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L’Obama Blues

Le « Yes we can » est tombé en désuétude.. Ce n’est plus seulement une ringardise de communicant devenue le porte-étendard de l’espoir, vendue à une furie populaire inquiète par des années de charlatanisme politicien, il est désormais l’expression d’une désillusion profonde, le retour à la dure réalité, et pour beaucoup le synonyme de trahison.. Les élections de mi-mandat américaines ont été dans l’ampleur du naufrage démocrate la résonance bien puissante des frustrations d’un peuple qui a attendu le miracle et qui a eu droit au réalisme d’un déclin inévitable pourtant longtemps annoncé.. L’économie chancelle, les progrès sociaux sont si timides qu’ils seraient presque inexistants, les guerres ne sont pas mortes, la paix lointaine semble hors de portée de toute ambition politique, la peur portée par la menace terroriste permanente alourdit le climat déjà délétère, le vécu des citoyens donne l’impression de stagner ou de reculer, en somme Obama s’était cru le Messie de l’Amérique mais pour les américains qui viennent durement de le sanctionner il se pourrait qu’il en soit le premier fossoyeur, à tort ou à raison..

Les américains ont compris avec Obama qu’ils étaient déjà entrés dans le « PostAmerican World », qu’ils avaient perdus le « monopole de l’histoire », si ce n’est l’influence prépondérante qui était jadis la leur.. Drôle de retournement de situation, l’homme que l’on aimait croire marchant sur les eaux, a depuis son élection fait face à un monde en pleine mutation avec des acteurs nouveaux, revanchards, intransigeants.. Et tous ses efforts sisyphéens de maintenir le standard américain au-dessus du lot, de redynamiser l’industrie fébrile, de ressusciter l’élan économique, de dynamiter les injustices sociales, contribuent ironiquement à renforcer l’idée que le pire ne fait que commencer.. « Rise of the rest » ou la montée des autres, les fameux BRIC (Brésil Russie Inde Chine) pose indéniablement le problème de reconfiguration mondiale économique donc politique.. La peur de l’avenir plane au-dessus du mécontentement électoral américain.. Le nouveau slogan d’Obama « Moving America Forward » tente tant bien que mal d’apaiser, de répondre à cette hantise forte..

Le mécontentement électoral exprimé contre le locataire de la Maison Blanche, au-delà des déceptions strictement internes, témoigne de ce refus de perte du leadership au profit de ses vassaux d’hier, du déni de la réalité mondialisatrice, celle d’un monde globalisant influencé désormais par des émergences fortes et impatientes d’assumer leurs places.. Comme en Europe, la crise financière mondiale a décuplé la nocivité de la mondialisation telle que construite et soutenue aujourd’hui, solidifié le sentiment d’impuissance et excité les nationalismes.. Elle a mis à nu les utopies libérales montrant ses limites que l’on a trop souvent niées.. Dans ce contexte bien particulier, il aurait sans doute été déraisonnable d’en attendre plus de quelqu’un qui se doit de faire preuve de responsabilité devant une situation inconfortable pour toutes les puissances actuelles.. Le problème est que Obama a contribué à cette exigence populaire.. Il a jouer avec le talent qui est le sien sur cette attente immense et suscité plus d’espoir donc de mensonges qu’il n’en fallait.. Les électeurs n’ont pas toujours la mémoire aussi courte que l’on peut quelques fois le penser.. Dans des contextes difficiles ils se souviennent du bonheur promis.. Le bulletin de vote devient alors soit un avertissement clair, soit un couperet brutal.. Obama est au carrefour de son avenir politique, à lui de percevoir les aspirations de ses concitoyens et de donner une autre direction à la conduite des affaires publiques car plus de soixante pour cent des américains trouvent que leur pays va dans le mur..

Pourtant Obama n’est pas une catastrophe comme les républicains et l’aile conservatrice à coups de diffamation nauséeuse le font bruyamment savoir.. Comparé à son prédécesseur, il est un rénovateur lucide habité par la volonté d’équilibre et d’équité social, du consensus, et de la reforme.. C’est un Franklin Delano Roosevelt sans la couleur, et ce qui peut dans un lectorat unicolore susciter une certaine animosité.. On l’a vu durant ces derniers mois, les campagnes de diabolisation appuyées sur des sentiments dignes de l’époque sécessionniste, la recrudescence de groupuscules extrémistes affiliés à la suprématie blanche, le durcissement de la « Hard Right » et la haine qui la caractérise.. Obama, il convient de le reconnaître et de le dire, a accompli en deux années ce que jamais dans les deux dernières décennies aucun président n’a pu réalisé.. Que ce soit la relance keynésienne de l’économie face à la pire récession, la reforme financière de Wall Street qui lui a valu la rancune et le courroux de ses barons, du système bancaire dont l’opacité et l’impunité sont les marques d’arrogance, de l’assurance maladie qui permet aujourd’hui à des malades dépourvus de moyens de pouvoir avoir accès à un traitement décent et efficace, de la baisse significative des impôts pour les classes moyennes, il a été un véritable moteur de la reconstruction d’un modèle américain plus emphase avec son temps..

L’action d’Obama a sans doute mis du temps à se mettre en place, mais il n’en demeure pas moins qu’elle a été forte et déterminée.. Le problème avec cette action volontariste, c’est qu’elle ne s’est pas faite ressentir de manière consciente dans le quotidien de la plupart des américains.. Par exemple, seul huit pour cent des américains issus des classes moyennes savent qu’ils paient moins d’impôts que sous l’ère Bush.. C’est aberrant de voir à quel point Obama n’a pas su parler à ces concitoyens.. Sa communication politique est désastreuse, la pédagogie et son absence aussi.. Ce déficit couplé au manque d’agressivité médiatique dans l’exercice du pouvoir est abyssal et tranche avec le génie que l’on lui prêtait lors de sa campagne présidentielle.. Les américains dans leur majorité malgré des avancées franches, une économie stabilisée, une croissance maîtrisée, la destruction d’emplois contenue, n’en voient pas les effets immédiats.. Le changement n’est pas palpable.. Et le « Yes we can » terriblement abstrait.. Ils croient légitimement que le gouvernement n’est pas préoccupé par leurs angoisses et qu’il est englué dans sa bureaucratie traditionnelle, tourné vers des luttes politiciennes sans intérêt.. Obama, le « preux » chevalier qui souhaitait dompter Washington, est forcé bien malgré lui d’évoluer avec les tares inhérentes à tout milieu politique.. L’Obama Blues semble concentrer sur lui un malaise général plus profond : la fracture gravissime qui existe entre le peuple et ses gouvernants.. La cote de confiance des politiques est si basse qu’elle flirte avec le néant.. C’est l’expression même d’une trop longue attente et d’une patience à bout de souffle.. Le peuple américain a soif de résultats concrets, d’être rassuré, mais également de se sentir pris en considération.. Il y a aussi un autre type de peur qui alimente et amplifie cette fracture : la peur du gouvernement.. Elle est intrinsèque à l’identité américaine car le pays s’est bâti sur le fervent désir d’émancipation, d’autonomie vis-à-vis de l’autorité.. Cette peur d’une plus grande emprise du gouvernement fédéral, d’une présidence impériale, d’une déstructuration de cette identité conduit à des réactions de méfiance et de contestation dont l’une des conséquences directes est la défiance, la révolte, l’insoumission à un pouvoir jugé autoritaire.. Dans le contexte actuel, le Tea Party, composé des nostalgiques de Benjamin Franklin, se désignant patriotes et ouvertement populistes incarne politiquement cette défiance envers l’administration dont elle est soupçonnée de « socialisme », injure suprême.. Après l’adoption de l’assurance santé qu’ils accusent d’être un gouffre budgétaire, le contrôle assez tempéré de la finance qui les insupporte, le Tea party a su s’engouffrer dans la brèche et attisé en profitant de l’amertume que l’élection d’Obama avait laissé chez de nombreux américains, de la dégradation économique héritée de Bush et accentuée par la crise financière, mais aussi du recul militariste jugé irresponsable et affaiblissant la sécurité l’Amérique..

Ce mouvement ratissant large à la droite républicaine, nourri d’islamophobie et s’érigeant en incarnation de l’exclusion non-formelle de cette Amérique profonde, blanche, inculte et désœuvrée, a su parler à plus de vingt pour cent d’américains et réussit le tour de force de faire élire au sénat deux de ses candidats.. Comme le soulignait l’un deux lors de son discours de nouvel élu, Rand Paul : « le gouvernement n’a pas vocation a créé des emplois, les individus oui ».. Ainsi face à ce qu’ils considèrent d’influence « croissante négative » du pouvoir exécutif, les partisans du Tea Party ont contraint les républicains se « droitiser » encore plus, au point où le probable futur « Speaker » de la Chambre des Représentants, le républicain John Boehner à peine réélu à exiger un renversement des priorités présidentielles, une coupe budgétaire importante ciblant implicitement certaines reformes adoptées, et des dispositifs limitant d’avantage le gouvernement.. Le libertarisme du Tea Party, repris en traînant les pieds par les républicains, risque de paralyser et de parasiter efficacement la suite de la présidence d’Obama.. Contrairement à Bill Clinton qui avait su trouver un terrain d’entente avec un Congrès hostile, Obama lui inspire une telle passion haineuse qu’il serait étonnant voire épatant qu’il puisse convaincre et apaiser lyre des républicains..

L’autre raison de l’Obama Blues est sans doute son image personnelle détériorée auprès des américains qui le perçoivent comme étant élitiste, arrogant, pudique donc indifférent, détaché et froid.. Mais plus grave encore, il est jugé trop intellectuel et incapable de comprendre les « vrais » problèmes de ces concitoyens.. Il faut dire qu’en Amérique la détestation de l’intellectualisme est une chose curieuse.. Un pays qui préfère mille fois un sombre inculte, amateur de blagues salaces, mettant des tapes dans le dos à une personne compétente ayant toutes les aptitudes requises pour répondre aux exigences importantes d’un poste si sensible que celui de président, est un pays inquiétant.. Un peuple qui se prend d’enthousiasme pour une Sarah Palin, cette illustration du vide par excellence, ou une Christine O’Donnell dont le programme politique se résume à une lutte contre la masturbation, est un peuple inquiétant.. Lorsque l’on est un intellectuel en Amérique, on est forcement suspect.. Plus on est ignare, mieux on est crédible.. C’est l’un des paradoxes de cette nation dont les Pères fondateurs étaient loin d’être des miséreux de l’esprit.. En regardant de près ces élections de mi mandat, il en ressort, entre autres analyses, que l’ignorance et le populisme ont pris le dessus sur l’éducation et la raison.. Un non-sens habituel de cette grande et vieille démocratie, et qui n’est malheureusement pas la seule à être rongé par ce cancer..

La marge de manœuvre d’Obama est réduite considérablement, un sénat majoritairement démocrate dont des sénateurs élus ont publiquement renié la politique menée par le président, une chambre des représentants massivement républicaine, une volonté guerrière d’en découdre du Tea Party, et beaucoup d’incertitudes sur les orientations prochaines pourtant nécessaires et vitales à la survie du modèle américain.. Le président américain affaibli devra puiser dans ce qu’il a de talentueux pour réussir à préserver son influence sur le plan intérieur.. Et même si la politique internationale n’a pas eu de gros effets sur le choix des américains, il n’en demeure pas moins que la nouvelle donne au Congrès remodèlera l’approche pragmatique d’Obama au Proche et Moyen Orient vers un resserrement des liens hautement privilégiés d’Israël et de l’Amérique.. On devra s’attendre à un prolongement durable de la pacification en Afghanistan, une attitude moins endolorie et plus virile avec la Chine, et Guantanamo toujours opérationnel avec son lot de violations silencieuses.. Quant à l’Europe rien indique un changement important, face à la multiplicité des instances dirigeantes européennes, Obama continuera à poser cette question à l’américaine : « Quel est le numéro de l’Europe ? »..


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