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RD Congo-Fin mandat : Kabila joue la montre

 « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient », dit un vieil adage d’un barbier malhonnête. Faire des promesses et mettre tout en œuvre, en sous-mains, pour que leurs réalisations soient toujours renvoyées à des dates indéterminées. Le procédé, que nous qualifions de « stratégie des calendes grecques », affecte particulièrement le processus électoral en République Démocratique du Congo dont les échéances sont continuellement renvoyées à des dates hypothétiques. C’est même devenu la marque du président Kabila, qui, après avoir tenté plusieurs manœuvres pour se maintenir au pouvoir, semble avoir enfin trouvé la « formule magique » : renvoyer les échéances électorales indéfiniment. Et ainsi continuer de régner…

Ces « reports en reports » n’ont rien à voir avec les circonstances relevant du cadre juridique de la « force majeure »[1], ce dont les partenaires extérieurs de la RDC, longtemps alliés inconditionnels de Kabila[2], ont fini par se persuader[3]. Il s’agit de la mise en application, en toute conscience, d’une stratégie d’un cynisme froid : faire des promesses autour des échéances électorales (1) et s’organiser pour les rendre irréalisables (2), grâce à un travail permanent de sabotage du processus électoral, jusqu’à la confrontation ultime avec les masses populaires (3).

 

1. Les promesses et les dindons de la farce
 

Le régime Kabila est tellement devenu un spécialiste des calendes grecques qu’il s’est mis, par moment, à oublier, par exemple, la mise en application de l’accord politique du 18 octobre 2016, signé au terme du « dialogue » que le président avait lui-même convoquée[4]. Un gouvernement devait être formé dans les 21 jours de la signature de l’accord, un comité de suivi dans un mois tandis que le budget de l’ensemble du processus électoral devait être présenté par la Commission électorale (CENI) 20 jours après la signature de l’accord. Promesses non tenues[5]. Autant dire que l’élection annoncée en avril 2018, dans cet accord, devra attendre... Le Congo aura débordé toutes les limites fixées par la Constitution, dont il faut rappeler qu’elle fut, elle aussi, l’objet des promesses par rapport à son « respect strict ».

En effet, la Constitution de la RDC a doté le pays d’une institution d’appui à la démocratie qui s’appelle Commission électorale nationale indépendante. Elle est chargée de l’organisation du processus électoral de façon permanente[6] et bénéficie d’une dotation votée chaque année par le parlement. Le citoyen pouvait ainsi dormir tranquille et attendre les dates des élections pour exercer son devoir civique. D’autant plus que le respect de cette Constitution a été martelé tout au long du quinquennat.

« Le président Kabila respectera strictement ce qui est écrit dans la Constitution », affirmait Lambert Mende, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement. Et d’ajouter qu’« en 2016, il y aura un passage de flambeau civilisé entre un président qui sort et un président qui entre »[7]. En 2007, c’est Kabila en personne qui promettait, dans le journal français Jeune Afrique, de quitter le pouvoir à l’issue de son mandat, avec cette formule implacable : « Je vous donne ma parole d’officier »[8]. Tout ceci, bien entendu, n’était que promesses… et n’engageait que ceux qui y avaient cru. Les dindons de la farce.

En effet, on a trop souvent tendance à oublier l’histoire personnelle de Joseph Kabila, un ancien maquisard passé par l'« école » de l'Ougandais Yoweri Museveni et du Rwandais Paul Kagame, les spécialistes du "talk and fight", une stratégie machiavélique qui a tellement ruiné des vies entre Kampala et Kigali. Le talk and fight consiste, entre autres, à entrainer l’ adversaire/ennemi dans des négociations « inutiles » pour gagner du temps et repérer ses points faibles, le tout en lui faisant des promesses alléchantes qui, bien entendu, ne seront jamais réalisées. Tout l’enjeu est de l’amener à baisser la garde, voire à se livrer tout seul, attiré par l’illusion d’un gain d’argent ou du pouvoir. Il ne reste qu’à attendre le bon moment pour le rouler dans la farine, voire l’achever physiquement. Certains opposants ayant participé au "dialogue" du Camp Tshiatshi ont aujourd'hui la gueule de bois. Ils se sont fait avoir par l’homme qui leur promettait argent, privilèges et carrières de ministre. En fait, Kabila veut régner le plus longtemps possible sans élection. Il essaye juste de faire croire à ceux qui s'invitent aux négociations avec lui qu'il prépare l’alternance, alors qu'il suffit d'un regard objectif pour constater que les élections sous sa présidence ne sont pas réalisables. Il joue la montre.

La stratégie des calendes grecques doit toutefois être combinée avec le sabotage en permanence du processus électoral pour que le régime continue de disposer des arguments justifiant le non-respect de ses obligations constitutionnelles, à l’instar d’un débiteur malhonnête qui organise sa propre insolvabilité pour ne pas avoir à s’acquitter de ses dettes.

2. Saborder le processus électoral

Le 24 juillet 2016, des millions de Congolais ont été surpris en apprenant de la bouche de Corneille Nangaa, le président de la Commission électorale, que les élections sont renvoyées à des dates ultérieures suite aux contraintes d’ordre technique[9]. Son institution, la CENI, n’a pas les moyens financiers pour organiser les élections. Qu’a donc fait cette « institution permanente » pendant toutes ces années ? Où sont passés les dotations annuelles que le parlement alloue à la CENI ? Le 24 novembre 2016, c'est au tour du Premier ministre Matata Ponyo de surprendre les Congolais en présentant un budget de l’État dérisoire de 4,5 milliards de dollars pour un pays de 80 millions d’habitants et grand comme l'Europe occidentale[10]. Le 06 décembre 2016, le président de la CENI revient dans les médias pour présenter un budget astronomique de 1,8 milliard de dollars, soi-disant pour couvrir le financement du processus électoral. Le message renvoyé par le Premier ministre (4,5 milliards de dollars) et le président de la Commission électorale (1,8 milliard de dollars) est que les élections coûteraient presque la moitié du budget d'un État ? Non, c'est une façon détournée de dire qu'il n'y aura pas d'élections, parce qu'elles ne sont pas finançables. Et tout à a été fait en amont pour "tuer" le processus électoral.

En effet, la Commission électorale avait été l’objet d’un sabotage permanent, aussi bien sur le plan de sa gouvernance que sur le plan financier. Sur le plan financier, en octobre 2015, déjà, la CENI, alors présidée par l’abbé Apollinaire Malumalu, affirmait, dans un rapport d’activité remis à l’Assemblée nationale, que le gouvernement n’avait décaissé que 24% du budget alloué par le parlement, 22% en 2015 et qu’en 2013, rien n’avait été versé pour financer sa logistique. Où est passé l’argent ?... En octobre 2016, Jean-Jacques Lumumba, ancien cadre de la BGFI, une banque de Kinshasa où sont logés les fonds destinés au financement du processus électoral, a révélé au quotidien belge Le Soir, que ce compte fait l’objet de retraits injustifiés au bénéfice des proches du président Kabila[11]. Ah oui ! En « siphonnant » les finances de la Commission électorale, le régime devait aboutir, en toute logique, à un résultat implacable : la paralysie du processus électoral. Or, s’il n’y a pas d’élection, il n’y a pas d’alternance au pouvoir. Le règne peut donc se poursuivre.

Bien avant les révélations de Jean-Jacques Lumumba, le député Jean-Bertrand Ewanga avait affirmé que depuis 2012, le parlement dote la CNI d’une enveloppe de 250 millions de dollars chaque année, et qu’en 4 ans, la centrale électorale devait disposer d’une confortable cagnotte d’un milliard de dollars, largement suffisant pour financer l’organisation des élections législatives et présidentielle. Mais la CENI n’a pas été sabotée seulement sur le plan financier. Même sa gouvernance a été perturbée par le régime, toujours dans le but de rendre impossible la tenue des élections dans les délais constitutionnels.

Pour rappel, le 7 juin 2013, l’abbé Apollinaire Malumalu reprend la présidence de la Commission électorale avec l’appui des partenaires extérieurs de la RDC dans une sorte de réédition du processus électoral qu’il avait piloté 7 ans auparavant, et qui avait abouti aux premières élections unanimement saluées par la « communauté internationale ». Le 27 mai 2014, Malumalu fait publier le calendrier des élections locales, urbaines et municipales, et se penche sur le calendrier global qui sera publié le 12 février 2015. L’élection présidentielle et les élections législatives sont fixées au 27 novembre 2016[12], ce qui signifiait que le compte à rebours pour la fin du régime Kabila était enclenché. Conscient du sabotage dont le processus électoral faisait l’objet, Malumalu se lance dans la campagne auprès des bailleurs extérieurs de la RDC. Il devient rapidement la bête noire des « fous furieux » de la kabilie qui se déchaînent contre sa personne. Il disparaît de la circulation après avoir été foudroyé par une mystérieuse maladie dont il ne s’est jamais remis[13]. Un empoisonnement ! accusent plusieurs sites sur la toile… Il était encore cloué au lit lorsque le 10 octobre 2015, sa démission fut précipitamment annoncée par la présidence de la République, comme une sorte de soulagement d’un régime à qui on enlevait une épine du pied. Le successeur de Malumalu, André Mpungwe, est, lui aussi, contraint de démissionner. Pour des raisons politiques.

3. Le goulot d’étranglement

Le président actuel de la CENI, Corneille Nangaa, est, en l'espace d'une mandature, ainsi le troisième président d’une institution tellement malmenée par le pouvoir qu’il ne reste plus grand-chose de sa crédibilité. L’institution est réduite au simple rang d’organe technique et d'expérimentation des stratégies de la Majorité au pouvoir. Les participants au dialogue du Camp Tshiatshi ont pris acte du discrédit de la CENI et ont envisagé sa recomposition dans la perspective de prochaines élections. Mission délicate puisque le régime ne peut rater une aussi belle opportunité de provoquer de nouvelles crises artificielles pour retarder encore et encore les échéances. Parce que l’enjeu, c’est de continuer de régner en repoussant les échéances électorales encore et encore.

La stratégie des calendes grecques a toutefois des limites, puisque les échéances ne peuvent pas être repoussées indéfiniment. Un jour les masses populaires et les dynamiques de changement entrent en scène pour imposer leur propre agenda.

Un premier face-à-face s’est ainsi produit les 19 et 20 janvier 2015 lorsque le parlement a tenté de voter un projet de loi qui conditionnait la tenue des élections au recensement préalable de la population, une opération qui repoussait les élections à plusieurs années au-delà des limites fixées par la Constitution. Après trois jours d’affrontements, le régime a reculé en retirant le projet de loi. Le deuxième face-à-face s’est produit les 227 et 28 septembre 2016 suite à la non-convocation de l’élection présidentielle. La date du 19 décembre 2016 est le nouveau rendez-vous et le début d’une période de confrontation entre le régime, accroché à sa stratégie des calendes grecques, et les masses populaires acquises au changement.

Boniface Musavuli

Références

[1] Il n’y a pas lieu d’évoque la « force majeure » lorsque la « circonstance exceptionnelle » a été volontairement orchestrée par une personne en vue de se soustraire à ses obligations.

[2] Dans son ouvrage intitulé Europe, Crimes et Censure au Congo - Les documents qui accusent, Paris, Éd. Duboiris, 2012, le journaliste d’investigation Charles Onana décrit les mécanismes par lesquelles l’Union européenne, ses Etats membres et les Etats-Unis ont orchestré l’imposition de Joseph Kabila à la tête du Congo en dépit de l’hostilité des Congolais à son égard. Un survol de l’ouvrage peut être lu sur ce lien : www.mokengeli.com/rdc-revue-de-presse/2012/10/11/les-documents-secrets-de-lue-revelent-comment-joseph-kabila-a-ete-impose-en-2006-aux-congolais.html.

[3] Dans sa résolution du 1er décembre 2016, sanctionnant des membres du régime de Kinshasa, le parlement européen a décrit le président Kabila comme étant le principal responsable de la non-tenue des élections dans les délais constitutionnels. Cf. http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=P8-RC-2016-1310&format=XML&language=FR. Les Etats-Unis étaient les premiers à adopter des sanctions contre le régime de Kinshasa : www.opensourceinvestigations.com/dictatorship/kabilas-associates-firing-line/.

[5] Article 17 de l’accord. S’il avait été appliqué, le nouveau gouvernement devait être en place au plus tard le 8 novembre 2016.

[6] Article 211 de la Constitution : " Il est institué une Commission électorale nationale indépendante dotée de la personnalité juridique. La Commission électorale nationale indépendante est chargée de l'organisation du processus électoral, notamment de l'enrôlement des électeurs, de la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, de dépouillement et de tout référendum. Elle assure la régularité du processus électoral et référendaire. Une loi organique fixe l'organisation et le fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante.

[7] Propos tenus le 9 mars 2014, au cours d’une émission sur RFI et TV5. La vidéo est toujours sur le lien https://www.youtube.com/watch?v=hcY0oifXmxo.

[8] « La Constitution, c’est sacré. Joseph Kabila n’est pas comme les autres (présidents). J’ai donné ma parole d’honneur en promulguant cette Constitution, je n’y toucherai donc pas. Le pouvoir use. Il faut savoir s’arrêter. Je vous donne ma parole d’officier ». Cf. « Kabila, carte sur table », interview accordée par Joseph Kabila à François Soudan, Jeune Afrique, 26 juin 2007, www.jeuneafrique.com/73797/politique/kabila-cartes-sur-table/.

[9] Interview du président de la CENI, M. Corneille Nangaa et critique des difficultés évoquées par l’expert en matière électorale Alain-Joseph Lomandja : http://desc-wondo.org/fr/decryptage-des-contradictions-de-m-corneille-nangaa-qui-consacre-le-glissement-electoral-planifie-sur-tv5-monde-aj-lomandja/#_ftn1.

[10] Ce maigre budget ne reflète évidemment pas les ressources produites par le pays. L’économiste Noël Tshiani estime que 85% des revenus des ressources naturelles n'entrent pas dans les caisses de l'Etat, qui perd chaque année 10 à 15 milliards de dollars en termes de fraudes fiscales et détournements de fonds publics. Cf. https://www.lepotentielonline.com/index.php?option=com_content&view=article&id=15616:rdc-noel-k-tshiani-juge-ridicule-le-budget-2017-et-propose-sa-vision-de-developpement-pour-la-rdc&catid=90:online-depeches&Itemid=468.

[12] « Voici le calendrier global, Malumalu fixe la présidentielle au 27 novembre 2016 », http://7sur7.cd/new/voici-le-calendrier-global-malumalu-fixe-la-presidentielle-au-27-novembre-2016/.

[13] Malumalu est décédé le 30 juin 2016 à Dallas après une longue maladie.


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