L’Union européenne face à la Russie
Samedi 14 juillet, le Kremlin annonçait que le président Poutine avait signé un décret annulant la signature de l’ex-URSS sur le traité relatif aux Forces conventionnelles en Europe de 1990. Ce décret ouvre une crise nouvelle entre l’UE et la Russie...
Depuis plusieurs semaines, la tension monte avec régularité entre Moscou et l’Union européenne, mais aussi en arrière-plan, avec les Etats-Unis.
A peine revenu de discussions longues avec le président américain, et après avoir engagé une partie de bras de fer judiciaire et diplomatique avec la Grande-Bretagne, suite au refus russe d’extrader l’assassin présumé d’un ancien espion russe naturalisé anglais, Poutine annonce que le traité sur les Forces conventionnelles en Europe est désormais caduc.
Que peut signifier tout cela ?
Une stratégie calculée avec précision
A l’évidence, le Kremlin a suivi depuis plusieurs mois une stratégie calculée qui joue avec précision des contradictions et faiblesses de ses "adversaires- partenaires".
Cette stratégie vise à clairement manifester que personne ne peut et ne doit plus ignorer la Russie, sa force militaire en reconstruction rapide et sa puissance économique recouvrée.
Ce faisant, les autorités russes ont semé la zizanie au sein de l’Union européenne, car elles savent pertinemment que les enjeux des relations avec la Russie sont très différemment appréciés selon les gouvernements européens, que c’est là, avec les rapports américano-européens, le talon d’Achille de l’UE.
Le jeu du Kremlin, qui se fait clair maintenant pour beaucoup, est habile et fin. Il ressemble à une véritable tactique du jeu des échecs qui serait joué simultanément face à plusieurs joueurs aux intérêts différents : l’OTAN, l’OSCE (Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe), les Etats-Unis, les pays de l’UE).
Poutine a analysé d’abord que l’UE est un lourd navire - poudrière instable et non-homogène, remplie de contradictions explosives qu’il suffit de faire bouger un peu pour que la crise soit manifeste et publique.
Ainsi, après avoir démontré la non-réactivité des autres membres de l’UE dans son différend avec Londres, il instille la menace évidente du réarmement russe aux frontières orientales de l’UE, indique qu’il va reconstruire son armée conventionnelle... et regarde ce qui va se passer.
Le président russe a voulu tester son analyse personnelle selon laquelle les gouvernements des 27 se divisent en trois tendances principales face à son pays : ceux qui sont tentés de s’appuyer sur les Etats-Unis pour répondre fermement, mais sans possibilité de nuire à la politique russe dans la réalité- groupe que le gouvernement de Berlin représente, comme la réaction allemande - communiqué du ministère des Affaires étrangères - le démontre ; ceux qui sont déjà absorbés par leurs affaires internes et ne peuvent prêter une trop grande attention aux gestes du Kremlin, qui se contenteront donc de signer des déclarations sans lendemain marquant "inquiétude et désapprobation" (Paris, Rome et Madrid) et ceux, plus à l’Est, qui sont tiraillés entre le souci des menaces et l’attrait des avantages commerciaux russes potentiels.
La vérification par les "faits" que Poutine attendait
Poutine voulait tester ses analyses sur l’UE et les capacités de réaction américaines dans la réalité. Il a obtenu les réponses qu’il prévoyait : il a annulé le traité de 1990 et ne s’est attiré que des communiqués impuissants, si on en juge ce que rapporte une dépêche AFP en date du 16 juillet.
L’OSCE a indiqué "qu’elle exprimait sa grande inquiétude et appelait tous les signataires du traité à apprécier les causes profondes de la décision russe".
La Maison-Blanche a eu ce commentaire significatif dans la situation présente : "Nous sommes déçus que la Russie se soit retirée pour le moment du traité. Mais nous continuerons à discuter avec eux (les Russes-NDLR) dans les prochains mois", a déclaré le porte-parole Gordon Johndroe.
Le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, a déclaré pour sa part au nom des Etats membres de l’OSCE "qu’ils allaient renouveler leurs efforts afin d’examiner rapidement et honnêtement les difficultés que soulignent cette décision et travailler ensemble afin de les surmonter".
Enfin, le ministre des Affaires étrangères, Frank Walter Steinmeier, qui a appris la nouvelle alors qu’il se trouvait en voyage officiel en Lithuanie a exprimé son opinion selon laquelle "cette information reflétait un grand problème", et de pointer le fond des choses en déclarant : "ce traité était l’élément central de l’architecture du désarmement international" .
Un jeu de billard "opportuniste"
De facto, le traité qui avait marqué le début d’une ère de désarmement multilatéral sur le plan des forces conventionnelles en 1990 est mort, comme en prend acte le gouvernement allemand par la bouche de son ministre des Affaires étrangères.
Poutine vient ainsi de se libérer officiellement de ce "carcan" , ce qui va lui permettre de reconstituer au plus vite des forces armées conventionnelles puissantes en toute quiétude. A n’en point douter, pour son opinion publique interne, le geste sera vue comme une marque renouvelée que la Russie compte à nouveau dans le monde.
Son initiative s’inscrit et se relie à l’effort d’armement massif en cours en Chine, ce qu’il peut sembler intéressant de souligner. De plus, il démontre l’impuissance à peser sur son pays tant des Etats-Unis que de l’UE, et cela, d’autres capitales et forces politiques vont le noter et s’en rappeler.
Le président russe ne cache pas qu’il doit nombre de ses succès sur le plan international pour son pays et lui-même avant tout à une situation "opportune" que les Etats-Unis ont eux-mêmes créée à leur propre détriment. Ses laudateurs ne se privent pas de le dire plus ou moins clairement selon les contextes de leurs discours.
En s’engageant dans les "bourbiers" militaro-financiers agfhan et irakien, le gouvernement américain a généré les conditions politiques des succès russes (et dans une moindre mesure chinois) actuels sur tous les plans : diplomatiques, militaires, économiques et politiques.
Certains estiment que les choix stratégiques militaires désastreux successifs du président Bush depuis 2001 ont fait le lit du réarmement et du retour de la Russie sur la scène mondiale. A l’évidence, même si d’autres facteurs sont aussi à prendre en compte, les erreurs continues du président Bush et son incompétence manifeste à comprendre les réalités dynamiques modernes ont contribué aussi aux succès du président Poutine dans ses objectifs politiques.
Les maux et les mots
La signature du décret d’annulation du traité, survenu en pleine fête nationale, n’a pas encore retenu toute l’attention des autorités françaises. Et pourtant, elles ne peuvent faire l’impasse sur le signification profonde de cet événement.
Ceci étant, et les processus internationaux étant liés intrinsèquement aux situations nationales, il est évident que la brusque rupture des rapports de force qui s’annonce ainsi dans la situation militaire en Europe n’échappera pas au gouvernement actuel. Et que cela engendrera ou, c’est selon, le contraindra à des choix et décisions politiques et financières qui n’ont pas été prévus.
Il se pourrait donc bien que les problèmes les plus inattendus, mais les plus dangereux pour le nouveau gouvernement et son président, ne proviennent pas du pays lui-même, mais de la situation internationale qui se dégrade vite, avec des conséquences dislocatrices au niveau européen.
Et, pour conjurer les maux qui s’amoncellent sur ce plan, il faudra plus que des mots aux autorités françaises et, derrière, européennes.
(Source essentielle de l’article : dépêche et commentaires annexes de l’AFP du 16 juillet 2007).
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