Russie : un sentiment naissant de xénophobie ?
Un attentat à l’explosif, perpétré dans l’immense marché couvert de Tcherkizovski de Moscou, a fait 10 morts et 55 blessés le lundi 21 août dernier. Les trois jeunes étudiants soupçonnés d’en être les auteurs auraient avoué un mobile ouvertement raciste pour expliquer leur geste, selon les déclarations du procureur de Moscou, Iouri Semine. Compte tenu des liens qu’entretiennent encore aujourd’hui, certains secteurs économiques et le banditisme en Russie, on ne peut raisonnablement totalement écarter l’éventualité que cet acte puisse être interprété comme une tentative d’intimidation brutale dans le jeu des grandes manœuvres qui opposent les azéris à la communauté asiatique, en vue du contrôle des futurs projets commerciaux de Moscou (Libération du 25/08).
Quoiqu’il en soit, cet attentat s’inscrit également dans une longue série de meurtres à caractère explicitement racistes, dont le nombre et le caractère crapuleux ne cessent d’augmenter depuis plusieurs années. C’est en effet pas moins d’une cinquantaine de ces meurtres qui ont été répertoriés en 2005 à Saint Pétersbourg et Moscou, selon les ONG russes et quatorze de mars à mai 2006.
Quoique les autorités tendent à minimiser le problème de la xénophobie, en qualifiant ces actes de « hooliganisme », on est droit de s’interroger sur le fait qu’ils traduisent de façon exacerbée, un sentiment naissant de xénophobie qui pourrait trouver son terreau dans deux phénomènes qui caractérisent le développement de la société russe contemporaine.
Le premier concerne la situation économique qui dissimule mal sous des taux de croissance largement positif, et frôlant ou dépassant les deux chiffres depuis l’année 2000, une augmentation des inégalités et de la pauvreté. Ainsi durant la dernière décennie, l’écart de revenus entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres a-t-il augmenté de 300%. Alors qu’en 2003, la part de la population dont les revenus était inférieure au seuil de pauvreté culminait à plus de 20%. Après la chute de grande ampleur des niveaux de vie au cours de la période tumultueuse des années quatre vingt dix, cette croissance, non équitablement partagée, suscite, chez une partie de la population, une certaine nostalgie du système économique étatiste soviétique. Regret d’un système économique auquel est associé celui du caractère patriotique de l’URSS, sentiment qui concoure à une certaine exacerbation de la xénophobie.
Le second phénomène concerne l’officialisation progressive d’un certain nationalisme sur la scène russe contemporaine. La thématique du retour annoncée d’une grande Russie, aussi bien sur la scène internationale que comme grande nation économique et scientifique, sert de cadre de référence continuel aux interventions du président Poutine. Et conditionne ainsi un mouvement de recentrage manifeste de la vie politique et intellectuelle, autour d’une argumentation nationaliste. Argumentation que traduit, là encore de façon exacerbée un parti comme « Rodina » (patrie) qui promet d’imposer une suprématie ethnique, linguistique et religieuse russo-orthodoxe à l’ensemble de la Fédération. Tout en militant contre une immigration massive de travailleurs non russes et en accusant les peuples du Caucase et de l’Asie Centrale de venir voler le travail des russes et de contribuer au développement des réseaux mafieux et de la criminalité dans le pays. Preuve, s’il en fallait une, que la xénophobie s’alimente, ici comme ailleurs, des mêmes peurs...
A ces considérations d’ordre général, je pourrais ajouter mon expérience personnelle qui révèle qu’à chacune de mes visites en Russie, pas une rencontre amicale ne soit égarée sur une interrogation de mes interlocuteurs pour savoir comment « nous » (entendez les français) allions nous débrouiller avec notre immigration massive...
Si la xénophobie transparaît bien comme un sentiment naissant en Russie, pays dont l’appareil politico-judiciaire ne semble pas vouloir réprimer ses expressions les plus violentes, en les requalifiant en agissements de hooligans, elle est d’abord à lire comme un des effets des bouleversements idéologiques et économiques qui agitent ce pays.
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