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RD Congo : une imposture électorale

La République démocratique du Congo vient de livrer ce qu’il y a de pire en matière électorale : un président proclamé vainqueur, un opposant qui se proclame « Président élu » et une communauté internationale désorientée par l’ampleur des fraudes et l’impossibilité de vérifier les revendications d’un camp contre l’autre. Une élection émaillée de violences et qui renvoie sur la face du monde les clichés les plus éculés d’un pays de magouilleurs, incapables de se transcender et prêts à tout pour se maintenir au pouvoir. L'élection ayant été organisée dans le but d'assurer la légitimité au régime honni de Joseph Kabila, toutes les conditions étaient réunies pour une issue désastreuse.

La République démocratique du Congo vient de livrer ce qu’il y a de pire en matière électorale : un président proclamé vainqueur par une Commission nationale dite « indépendante », mais qui en réalité n’est que l’antichambre de la présidence de la république, un opposant qui se proclame « Président élu » et une communauté internationale désorientée par l’ampleur des fraudes et l’impossibilité de vérifier les revendications d’un camp contre l’autre. Une élection par ailleurs émaillée de violences et qui renvoie sur la face du monde l’image d’un pays incapable de faire les choses proprement, emportant les clichés les plus éculés d’un pays de magouilleurs, incapables de se transcender et prêts à tout pour se maintenir au pouvoir. Les Congolais, à l’étranger comme au pays, vivent ce spectacle avec écœurement. C’est plus qu’une épreuve, c’est une humiliation de plus pour une nation dont le cours de l’histoire ressemble à une succession d’étapes dans la descente aux enfers.

Cette issue tragique était pourtant prévisible. Les partis d’opposition et plusieurs ONG avaient, à maintes reprises, tiré la sonnette d’alarme en dénonçant une organisation logistique particulièrement calamiteuse qui ne pouvait mener qu’à ce spectacle de pure honte. Le matériel devait être livré de l’étranger…. De plusieurs pays étrangers sur trois continents (Afrique du Sud, Europe, Asie ! des complications que personne ne sait vraiment justifier…). Et à moins d’une semaine du scrutin, ce matériel n’était toujours pas sur le terrain. Mais si on laisse de côté les questions d’ordre logistique, on découvre tout de suite le nœud du problème. La volonté politique, ou, pour être plus précis, la mauvaise foi des responsables politiques actuellement au pouvoir. Ils donnent l’impression d’avoir sciemment laissé prospérer le pourrissement et le chaos.

Tout avait commencé en janvier 2011 lorsque les députés et sénateurs, en majorité sous la botte du Président Kabila, avaient adopté un projet de loi modifiant la Constitution du 18 février 2006 afin de limiter à un tour l’élection du Président de la République. Officiellement, il s’agissait d’éviter un second tour jugé coûteux et facteur du risque d’enlisement post-électoral pouvant déboucher sur un scénario à l’ivoirienne. Officieusement, les fidèles du Président sortant avaient misé sur une opposition hétéroclite et incapable de former un front uni contre Joseph Kabila. La majorité présidentielle avait même encouragé l’émiettement de l’opposition. On dira, c’est de bonne guerre !

Mais au fil de la campagne, une figure de l’opposition s’est imposée en la personne d’Etienne Tshisekedi, opposant historique aux dictatures de Mobutu, de Laurent Kabila et au régime imposé au peuple congolais de Joseph Kabila. La candidature de Vital Kamerhé, ancien proche de Laurent Kabila et de Joseph Kabila avait rapidement perdu en crédibilité pour assurer la rupture qu’il se proposait d’incarner. Celle de Léon Kengo wa Dondo, ancien bras droit du défunt dictateur Mobutu, a pâti d’une campagne poussive et est apparue comme une candidature de pur témoignage. Finalement, Etienne Tshisekedi est apparu comme le redoutable adversaire qui n’avait même pas besoin d’un front uni de l’opposition pour venir à bout du régime de Joseph Kabila. Sauf que ce dernier avait un dernier tour dans son sac.

Il pouvait compter sur la Commission nationale indépendante, la CNI. C’est un organe institutionnel qui, aux termes de l’article 211 de la Constitution, appuie le processus de démocratisation du pays en assurant la régularité des scrutins électoraux et référendaires. Dans la réalité, la CENI est un outil de maquillage des résultats électoraux dans le but de légitimer le régime de Joseph Kabila. Ce dernier y a nommé comme Président un certain Pasteur Daniel Ngoy Mulunda, un « copain », co-fondateur du parti au pouvoir. Tout le monde s’accorde à dire qu’il reçoit ses ordres directement de la présidence de la République. Dans les conditions aussi délétères, il aurait été naïf de s’attendre à des élections transparentes et la meilleure attitude, pour l’opposition aurait été de boycotter le scrutin. A la limite, y prendre part mais en brandissant sérieusement la menace d’un boycott, à tout moment, en cas de dysfonctionnement significatif.

La confiance de l’opposition a donc été trahie, comme ce fut déjà le cas lors des élections de 2006 qui avaient consacré la victoire de Joseph Kabila contre Jean-Pierre Bemba. Ce dernier avait été rapidement écarté du jeu politique, accusé de crimes de guerre, dans un pays où la moitié de la classe politique, le Président inclus, a du sang sur les mains. Jean-Pierre Bemba croupit actuellement, à La Haye, dans une prison de la Cour Pénale Internationale, CPI, cette juridiction qui ne s’en prend qu’aux Africains vaincus afin d’assurer aux Présidents imposés l’exercice du pouvoir sans opposition de taille. 

L’entrée en fonction de Joseph Kabila avait déclenché des affrontements armés et laissé plus de deux cent cadavres dans les rues de Kinshasa. Le dernier coup d’Etat au Congo, celui de Mobutu en 1965 et les multiples tentatives de coup d’Etat – réunis - n’ont jamais causé la mort d’autant de Congolais dans la capitale. Comment, dans ces conditions, peut-on justifier moralement qu’une accession « démocratique » au pouvoir soit l’occasion de boucheries aussi épouvantables ? Etre honnête avec les Congolais, c’est leur dire, ce qu’ils savent déjà, qu’ils n’ont pas affaire à un régime démocratique mais bien à un régime de gangsters, des seigneurs de guerre prêts à déchaîner à tout moment leur folie meurtrière sur la population comme ils ont pu le faire durant les deux guerres du Congo causant la mort de six millions de Congolais, principalement dans les régions de l’Est. Et les populations du Bas-Congo, dans l’ouest du pays, ont pu s’en rendre compte lorsqu’elles ont osé manifester leur mécontentement contre le régime de Joseph Kabila. Une répression d’une violence inouïe s’était abattue sur cette province, en particulier contre les partisans du mouvement politico-culturel de Bundu dia Congo. Le bilan fut terrible ! Plus de mille morts[1] dans l’indifférence de la communauté internationale. Les masques étaient tombés et avec eux, le maquillage démocratique d’un régime de brutes sanguinaires. Quoi de plus précieux qu’une nouvelle élection pour essayer désespérément de redorer cette image dégradée !

Ce que les élections de 2006 et celles de 2011 ont de commun, c’est qu’elles ont été organisées dans le seul but de broder un habillage de légitimité démocratique à la présidence de Joseph Kabila, dont tout le monde sait qu’il ne rend pas compte au peuple congolais mais bien au régime rwandais de Paul Kagamé et à certains milieux occidentaux impliqués dans le pillage des ressources du Congo. Aller voter dans les conditions pareilles, c’est prendre part à une mascarade. D’autant plus que les promesses électorales de 2006, les fameux cinq chantiers, n’ont connu que des esquisses de chantiers dont certains ont vite été abandonnés. Les Congolais, puisque dans tous les cas, le peuple voit juste, ont rapidement enterré les cinq chantiers dans le cimetière déjà plein des mensonges politiques en les qualifiant de « cinq chansons ».

Le régime de Joseph Kabila va donc triompher de ces élections comme un boxeur qui fanfaronne après avoir bourré de coups un adversaire menotté pour assurer au matamore une victoire sans gloire. En réalité, le changement en République démocratique du Congo ne viendra pas des urnes. Voter dans un système non démocratique, c’est perdre son temps. Le dictateur organise les élections pour lui-même. Le changement au Congo viendra de quelque chose qui ressemble à ce qui s’est passé en Tunisie. Il faut rappeler que le dictateur tunisien Ben Ali avait remporté en octobre 2009 l’élection présidentielle avec 89 % de voix. L’agenda et le résultat électoral relevaient de convenances du dictateur. Mais lorsqu’en décembre 2010 le peuple tunisien a décidé de fixer son propre agenda et d’imposer sa volonté, il n’avait même pas besoin d’attendre la fin du mandat de Ben Ali.

En République démocratique du Congo, les conditions d’un sursaut de dignité de nature comparable sont réunies. Un régime de prédateurs incapables au sommet, une administration gangrenée par la corruption, une insécurité chronique alimentée directement ou indirectement par les autorités, des promesses électorales non tenues, des électeurs floués, des richesses du pays toujours livrées au pillage pendant que la misère accable des Congolais à peine capables de se procurer un semblant de repas par jour. Les salaires sont risibles (50$ par mois pour un fonctionnaire) lorsqu’ils sont payés. Les enseignants sont à la charge des parents. Certains parents, dans une région comme le Kivu sont des déplacés de guerre, dont des femmes qui doivent se frayer le chemin pour aller cultiver leurs champs et ramener de quoi nourrir leurs famille. Nombreuses se font violer en route par des bandes armées et même les soldats de l’armée de Kabila.

Les casques bleus déployés au Congo jouent les parfaits tire-au-flanc passant l’essentiel de leur temps à attendre le versement de leurs salaires qu’ils s’empressent de renvoyer à leurs familles (Inde, Pakistan, Bangladesh,…). Les femmes congolaises se font violer à quelques centaines de mètres de leurs camps et il n’est pas rare que des massacres de civils se produisent en leur présence sans qu’ils ne réagissent. Lorsqu’ils se rendent dans l’arrière-pays, c’est pour accompagner des journalistes et des diplomates occidentaux afin d’assurer aux « Blancs » les images qui font bonne conscience. Les Congolais, eux, commerçants, paysans ou simple voyageurs, sont livrés à eux-mêmes. Les patrouilles des soldats onusiens payés 1000 dollars par mois (le soldat congolais touche 42 dollars, quand il est payé, et doit racketter la population pour nouer les deux bouts) évitent les zones à risque. Ils préfèrent se cantonner à Kinshasa et dans les grandes villes alors que les Congolais se font massacrer et violer dans l’arrière pays.

La communauté internationale verse plus d’un milliard de dollars par an à la mission des Nations unies au Congo, mais l’essentiel de cette somme ne reste pas au Congo. Les gros salaires étant perçus par le personnel expatrié, les sommes sont renvoyées dans les pays des expatriés et n’apportent rien à l’économie congolaise. Mais les richesses du Congo, elles (cuivre, diamant, or, coltan, cassitérite, étain, pétrole, bois rares,…) quand elles sont arrachées du sol congolais, dans les conditions quasi mafieuses, partent du Congo et ne reviennent d’aucune manière.

Lorsqu’un peuple est maltraité et dépouillé de la sorte ; lorsqu’il a l’espoir de voter et de décider du changement qu’il espère le soulager mais se retrouve devant des urnes pleines de bulletins pré-remplis ; lorsqu’il manifeste son mécontentement mais se fait tirer dessus comme du gibier… il rumine sa colère et sa frustration. Peu importe le temps que ça prendra, mais il se produit toujours l’irréparable.

Néanmoins, pour que ce jour de soulagement arrive et produise les résultats escomptés, les Congolais doivent se montrer d’une grande dignité face à un régime aux abois qui joue désormais la politique du pourrissement. Après avoir corrompu une classe politique dont les élus n’osent même plus retourner dans leurs circonscriptions électorales ; après avoir livré le Kivu aux soldats rwandais qui se déploient dans le Grand Nord au-delà des villes de Butembo et de Beni et qui sèment la terreur ; après avoir armé des voyous à Kinshasa et dévoyé une police nationale qui tire sur des civils et tue dans le silence assourdissant des médias, le régime de Joseph Kabila entraîne les Congolais dans une perspective d’affrontement avec son lot de tueries, dans un pays qui a perdu six millions de ses habitants, la pire saignée humaine subie par aucun autre peuple depuis la seconde guerre mondiale.

La communauté internationale qui est intervenue en Côte d’Ivoire pour chasser un Président accusé de s’accrocher au pouvoir et en Libye pour prévenir les massacres à Benghazi, ne va pas, une fois de plus, se dérober et laisser la violence s’abattre sur un peuple qui a tant souffert. 

 

Par Boniface MUSAVULI




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2 réactions à cet article    


  • fourreau 10 décembre 2011 21:11

    Un peu rapide de penser que les congolais appliqueront des solutions à la tunisienne.

    Dans l’inconscient collectif congolais, des solutions appropriées existent déjà.


    • Kingli Kingli 15 décembre 2011 12:16

      « (...) Lorsqu’un peuple est maltraité et dépouillé de la sorte ; lorsqu’il a l’espoir de voter et de décider du changement qu’il espère le soulager mais se retrouve devant des urnes pleines de bulletins pré-remplis ; lorsqu’il manifeste son mécontentement mais se fait tirer dessus comme du gibier… il rumine sa colère et sa frustration. Peu importe le temps que ça prendra, mais il se produit toujours l’irréparable.(...) »


      Ce que ressent le peuple ? Petit cocktail : mélange de colère, de honte, de révolte, d’anxiété, de dégoût, d’impuissance... smiley smiley smiley smiley

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