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Accueil du site > Actualités > International > Orange glauque (2) : Daewoo et la journée du 7 février 2009

Orange glauque (2) : Daewoo et la journée du 7 février 2009

Retour à la situation politique très tendue à Madagascar. Seconde partie.


Dans la première partie de cet article, j’ai évoqué la situation de la liberté d’expression ainsi que le parallèle fréquemment proposé entre 2002 et 2009. Voici deux autres éléments de réflexion qui permettent de se faire une opinion plus avisée sur la crise malgache actuelle.


3. Daewoo et le "vol" de la terre des Malgaches ?

Beaucoup d’informations ont circulé depuis le 19 novembre 2008 à la suite d’un article du "Financial Times" qui parlait de la « vente à Daewoo de 1,3 million d’hectares de terres fertiles malgaches, soit la moitié de toute la surface cultivable de Madagascar ».

Or, cette information est fausse et a été démentie par le gouvernement malgache et par Daewoo Logistics.

S’il y a bien eu négociations entre eux deux, cinq éléments doivent être rétablis :

3.1. Aucune terre n’a été vendue ni expropriée

L’accord signé ne porte que sur l’attribution par les autorités des régions concernées de droits de prospection sur des territoires non inscrits au cadastre.

Selon le Ministre de la Réforme foncière, Marius Ratolojanahary, Daewoo Logisctics « a fait une prospection faute d’une base de données foncière dont l’établissement est en cours dans le cadre de la réforme foncière. L’objectif de cette prospection vise ainsi à identifier les terrains disponibles pour mener le projet de Daewoo car aucune expropriation de terrain n’est en vue. (…) Les terrains déjà exploités par les privés, ceux dont la demande d’acquisition est en cours ainsi que ceux destinés aux projets d’extension des villes ne seront pas touchés par le projet de Daewoo. ».

3.2. Pas seulement Daewoo Logistics

Daewoo Logistics est l’un des investisseurs internationaux ayant répondu à l’appel d’offre du gouvernement malgache pour investir dans le pays dans le cadre du développement rural. Parallèlement aux étrangers, des investisseurs malgaches ont aussi acquis des terrains pour une exploitation à grande échelle dans diverses filières tels que le jatropha, le maïs et le riz.

Tout promoteur de projet notamment malgache est incité à se lancer dans l’agri-business, une exploitation agricole à grande échelle, qui est la base de développement du pays.

Le Premier Ministre Charles Rabemananjara a indiqué en effet que « seuls 8% des terrains arables sont exploités jusqu’ici ». Un total de 35 millions d’hectares pourraient être exploités dans le pays.

3.3. La surface indiquée de 1,3 million d’hectares est FAUSSE

Cette surface de 1,3 million d’hectares correspond à la somme des surfaces des régions administratives concernées. La surface ouverte à la prospection est très inférieure puisque la plupart des territoires de ces régions sont inscrits au cadastre et donc non ouverts à la prospection.

3.4. Rien n’est encore décidé

Les territoires prospectés feront l’objet de négociations ultérieures avec les autorité sur leur utilisation (exploitation agricole etc.). Aujourd’hui, rien n’a été décidé.

Après la levée de boucliers, le directeur financier de Daewoo Logistics, Shin Dong-Hyun, laisse même entendre que le projet est compromis : « Nous avons de graves difficultés à Madagascar. Le projet se déroulait correctement, mais il a été brutalement stoppé à cause des comptes rendus des médias. Ces comptes rendus ont mis en colère les Malgaches car il les rend honteux de faire partie de ce qu’ils appellent un système néo-colonial. ».

Le communiqué de Daewoo Logistics du 21 novembre 2008 est d’ailleurs très clair : « There is not yet any discussion about the fee because it will depend on the contract later. » (Il n’y a pas encore eu de négociation sur la contrepartie financière car cela va dépendre d’accords futurs).

3.5. À propos de Daewoo Logistics

Notons également que Daewoo Logistics a peu de chose à voir avec Daewoo fondé en 1967 par Kim Woo-Choong (condamné à dix ans de prison pour fraude et détournement de fonds le 30 mai 2006 par la justice sud-coréenne et amnistié le 1er janvier 2008) même si cette entreprise en est l’une des émanations après le démantèlement de Daewoo en 1999 par le gouvernement sud-coréen à la suite d’une faillite frauduleuse.

Daewoo Logistics n’est donc pas dirigé par un "escroc" comme l’a affirmé Andry Rajoelina mais par Yong Nam-Ahn, qui n’a rien à voir avec Kim Woo-Choong. Daewoo Logistics n’a plus aucun lien avec ce dernier et les sociétés issues du démantèlement n’ont pour la plupart plus aucun lien entre elles.

C’est Madagascar Future Entreprise, filiale de Daewoo Logistics, dont le siège est à Tananarive, qui s’occupe d’agri-business.

Certains emails/spam sont transmis dans le monde, notamment par des organisations non gouvernementales, qui encouragent à écrire au Président et Chief Executive Officer (CEO) de Daewoo en citant le nom de Kim Jae Yong alors qu’il s’agit de Yong Nam Ahn.

La confusion vient que Kim Jae Yong vient d’être nommé le 31 octobre 2008 patron de Daewoo International (une des autres sociétés du groupe démantelé et qui n’est propriétaire que de 20% de Daewoo Logistics).

Une opportunité pour les amateurs de désinformations ? En effet, un autre Kim Jae Yong (un homonyme) est également un Sud-Coréen de 37 ans recherché par Interpol sur demande des autorités vietnamiennes.


4. Que s’est-il passé le 7 février 2009 ?

La marche vers le palais d’Ambohitsorohitra où se trouvent les bureaux du Président Marc Ravalomanana a fini dans le sang, entre 28 et 31 morts (selon les dépêches) et plus de 200 blessés.

La vision des partisans d’Andry Rajoelina a été que Marc Ravalomanana a réprimé dans le sang cet assaut. La situation est beaucoup plus complexe et à ce jour, je n’ai pas connaissance vérifiée de qui a vraiment tiré sur les manifestants.

Le déroulement minute après minute peut être repris en détail ici selon la version du pouvoir. Avant, citons à ce lien un témoignage parmi d’autres, sans autre preuve de véracité qu’un email, qui a pu être lu sur un média proche d’Andry Rajoelina.

Andry Rajoelina arriva sur la place du 13-Mai à 11h30 où l’attendaient entre 3 et 5 000 de ses partisans. Pour attirer la foule, il avait annoncé toute la semaine la présence de Rossy, une star musicale très populaire, mais qui n’était pas au rendez-vous. Il s’autoproclama président de la Haute Autorité de transition et nomma un Premier Ministre de transition, Monja Roindefo.

À 13h25, Andry Rajoelina demanda à la foule de marcher vers le Ambohitsorohitra pour prendre possession du Palais présidentiel. Il savait que ce lieu était en "zone rouge".

Moins d’une demi-heure après, beaucoup de forces de l’ordre pour défendre le palais et les premiers partisans étaient arrivés au jardin d’Antaninarenina. À l’extérieur du Palais, les forces de l’ordre avaient reçu ordre de ne pas tirer. À l’intérieur, les gardes présidentiels se mettaient en position. Monja Roindefo était en tête de la marche alors qu’Andry Rajoelina avait bifurqué au niveau d’Ambatonakanga.

À 13h55, l’état-major mixte opérationnel stoppa la foule à l’hôtel du Louvre, à cent cinquante mètres du Palais présidentiel. En l’absence d’Andry Rajoelina, c’est l’ancien général Dolin Rasolosoa qui parla aux manifestants du haut d’une voiture en disant que les militaires étaient avec eux.

Des soldats casqués avec boucliers mais sans mitraillette étaient présents à chaque artère menant au palais. Aucun représentant religieux n’était sur place (contrairement à 2002).

À 14h15, le général Dolin Rasolosoa ainsi que d’autres représentants d’Andry Rajoelina demandèrent de laisser la foule entrer dans le palais. Le responsable de la sécurité leur dit que c’était impossible mais les onze émissaires (dont Dolin et Monja) furent autorisés à franchir le premier barrage. Les militaires dans le palais avertirent alors clairement que les manifestants ne devaient pas entrer dans la zone rouge. Ils étaient armés et prêts à tirer.

Après le refus de l’officier de sécurité de faire entrer la foule, Dolin Rasolosoa retourna vers la foule en lui disant : « C’est un refus ! Ils vont tirer mais la population ne va pas reculer ! » incitant les manifestants à forcer le cordon de sécurité (des vidéos attestent clairement cette affirmation).

À 14h50, les forces de l’ordre à l’extérieur du Palais lancèrent une grenade fumigène mais les partisans d’Andry Rajoelina continuaient à courir vers le palais. Ce qui entraîna des tirs de sommation en l’air. Ces deux faits furent confirmés à 23h00 sur CNN par Rodney Ford, porte-parole de l’ambassade des États-Unis à Madagascar.

Cinq minutes après, des coups de feu furent entendus à Ambohitsorohitra. La radio Antsiva affirma que les tirs seraient venus de l’extérieur, au niveau de l’hôtel Colbert, au sein de la foule, mais la radio Viva (d’Andry Rajoelina) parla de tirs provenant du Palais. Blessés et morts furent aperçus.

À 15h45, des témoins auraient aperçu des individus en civil faire feu sur la foule. Des proches d’Andry Rajoelina accusèrent Marc Ravalomanana d’avoir recruté « des mercenaires au service de l’État » (mais l’hôtel du Louvre a démenti à 18h00 la présence de militaires ou de mercenaires sur son toit). D’autres ont affirmé qu’ils auraient fait partie de la garde rapprochée d’Andry Rajoelina.

Un quart d’heure après, d’autres coups de feu furent tirés à Ambohitsorohitra, sans savoir quels furent les auteurs et les cibles.

À 16h40, les images diffusées par MaTV et TV Plus montrèrent l’absence d’Andry Rajoelina et la présence de Dolin et Monja. Ils étaient en état d’arrestation. Antaninarenina fut remis sous contrôle de la sécurité.

Une heure après, le Président Marc Ravalomanana fit une allocution télévisée sur TVM pour demander à la population de rester calme, exprimer son émotion pour les pertes humaines et dénoncer l’irresponsabilité de ceux qui ont encouragé la foule à marcher sur le palais présidentiel.

Dans le déroulement des faits, il devient clair que la foule a été manipulée par Andry Rajoelina (qui s’était courageusement éclipsé), Monja Roindefo et Dolin Rasolosoa qui savaient tous les trois ce qu’il allait arriver en demandant l’assaut du Palais d’Ambohitsorohitra.


Que va-t-il se passer ?

La situation semble bloquée à cause de l’obstination des partisans d’Andry Rajoelina. Leur jusqu’auboutisme risque de conduire le pays à la catastrophe, tant humanitaire qu’économique.

Faudrait-t-il un geste de la part de Marc Ravalomanana pour tout débloquer ?

Ce serait peut-être la meilleure solution, un geste de celui qui est légitime constitutionnellement mais qui voudrait avant tout éviter les bains de sang.

Dans ce cas, une nouvelle élection présidentielle pour le printemps 2009, ou au moins, la composition d’un nouveau gouvernement d’Unité nationale pourraient être envisageable.

À condition qu’Andry Rajoelina s’arrête dans la surenchère après ses trois dernières tentatives de s’emparer des ministères.


La foule est devenue un levier comme un autre.
Par le cynisme et l’ambition d’un camp.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 février 2009)


Pour aller plus loin :

Inquiétude malgache (27 janvier 2009).

La révolution orange vire au rouge (11 février 2009).

Un témoignage provenant des proches d’Andry Rajoelina.

Le déroulement de la journée du 7 février 2009 selon le TIM.

Financial Times du 19 novembre 2008.

Communiqué de Daewoo Logistics du 21 novembre 2008.

Chronologie de l’affaire Daewoo.

Informations sur la situation à Madagascar.



Documents joints à cet article

Orange glauque (2) : Daewoo et la journée du 7 février 2009

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2 réactions à cet article    


  • ZEN ZEN 20 février 2009 13:36

    Si vous faites confiance à Daewoo et aux autorités malgaches, il est sûr que la vérité ne va pas avancer d’un pouce. 
    J’ai une autre version et d’autres sources
    ...
    Cette pratique devient très répandue dans d’autes pays
    Elle ne vous offusque pas ?
    Comment la nommer ?


    • minidou 20 février 2009 14:21

      Certains articles, je ne puis être certain que c’est le cas pour celui-ci mais c’est l’impression qu’il donne, ressemblent beaucoup à de la communication institutionnelle avec un masque de "journalisme citoyen"...

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