Les causes (méconnues) du conflit syrien
Les langues se délient, les passions se déchainent, les experts de pacotilles prolifèrent sur cette thématique bien complexe. Revenons dès à présent sur l’essence même du conflit, à savoir les causes, trop souvent omises délibérément..
Ancien protectorat français de 1920 à 1946, la Syrie a connu une forte régionalisation confessionnelle durant cette époque, la Syrie mandataire fut composée d’entités politiques distinctes : l’état de Damas, l’état d’Alep, l’état du djebel druze, l’état alaouite auxquelles s’ajouta le sandjak d’Alexandrette (cédé par la France à la Turquie en 1938 pour maintenir sa neutralité dans la seconde guerre mondiale). Cette politique française n’a eu de cesse d’animer les tensions communautaires.
Jugé faible sur le plan étatique, le pays était soumis à des convoitises étrangères après son indépendance en 1946.
Suite au coup d’état militaire d’Hafez Al Assad en 1970, la minorité alaouite (branche du chiisme) devient une minorité dominante dans un pays composé d’une majorité de sunnite. Le pays est donc en proie à des tensions confessionnelles accrues, mais le clan Assad dirige le pays d’une main de fer, avec un pouvoir autoritaire sous l’égide du parti Baas. Parti qui se voulait à l’avant garde du changement dans la région, pour entériner la période humiliante de la colonisation, en effet le slogan « Unité, Liberté, Socialisme » reprenait la même idéologie panarabe qu’un Gamal Abdel Nasser.
Après trois décennies de pouvoir autoritaire, ou les contestations furent durement réprimées, Bachar Al Asasd prend les reines du pays en 2000, moins ferme que son père, il s’imposera plus comme un réformateur souhaitant faire avancer le pays économiquement et politiquement.
C’était sans compter la recrudescence des tensions communautaires qui minèrent l’ensemble de la région.
Centre névralgique des questions internationales, ce conflit laisse place à des études partiales et trop souvent simplistes. Sortons de cette léthargie manichéenne et proposons une analyse précise des causes.
- Cause écologique :
Méconnue, cette cause est pour le moins déterminante dans le début de l’enlisement. Durant la décennie 2000-2010, la Syrie a subi de plein fouet une sécheresse, notamment dans l’est du pays (Al Hasakeh, Deir el Zour, Al Raqua et l’est de la région d’Homs). Les conséquences sont catastrophiques pour l’agriculture, mais également pour les populations qui vivent de la Terre. Le pays est donc contraint d’importer un grand nombre de denrées pour faire face à cette crise. Nombreuses, sont les populations qui fuirent la sécheresse afin de trouver un emploi en ville. Cet exode rural va être le déclencheur de la reprise des tensions internes. Le président Bachar Al Assad doit prendre des réformes économiques pour annihiler cette crise. Les résultats ne sont pas escomptés, et les mouvements protestataires se font de plus en plus réguliers dans les grandes villes syriennes.
- Causes sociales et sociétales
Pays peuplé de 22 millions d’habitants, la Syrie est composée de 90% de musulmans et de 10% de chrétiens. Parmi les musulmans, seulement 17% d’alaouites, cependant cette communauté monopolise la grande partie des instances gouvernementales malgré la lente démocratisation du pays lors du premier mandat du président syrien.
La majorité dominée veut être mieux représentée au sein du gouvernement syrien. Bachar Al Asasd et son clan alaouite proposent en compromis plusieurs engagements afin de calmer les ardeurs des manifestants. Mais ceux ci s’avèrent insuffisants aux yeux de la population. Poussée par le « Printemps Arabe » qui n’en est pas un, la population a le vent en poupe et devient agissante à travers les réseaux sociaux, les manifestations de rues. Le climat est de plus en plus délétère avec des critiques de plus en plus véhémentes à l’égard du régime. Profitant de cette situation peu stable, timidement les puissances étrangères s’immiscèrent à l’aube d’un conflit sanglant et catastrophique pour la stabilité régionale.
- Causes géopolitiques
Bon gré mal gré Bachar al Assad n’est pas aimé dans la région. Ennemi invétéré d’Israël depuis la prise du Golan en 1967, il n’a de cesse de soutenir financièrement le Hamas, le président syrien a de plus soutenu le Hezbollah lors de l’intervention israélienne au Liban en 2006. Le gouvernement sionniste s’empressera de choisir son camp dès le début des hostilités. En effet, de nombreux « rebelles » de Jabhat al-Nusra furent soignés par l’armée israélienne dans la région du Golan.
Les relations sont de moins en moins cordiales avec les pays du Golfe, les pétromonarchies s’inquiètent de l’influence iranienne dans la région, ils soutiennent les rebelles sunnites en leur apportant une aide financière dans un premier temps.
Les occidentaux sous le joug des Etats Unis, habitués aux doubles discours forcent Bachar Al Assad à réformer son pays tout en aidant les rebelles. (Cf Mr Fabius « le front Al Nusra fait du bon boulot »).
Les seuls pays à entretenir de bonnes relations dans la région avec le régime de Damas sont bien évidemment l’Iran, qui cherche à maintenir le croissant chiite de Téhéran à la Méditerranée, l’Hezbollah libanais qui fournit de nombreux contingents sur le front syrien et pour ainsi éviter toutes incursions de l’état islamique au Liban (cf été 2014). Et sans oublier, la Russie, vieille alliée du clan Assad depuis la période soviétique ; l’accès au port de Tartous et la base aérienne de Lattaquié semblent symboliques pour la Russie, l’enjeu est plus important et demeure l’équilibre avec ses anciens partenaires. Le conflit en Syrie est pour la Russie un moyen de rappeler au monde entier, son grand retour sur l’échiquier international. En effet, l’axe russo-iranien fait ainsi contrepoids face à l’axe occidental mené par les Etats-Unis. Les intérêts divergent malgré les interminables pourparlers qui ne sont que le paravent du droit d’ingérence.
- Causes économiques
Quand on sait l’importance des intérêts économiques dans un conflit, on ne pouvait passer outre. L’argent est le nerf de la guerre, aujourd’hui cet adage vieux comme le monde garde tout son sens. En 2010, les pétromonarchies proposent à la Syrie un projet de gazoduc partant des Emirats et de l’Arabie Saoudite en passant par le territoire syrien pour ensuite atteindre la Turquie dans le but d’alimenter l’Europe en gaz. Projet juteux, mais c’était sans compter la proposition iranienne, cherchant à garder ses intérêts dans la région tout en faisant du tord aux sbires de l’Arabie Saoudite (pléonasme), la puissance perse souhaita construire un gazoduc jusqu’en Syrie qui contournerait ensuite le territoire turc afin d’aller vers le marché européen. Damas accepte le deuxième projet en 2011. 2011 fut également le début des hostilités en Syrie (coïncidence ?).
Perdant un profit conséquent, les puissances du Golfe et la Turquie se liguent contre Damas, ils accentuent l’aide aux rebelles en leur fournissant un soutien militaire et financier. La Turquie quant à elle, profitant de cette instabilité chronique, va intensifier son combat contre les kurdes de plus en plus irrédentistes.
Les raisons de la crise syrienne sont obscures, mais souvent inconnus du grand public qui se laissera facilement convaincre par la diabolisation politico-médiatique. En effet, les médias à l’avant garde d’une politique belliqueuse vilipenda constamment le régime de Damas et ses alliés. Ne tombons pas dans le piège de la lecture confessionnelle du conflit, tous les sunnites du pays ne se sont pas rebellés contre le pouvoir en place et n’ont pas rejoint les rangs de l’état islamique, seulement une minorité active et instrumentalisée de l’extérieure.
Aujourd’hui la Syrie, jadis fierté du Moyen Orient est exsangue, la propagation et l’enlisement du conflit font craindre une guerre interminable pour la région. Les convoitises étrangères de toutes obédiences ont détruit le pays. Les occidentaux en connivences avec les puissances du Golfe ont armé les rebelles qui aujourd’hui combattent pour l’état islamique. Dernière en date, l’envoi de 2 500 soldats américains pour entrainer les « rebelles », tout en faisant fi de la souveraineté syrienne. Ou comment sanctuariser une zone d’intervention..
Cette guerre est tout sauf civile, la convergence des intérêts économiques et stratégiques poussent certaines puissances régionales voire occidentales à prendre le parti de l’état islamique.
Sous couvert de lutte contre le terrorisme, les occidentaux ont un double jeu très pernicieux. A savoir, la crise migratoire que ce conflit a engendré, crise sans précédent qui transcende les passions salvatrices. Les débats oscillent entre discours droit de l’hommisme et discours identitaire.
La durée du conflit et la combativité des belligérants résultent de la main mise des agents extérieurs qui alimentent ce chaos pour leurs propres intérêts.
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