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Nucléaire : difficile partie d’échecs en Asie

Après l’Iran, la Birmanie, entre le Pakistan, l’Inde, la Chine et la Corée du Nord ?

Paris - 13 mars 06 - (BCB) Sans attirer l’attention, tandis que s’étalent dans le monde les divergences entre les pays occidentaux et l’Iran à propos du développement nucléaire de ce pays, il en est un, dont la tradition ancestrale a été le repli sur soi-même, la Birmanie, nouvellement nommée Myanmar, qui s’apprête à consacrer le produit de ses ressources en gaz et hydrocarbures au financement d’acquisitions de « know-how » dans le domaine nucléaire. Les pays susceptibles de fournir une assistance technologique dans le domaine nucléaire pourraient être la Russie et la Corée du Nord.

 

 

On doit cette information au président du « groupe Eurasia » ( Eurasia Group), Yan Bremmer. Cet organisme se consacre à la prospective des risques politiques entre l’Europe et l’Asie. Il a été l’un de ceux qui ont signalé la « brutalité de la junte militaire birmane, le « State Peace and development council (SPDC), supposé faire admettre que le gouvernement dictatorial birman œuvre pour la paix intérieure et le développement du pays. On sait qu’en réalité les généraux qui se trouvent à sa tête jettent en prison les opposants politiques et religieux. Il est également accusé d’ utiliser une partie de la population la plus misérable comme main-d’œuvre forcée, réduite à un quasi-esclavage au service de l’armée et de grandes sociétés étrangères établies dans ce pays du Sud-Est asiatique pour y exploiter les ressources non renouvelables. Il obtient ainsi le silence des agneaux après s’être assuré du monopole et du contrôle de tous les secteurs de l’économie depuis quarante-trois ans.

 

 

En janvier 2005 , Mme Condoleeza Rice, en sa qualité de Secrétaire d’Etat, devant le Sénat des Etats-Unis, avait stigmatisé le régime birman en le traitant "d’avant-poste de la tyrannie dans le monde". Pourtant, le fait que 50 millions de Birmans vivent dans le dénuement et soient soumis à une impitoyable dictature militaire ne semble pas gêner outre mesure les 468 compagnies - pétrolières ou non - qui représentent à Rangoon, selon l’ICFTU, les intérêts publics ou particuliers de presque tous les pays occidentaux d’Europe, d’Amérique d’Australie ou d’Asie, présentes au Myanmar.

 

 

On pourrait ainsi remonter au XIXe siècle ou, plus précisément, aux années qui se sont écoulées de 1852 à 1885, quand l’Angleterre et la France rivalisaient entre elles pour la construction d’un chemin de fer et la conquête de ce royaume dont les derniers souverains furent le roi Tharawaddy, Mindon et Thibô qui, régnant dans le Palais d’Or de Mandalay, estimaient que la Birmanie, héritière d’une civilisation millénaire, indépendante et fière, héritière d’un empire fondé en 1044 par le roi Bamar de Bagan (Pagan) Anawrahta, était une nation trop importante pour condescendre à entretenir des ambassades à l’étranger.

 

« Les Arméniens, qui ont établi des comptoirs chez nous, suffisent bien à ces tâches mercantiles ». Ainsi l’affirme la tradition.

 

 

Jamais l’humiliation subie par la conquête du royaume par l’Angleterre de la reine Victoria, qui décida son rattachement à l’Inde, n’a été oubliée par les Birmans, en dépit des tourments de la dernière guerre, des fluctuations politiques et de l’usage de la force et de l’injustice comme moyen de gouvernement.

 

 

Il y a près d’un demi-siècle que le Myanmar vit sous un régime de dictature militaire crypto-communiste . Ce régime, dès son installation en 1962, a eu pour idéal et slogan : « The burmese way to socialism », conçu grâce à une connivence entre les deux piliers traditionnels du pays : les moines bouddhistes et l’armée.

 

 

Après la destitution du premier ministre U Nu, ancien secrétaire général des Nations unies, et de son régime parlementaire en mars 1962, par le coup d’Etat réalisé par le général Ne Win, les généraux se sont emparés du pouvoir avec l’appui de l’armée (tatmadaw) forte de plus de 250 00 hommes, tous presque exclusivement issus de l’ethnie Bamar (birmans). Ces hommes, bien entraînés, avaient été puissamment équipés par l’URSS lors des dernières années du pouvoir soviétique. Le général Ne Win conservera le pouvoir absolu pendant 28 ans, avant d’être forcé de démissionner, en 1988, par une nouvelle génération de généraux. Il est mort en 2002.

 

 

En 1980, un soulèvement populaire a contraint les militaires à organiser des élections, mais quand, en 1990, la Ligue nationale pour la démocratie, parti d’opposition, sortit triomphant des urnes, la Junte annula ces résultats et jeta en prison un grand nombre de ses leaders, artisans de cette réussite du suffrage universel.

 

La fille d’un des pères de l’indépendance de ce pays, le général Aung Sang, assassiné lors d’une tentative du coup d’Etat, Mme Aung, San Suu Kyi, prix Nobel de la paix, n’échappa pas à cette purge. En quinze années , elle a été maintenue pendant plus de dix ans en résidence surveillée, sans téléphone, sans contact extérieur, dans sa maison, dans laquelle elle se trouve encore maintenue.

 

 

Depuis qu’il tient fermement en main le pouvoir, le régime militaire a nationalisé tous les moyens économiques, financiers, industriels et miniers du pays. Il a étendu son contrôle, par décret, sur le commerce du riz et toutes les rizeries, sur tout le commerce, des boutiques de coins de rue aux grands comptoirs, toutes les banques dont les directions ont été confiées à des colonels, l’administration des ports, les transports fluviaux, les mines de Mogok où l’on extrait les plus beaux saphirs et rubis du monde, le jade le plus pur. Jadis partagé en concessions privées, ce pactole constitue, avec la culture et le commerce de l’opium au pays Shan, un des trésors principaux des généraux birmans.

 

 

Aujourd’hui, l’importance de ce trésor a été décuplée par la découverte faite l’an dernier de très riches gisements de gaz en « off shore » dans le Nord-Ouest de la Birmanie, par les géologues d’un groupe coréen du Sud, « Daewo International Corporation ».

 

 

« Cette découverte va faire de ce pays un fournisseur incontournable pour les pays les plus riches d’Asie. L’exploitation de ces nouvelles ressources va être de nature à prolonger la durée de l’emprise militaire », a écrit Ian Bremmer dans le Daily Star, un quotidien de Dakha , au Bangladesh.

 

 

Cet événement s’est produit le 11 janvier 2005. Il constitue une date historique pour la Junte : Le groupe coréen Daewo a annoncé ce jour-là qu’il avait repéré “un substantiel gisement” de gaz, en ajoutant qu’il faudrait encore un an, au moins, pour en faire une description plus précise. Les médias ont parlé d’une découverte “massive”. Les Coréens, plus discrets, ont néanmoins cité le rapport d’un consultant en matière d’hydrocarbure, Ryder Scott Co. Cet organisme a estimé que ce gisement repéré pourrait produire de 2,9 and 3,5 quintillions, (10 18) de pieds cubes de gaz, soit l’équivalent d’environ 600 millions de barils de pétrole brut. « Quelle que soit l’estimation finale du potentiel de ce gisement, cette découverte vient rappeler que la Birmanie / Myanmar est devenue un important fournisseur de gaz naturel pour les pays d’Asie les plus riches », a souligné Yan Bremmer dans son article.

 

Prétendre découvrir en 2006 ces richesses en gaz et hydrocarbure revient à nier le passé. Déjà bien avant-guerre, bien avant l’invasion japonaise des années quarante, la compagnie britannique Burma Oil avait déjà prévu l’énorme potentiel des ressources birmanes en hydrocarbures. Mais pour des raisons stratégiques, il lui avait bien fallu cimenter tous les puits de pétrole en exploitation, avant que les envahisseurs japonais ne s’en emparent. Le temps a manqué aux sujets de l’empereur Hiro Hito pour mettre en œuvre leur grand dessein de conquête du Sud-Est asiatique. La subversion qu’ils avaient provoquée en Inde et en Birmanie, où ils avaient fait naître les premiers mouvements nationalistes et les premiers embryons de milices anticoloniales, a été réduite à néant par des officiers généraux comme Wingate, qui, à la tête de ses Chindits, un commando de 3000 hommes, ouvrit aux alliés anglo-américains du général Stillwell les portes de la reconquête, en laissant sur le terrain neuf dixièmes de ses effectifs. C’était sans compter avec l’air du temps et les conséquences de la dénonciation par Franklin D. Roosevelt des « empires coloniaux » européens, dont la chute fut annoncée par l’Indépendance de l’empire de l’Inde, et les massacres survenus lors de la grande partition du subcontinent entre Inde et Pakistan, entre hindouistes et musulmans.

 

 

Il a fallu attendre la fin du XXe siècle pour qu’à nouveau, et cette fois en connivence avec les militaires au pouvoir à Rangoon, de grandes compagnies pétrolières revisitent les découvertes britanniques des années trente. Un nouveau pactole leur est désormais ouvert, avec l’avantage de pouvoir disposer discrètement d’une main-d’œuvre très peu coûteuse. Et ceci est une litote.

 

 

C’est ce que fait réapparaître, le 11 mars dernier, Yan Bremmer, dans son article longuement documenté et diffusé sur Internet par le « Mouvement des exilés birmans démocrates ».

 

 

Yan Bremmer prévoit qu’avec ces nouvelles ressources, les militaires birmans vont détenir la même arme que celle des Iraniens : Les hydrocarbures. De la même manière que les Iraniens, ils pourront être tentés de prétendre que grâce à leurs nouvelles ressources, ils pourront tenir en échec les menaces de blocus européennes et américaines. Ils disposeront, en effet, désormais, de capitaux suffisants pour lancer des recherches à long terme, dont ils avaient rêvé en signant en 1992 avec la Russie un accord de coopération et d’assistance dans le domaine de la recherche nucléaire. Faute de revenus du côté birman, cet accord n’avait pas pu être réalisé. Mais dès à présent, avec les gains produits par l’exploitation de leur gisement et la vente de leur production gazière et pétrolière à la Chine et également aux autres pays les plus riches d’Asie, la Birmanie sera capable de se payer la technologie nucléaire dont elle estime avoir besoin. Ses espoirs sont fondés sur l’aide déjà promise par la Russie et sur celle qu’elle est en train de négocier discrètement avec la Corée du Nord, avec la bénédiction de la Chine, sa vieille amie et désormais son principal client, dont l’appui diplomatique deviendra précieux quand le Conseil de sécurité évoquera les prétentions nucléaires du Myanmar..

 

 

Ainsi se mettent en place - peu à peu - les pièces d’une partie d’échec qui va décider, au cours des deux prochaines décennies, de l’avenir du monde dont la survie, ou la destruction, seront mises en question, selon le bon vouloir des nouveaux riches de l’atome souverain.

 

 

Les membres de la Junte du Myanmar savent très bien que la signature de « mega contrats » avec les voisins asiatiques - et notamment la Chine - va donner un second souffle au régime militaire et provoquer sa survie... indéfiniment . La Chine, qui détient un droit permanent de veto au sein du Conseil de sécurité, est susceptible d’apporter à la Birmanie un appui diplomatique particulièrement utile lorsqu’il s’agira notamment de questions nucléaires. Ces liens inter-asiatiques de la Chine avec ses voisins risquent de devenir, estime Yan Bremmer dans son article, la question qui fâche dans les relations sino-américaines.

 

 

Quand en 1964, les Etats-Unis, plongés dans l’imbroglio vietnamien, après avoir voulu chausser les bottes des Français après leur défaite à Dien Bien Phu en 1954, ont envoyé la septième flotte en mer de Chine, sous prétexte que les vedettes lance-torpilles du Vietminh avaient tiré sur des unités de la marine américaine, le ministre des affaires étrangères Chou en Lai a fait un voyage éclair en Birmanie pour s’entretenir avec le gouvernement du général Ne Win, à Rangoon, où j’étais en poste pour l’AFP.

 

 

Le ministre des affaires étrangères de l’époque m’a révélé, quelques jours après le départ de son collègue chinois, que celui-ci était venu demander à la Birmanie, avec laquelle elle partage 1500 km de frontières - de demeurer neutre en cas de conflit généralisé avec les Etats Unis. Il lui avait dit : « Nous sommes en état d’infériorité : notre armée est désuète, mal équipée depuis que l’URSS a mis un terme à son aide militaire en 1958 ». La Birmanie avait répondu positivement à cette demande. Ce comportement du général Ne Win n’avait fait que renforcer l’entente qui existait déjà entre les deux pays.

 

 

C’est pourquoi il paraît logique de prévoir que plus la Chine comptera sur les livraisons de gaz et d’hydrocarbure, plus la junte militaire pourra résister aux pressions internationales philo-démocrates, et moins les puissances se risqueront à exiger la comparution du Myanmar devant le Conseil de sécurité. Il semble exclu qu’elle ne puisse pas compter sur la Chine et la Russie, deux pays détenteurs du droit de veto.

 

 

Par ailleurs, le pouvoir interne de la Junte militaire sera renforcé, car il disposera de ressources nouvelles pour combattre les rebellions Karen et Shan qui n’ont jamais accepté le pouvoir central de Rangoon.

 

 

« Il est possible que parmi les motivations qui incitent la Junte du Myanmar à se doter du nucléaire, écrit Yan Bremmer, figure la croyance que cette acquisition lui fournirait une « assurance tout risque » contre une invasion américaine. Après tout, peuvent se dire les membres de la Junte, les Etats-Unis ont pu envahir l’Irak parce qu’il ne possédait pas d’armes nucléaires, mais ils ne se sont pas encore frottés à la Corée du Nord ».

 

 

Ce sentiment, que des observateurs du Sud-Est asiatique estiment paranoïaque , a conduit les généraux de la junte, en novembre dernier, à transplanter leur capitale à Pyinmina, sorte de citadelle montagneuse située à à l’Est des monts Pégu, entre Rangoon, au Sud du pays, et Mandalay, l’antique capitale du royaume d’Ava. La presse du Sud-Est asiatique a même cru pouvoir affirmer que cette bourgade a été transformée en camp retranché de la dictature, entouré de champs de mines. Ce qui ne paraît pas invraisemblable, pas même surprenant. L’obsession d’une invasion américaine ne serait qu’une « face saving device » , une façon de ne pas perdre la face devant le danger réel que lui font courir les révoltes ethniques et des étudiants de l’Université de Rangoon.

 

 

© Bertrand C. Bellaigue . Mars 2006

Bibliographie :

 

 

Ian Bremmer, in The Daily Star, Dahka, Banfladesh.

 

Jean Claude Courdy in Mynamar. Mosaique inchevée, Documentation française.

 

F. Tennyson Jesse in The lacquer Lady, Ed. William Heineman (1929)

 

Bertrand C. Bellaigue, in Documentation personnelle, in Errance dans un theâtre d’ombres, Publibook (2004)


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3 réactions à cet article    


  • kemkem (---.---.38.3) 17 mars 2006 18:05

    Article particulièrement intéressant avec une analyse et un recul qui font souvent défaut.

    Surtout, cet article prend le risque de se projeter dans l’avenir et de prédire... pas évident.


    • Bertrand C. Bellaigue Bertrand C. Bellaigue 17 mars 2006 18:29

      Effectivement, je n’ai rien vu dans le « Monde ». Pour le recul etc ... voyez donc l’encyclopédie britannica. Elle n’est pas mal pour un débutant. Cordialement


      • Imaginus (---.---.68.26) 20 mars 2006 16:04

        - 1 pour la naiveté. Les US n’attaque pas la Coree du Nord non pas parce qu’ils ont l’arme nucleaire mais parcequ’ils n’ont rien a y gagner ou a y vendre.

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