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Le coup de poker de Rafael Correa

Venu expliquer à des policiers grévistes sa réforme du service public, le président équatorien s’est retrouvé séquestré près de 12 heures avant d’être libéré par des unités spéciales des forces armées.

 

Le jour où la révolution citoyenne vacilla

Jeudi 30 septembre 2010, en signe de protestation contre une réforme du service public votée la veille par l’assemblée nationale équatorienne qui les privait d’avantages salariaux auxquels ils avaient jusqu’alors droit, une partie de la police rejointe par des éléments des forces armées se mit en grève. Parmi les manifestations commencées très tôt dans la journée et qui allaient semer le chaos dans les principales villes du pays, les faits les plus marquants sont le blocage de l’aéroport de la capitale Quito, le blocage de l’assemblée nationale et l’intervention des unités spéciales de l’armée pour évacuer le président Rafael Correa d’un hôpital de la police de Quito. Le retrait de la police des lieux publics allait engendrer des scènes d’anarchie dans les villes comme Quito, Guayaquil ou Cuenca où des actes de pillages et d’agressions ont été observés. Le point d’orgue de cette journée mouvementée où le peuple équatorien eut peur pour ses institutions et sa démocratie fut cependant la tournure prise par l’intervention du président Correa au quartier du plus important régiment de la police à Quito où se trouvaient des centaines de policiers grévistes et où le président entreprit de leur expliquer sa réforme.

Accompagné de son ministre de l’intérieur Rafael Correa alla à la rencontre des policiers rebelles et leur tint un discours enflammé que d’aucun juge incendiaire. Les propos du président ne firent que raviver la colère des policiers dont l’agressivité soudaine allait mettre en émoi le pays entier. Le chef de l’État équatorien fut alors insulté, bombardé d’objets divers et en particulier de gaz lacrymogène, sévèrement bousculé au point que sa garde rapprochée l’emmena à l’hôpital située à quelques centaines de mètres de là où il resta reclus pendant 11 longues et interminables heures. Dehors, les policiers encerclèrent le bâtiment faisant ainsi de cette grève un soulèvement quasi-insurrectionnel. Le gouvernement décréta l’état d’urgence pour une semaine dans le pays. Toutes les chaines de radio et de télévision privées furent sommées de cesser leurs programmes et d’émettre à la place la chaine publique. Le bon peuple équatorien put dès lors recevoir les bonnes informations dont il avait besoin sur la gravité des évènements que le pays vivait : un coup d’état était en cours et un complot de policiers allait bientôt avoir raison de la vie du président et de la révolution. La réaction du peuple ne se fit pas attendre et par milliers les Équatoriens convergèrent vers l’hôpital de la police de Quito où leur président était séquestré par les insurgés. Du balcon du troisième étage de l’hôpital Rafael Correa put voir cette foule nombreuse qui scandait son nom mais aussi la panique qui gagnait les rangs de policiers insubordonnés. Vers 23h après un échange de tirs qui dura près d’une demi-heure et fit 2 morts des unités spéciales de l’armée parvinrent à évacuer le président : la révolution citoyenne était sauve.

Rafael Correa dénonce une tentative de coup d’état

De retour au palais Carondelet, siège du gouvernement équatorien, le président Correa s’adressa très ému au peuple venu le soutenir après cette rude épreuve où il déclara s’être senti prêt à perdre sa vie pour le bien de la patrie. Il remercia le peuple d’avoir défendu la révolution citoyenne et souligna son courage face aux brutalités de mauvais policiers. Il fustigea ceux qui espéraient couvrir du sang de leurs frères le sol équatorien, séquestrer son président pour déstabiliser le gouvernement et ainsi obtenir un pouvoir dont ils n’ont pu s’emparer par la voie des urnes. Le chef d’état équatorien retrouvant toute sa verve et son lyrisme se demanda comment il était possible qu’on puisse ainsi jouer avec une chose aussi sacrée que le futur de la patrie. Il promit qu’il n’y aurait ni pardon, ni oubli pour les ambitieux insatiables, les irresponsables de toujours qui ont mis à mal l’image du pays au niveau international en le présentant comme une république d’opérettes où l’on séquestre le président. Très vite, tout en demandant que soit revue la réforme qui a poussé les policiers à la révolte, le chef des forces armées réitéra son soutient total et sa loyauté au président de la république et précisa que ces dernières restaient entièrement soumises à son autorité. Rafael Correa put également bénéficier du soutient unanime de la communauté internationale et de la réactivité de l’Union des Nations Sud-américaines « UnaSur » qui durant un sommet extraordinaire à Buenos Aires le jeudi 30 septembre a pris des mesures d’urgence immédiatement applicable telles que la fermeture des frontières avec l’Équateur, la suspension du commerce, du trafic aérien à destination du pays et de son approvisionnement en énergie. Contrastant avec l’attitude qui a été la sienne lors du coup d’état perpétré en Honduras contre le président Zelaya, l’UnaSur a très vigoureusement et rapidement réagi pour peser de tout son poids dans le maintien au pouvoir de Rafael Correa.

Le président équatorien ne se contenta pas de faire part au peuple de sa tristesse quant à la tournure dramatique des évènements en ce jour où il faillit perdre le pouvoir, il livra à l’opinion publique des informations sur ceux qu’il considère comme les véritables auteurs de la tentative de coup d’état. Il assura que derrière cette conspiration se trouvait le parti de l’opposition Société Patriotique et son leader l’ex-président Lucio Gutiérrez actuellement exilé au Brésil. Lucio Gutiérrez qui après une courte période au pouvoir de 2005 à 2007 où il fut évincé de la présidence par une insurrection conduite par des syndicats indigènes dont était proche Rafael Correa, a nié tout lien avec les évènements du 30 septembre 2010. D’après le président il ne s’agissait nullement d’une légitime réclamation salariale mais d’un cas clair de conspiration visant à déstabiliser la démocratie équatorienne. Les policiers seraient selon lui victimes d’une campagne de désinformation de la part des partis de droite et des médias privés. Parmi ces putschistes il y aurait des infiltrés à la solde des puissances étrangères desquelles ils perçoivent des compléments de salaire : une situation à laquelle met justement fin la réforme, d’où leur ressentiment à son égard. Le président équatorien aurait même entendu durant sa séquestration les mutins changer de stratégie en décidant de mettre en œuvre leur plan B qui était de l’assassiner après s’être rendus compte que leur plan initial de déstabilisation du gouvernement n’avait pas fonctionné. Suite à ce soulèvement le gouvernement a changé toute la direction de la police du pays. Le chef de la police a très rapidement annoncé sa démission et 3 hauts gradés du régiment de police où ont eu lieu les incidents ont été arrêtés.

Les opposants de Correa n’ont vu rien d’autre qu’un show médiatique de plus

Le son de cloche est tout autre du côté des détracteurs du président équatorien qui accusent ce dernier de s’être sciemment jeté dans la gueule du loup et de s’être par la suite livré à un véritable show médiatique. Pour l’opposition, Rafael Correa doit trouver dans sa réforme les causes de la colère qui a poussé les policiers et une partie de l’armée à défier le pouvoir. Selon elle, c’est le vote de la loi organique du service publique qui a été le détonateur des violences du jeudi 30 décembre. Cette réforme votée la veille n’incluait pas à l’origine le volet sur la rémunération des policiers et des forces armées. Ce volet a été rajouté au dernier moment par le président Correa sans pouvoir être discuté au parlement et c’est ce cheminement qui fait que la loi déjà perçue comme injuste par les policiers est aussi accusée d’être anticonstitutionnelle. Les opposants de Correa s’interrogent sur le réel motif de sa présence au sein du régiment de police de Quito où il ne pouvait s’attendre à être accueilli en héros par une foule en colère. La nature des propos tenus par le président, son attitude de défi vis à vis des hommes armés laissent dubitatif. Un autre sujet de perplexité est l’empressement du pouvoir à verrouiller la communication en contraignant toutes les chaines de télévision et de radio à n’émettre que le signal officiel donnant ainsi au séquestré une tribune incomparable. Ce dernier point fait dire à certains qu’il ne s’agissait pas d’une séquestration, encore moins d’une tentative de coup d’état mais d’une auto-séquestration voire d’un coup d’état médiatique du pouvoir. Certains analystes politiques soulignent d’ailleurs que nulle part dans le monde on a vu des policiers effectuer un coup d’état qui est presque toujours une émanation de l’armée. Les policiers grévistes n’avaient d’ailleurs pas de revendications politiques et encore moins réclamé la mort du président malgré son discours agressif.

Moins d’un mois après ces terribles manifestations qui ont tout de même fait 13 morts dans tout le pays il est toujours extrêmement difficile de faire ressortir la vérité des évènements du 30 septembre tant la vérité a très vite été brouillée par les querelles idéologiques dont est en proie le continent américain. Un indicateur de cette lecture idéologique de ces événements est la sémantique des communiqués de condamnation de la séquestration du président Correa. Alors que l’immense majorité des chancelleries en évitant de nommer ces évènements appelaient dans des termes très diplomatiques au respect de la constitutionnalité du président Correa démocratiquement élu et au rejet de toute tentative de remise en cause des institutions démocratiques de l’Équateur, il est à noter que le camp progressiste aussi affectueusement appelé camp castro-chaviste par ses détracteurs ne s’embarrassait pas de ses formules abstraites. Pour ce dernier qu’il y ait eu un coup d’état en Equateur est plus qu’une évidence. Fidel Castro assura très tôt que « le coup d’état était déjà perdu et qu’Obama et la Clinton n’avaient d’autre choix que de le condamner ». Hugo Chavez annonça plusieurs heures avant que la réunion extraordinaire de l’UnaSur ait lieu l’objet de ce sommet qui devait selon lui traiter du coup d’état en Équateur. Un coup d’état qui à ses yeux était parrainé par les États-Unis. Evo Morales dénonça la honteuse conspiration de ceux qui ont perpétré ce coup d’état et qui par la force et la violence veulent empêcher l’inarrêtable changement révolutionnaire en Amérique Latine. Les époux Kirchner affirmèrent qu’il s’agissait d’un putsch contre les gouvernements progressistes pour freiner les avancées sociales et leur ministre des affaires étrangères vit même l’œuvre des puissances économiques et médiatiques qui avaient déjà entamé leur travail de sape en Honduras. Comme toujours des thèses conspirationnistes vinrent compliquer un peu plus le débat. Du côté des détracteurs du président on évoque une gigantesque mise en scène avec une simulation de séquestration. Une rumeur laisse même entendre que les policiers étaient disposés à faire une haie d’honneur au président mais que ce dernier préféra l’intervention de l’armée pour sortir la tête haute. La question de savoir s’il faudrait qualifier de tentative de coup d’état les évènements du 30 septembre 2010 agite encore la blogosphère.

La loi organique du service publique : la réforme qui mit le feu aux poudres

Le président Correa a mis en œuvre ces deux dernières années un important chantier de réformes qui ont considérablement augmenté les tensions sociales au sein du pays. La plus ambitieuse mais aussi la plus controversée est sans doute la loi du service publique qui englobe la réforme du système des retraites, les rémunérations et l’emploi des fonctionnaires, la réforme de l’enseignement supérieure ou encore celle du système de santé pour ne citer que ses volets les plus connus. Cette loi fait suite à la décriée loi sur les médias dénoncée comme étant un instrument de censure de plus contre l’indépendance de la presse. La réforme du service public s’est donné pour ambition de favoriser le développement professionnel, technique et personnel des travailleurs du secteur public afin d’accroître la qualité, l’efficacité et la productivité de l’État équatorien et de ses institutions. Cette efficacité passe notamment par une réduction drastique du nombre de fonctionnaires de 130 000 dont 80 000 pour les forces armées et la police, contre les 470 000 que comptent actuellement le pays. La réforme introduit le concept de « Renoncement Obligatoire » suite à la suppression d’un poste. Chaque institution est chargée d’identifier les postes superflus et d’indemniser les fonctionnaires contraints de renoncer à leur emploi d’un montant allant de 5 à 175 fois le SMIC équatorien par année d’ancienneté, la moitié de cette indemnité pouvant être payée sous forme d’obligations d’état. Les fonctionnaires devront obligatoirement prendre leur retraite à 70 ans pour espérer bénéficier de 100% de leurs indemnités de départ en retraite. En dessous de cet âge, en cas de départ anticipé ils n’auront droit qu’à la moitié de cette indemnité, l’autre moitié leur étant payée sous forme d’obligations d’état avec un rendement annuel de 7% qu’ils pourront récupérer au bout de 5 ans. La réforme ouvre aussi les emplois de la fonction publique aux étrangers résidant depuis au moins 5 ans en Équateur. Elle anticipe la baisse de personnel dans le système de santé allongeant la durée de la journée de travail qui est désormais de 8 heures comme dans le reste de la fonction publique. L’accès à la fonction publique se fait désormais par concours et une évaluation annuelle de chaque fonctionnaire est mise en place de laquelle dépendra son avancement. Le fonctionnaire pourra être licencié en cas d’échec répétitif à l’évaluation.

Ces quelques mesures à elles seules suffisent à donner une idée de l’ampleur du mécontentement dans la société équatorienne. Une réforme touchant autant de secteurs d’activité ne pouvait que susciter un large front de détracteurs impliquant pratiquement tous les corps de métier de la fonction publique. Aux fonctionnaires il faut ajouter le mécontentement d’étudiants qui craignent pour l’autonomie et le financement des universités et pour lesquels la réforme constituait une véritable déclaration de guerre de la part du président Correa. Dans un pays où l’espérance de vie était de 75,1 en 2008 la retraite à 70 ans et le fait que le palier de progression dans la carrière des fonctionnaires soit fixé à 65 ans sont vécus comme une provocation du gouvernement révolutionnaire. Cette réforme contient cependant des avancées au niveau des salaires car elle diminue la part variable de ces derniers et permet ainsi d’améliorer les pensions de retraites dont le calcul repose sur les salaires fixes. La réforme introduit également une harmonisation du salaire d’embauche qui d’une région à l’autre variait du simple au double. Mais ces deux dernières mesures entrent en contradiction avec la volonté du gouvernement de rémunérer par des primes les bons travailleurs pour les distinguer des mauvais fonctionnaires. En prétendant rompre avec l’inefficacité de la bureaucratie équatorienne et en précarisant en quelque sorte les emplois du secteur public la réforme semble faire des fonctionnaires les principaux artisans des insuffisances organisationnelles des instituions du pays. Les organisations de la gauche radicale dénoncent les dérives néolibérales de ce gouvernement qui se dit révolutionnaire tout en introduisant dans la fonction publique une flexibilité que lui envieraient de nombreux gouvernements libéraux. Le puissant mouvant indigène qui avait favorisé l’arrivée au pouvoir de Rafael Correa et s’en est détaché depuis fustige la démocratie autoritaire du gouvernement accusé de privatiser les ressources du pays et chez qui il voit une forme de néocolonialisme. Les syndicats accusent le gouvernement de dégraisser la fonction publique en se livrant à l’achat massif de démissions par l’octroi de primes aux personnes abandonnant leur emploi. La loi prévoit par exemple que ces personnes en cas de retour dans la fonction publique doivent rembourser une somme correspondant à leurs indemnités de départ moins leur dernier salaire multiplié par le nombre de mois non travaillés. Cette mesure a pour effet d’inciter les fonctionnaires démissionnaires à rester le plus longtemps possible hors de la fonction publique car chaque mois passé diminue les indemnités à rembourser à l’État. C’est dans ce contexte social très tendu que s’est déroulée la manifestation des policiers qui succédait à celles les semaines précédentes des professeurs, des étudiants et des infirmiers.

Une pédagogie des plus controversées

« Messieurs si vous voulez tuer le président, je suis là. Tuez-le si vous en avez envie, tuez-le si vous avez du pouvoir, tuez-le si vous avez de la valeur au lieu de vous cacher dans la foule ». C’est en ces termes que le président équatorien a tenu à traduire sa volonté de dialogue aux policiers du régiment N°1 de Quito à qui il était venu expliquer sa réforme mal comprise. Il accusa aussi les policiers de trahir leur mission et leur serment en abandonnant le peuple sans défense. Dire que ce discours ne plut pas est un euphémisme et la virulence de la réaction des policiers à l’encontre de leur président témoigne assez du caractère hasardeux de la démarche de Rafael Correa chez qui on peine encore à déceler les intentions véritables. Déclarant ne pouvoir rien négocier sous la pression et partant de l’idée que le soulèvement policier était le fait d’une simple méconnaissance de sa réforme, le président équatorien a fermé la porte à toute possibilité d’avancée en faisant montre d’une intransigeance qui donna aux policiers le sentiment de n’être écoutés. Aux policiers qui revendiquaient le maintien de leurs avantages salariaux, le président opposait le fait que le gouvernement avait augmenté leurs salaires, un élément qui montre que le gouvernement a péché par manque de pédagogie et qui contraste avec la perception qu’en ont les policiers grévistes. Le reproche fait au président équatorien est double : tout d’abord la pertinence de sa présence au sein d’une foule hostile au risque d’y perdre sa vie et de déstabiliser les institutions de l’État. Il y a aussi la nature des termes employés pour s’adresser à ces hommes en colère de surcroît armés. Même s’il n’est pas étonnant qu’un président qui s’estime proche du peuple ne s’embarrasse pas du langage châtié de la diplomatie pour s’adresser à ce dernier beaucoup estiment que l’imprudence de Rafael Correa a sans doute été un facteur aggravant dans cette crise. L’incompréhension entre le président et ses administrés fut patente en cette journée du jeudi 30 septembre 2010 où face aux revendications essentiellement salariales des policiers le président les perçut ou fit semblant de les percevoir comme une volonté de l’assassiner et de renverser son gouvernement.

En effet l’idée que l’électrochoc du coup d’état raté qui a laissé le pays groggy après de longues semaines de manifestations sociales ait été provoqué sciemment par le président Correa dans le but de ramener la sérénité dans ce pays sujet à d’importantes réformes ne semble pas dénuée de sens. Le peuple paniqué par les informations qui lui parvenaient des médias sous contrôle a accouru sauver le président, la patrie et la révolution citoyenne. La séquestration ultra-médiatisée de Rafael Correa s’apparente dès lors à un coup de poker qui a momentanément écarté de l’espace médiatique tous ses détracteurs relégués au rang de conspirateurs et d’ennemies de la patrie. Une certaine forme de paranoïa a même gagné le pouvoir qui multiplie les cibles pour éviter que ne se reproduisent des évènements d’une telle gravité. Le coup d’état est présenté comme l’œuvre de la droite, du parti d’opposition et de leurs médias. Les policiers ayant bruyamment manifesté leur colère sont désormais des infiltrés à la solde des puissances étrangères. Les syndicats et les mouvements de la gauche radicale sont aujourd’hui considérés par le pouvoir comme les véritables ennemies qui abritent des agents de l’impérialisme et de la CIA. Le peuple pris à témoin a pu voir où menaient toutes ces manifestations qui depuis des semaines incitaient aux rejets des réformes du gouvernement révolutionnaire. Le calme règne de nouveau après ce coup de semonce. Un calme tout d’abord imposé par l’état d’urgence qui a duré une semaine suite à la tentative de coup d’état. Un calme facilité par le discrédit jeté sur toutes les forces d’opposition au président équatorien y compris dans son parti où quelques députés ont essuyé des menaces d’une dissolution de l’assemblée si la réforme du service publique n’était pas votée selon les désidératas présidentiels. Les voies semblent dégagées pour l’agenda des réformes du président Correa.

Un épisode de plus à mettre à l’actif de l’instabilité institutionnelle du pays

La stratégie du président équatorien d’assumer l’entière responsabilité des nombreuses réformes jugées nécessaires dans le pays malgré l’hostilité d’une partie de la société et de la gauche radicale qui y voit des dérives néolibérales pourra peut-être être saluée d’ici quelques années comme un acte de courage politique. Mais on retiendra aussi l’acte d’extrême témérité qui l’a conduit à aller défier un régiment de policiers en colère dont on saluera le sang froid malgré les injonctions et les provocations de leur dirigeant. La séquestration du président Correa a une fois de plus mis en exergue la fragilité institutionnelle de l’Équateur où tous les pouvoirs semblent reposer sur le président de la république. Parmi les causes de cette absence de contre-pouvoir on peut citer en exemple la menace de dissolution de l’assemblée nationale après que des élus du peuple aient émis leur volonté de modifier la réforme du service publique contre la volonté du président. Cette manœuvre de dissolution qui porte d’ailleurs le nom de « muerte cruzada » (la mort sur la croix) en dit long sur la façon dont est vécue la dissolution par les députés équatoriens et sur les risques encourus en cas de dissension avec l’exécutif. Cette « muerte cruzada » peut tout aussi bien s’appliquer au président à travers la procédure de destitution nécessitant un vote des deux-tiers de l’assemblée. L’histoire de l’Équateur montre que c’est sous cette dernière forme qu’elle a été le plus employé ces dernières années. Le pays a ainsi connu 8 chefs d’état depuis 1997, année où le président Abdalá Bucaram fut destitué pour « incapacité mentale » après seulement un an de pouvoir. Son successeur Jamil Mahuad Witt connu le même sort 2 ans plus tard après qu’une grave crise économique ait poussé au soulèvement les mouvements indigènes et une partie de l’armée. Lucio Gutiérrez accusé par Rafael Correa d’être derrière le coup d’état de 2010 quittera de la même manière le pouvoir en 2005. Rafael Correa qui prit le pouvoir en 2007 après avoir gagné les élections de novembre 2006 a été réélu en avril 2009 après l’entrée en vigueur d’une nouvelle constitution. Les évènements du 30 septembre 2010 bien qu’ils ne soient qu’un épisode de plus à mettre à l’actif de l’instabilité institutionnelle du pays montrent tout de même des signes d’espoir pour la stabilité de la démocratie en Équateur car en ce jour le peuple a manifesté son rejet des prises de pouvoir par la force. Le fait qu’il ait peut-être été victime d’une manipulation n’ôte rien à sa maturité et à son hostilité affichée à la conquête du pouvoir autrement que par la voie des urnes.

En visite au Japon le 6 septembre 2010, le président Correa avait pourtant affirmé au premier ministre japonais que la stabilité politique de l’Équateur était son principal atout pour devenir la porte d’entrée des investissements nippons en Amérique du Sud. Insistant sur les bienfaits de la nouvelle constitution adoptée en 2008 sur l’environ économique du pays, le chef d’état équatorien évoqua devant ses hôtes les garanties de sécurité juridique dont bénéficient les entreprises étrangères en Équateur où selon lui règne un climat d’investissement. Ce portrait très flatteur de la situation politique équatorienne assez éloigné de la réalité de l’exercice démocratique dans le pays montre évidemment à quel point le développement économique pâtit de l’instabilité politique liée à la faiblesse de ses institutions. Ce diagnostique est même partagé par le président équatorien qui pointe du doigt un modèle pervers qui s’est trop longtemps imposé au pays et duquel découle son instabilité. Les solutions pour ramener la stabilité politique passent par un nécessaire changement du mode de gouvernance et par le respect des institutions. Cela exige du chef de l’état qu’il ne donne plus la possibilité aux citoyens d’insulter, mépriser et désacraliser la fonction présidentielle. En cette terrible journée du 30 septembre, il n’y a pas que les policiers insubordonnés qui ont momentanément terni l’image du pays en en faisant comme le dit leur président un « une république d’opérettes ». Il est regrettable que l’attitude de ce même président ait été tout autant dommageable. De plus, le traitement de la presse, des partis de l’opposition, la qualité du dialogue social ou le consensus recherché dans la mise en œuvre de certaines réformes sont aussi des éléments d’appréciation du rayonnement politique d’un pays et en la matière l’image de l’Équateur gagnerait à être améliorée.

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2 réactions à cet article    


  • Waldgänger 23 octobre 2010 00:11

    Remarquable article, d’une très grande richesse, qui éclaire très bien une situation complexe, qui le reste quelque peu malgré les méritoires efforts de l’auteur. Il est intéressant de voir le thème d’une réforme du fonctionnement de la fonction publique dans un pays aussi différent du nôtre, des problématiques communes dans un contexte tout autre.


    • Ceri Ceri 24 octobre 2010 23:11

      comme tous les chefs d’etat de ce pays, correa semble en effet osciller entre le populisme et plier plier aux injonctions US.

      En y regardant de près, on voit qu’il y a en ce moment de gros investissements US dans des associations dites « civiles » qui pronent une démocratie autre que celle que connait l’equateur. Sinon à quoi bon proner la démocratie dans un pays démocratique ?

      Bref, en connaissant les derniers coups d’Etat qui se sont produits au Honduras l’an passé ou au venezuela en 2002, il se trouve qu’on peut repérer les mêmes éléments.

      Le speech de correa devant les policiers était certes assez osé mais en principe la police n’est pas là pour provoquer une émeute.

      Enfin, si on met en parallèle le discours de nos médias sur la Bolivie, le venezuela, le Honduras de Zelaya et maintenant l’Equateur avec les faits réels, on est consterné de voir l’écart entre les deux. a force, même si ça ne donne pas raison à correa et systématiquement tort à nos médias, cela amène à regarde les choses de plus près.

      je ne pense rien vous apprendre là !

      en tout cas merci pour ce travail

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