Sœur Emmanuelle, mère Théresa, l’abbé Pierre : le sacerdoce de la compassion
sœur Emmanuelle.
Sœur Emmanuelle : une vie de combat au quotidien
En 1993, après quelque trente années au service de ses compagnons de misère, sœur Emmanuelle rentre en France à la demande de ses supérieurs. "Choc terrible", dira-t-elle, brutalement plongée dans "la morosité qui court de demeure en demeure" pendant que "la joie chante là où l´on vit sans eau, sans électricité, sans loisirs, mais dans la fraternité", là où "la relation d´amour et d´amitié" est "le substrat de la vie quotidienne". Pourtant, rien ne tarit la source de joie qui coule dans les veines de sœur Emmanuelle laquelle s´occupe alors des SDF en France et écrit trois ouvrages en deux ans. Son aisance naturelle, sa foi inébranlable et ce fameux franc-parler avec lequel elle a notamment demandé à l´Eglise de vendre ses richesses, dérangent autant qu´ils captivent. "Si tu veux vivre, tu dois aimer !", dit-elle avec une simplicité déconcertante. Car dans le domaine du savoir-vivre, sœur Emmanuelle est à même de nous parler de la vraie vie : son mot d´ordre : "Yalla", expression arabe que l’on peut traduire par "En avant !" Appel irrésistible d´une âme qui n´a pas l´intention de cesser d´aimer.
Une littérature prolifique toute tendue vers l´Autre, vers la compassion. Citons Une vie avec les pauvres. Il est des choix et des missions impossibles qui, contre toute attente, réussissent. L´entreprise de sœur Emmanuelle, risquée, aléatoire, suicidaire même, est de celles-là Grandeur et misère de l´homme, Chiffonnière avec les chiffonniers, sœur Emmanuelle raconte le choc de sa rencontre avec les habitants des bidonvilles de la capitale égyptienne.
Yalla : en avant les jeunes ! Dans cet essai, elle nous parle de sa vie missionnaire et de son dévouement à l´égard des moins fortunés, en divers pays du monde et incite les jeunes à s´engager et à se dévouer pour une société meilleure et une vie bien remplie. Richesse de la pauvreté : au Caire, dit-elle où ils ne possèdent rien, les chiffonniers des bidonvilles sont épanouis ; dans notre Europe nantie, les récriminations sont monnaie courante et nous oublions jusqu´à la simple joie d´exister. Se peut-il donc que la pauvreté soit aussi source d´enrichissement ? Dans Soeur Emmanuelle, secrets de vie, P. Lunel a fait un reportage au cœur de la générosité et de la détresse humaine et dessiné un portrait fidèle, émouvant, impertinent et drôle, d´une vieille femme débordante de vitalité, d´humour et de joie de vivre. Elle porte sur la misère un regard plein de compassion lucide et nous donne une merveilleuse leçon d´optimisme, de bonheur et de confiance en l´homme. (3)
Une autre figure qui a marqué son temps est sans conteste Mère Theresa. Cette religieuse albanaise passa sa vie entière en Inde auprès des lépreux, des malades et des déshérités. Après deux années de noviciat à Darjeeling (ville), maison de formation des novices de sa communauté, Agnès prononce des vœux temporaires, c´est à partir de cette date qu´elle se fait appeler sœur Theresa. De 1931 à 1937, elle enseigne la géographie à l´école Sainte-Marie des sœurs de Notre-Dame-de-Lorette à Calcutta. Elle prononce ses vœux définitifs en Inde le 24 mai 1937 et devient directrice des études à l´école Sainte-Marie en 1944. Le 10 septembre 1946 est le jour où tout changea dans sa vie : elle reçoit ce qu´elle appelle "l´appel dans l´appel" : le désir de servir au nom du Christ les plus pauvres. Elle quitte définitivement son couvent de Calcutta et s´installe dans un bidonville (à Taltola). Mère Theresa décide de se donner une ligne de vie religieuse : c´est la fondation de la congrégation des Missionnaires de la Charité, elle portera désormais le nom de Mère Theresa.
"Ses 50 ans de nuit intérieure constituent un trait important de mère Theresa comme figure spirituelle. Largement commentée dans les milieux chrétiens à l´époque de sa béatification. Avec des mots simples, elle parle de sa foi vacillante et des doutes tenaces qui l´habitent. Dans une autre lettre non datée adressée à Jésus, elle avait encore écrit : " Où est ma foi ? Tout au fond de moi, où il n´y a rien d´autre que le vide et l´obscurité, mon Dieu, que cette souffrance inconnue est douloureuse, je n´ai pas la foi." "
Le 17 octobre 1979, mère Theresa reçoit le prix Nobel de la paix qu´elle accepte "au nom des pauvres". En 1982, dans une des hauteurs du siège de Beyrouth, Mère Theresa sauve 37 enfants pris au piège à l´hôpital dans une ligne de front entre l´armée israélienne et la guérilla palestinienne. Elle provoque un cessez-le-feu et, accompagnée par la Croix-Rouge, elle traverse la zone de tir jusqu´à l´hôpital dévasté pour évacuer les jeunes patients.(4)
L’appel de l’abbé Pierre
Né en 1912, l´abbé Pierre eut plusieurs vies : maquisard, député, prêtre, il ne cessa de défendre les déshérités. Il fonde en 1949 le Mouvement Emmaüs. Les communautés Emmaüs se financent par la vente de matériels et d´objets de récupération et construisent des logements. L´abbé Pierre acquiert sa notoriété à partir du très froid hiver de 1954, meurtrier pour les sans-abri pour une "insurrection de la bonté". Il lance le 1er février 1954 un appel mémorable sur les antennes de Radio-Luxembourg, qui deviendra célèbre sous le nom d´Appel de l´abbé Pierre. L´appel rapportera 500 millions de francs en dons (dont 2 millions de Charlie Chaplin), une somme énorme pour l´époque et complètement inattendue. Le combat de l´abbé Pierre a aussi permis l´adoption d´une loi interdisant l´expulsion de locataires pendant la période hivernale. Cette même loi qu´une certaine ministre, Christine Boutin, est en train de charcuter... Après l´appel de 1954 et la sortie du film Les Chiffonniers d´Emmaüs consacré à l´abbé Pierre, Roland Barthes a analysé, en 1957, son visage "qui présente clairement tous les signes de l´apostolat : ainsi sont réunis les chiffres de la légende et ceux de la modernité." Son visage évoque donc, à la fois, la spiritualité de l´homme, le combat de son sacerdoce et sa liberté vis-à-vis de sa hiérarchie. Pour Pierre Bourdieu, l´abbé est même un prophète, "surgissant en temps de disette, de crise", "prenant la parole avec véhémence et indignation".
En avril 1996, lorsque son ami Roger Garaudy est en procès pour négationnisme suite à la publication de son livre Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, il lui apporte son soutien, ce qui lui vaudra d´être exclu du comité d´honneur de la Licra. Il ajoute qu´accuser Roger Garaudy de "révisionnisme" est une "imposture", une "véritable calomnie". Certains ont critiqué les propos de l´abbé Pierre sur l´idée de la terre promise dans l´Ancien Testament. En effet, il dénonçait la prise très violente de cette terre par les Israélites, telle qu´elle est décrite dans la Bible : "Que reste-t-il d´une promesse lorsque ce qui a été promis, on vient de le prendre en tuant par de véritables génocides des peuples qui y habitaient, paisiblement, avant qu´ils y entrent ?" et il n´hésitera pas à en déduire une véritable vocation à l´exil de ce peuple. Bien que désavoué par sa hiérarchie, l´abbé Pierre considère que le débat sur la Shoah reste ouvert : "Ils [la Licra] n´acceptent absolument pas le dialogue, contrairement à Garaudy. Ils considèrent que le débat (sur le génocide des Juifs) est clos. Qu´oser le rouvrir n´est pas possible. Par exemple, sur la question des chambres à gaz, il est vraisemblable que la totalité de celles projetées par les nazis n´ont pas été construites", propos auquel l´abbé Pierre ajoute toutefois : "Mais mes amis de la Licra me disent qu´avancer de telles affirmations, c´est contester la Shoah. Ce n´est pas sérieux." (Roger Garaudy sera finalement condamné pour contestation de crimes contre l´humanité et incitation à la haine raciale.) (5) (6) (7)
Ces trois piliers de la charité humaine, contemporains, disparaissent, laissant derrière eux une œuvre. Mère Theresa, sœur Emmanuelle ou l´abbé Pierre ont consacré leur vie entière pour les autres et les plus démunis. Sans distinction d´origine ou de religion, ils ont parcouru des milliers de kilomètres pour soulager des souffrances et des situations extrêmes. Ils ont sans cesse fait appel à toutes les bonnes volontés pour contribuer à rendre ce monde meilleur. Ils n´ont pas hésité à interpeller les plus grands et les plus aisés pour gagner des soutiens. Mais que reste-t-il de ces messages d´espoir, de solidarité et d´amour ? Quand de saintes personnes de cette trempe disparaissent, les déclarations amicales fusent.
Cette crise financière que nous traversons augmente un peu plus le fossé qu´il y a entre certains discours et les actes. On remue ciel et terre pour assurer la continuité du système bancaire gâté par des spéculateurs sans scrupules et c´est le silence radio pour assurer le minimum vital aux simples gens. Quand il s´agit de lutter contre la faim, de soigner les plus pauvres ou de loger les plus modestes, c´est une autre chanson. L´abbé Pierre disait : "Il faut que la voix des hommes sans voix empêche les puissants de dormir". Comme le disaient sœur Emmanuelle et mère Theresa, leurs actions étaient des gouttes d´eau dans cet océan de misère même si ces gouttes sont utiles. Il faudrait, en réalité, des centaines de milliers de sœur Emmanuelle, de mère Theresa ou d´abbé Pierre pour vaincre efficacement ces drames vécus chaque jour par des milliards d´êtres humains. On ne peut parler que de ce que l´on connaît. "Les hommes politiques ne connaissent la misère que par les statistiques. On ne pleure pas devant les chiffres", disait l´abbé Pierre : quelle lucidité ! Je n´ai rien contre la richesse, mais tout cela manque d´humilité et de retenue. Mère Theresa, à sa façon prémonitoire, nous avertit : "Ce qui me scandalise, ce n´est pas qu´il y ait des riches et des pauvres : c´est le gaspillage."
Les religions au lieu de s’anathématiser devraient prendre exemple, sur ces personnages hors du commun qui, à leur façon, apportent une réponse à la détresse humaine par-delà le concept creux du "dialogue des civilisations". Dialogue qu’ils pratiquent au quotidien, loin du m’as-tu-vu en allant vers l’Autre tous les autres qu’ils soient chrétiens, bouddhistes ou musulmans, l’essentiel est d’atténuer leur détresse. Louis Pasteur avait l’habitude de dire : "Je ne te demande pas quelle est ta religion, mais quelle est ta souffrance". Tout est dit.
1. Fawziya Assaad, Ahlam et les éboueurs du Caire, éditions de l´Hèbe, 2008.
2. Sœur Emmanuelle : encyclopédie Wikipédia
4. Mère Theresa : encyclopédie Wikipédia
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