. Ce n’est pas AMÉRICAIN.
Ce qui rappelle qu’il y a quelques années Ross Perot – LE CANDIDAT EN TETE DANS TOUS LES SONDAGES ! – et qui disait qu’il fallait revoir la démocratie en Amérique, a mis fin à sa campagne fructueuse suite à des menaces de mort précises contre sa fille. Un scandale inouï ? Le FBI en alerte pour la plus grande chasse à la vérité de l’Histoire des USA ? Tous les médias qui ne parlent que de ça pendant des semaines ? Mais non. Quelques entrefilets sans commentaires et cette presse américaine, qui peut écrire cent fois la Bible sur le cigare de Clinton, n’a plus rien a dire sur le retrait de la candidature de celui qui semble en voie de devenir un président « différent ». Être différent, ce n’est pas AMÉRICAIN
Cette façon de museler ou d’éliminer tout ce qui n’est pas conforme à la pensée correcte, ça aussi c’est le fascisme. Guantanamo, Dean, l’Iraq et ces histoires de contrôles vexatoires pour le simple transit par les USA. Le Brésil a bien raison de prendre aussi les empreintes digitales des Américains qui se pointent au Brésil : on ne sait jamais ce que peut faire un fasciste. Bien sûr, tous les Américains ne sont pas des fascistes, mais il y a certes moins de poseurs de bombes brésiliens que de fascistes américains.
L’Antiaméricanisme est aujourd’hui une grande vertu. L’antiaméricanisme n’est pas antiaméricain, il est antiaméricaniste. Il faudrait guérir les Américains de l’Américanisme avant qu’ils ne fassent un malheur. Gardons notre respect à tous les Américains qui ne sont pas des fachos et espérons que la population américaine, en novembre, désavouera Bush quel que soit son adversaire. Mais il ne faut pas trop se leurrer : quand le pouvoir contrôle une presse monolithiquement « americaniste », il est hélas bien possible que la population donne son aval a Bush et s’en fasse donc la complice. Pardonnons à l’ignorance. Souvenons nous que si l’on avait voulu jadis serré la main d’un Autrichien qui avait voté contre l’Anschluss, il aurait fallu cherché quelque temps…
Les sondages révèlent que dans tous les pays – sauf les USA – on considère aujourd’hui les USA comme une menace à la paix. L’antiaméricanisme est devenu aujourd’hui un devoir. Toute concession à la politique américaine, toute sympathie envers la politique américaine a aujourd’hui une odeur de Munich. Appelons de nos voeux le changement qui ramènera à la raison l’Amérique qu’on aime. »
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Nos voeux n’ont pas été exaucés. Aujourd’hui, l’américanisme donne ses fruits : Les USA n’ont plus d’amis sincères en Amérique latine. Aucun.
Pierre JC Allard
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