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Procès de Laurent Gbagbo devant la CPI : une façon de l’écarter du paysage politique ivoirien, vraiment ?

Le procès de l'ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, suit son cours devant la Cour pénale internationale (CPI). Depuis maintenant plus d'un an, la parole est encore et toujours à l'accusation. La procédure s'annonce longue, alors que le procureur a prévu de faire déposer pas moins de 138 témoins à la barre. Incarcéré à La Haye en novembre 2011, au lendemain d’une crise politique majeure ayant laissé les institutions ivoiriennes en lambeaux, Laurent Gbagbo présente son procès comme une machination politique fomentée par l’actuel président Alassane Ouattara, épaulé par la Communauté internationale, France en tête. Une version très largement contestable.

Laurent Gbagbo n'est pas seul sur le banc des accusés. Avec son ancien ministre et ex-chef des Patriotes ivoiriens, Charles Blé Goudé, il est poursuivi pour « quatre chefs de crimes contre l'humanité », selon la Cour : meurtre, viol, autres actes inhumains et persécution lors de la crise post-électorale ivoirienne (2010-2011). « Si on m'a accusé, c'est qu'on a des éléments de preuve », avait déclaré l'ancien président de la Côte d'Ivoire lors de sa première comparution, en 2011 – et en effet, 22 000 « pages de preuves » ont été récoltées contre lui. Un acte de contrition – de clairvoyance – qui ne semble pas avoir résisté au temps, sa défense comme l'opposition ivoirienne s'escrimant, depuis, à présenter le procès de l'ancien homme fort d'Abidjan comme avant tout « politique ». Un peu rapide.

« Un procès politique » pour la défense

Depuis l'arrestation de son leader et son transfert à la Haye en novembre 2011, l'opposition ivoirienne n'a de cesse de réécrire l'histoire pour mieux détourner l'attention des accusations portées contre lui. Dans le viseur du Front populaire ivoirien (FPI), la France, l'ONU et la communauté internationale dans son ensemble, accusés d'ingérence dans les affaires intérieures de la Côte d'Ivoire. Non seulement l'opposition ne se remet-elle pas d’avoir perdu les élections de 2010, mais encore ne reconnait-elle pas les résultats de ce scrutin historique – et la victoire d'Alassane Ouattara sur Laurent Gbagbo.

« Une clameur indescriptible est orchestrée à travers le monde contre Laurent Gbagbo », soutient le FPI, sans apporter le début d'une preuve tendant à disculper son champion. Dénonçant la « traque » dont aurait été victime l'ancien président, le FPI s'en prend également à la Cour de la Haye : « la CPI n'est pas une juridiction, c'est une machine infernale dont l'ONU tire les manettes ». Et de dénoncer les « pratiques immondes » de la justice internationale à l'encontre de Laurent Gbagbo, un homme « à l'avant garde d'un combat inégal ». En d'autres termes, ses soutiens entendent présenter Gbagbo comme la victime d'un complot international déniant la souveraineté du peuple ivoirien, sur fond de Françafrique.

Cette stratégie est dénoncée avec force par le célèbre journaliste et écrivain ivoirien Venance Konan, selon qui « jamais une élection en Afrique ne fut autant surveillée et observée que cette présidentielle ivoirienne d'octobre 2010 ». Et de rappeler que « devant le monde entier, Laurent Gbagbo perdit ». Pour le Directeur général du groupe de presse Fraternité Matin, « la voie qu'avait empruntée la Côte d'Ivoire était dangereuse. Tout le monde voyait au bout un remake du drame rwandais (…). Il y avait un risque réel de guerre qui aurait pu embraser toute la région ». Venance Konan enfonce le clou : « ce qui est incontestable est qu'à l'issue de l'élection (Laurent Gbagbo) avait été battu dans les urnes, avait refusé de le reconnaître et avait commencé à massacrer son peuple ».

La stratégie de défense agressive adoptée par les soutiens de Gbagbo l'est également par l'avocat du président déchu, Emmanuel Altit. A la barre de la CPI, il déclare ainsi que « le peuple ivoirien (…) aurait mérité un autre procès qu'un procès politique ». Avant d'ajouter : « il aurait mérité que soit instruit le procès des vrais responsables de la destruction, depuis une décennie, du pays ». Il reste à espérer que de nombreux Ivoiriens ont eu le loisir de regarder cette séquence, retransmise par la télévision, tant cette dernière affirmation est contredite, au quotidien, par le redressement sans précédent de leur pays depuis le départ de Laurent Gbagbo. Et ce sur tous les plans : économique, sociétal, démocratique...

La comparaison des bilans ne plaide pas pour Gbagbo

En tournant la page Gbagbo, la Côte d'Ivoire a surtout tourné le dos à une décennie marquée par la paupérisation, la corruption et la xénophobie. Alors que le PIB par habitant avait été divisé par deux entre 1980 et 2010, passant de 1 800 à 900 dollars, et que le taux de pauvreté était, quant à lui, passé de 10% à près de 50% de la population, la Côte d'Ivoire a, depuis l'élection d'Alassane Ouattara, renoué avec la bonne santé économique.

Aujourd'hui, tous les indicateurs économiques sont au vert. La croissance du PIB ivoirien est de 8,5% depuis deux ans. L'élan économique est soutenu par une forte demande intérieure et extérieure. Après la crise post-électorale de 2010-2011, le plan national de développement initié par le nouveau président a permis une stabilisation politique et le retour de la confiance des entreprises. D'importantes réformes ont amélioré le climat des affaires. La construction d'infrastructures a été relancée à grande échelle. Autant d'efforts qui ont porté leurs fruits : les investissements étrangers ont ainsi progressé de 27% entre 2012 et 2013 ; le salaire minimum a été porté de 36 000 à 60 000 francs CFA ; une couverture médicale universelle a été adoptée en 2014 ; etc.

La fin de l'ère Gbagbo a également signé celle du funeste concept « d'ivoirité », ce repli identitaire qui a débouché sur une véritable « chasse à l'étranger » à travers tout le pays, orchestrée par les partisans de l'ancien président afin de « purifier » les listes électorales avant le scrutin de 2010. « La mémoire des affrontements, des brimades, des stigmatisations, se produisant à la fois à un niveau local et national, a été vive au moment de l'identification » des électeurs, rappelle le doctorant en sciences politiques Michael Barbut.

Le procès de Laurent Gbagbo devant la CPI, seule solution équitable… pour le premier intéressé !

Mais au fait, pourquoi Laurent Gbagbo est-il jugé devant la CPI, et non par les juges de son pays ? Faut-il y voir, comme sa défense le laisse entendre, une manœuvre d’Alassane Ouattara et de la Françafrique pour écarter un rival de taille du paysage politique ivoirien ? Si l’hypothèse a de quoi séduire les amateurs de théories du complot, l’explication est beaucoup plus simple.

Au sortir de la violente crise ayant secoué la Côte d’Ivoire après le refus de Gbagbo de quitter le pouvoir, le pays est en ruines, ses institutions, notamment judiciaires, sont exsangues. Gbagbo devait être jugé, mais ne pouvait l’être par des juges impartiaux et dans des conditions équitables chez lui. S’il a tout lieu de regretter aujourd’hui de ne pas comparaitre dans son pays, alors que celui-ci a été restauré de fond en comble par son successeur Alassane Ouattara et que ses tribunaux sont en état de marche, c’était à l’époque lui éviter un procès expéditif que de l’arracher à une justice ivoirienne fantoche.

Autrement dit, si Laurent Gbagbo a beau jeu de se plaindre de la tenue de son procès devant la CPI dans les circonstances actuelles, la Côte d’Ivoire ne doit ces « circonstances actuelles » qu’à Alassane Ouattara. Les « circonstances passées », elles, délétères, étaient l’œuvre d’un seul homme : Laurent Gbagbo. Ce dernier oublie un peu vite de préciser qu’il n’aurait pas lui-même souhaité être jugé par le simulacre de système judiciaire qu’il avait légué à son pays.


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4 réactions à cet article    


  • riff_r@ff.93 [email protected] 22 février 2017 14:10

    La CPI seule solution équitable

    Crimes de guerre en Irak : à quand un procès contre W.Bush et Blair à la CPI ?


    • Alpo47 Alpo47 22 février 2017 17:18

      La CPI, c’est le lieu où l’occident colonisateur et donneur de leçons s’autorise à juger ... le reste du monde. En fait, les dirigeants du tiers monde qui ne vont pas suffisamment dans le sens des intérêts de l’occident.
      Curieusement, les dirigeants occidentaux qui ont détruit des villes et des pays entiers, massacré des populations civiles, installé le chaos (Bush, Sarkozy, Blair, Hollande ...etc..) ne sont jamais inquiétés.

      C’est la « justice » à l’occidentale et ça aussi se voit de plus en plus.


      • Eric P 22 février 2017 19:36

        La côte d’Ivoire va mieux, mais pour qui ?

        Depuis janvier, les mutineries se sont succédé : http://www.jeuneafrique.com/404523/economie/cote-divoire-manifestation-de-producteurs-de-cacao-dispersee-police/

        Grève des fonctionaires et 8500 anciens rebelles (c’est à dire ceux qui ont aidé par 3 fois Ouattara (le jentil démocrate) à prendre le pouvoir et qui finalement n’y sont arrivés que grace à l’aviation Française qui a pilonée le palais présidentiel où résidait le méchant Gbagbo) qui réclament leur dû, c.a.d 18 000 euros chacun, somme gigantesque pour un Ivoirien moyen qui vie avec quelques euros par jours. ici :
        http://www.france24.com/fr/20170128-fonctionnaires-ivoiriens-suspendent-greve-cote-ivoire-primes-salaires


        • Pseudonyme Pseudonyme 22 février 2017 21:13

          En fait le CPI est le signe de l’allégeance de Ouattara. Les ivoiriens le savent qui attendent de le débarquer pour réembarquer dans le Gbagbo ..... Les africains eux par la voix de leurs gouvernements désertent le CPI. Donc à l’œuvre deux faits qui sont apparemment disjoints, mais qui en réalité dessinent l’avenir du continent maudit. Un éloignement de l’Occident.

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