• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Actualités > International > La vérité dite aux Musulmans d’Occident (avant-dernier (...)

La vérité dite aux Musulmans d’Occident (avant-dernier acte)

Après une tribune et un premier épisode sur la naissance du malentendu entre l'Occident et l'Orient, puis un deuxième sur le temps des Révolutions et un troisième sur les bouleversements du XIXème siècle, voilà le quatrième ; il retrace l'affaissement de l'empire Ottoman en Méditerranée...

La cristallisation des malentendus intervint dans une période aux limites floues, entre la fin des années 1860 et la fin de la Deuxième guerre mondiale. Le précédent tournant correspondait à la période 1792 - 1815 (voir le deuxième épisode). La Révolution française et l'épopée napoléonienne ne pertubèrent pas seulement profondément les équilibres géopolitiques du continent... elles ouvrirent la voie au développement du plus grand empire de l'histoire brusquement sans rival maritime.

A la fin de la décennie 1860, l'empire Britannique s'approchait déjà de sa taille maximale, sauf dans le bassin méditerranéen. Londres avait tenté de concilier la puissance avec une recherche constante de ses intérêts. Dans le sous-continent indien, avec la pénurie de coton américain résultant de la guerre de Sécession, des milliers de Musulmans de la vallée du Gange avaient été attirés dans celle de l'Indus. Plus globalement, le colonisateur jouait sur les équilibres entre Hindous et Musulmans ; il les subissait parfois. Après 1947, il abandonna le cadeau empoisonné, Karachi la ville coloniale (source) et l'ourdou indo-gangétique devenu avec l'anglais langue officielle du Pakistan (source).

*

Mais demeurait un verrou sur la route des Indes, celui du bassin méditerranéen. Les premiers jalons posés par les Britanniques remontaient aux décennies précédentes : Gibraltar - le djebel Tariq des royaumes maures - et Minorque tombées dans l'escarcelle anglaise lors de la signature du traité d'Utrecht (1713). Londres avait récupéré en 1815 les Îles Ioniennes (voir l'épisode précédent) et l'île de Malte préservée pendant des siècles des raids barbaresques par la présence vigilante de l'Ordre de Saint-Jean. Ce que les frères Hospitaliers avaient construit sur l'Île pendant des siècles avait été balayé en quelques heures par un corps expéditionnaire commandé par le général Bonaparte en juin 1798.

Londres avança ses pions un peu plus tard, à Chypre (1878) et secondairement en Crète, via le protectorat anglo-égyptien sur l'île ottomane. A Chypre, les Anglais divisèrent la population sur des critères ethniques et/ou religieux alors qu'elle était caractérisée par la coexistence pacifique de la minorité musulmane par rapport à la majorité chrétienne. En louvoyant entre deux lignes diplomatiques - l'une visant à ménager l'empire Ottoman, l'autre destinée à donner des gages à la Grèce devenue indépendante - Londres monnayait sa présence contre un tribut de 92.000 livres par an payable par la population, divisé de moitié en 1907, puis supprimé en 1918 (source) : Chypre devint alors colonie britannique, avec les ingrédients d'un déchirement (Ironiser à Nicosie).

*

Au début de la période charnière, toutes les puissances européennes ne partageaient pas les mêmes préoccupations géopolitiques. A Madrid, tout particulièrement, les querelles dynastiques et les difficultés socio-économiques occupaient les élites politiques et financières du pays. La guerre avec les Etats-Unis et son issue accablante eurent un impact indirect en Afrique du Nord, mais un peu plus tard (voir après). Toutes les autres nations européennes étendaient leurs domaines de souveraineté, non sans d'âpres résistances locales.

A l'est, les armées russes aidées de renforts balkaniques (bulgares, et roumains) engrangeaient d'amères victoires aux dépens de l'armée Ottomane, préparant l'occupation du Caucase. A partir de Vladikavkaz ('Qui domine le Caucase') sur le piémont nord, la voie fut bientôt ouverte à travers la chaîne montagneuse. Elle débouchait sur Tiflis, nom donné par les populations musulmanes de Transcaucasie et imposé par les Russes aux Georgiens orthodoxes de Tbilissi. Via Rostov sur le Don, l'isthme caucasien et la capitale de la vice-royauté de Georgie (Tiflis), le train desservit Bakou sur la mer Caspienne et Batoumi sur la mer Noire dès 1875. Cette révolution des transports s'accompagna de la découverte des gisements pétroliers d'Azerbaïdjan. Leur exploitation précoce déclencha par la suite de multiples retombées économiques et des bouleversements sociaux en cascade (source). La Russie tire toujours aujourd'hui les dividendes de sa participation au grand jeu caucasien.

Une dizaine d'années après sa prise de pouvoir, Napoléon III imaginait à la fin des années 1860 avoir relevé au sud de la Méditerranée le défi imaginaire de son oncle. En Algérie, le second empereur avait inscrit la colonisation dans la durée. Rares étaient les Français lucides : la colonisation en Algérie ne suivait aucun plan et coûtait cher au Trésor. Si la proclamation du protectorat français sur la Tunisie a été suivie d'un développement fructueux pour la majorité, en Egypte, le coup de maître de l'ouverture du Canal de Suez en 1869 (malgré ses milliers de morts par maladie, dysenterie ou malnutrition) déçut toutes les prévisions ; les investisseurs anglo-saxons surent tirer seuls les marrons du feu (source).

Les troupes françaises pacifiaient les territoires de l'intérieur de l'Algérie. Dans les faits, l'armée tuait par enfumades, chassait les rebelles et intimidait les récalcitrants (source). La nouvelle autorité spoliait les terres sans autre dédommagement que des concessions accordées aux élites musulmanes globalement peu soucieuses du sort de leurs coreligionnaires ; ceux qui ne s'engageaient pas comme supplétifs de l'armée d'occupation ou petites mains dans l'administration. Même si l'époque d'Isly (août 1844) était révolue, la guerre reprenait de façon sporadique : comme en Grande-Kabylie pacifiée par le maréchal de Mac-Mahon (1858-1859). Les militaires français ne brillaient pas toujours par leur humanité, mais ils rentraient au contact des populations autochtones. Certains officiers apprenaient l'arabe, d'autres cartographiaient le bled. Combien fraternisaient... ?

Certes, Napoléon III esquissa un projet de 'royaume arabe' après un voyage en Algérie : le projet n'eut finalement pas de suite. La Troisième République, laïque et progressiste, mit fin à l'illusion. "Musulman" devenait après octobre 1870 une identité et non plus seulement une religion. Le Décret Crémieux stipulait en effet que les Maghrébins de religion israélite pouvaient revendiquer la nationalité française de jure. Avec le flot des bannis de la Commune et les expulsés d'Alsace-Moselle, une immigration venue des quatre coins de Méditerranée allait en outre donner corps aux Pieds-Noirs.

Leurs parents avaient quitté les persécutions ottomanes en Asie Mineure, la pauvreté du Mezzogiorno. Ils préféraient quitter Malte trop exiguë ou abandonner une campagne andalouse surpeuplée. Tous professaient une foi chrétienne essentiellement garantie par leur état-civil ; leur prénom de baptême leur assurait la nationalité française. Alors que, de l'autre côté de la Méditerranée, la République professait le Progrès et la Science, l'Education obligatoire et non confessionnelle, le mariage civile et le divorce. La Loi de Séparation de l'Eglise et de l'Etat couronna en 1905 un mouvement initié quelques années plus tôt : expulsion des congrégations, recensement des biens du clergé, et fichages des fonctionnaires (source). En attendant, les Musulmans n'accédaient qu'à un statut de seconde zone... Cela suffisait pour chausser des brodequins, porter le fusil et se faire trouer la peau en 1914.

*

Les Etats piétinaient le droit des indigènes : celui de la propriété et celui du travail. Mais la colonisation signifiait l'arrivée d'immigrants venus d'ailleurs, pour l'essentiel de la partie nord du bassin méditerranéen. En cela, les Sionistes de Palestine et les Européens d'Algérie partageaient de nombreux points communs. Jusqu'à quel point percevaient-ils les injustices créées par leur présence, par la mise en valeur de terres incultes parce que situées dans des plaines mal drainées ?

De fait, un grand nombre moururent à la tâche : par épuisement ou du fait de la malaria. Les colons se sacrifièrent sans échos au nord de la Méditerranée : par appat du gain, idéalisme, ou croyance en la Terre promise. Ces milliers de vies fauchées laissent un goût amer, pas seulement à cause des populations autochtones lésées. En Algérie, les souvenirs familiaux émergent des archives des Pieds-Noirs (exemple).

Tant d'efforts vains ? Ils l'ont été, non pas parce que l'Algérie est devenue indépendante ou qu'Israël a privilégié après 1948 une expansion gagnée par la force du canon ; je n'oublie pas l'existence d'une agriculture israélienne prospère : mais avec quels travailleurs ? Les dés sont jetés avant 1948 et 1962, avec l'exode rural et l'explosion des grandes métropoles. C'est à Alger et Tel-Aviv, où la distinction des individus par religion ou origine géographique, que s'est diluée la colonisation. A Oran, aussi...

" C'est au milieu de cette année-là que le vent se leva et souffla pendant plusieurs jours sur la cité empestée. Le vent est particulièrement redouté des habitants d'Oran parce qu'il ne rencontre aucun obstacle naturel sur le plateau où elle est construite et qu'il s'engouffre ainsi dans les rues avec toute sa violence. Après ces longs mois où pas une goutte d'eau n'avait rafraîchi la ville, elle s'était couverte d'un enduit gris qui s'écailla sous le souffle du vent. Ce dernier soulevait ainsi des vagues de poussière et de papiers qui battaient les jambes des promeneurs devenus plus rares. On les voyait se hâter par les rues, courbés en avant, un mouchoir ou la main sur la bouche. Le soir, au lieu des rassemblements où l'on tentait de prolonger le plus possible ces jours dont chacun pouvait être le dernier, on rencontrait de petits groupes de gens pressés de rentrer chez eux ou dans des cafés, si bien que pendant quelques jours, au crépuscule qui arrivait bien plus vite à cette époque, les rues étaient désertes et le vent seul y poussait des plaintes continues. "  La Peste. (Albert Camus)

Dans le cas d'Israël, je renvoie à plusieurs 'posts' : du plus ancien au plus récent.

Dans le dernier épisode, et en montrant les signaux avants-coureurs des deux guerres mondiales, je montrerai comment du malentendu, on est passé à l'affrontement... La France et le Royaume-Uni se trouveront en concurrence avec l'Espagne, l'Italie et les Etats-Unis. L'Islam traditionnel déconsidéré parce qu'il a collaboré avec les colonisateurs cédera un temps la main face aux nationalistes arabes. Pour un temps...


Moyenne des avis sur cet article :  4.33/5   (6 votes)




Réagissez à l'article

3 réactions à cet article    


  • Tout ce fatras, toutes ces morts, ces incompréhensions, ces calvaires pour tous, ces familles déréglées, trompées éradiquées, populations meutries, tout celà ...par la faute d’hommes de pouvoir ignares mais assoiffés d’honneurs plus que de profits, complices, sans quelquefois le savoir, depuis toujours (et même encore aujourd’hui), de puissances occultes, agissant dans l’ombre donc dans la non-culpabilité.
    Egréner ainsi eet si bien l’Histoire avec la plupart du temps une froideur justifiée, conforte l’idée que l’Homme de quelque nationalité, de quelque religion, de quelque groupe ethnique, qu’il soit est et demeure LA créature de LA destruction.
    Amicalement.


    • Abou Antoun Abou Antoun 6 avril 2012 23:24

      Encouragements !
      C’est bien, l’auteur, de nous rafraîchir la mémoire. J’attends la suite et vos conclusions. Pas grand chose à ajouter car votre exposé me semble rigoureux et très professionnel, mais vu votre description j’ai compris que j’avais vu juste.
      Ce dont j’ai peur c’est que ce brillant et intéressant exposé ne parvienne pas (suffisamment) à ceux à qui il s’adresse.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès