Otan en emporte un vent nouveau pour la France dans un monde voué à l’économie et la technique
La question de l’Otan taraude les gaullistes et les socialistes, y voyant matière pour s’opposer à une actualisation menée par Sarkozy afin de réintégrer la France dans un commandement militaire associant un conglomérat de nations, les Etats-Unis évidemment, mais aussi les nations européennes (avec la Turquie). Qui sait au juste comment fonctionne cette organisation censée mettre en commun des moyens militaires pour une défense commune ? L’Otan est financée par les Etats-Unis à concurrence de 29 % alors que, parmi les cinq plus gros contributeurs, figure la France, qui avec 7 % est derrière l’Italie, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, celle-ci assurant le cinquième du budget total. Ce n’est pas rien. Le rôle de la France est en vérité assez complexe. Elle est membre fondateur de cette organisation créée en 1949 pour sceller une alliance entre l’Europe et les Américains suite aux événements de 44-45, des Américains incités à rompre leur isolement. Cette organisation censée être un outil géopolitique a été entraînée dans une opposition idéologique. Car en face le bloc de l’Est, issu de Yalta, montait en puissance avec une URSS disposant d’une Armée rouge imposante et de l’arme nucléaire. Dans ce contexte, la doctrine soviétique décréta que l’Otan était l’instrument de l’impérialisme américain. Le monde a connu l’épisode de la Guerre Froide et l’organisation atlantique déploya ses bases dans les pays membres européens. Mais, en 1966, de Gaulle décida de la sortie de la France hors du commandement militaire de l’Otan ce qui n’a pas fait sortir la France de cette organisation, mais a juste rendu indépendante la politique de défense française. En 1996, Jacques Chirac entame un processus de réintégration de la France en attribuant à l’organisation atlantique un représentant français dans le comité militaire. Et c’est dans une confusion nationale que le président Sarkozy se prépare à remettre la France là où elle fut entre 1949 et 1966.
La réintégration dans l’Otan a suscité quelques passions politiques, mais elle n’est qu’un point de détail de l’Histoire, au risque de choquer les gaullistes et les anti-américains. Non seulement la donne géopolitique a changé depuis 1989, mais la configuration idéologique également. Si, dans la période 1950-1990, l’Otan a bien été l’instrument d’un différend géopolitique d’ordre idéologique, ce n’est plus le cas. Quant à la stratégie actuelle, elle prend acte de la montée en puissance de la Chine alors que l’affrontement idéologique n’est plus d’actualité. Sur la planète entière, un seul mot d’ordre, de la croissance économique et des affaires !
Un petit rappel. Parmi les conflits dans l’après-guerre, il y eut des guerres du XIXe siècle, coloniales, en Indochine, en France, et puis des guerres typiques de la bipolarisation idéologique. Corée, Vietnam, Afghanistan, sans compter nombre d’événements plus ou moins violents liés à cette opposition Est-Ouest, chars à Budapest en 1956, à Prague en 1968. Jeux dangereux à Cuba. 1973 et la prise du pouvoir par Pinochet avec les appuis de la CIA... En ce temps, il y avait les alignés sur Moscou, ceux sur Washington et les non-alignés alignés sur Tito. Dans ces années, les mots communiste et capitalisme avaient une forte connotation, autant que Yalta, Est et Ouest. Le Mur de Berlin était le symbole de cette division idéologique et géographique. Maintenant, les appartenances se déclinent avec d’autres symboles et sigles. Alena, CEE, OPEP, OCDE, FMI, OMC... On l’aura compris, les enjeux sont principalement d’ordre économique. Et l’on doit anticiper des conflits militaires, ce sera certainement plus pour le contrôle des matières premières que l’hégémonie d’impérialismes idéologiques. La Chine n’a aucun dessein de convertir la planète à son régime politique ; elle veut juste devenir la première puissance économique. La seule zone encore brouillée reste le Moyen-Orient, avec ses champs pétrolifères et ses mouvances islamiques. Et l’Afrique...
En France, on peut comprendre que la gent de gauche soit désemparée, en perte de repères idéologiques, croyant encore à une exception française, un modèle politique radicalement original et bien distinct du « méchant libéralisme » de Bush et du « faux socialisme » de Blair. En ce sens, la réintégration « naturelle » de notre pays dans le commandement de l’Otan peut sembler, d’un point de vue symbolique, comme un affront fait à l’histoire française et son identité. Cette perte de repères incite à épouser quelques causes comme celle du Tibet, défendue par une minorité d’activistes enflammés à Paris ce 7 avril, avec une force ayant surpris les autorités, mais qu’on pouvait pressentir (il y a dix ans, c’était le Chiapas). Il existe encore des luttes idéologiques, mais l’essentiel des prochains conflits, qu’ils soient planétaires ou locaux, géopolitiques ou sociaux, auront comme ressort les enjeux économiques. Aux échelles planétaires, le contrôle des matières premières et, dans les pays, les frondes et émeutes liées aux prix des « denrées élémentaires » ; qui sont alimentaires dans les pays pauvres alors que dans les pays riches, ce sera le prix de l’essence qui pourrait justifier quelques émeutes.
Les quelques événements récents permettent d’anticiper la nouvelle donne planétaire. Des émeutes en Egypte, en Haïti, en Indonésie, en Afrique, à cause du prix de denrées alimentaires et, par exemple, le pain à bas prix qui se vend au Caire grâce à une farine subventionnée dont une partie est détournée à des fins mafieuses. Mais ce cas d’espèce ne doit pas occulter les réalités planétaires. Les biocarburants se développent, augmentant par les mécanismes du marché le prix des céréales. L’ONU a recensé des émeutes alimentaires dans pas moins de 37 pays pauvres. En Iran, des émeutes ont eu lieu voici quelques mois à cause d’une augmentation de l’essence. Signe que l’Iran est plutôt du côté des pays développés que de celui des pays pauvres. En France, la fronde lycéenne porte sur des moyens éducatifs jugés en état de pénurie. A chaque pays ses frondes, ses désirs ou besoins insatisfaits. Le manque universel. Les questions économiques vont dominer la géopolitique au XXIe siècle, avec quelques conflits idéologiques instrumentalisés par la marchandise qui tend à devenir le seul et unique pouvoir.
Poutine, la Russie et une politique nationale sur l’énergie. Que du reste Chavez copiera au Venezuela. Poutine n’a pas laissé les consortiums pétroliers et gaziers s’occuper des ressources naturelles de la Russie. C’est une mesure intelligente. La Russie est une économie mixte, alliant les mécanismes du marché en dosant son jeu avec des entreprises nationales. Comme la Chine du reste. Comme la France du temps de de Gaulle et Mitterrand. On oublie une chose. Si les marchandises et les capitaux peuvent bien circuler librement, les gisements de pétrole ne peuvent être déplacés. La stratégie économique des nations consiste alors à jouer sur les réserves ou à déplacer des consortiums pour exploiter les gisements avec l’appui d’Etats amis pour les affaires. Les multinationales font des affaires grâce aux Etats et les Etats font des affaires grâce aux multinationales. Ainsi la coopération entre les compagnies des States et l’Arabie, entre Total et la Birmanie. Le cas de la Russie est à part. Disposant du savoir-faire technique et des ressources, la Russie peut pratiquer un capitalisme d’Etat avec des grosses entreprises, la plus connue étant Gazprom. Mise à part cette question des ressources, potentiellement conflictuelle, il reste l’enjeu majeur du XXIe siècle. Ellul avait bien anticipé la chose. La technique. Les Chinois maîtrisent l’espace, la grande vitesse sur les rails, les technologies électroniques, le nucléaire, la finance, bref, ils n’ont plus aucun obstacle (si, faire des automobiles fiables !) pour passer devant les Etats-Unis d’ici vingt-cinq ou cinquante ans ; et, peut-être, devenir menaçants. Les peuples et nations ont montré de par l’Histoire qu’ils sont incertains. L’Otan a une utilité, basique dirions-nous. Gérée intelligemment, elle pourrait permettre de réduire les budgets de défense en Europe. Pour lui donner quelque raison d’exister, rien de tel que la complicité d’un Iran agressif ou d’un Pakistan instable. Mais, dans ce jeu-là, les Européens ont leur mot à dire et contrairement à ce que pense l’opinion, l’Otan n’est pas le bras armé des Américains.
La notion d’atlantisme avait un sens au moment des deux blocs. Plus maintenant. On peut comprendre les nostalgiques du gaullisme et du mitterrandisme qui, à l’instar des cathos de 1960 défendant la virginité avant le mariage, jouent les pieux idéologues en fustigeant la mise à jour de Sarkozy sur cette question. Quelque chose a changé dans le monde, depuis 1990. Et c’est avec tristesse qu’on voit le Parti socialiste et les mouvances gauchisantes peiner à tracer les contours d’une nouvelle opposition politique, se contentant de vieux réflexes donnant une bonne conscience de gauche. Un monde s’achève, le nouveau est loin d’avoir été inventé. La crise sociale avance, les guerres économiques, les mercenaires, les mafias, l’ordre policier, les affairistes, les individualismes, la défense des intérêts privés. Le rôle de l’Otan sera sans doute de contrer les menaces de cette petite puissance qu’est l’Iran. Rien de comparable avec l’URSS de la guerre froide. Et puis quelques opérations de police contre d’éventuels foyers terroristes. La Russie devrait se tenir tranquille, avec ses immenses ressources, de quoi miser sur les places marchandes et soigner son nationalisme économique. Elle pourrait même rejoindre l’Otan dans vingt ans. Sur le plan économique, la Chine fera de même, en plus puissant, mais elle n’a pas vocation à rejoindre à moyen terme l’Otan.
Pour bien résumer la situation, il faut prendre note que l’atlantisme est révolu en tant que support tactique contre l’Est, doublé d’un relais anti-communiste. A l’ère du national-capitaliste où nous sommes, l’Otan supporte un occidentalisme qui n’a pas de dessein impérialiste en termes idéologiques, excepté le parti pris pour démocratie et l’Etat de droit. L’occidentalisme défend les intérêts géopolitiques et économiques d’un Occident qui va de l’Alaska à l’Oural (enfin presque). Si la France veut influencer le monde, elle dispose d’un outil en étant intégrée au sein de l’Otan. Il ne lui manque qu’une doctrine assortie d’une intelligence philosophique et politique lui conférant une image forte. Pour l’instant, la France est en panne. Ce n’est pas grave. Time are a changing...
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