Les buts de guerre de l’Ethiopie : la vassalisation de la Somalie ?
la guerre en Somalie est toujours vue sous le prisme d’une guerre civile ; et si c’était juste une guerre de conquête classique d’un pays aux dépens d’un autre ?
La douloureuse guerre en Somalie appelle deux principales observations.
Le tout premier point, c’est fondamentalement la légitimité de l’intervention éthiopienne. Puisque cette intervention est totalement illégale (rappelons que l’Ethiopie ne dispose d’aucun mandat d’aucune sorte), serait-elle légitime ? Hélas, la réponse est totalement négative. D’abord, on avance que l’Ethiopie soutient le gouvernement transitoire, sans que l’on s’étonne du peu d’empressement de l’Ethiopie de former et soutenir matériellement ce gouvernement somalien. Et dans les rues de Mogadiscio, c’est une guerre entre Ethiopiens et Somaliens qui se déroule et non une guerre intersomalienne. L’on oublie aussi que ce gouvernement est choisi par Addis-Abeba (le Premier ministre étant même un ami du Premier ministre éthiopien). A-t-on observé pareille situation dans le monde ? Et pourquoi s’étonne-t-on alors que les Somaliens résistent à ce piétinement de leur dignité ? C’est quand même saisissant que les insurgés de Mogadiscio aillent au combat au nom de l’islam certes mais aussi au nom de la Somalie et au nom de la liberté. Rien que cela, des brigades internationales devaient être formées pour aider les insurgés (comme pour les républicains espagnols des années 30) ! Parce qu’en face, l’Ethiopie mène une répression militaire mais aussi politique. Le parlement somalien (carrément prisonnier des Ethiopiens à Baïdoa) a été épuré de tous les éléments qui ont refusé l’intervention militaire éthiopienne. Dès janvier, le président du parlement, Sharif Aden, qui a juste eu le malheur d’avoir conclu un accord avec les tribunaux islamiques pour éviter le bain de sang qui se préparait, a été renvoyé alors qu’il était en Europe. Et récemment trente parlementaires qui ont demandé la fin de la répression éthiopienne ont été démis de leurs fonctions. Lorsque l’Ethiopie et son gouvernement transitoire évoquent la réconcialition entre Somaliens, ça laisse perplexe.
Deuxième argument avancé, c’est le danger que représentaient les tribunaux islamiques pour l’Ethiopie. Cet argument n’est aucunement valable. D’abord, ces tribunaux n’étaient nullement une filiale d’Al-Qaida mais un mouvement soutenu par les commerçants de Mogadiscio lassés par l’instabilité chronique et adoubé par les chefs coutumiers. La déroute des tribunaux montre aussi leur faible capacité militaire face à l’armée éthiopienne (qui est considérée comme une des plus performantes du continent). Et deuxièmement, d’un point de vue légal, il faut bien admettre, en utilisant cet argument, que l’Ethiopie mène une guerre préventive. Ce qui est toujours inacceptable (la guerre d’Irak aurait dû servir de leçon au monde). En plus l’Ethiopie n’a jamais demandé le déploiement d’une force de paix à la frontière avec la Somalie puisqu’elle se préparait fiévreusement à envahir son voisin. Enfin, on feint d’ignorer qu’au début de l’été 2006, les tribunaux islamiques avaient proposé un pacte de non-agression et de bon voisinage avec cette même Ethiopie, ne cédant à la joute verbale que lorsque les troupes éthiopienne ont pris possession à Baïdoa en Somalie.
Quel serait le but de guerre de l’Ethiopie ? Les accusations contre la virulence islamiste ne tiennent pas à un examen attentif. Dès qu’il y a eu une perspective de paix en Somalie, l’Ethiopie s’est ingéniée à la torpiller. Ce fut le cas du gouvernement de Salat Hassan (formé à Djibouti en 2000, d’abord par la société civile somalienne, sans ingérence d’aucune sorte, même pas de Djibouti). Ce gouvernement n’avait qu’un défaut : ne pas avoir fait allégeance à l’Ethiopie. La réaction d’Addis-Abeba a été immédiate en l’accusant de terrorisme (déjà, l’argument n’est donc pas neuf) ce qui revenait à dire que toute la société civile somalienne était terroriste. Les troupes éthiopiennes étaient intervenues militairement dans le nord-est de la Somalie (une région qui voulait se rallier aux nouvelles autorités de Mogadiscio) et on a armé des milices des chefs de guerre pour replonger la capitale somalienne dans le chaos. Le gouvernement de Salat Hassan n’y a pas résisté. Ce comportement rappelle bien étrangement ce à quoi on a assisté depuis quelques mois.
Les agissements depuis dix ans de l’Ethiopie amènent à se demander si elle ne cherche pas tout simplement à soumettre, vassaliser, pour ne pas dire à annexer, la Somalie. D’ailleurs le Premier ministre éthiopien à la BBC, il y a quelques années, laissait glisser un énigmatique « l’Ethiopie et la Somalie sont complémentaires ».
Par conséquent, il vaudrait mieux prendre le problème à l’envers si l’on veut une Somalie en paix et indépendante. Il ne faut pas de troupes à Mogadiscio ni dans aucune autre ville somalienne, mais des troupes de l’ONU aux frontières internationales de la Somalie pour la soustraire aux appétits des voisins. Le feu s’éteindra de lui-même sur l’ensemble de la Somalie. On le doit à ce peuple.
Le second point concerne le côté humanitaire. Le désastre est innommable. Comment peut-il en être autrement, lorsque l’armée éthiopienne pilonne une ville de la taille de Marseille avec des armes lourdes ? Cela ne s’est pas vu depuis la guerre à Groznyï. Et là, le silence de la communauté internationale reste glaçant. Si les Etats-Unis ont pris fait et cause pour l’Ethiopie, l’Europe reste sans voix alors que son représentant dans la région a tiré la sonnette d’alarme sur les crimes de guerre de l’armée éthiopienne. Est-ce parce que les victimes sont musulmanes et les bourreaux chrétiens ? C’est la question qui taraude certains et laisse un malaise indescriptible et profond. Comme l’Ethiopie est un des premiers pays récipiendaires de l’aide européenne, si ces crimes de guerre virent au génocide, l’Europe sera tout aussi coupable, mais il sera trop tard pour les Somaliens.
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