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RD CONGO-M23 : comme un air de déjà vu

L’histoire au Congo se répète et reste désespérément tragique. Les affrontements en cours entre factions de la rébellion du M23, parrainée par Kigali et Kampala, rappellent les évènements de Kisangani où les rebelles soutenus par le Rwanda (RCD) et par l’Ouganda (MLC) s’étaient accrochés en 1999-2000. Les armées rwandaise et ougandaise avaient pris le relais provoquant la mémorable guerre de six jours (du 05 au 10 juin 2000). Plus de mille civils congolais furent tués, comme dans les affrontements en cours entre factions du M23, et la ville de Kisangani, touchée par plus de 6.600 obus, fut littéralement détruite. Une des leçons que les deux régimes ont tiré des évènements de Kisangani est qu’ils doivent veiller à préserver une bonne image sur le plan international.

C’est dans cet angle qu’il faut comprendre l’activisme du Président Museveni (Ouganda), un des parrains du M23, obligé de jouer les médiateurs avec les pourparlers de Kampala, ce qui lui permet de recouvrer une image de respectabilité sur le plan international. C’est aussi dans cet angle qu’il faut comprendre l’attitude du Rwanda. Tout porte à croire que Kigali, pour son image, a pris l’option de liquider le M23, une création foireuse qui ne lui a apporté que des ennuis.

Car d’importants bailleurs de fonds lui tournaient le dos alors que le pays en dépend pour son budget à plus de 50%. L’image du Rwanda, associée aux massacres, aux viols et au drame humanitaire dans le Kivu, commençait à faire désordre. Surtout, le Rwanda, devenu, depuis le 1er janvier 2013, membre[1] du Conseil de Sécurité de l’ONU, pouvait difficilement poursuivre ses agissements. La liquidation du M23 s’imposait donc, et elle est en train de se réaliser de façon brutale, comme risquait de l’être celle du CNDP en 2009.

Une opération de purge « interne »

En effet, en janvier 2009, Joseph Kabila et Paul Kagamé, sur recommandation des Etats-Unis, avaient convenu de l’entrée des troupes rwandaises dans le Kivu à la fois pour traquer les rebelles hutus des FDLR et pour liquider l’insurrection tutsie du CNDP. Les membres du CNDP furent intégrés au sein de l’armée congolaise, comme s’apprêtent à le faire le gouvernement congolais des membres du M23 pro-Makenga. Les autres, comme aujourd’hui Runiga et probablement Ntaganda, avaient obtenu de vivre en sécurité au Rwanda. Le plus célèbre d’entre eux, le général Laurent Nkunda y vit toujours et serait en résidence surveillé, mais personne n’est dupe. (Les experts de l’ONU ont, dans leur rapport (S/2012/843) du 15 novembre 2012[2], décrit son rôle[3] dans la hiérarchie du M23). Pour autant, le CNDP, comme mouvement armé, est, depuis, neutralisé, puisqu’il devenait trop encombrant pour l’image du Rwanda.

Il en est de même aujourd’hui pour le M23. Dans son rôle, Sultani Makenga et sa faction semblent réaliser à merveille le travail de purge que Kigali, voire Kabila (en échange d’argent), attendent de lui. Parce que le gouvernement américain et le Conseil de Sécurité de l’ONU ne semblent disposés à aucune concession sur le cas Bosco Ntaganda contre qui ils ont adopté des résolutions fermes.

La garantie de l’impunité

Reste à savoir ce que fera le Rwanda de « ce-général-qui-en-sait-trop ». Sa remise aux mains du Procureur de la Cour Pénale Internationale parait improbable. Le scénario le plus probable est qu’il bénéficie de la protection du Rwanda, comme avant lui Laurent Nkunda, Jules Mutebutsi, et tous les autres figurant sur la liste actualisée des criminels sous le coup des sanctions de l’ONU[4], et du Conseil de l’Union européenne[5], mais toujours protégés par le Rwanda.

Il ne faut pas sous-estimer la capacité du régime de Paul Kagamé à protéger les « siens ». Il n’a jamais livré un seul de ses agents à la justice. Pas un seul membre du régime FPR n’a été poursuivi ni pour les crimes commis durant la guerre du Rwanda ni pour les massacres commis au Congo. Le Tribunal Pénal International d’Arusha va fermer ses portes fin 2014 sans avoir réussi à inquiéter un seul partisan de Paul Kagamé.

Surtout, le Rwanda ayant refusé de signer le Statut de Rome créant la Cour Pénale Internationale, il peut refuser de livrer ses ressortissants (Bosco Ntaganda est rwandais de naissance). Par ailleurs, ni Joseph Kabila, ni Paul Kagamé n’a intérêt à ce que « ce-général-qui-en-sait-trop » aille déballer les effroyables secrets des deux régimes au Pays-Bas. En effet, comme simple soldat, il n’agissait que sous l’autorité, soit du Président Kabila, qui l’avait nommé général, soit du Président Kagamé, parrain des rebelles dans l’Est du Congo. Son avocat tournerait rapidement l’affaire en procès contre les régimes de Kigali et de Kinshasa.

L’homme va ainsi probablement se faire oublier, et c’est sûrement le but recherché par Kigali et Kinshasa qui seraient derrière la purge interne que mène actuellement Sultani Makenga.

Et les Congolais dans tout ça ?

Les Congolais n’ont rigoureusement rien à espérer du conflit interne au M23. Ils devraient même s’inquiéter au plus haut point. Car lorsque Sultani Makenga aura fini de « purger » le mouvement, Joseph Kabila, qui se dit prêt à signer un accord avec lui, lui accordera ce que la milice, soutenue par le Rwanda et l’Ouganda, a toujours réclamé, à savoir, l’application des accords du 23 mars 2009, qui s’inscrivent dans le processus de balkanisation du Congo.

Les Congolais devraient surtout s’inquiéter du fait que les régimes de Kagamé (Rwanda) et de Museveni (Ouganda) sont en train de se refaire une virginité alors qu’ils devraient être sur le ban de la communauté internationale pour les nombreux crimes dont ils se sont rendus coupables au Congo depuis 1996. L’idée même que le Rwanda obtienne un siège au Conseil de Sécurité de l’ONU parait ahurissante au vu des millions des morts du Congo. Mais on en est bien là. Les deux régimes ont réussi à sauver leur image. Or, obsédés par le Congo et ses richesses minières, les deux pays, maintenant blanchis, n’hésiteront pas à relancer la guerre de prédation dont dépendent leurs économies respectives, peu importent l’acronyme et le motif.

En définitive, la guerre interne au M23 n’a rien de nouveau. C’est une opération de purge qui en rappelle d’autres. Ses membres, malgré leurs dissensions, finissent ensemble. Bosco Ntaganda qui, en 2008-2009, était entré en dissidence contre Laurent Nkunda, a fini par le rejoindre au Rwanda, pays devenu le sanctuaire de l’impunité pour les criminels de l’Est du Congo. Sultani Makenga, aujourd’hui en conflit avec Bosco Ntaganda, qu’il accuse d’être un criminel, aura lui-même besoin du Rwanda pour se préserver des ennuis judiciaires. Son nom est cité dans de nombreux rapports d’ONG (Human Rights Watch) et des experts de l’ONU[6] pour une série d’exactions notamment le mémorable massacre de Kiwanja en novembre 2008. Seul le Rwanda peut lui garantir l’impunité en l’accueillant, comme bien d’autres avant lui, sur son territoire.

Il n’y a donc rien de nouveau dans le Kivu. C’est la répétition des mêmes scénarios d’un cynisme macabre, par Kigali et Kampala, scénarios qui, au passage, participe de l’extermination des populations congolaises dont l’hécatombe (entre 6 et 8 millions de morts), continue.

Boniface MUSAVULI



[1] Membre non permanent. Les membres permanents sont les USA, la Russie, le Royaume-Uni, la France et la Chine.

[3] Laurent Nkunda, dans la hiérarchie militaire du M23 s’est occupé du recrutement de combattants au Rwanda (page 13 du rapport) et se serait même rendu dans l’Est du Congo (page 14) pour y encourager les combattants du M23 au quartier général de Runyonyi.

[4] http://www.un.org/sc/committees/1533/pdf/1533_list.pdf (en application de la résolution 2078 (2012))

[6] Rapport (S/2012/843) du 15 novembre 2012, pages 167 à 169.

 


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1 réactions à cet article    


  • Bertrand Loubard 19 mars 2013 00:09

    Bosco Ntaganda à l’Ambassade US de Kigali.

    Kagamé aurait-il eu, un seul jour, l’intention de livrer Ntaganda à la CPI ? Invraisemblable, d’abord, avec tout ce que connaît Ntaganda sur les questions d’actualité de la région. Quasiment impossible, ensuite, puisque le Rwanda n’est pas membre de la CPI. Les USA l’enverraient-ils à La Haye ? Peu probable à partir du territoire Rwandais même si le territoire de l’Ambassade jouit de l’exterritorialité. Manifestement le combat de mélanodermes dans un tunnel se complexifie…..Kagamé n’arrête pas Ntaganda : OK. Kagamé le laisse se « réfugier » à l’Ambassade US. O.K. Cela ne peut se faire qu’avec l’accord des USA. O.K. Ntaganda est exfiltré de l’Ambassade US à Kigali sous « protection » américaine pour « atterrir » aux USA. O.K. De là-bas « remettre » Ntaganda à la CPI, même s’il le « demande »…. ? Irréaliste car d’une part les USA ne sont pas plus membre de la CPI que le Rwanda, que, d’autre part, la Justice US dispose du « Hague Invasion Act » (et n’est pas prête à créer un dangereux antécédent) et que finalement Ntaganda sait tout sur les agissements US, du Génocide de 94 à l’émergence du M23. Cela paraît « abradacadantesque » et « tarabistoqué » mais pas tellement plus que Guantanamo ou Viktor Bout ! Kagamé serait-il toujours le « Lumen de Lumine », l’"Alpha et l’Oméga« , le »Rédempteur« ou bien Kagamé est-il  »acculé" à jouer avec le feu ? Mais de Kigali à La Haye via Washington, les ennuis de santé et les embûches pour Bosco peuvent encore être nombreux…..et cela ne dérangerait pas beaucoup de monde…pas plus que la situation plus que confortable de Nkundabatware et Mutébuzi au Rwanda….

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