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Accueil du site > Actualités > Médias > Arrêt de l’image

Arrêt de l’image

Une fois n’est pas coutume, je vais défendre un journaliste.

Ce journaliste n’est pas parfait. En plus d’accumuler certains travers propres aux journalistes (notamment une hypertrophie céphalique), il fait aussi partie de cette classe intellectualiste parisienne qui insupporte beaucoup. Mais au moins on peut reconnaître à celui-ci un peu de professionnalisme, d’opiniâtreté, voire, soyons fous, de courage. On peut même aller jusqu’à parler d’honnêteté intellectuelle (si, si, je parle bien d’un journaliste), d’une certaine constance... Il est dommage que ce modèle-là soit l’exception et non la norme, mais enfin, réjouissons-nous de son existence au lieu de médire.

Ce journaliste, c’est Daniel Schneidermann, un nom que j’avais l’habitude de voir écrit en bas des articles d’un "imMonde torchon au service du capital". Ses compétences ayant été remarquées en haut lieu, il en a été récompensé comme il se doit, c’est-à-dire qu’il a été remercié. Mais M. Dermann a une autre corde à son arc : il présentait l’émission Arrêt sur images, une émission pas forcément passionnante, mais pas non plus dénuée d’un certain intérêt (une émission à son image en sorte), en tout cas une des rares bonnes émissions traînant encore sur la télévision publique.

Arrêt sur images tirait son intérêt de son analyse de la télévision, donc des médias, par la télévision. Vu de l’intérieur, avec la participation de ceux qui font la télévision. Sans limites apparentes, D. Schneidermann et son équipe se faisaient un point d’honneur à aller au fond des choses, là où ça dérange. L’émission est très vite boycottée par les "journalistes" de TF1 et de certains journaux, mais s’attire surtout l’antipathie de la classe politique, en déconstruisant méticuleusement les processus d’imagerie déployés par les différents candidats. Et bien que ce fût sur Segolène Royal qu’ils ont eu la main la plus lourde durant la campagne présidentielle, ils n’ont pas non plus été indulgents avec le petit (tout petit) Nicolas.

Visiblement, cette irrévérence n’a pas été sans conséquence, puisqu’après plusieurs semaines d’incertitude (délai assez inhabituel, généralement les décisions concernant la reconduite ou non d’une émission est signifiée à peu près un mois avant la dernière de l’année), décision a été signifiée (le lendemain du second tour des législatives, alors que la décision avait vraisemblablement été prise depuis un moment) de stopper définitivement Arrêt sur images. Motif ? "l’émission est un peu usée par le temps". Bon, il est vrai que le concept n’avait pas beaucoup bougé ces dernières années (à part une interaction forum/émission rarement vue), mais ça n’était pas faute de demande d’autorisation auprès de la direction de faire un peu évoluer ça de la part de l’équipe d’Arrêt sur images. Et puis "l’émission est un peu usée par le temps", il faut généralement lire "manque d’audimat" non ? En 12 ans d’existence, Arrêt sur images a culminé à 7.6 points d’audience, cette année, l’audimat était de 6.7, ce qui reste un très bon score, et d’autant plus si on prend en compte l’arrivée de la TNT qui a fait chuter l’audimat de toutes les chaînes hertziennes, sans exception. Bref, pas de véritable motifs.

Alors voilà, à force de crier au loup pour un pauvre journal qui autocensure une information d’une importance toute relative (d’autant que la loi permet explicitement la censure d’Etat pour toute information nuisant à la vie privée de hauts fonctionnaires. Et c’est une loi justifiée.), censure d’ailleurs terriblement efficace (en abrégé c’est la classe... euh, pardon), toute la France semble désormais au courant de cette histoire de non-votante, alors que qui l’aurait su sans cette simili censure ? A force également de crier au loup pour une vidéo "censurée" de N. Sarkozy saoul (tellement censurée qu’elle est passée dans toutes les émissions de divertissement françaises, sans parler d’Internet...), lorsqu’une véritable censure, une un peu discrète, une un peu voulue, arrive, il n’y a plus personne.

La question que je me suis posé, c’est "que peut-on faire ?". Pas grand-chose en vérité, je ne vois pas ce qui pourrait pousser le gouvernement ou la télévision publique à reprogrammer cette émission. On peut raisonnablement espérer son retour sur Internet sous une autre forme, sous un autre nom... Mais avec une autre audience. Ce que je pense au final, c’est que ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de le savoir. Et de le faire savoir.

NDLR : Pour un autre point de vue, voir également cet autre article.

 


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21 réactions à cet article    


  • meridien meridien 22 juin 2007 14:50

    Vous êtes bien compliqué pour nous dire ce que vous avez sur la’patate’ En résumé : vous étes contre ,tout en étant pour et en définitive ,vous demandez que ça passe sur internet ; mais sans doute avec vidéo ;car son blog existe déjà Alors heureux ?



      • rod 22 juin 2007 16:10

        bah une mauvaise émission de moins


        • nephilim 22 juin 2007 16:49

          biensure rod fogiel c’est tellement mieux pfffff


          • DD 22 juin 2007 18:53

            C’est vrai que daniel Scheidermann n’a absolument aucun charisme, il est très antipathique, donneur de leçon et assez malhonnête intellectuellement.

            Oui mais l’émission était excellente, je le regardais tout le temps, elle ne ressemblait à aucune autre, elle était utile et je suis déçu.

            C’est clair que les explications fournies par la direction de France 5 sont du pur foutage de gueule.

            Dommage.

            Espérons que Ripostes, une des meilleures émissions politiques soit maintenue, sinon c’est porte ouverte à la télé-poubelle.


            • DD 22 juin 2007 19:59

              Démago !!!!



              • Clad Clad 25 juin 2007 14:21

                Interessant en effet, c’est toujours bon d’avoir differents son de cloche.

                Seulement, vous auriez pu vous contenter de donner les références. La vidéo linkée comme ça sur google video, c’est du piratage.

                Ca n’est pas, à mon sens, condamnable moralement, je suis le premier à défendre l’abolition du copyright. Seulement, c’est illegal, et c’est tout aussi bien de ne pas faire prendre de risques inutiles à Agoravox, et à vous même.


              • Xerxès Xerxès 24 juin 2007 14:57

                @yoda

                Excellentissime vidéo résumant et démasquant la saloperie médiatique en général et ASI en particulier !

                Bien à toi

                Xerxès


                • jc durbant 24 juin 2007 23:47

                  Oui, comme je disais chez votre contradicteur, Drucker, depuis bientôt 25 ans (il a même connu l’ORTF !), ça, c’est du sang neuf !

                  Mais si vous en voulez plus, c’est pas grave, les Suisses et les Belges vont nous le reprendre, notre anti-Drucker, et il reviendra encore plus fort !

                  http://jcdurbant.blog.lemonde.fr/2007/06/24/television-france-televisons-bade-son-emission-culte-arrets-sur-images-a-ses-concurrentes-suise-et-belge/


                  • T.REX T.REX 25 juin 2007 09:58

                    Lorsque je regardais, par hasard, cette émission fort intéressante, j’avais toujours, en définitive, le sentiment que l’animateur défendait le travail des journalistes, quels qu’ils soient et quoi qu’ils fassent, au nom de la sacro-sainte « liberté de la presse » et en dépit de toute moralité et de l’éthique que se doit de respecter à mon sens un journaliste digne de ce nom. Je me pose donc cette question : Sa conclusion étant pratiquement toujours : « Ils n’ont fait que leur métier et on ne peut pas leur reprocher » quel est l’intérêt de conserver cette émission peu constructive ?


                    • Vilain petit canard Vilain petit canard 25 juin 2007 10:17

                      Schneidermann m’énerve un peu, avec ses roulements d’yeux, et ses questions faussement objectives, qu’on le voit arriver avec ses gros sabots. C’est vrai que ASI devenait un peu « chronique télévisuelle », gentiment critique mais pas trop.

                      Mais flûte, ASI était une bonne émission, avec du corps et de la matière, et c’était la seule qui osait « mettre les peids dans le PAF ». Quand je vois Morandini hurler avec les loups, et saluer bien bas la disparition de ce qu’il croit être un concurrent, je me gausse.

                      Les excuses (je n’ose parler de justifications) de France 5 sentent tellement la basse soumission au nouvel empereur que c’en est pénible. L’omniprésent Nicolasarcozi a-t-il commandité directement le meurtre ? Non, certainement pas, la simple servilité des dirigeants a suffi.

                      Tout ça nous donne une idée de cette nouvelle époque qui s’ouvre devant nous : des patrons de chaînes soucieux de plaire, nettoyant eux-mêmes ce qui pourrait porter ombrage au Prince. Avec le fameux mini-traité européen, on chante déjà les louanges du surhomme (sur BFM, c’était carrément le dithyrambe, Sarkozy avait vaincu l’opposition des 26 pays résistants). On imagine déjà la couverture de la future intervention au Darfour et les compte-rendus énamourés des réceptions à l’Elysée avec Mme Sarkozy, qui impose un nouveau style de Première Dame de France, et pourquoi pas de l’Europe et du Monde Civilisé.

                      On croyait Sarkozy héritier de Blair et de Bush, on se retrouve dans un système poutinien. Mais sans les balles, ça tache, il vaut mieux les non-renouvellements de contrats, ça saigne moins.


                      • chmoll chmoll 25 juin 2007 10:20

                        ben voilà une nouvelle chaine tv, www.tf1-ant2-fr3-tv5.gouv.fr

                        c pratique quand mème ,t’appuie sur un bouton ,et ta 4 chaines de merde,eu nan tv d’un coup, scusez moi j’ai core glissé


                        • Erwin Act Erwin Act 25 juin 2007 15:38

                          Hello le comité de soutien a france 5 ! Ici Liege. Les journalistes de France 5 sont toujours les bienvenu et peuvent, quand ils le veulent, rejoindre la longue, longue liste des 350 journalistes qui s’affichent courageusement sur le site du comité de soutien à Denis Robert (www.lesoutien.blogspot.com). Maintenant, vous savez qu’il n’est pas le corbeau. Vous voyez de quoi je parles ? Allez, bon courage.


                          • Marcel Chapoutier Marcel Chapoutier 27 juin 2007 00:45

                            J’ai écris un mail à la cinq dont je ne me fais pas d’illusion quand au résultat,mais tout de même ça fait du bien...

                            A Mr Philippe Vilamitjana directeur des programmes de la 5, copie à Mr Patrick de Carolis Président de Fance Télévision et au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel

                            Monsieur,

                            J’apprends avec consternation la suppression d’une émission phare de la « cinquième » chaine « Arrêt sur image » de Daniel Schneidermann . Je me permets de vous signaler que c’est une erreur monumentale. Si votre but est de décrédibiliser le service public de télévision on peut dire que vous êtes sur le bon chemin.

                            Car je vous rappelle que cette chaine est payée en grande partie par les téléspectateurs à l’aide de la redevance et que par conséquent vous vous devez de respecter le cahier des charges (qui est à la base de la création de la « cinq ») c’est-à-dire une éducation du téléspectateur à l’image.

                            Cette décision me semble donc prise très à la légère et surtout unilatéralement comme trop souvent. Est-ce qu’il vous n’est pas venu à l’idée que les téléspectateurs puissent en avoir assez de cet insupportable autoritarisme ? Les téléspectateurs pourraient décider par exemple de s’organiser pour faire une grève de la redevance et mettre ainsi en danger l’existence même du service public de télévision.

                            Bien que parfois en tant que téléspectateur je fus un peu agacé par les prises de position de D Schneidermann dans son émission, je lui offre néanmoins mon soutien sans réserve, car ce qui est en jeu est très grave. Ce n’est rien de moins que la liberté d’expression, le droit de critiquer, de remettre en question la trop forte pression économique sur les médias obligeant les journalistes à l’autocensure et par ce fait mal informer les français.

                            Ce type d’émissions devrait être obligatoire dans chaque cahier des charges de chaine et vous, vous supprimez la seule existante.

                            Dans l’espoir que la grande mobilisation des téléspectateurs vous fasse revenir sur votre décision permettez moi Monsieur de vous envoyer mes salutations distinguées.

                            signature

                            Bonnot de « FR int » disparait aussi de la chaine radio,bientôt Mermet aussi devra t-on plus que compter uniquement sur Internet pour avoir de l’info ? Jusqu’à quand ? Les amis zélés de Sarko ne vont ils pas vouloir tout contrôler ?...


                            • Henri Masson 25 octobre 2007 08:27

                              On peut même aller jusqu’à parler d’honnêteté intellectuelle

                              C’est fort intéressant, de la part d’un donneur de leçons aux journalistes en matière d’honnêteté intellectuelle, de constater que, dans un article paru après celui-ci sous le titre « Défendons l’anglais ! » http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=29606 , qu’il se livre lui-même à un bel exemple de ce que la Charte du Journaliste condamne :

                              « Et pourtant, il se trouve, et ils sont nombreux, de ces aigris pour y trouver à redire. Les plus ridicules d’entre eux sont probablement les espéranteux, dont l’unique argument peut se résumer à : »Ouin, c’est pas juste, ça favorise ces salauds d’Anglais/Américains !« Contentons-nous poliment de parler d’ironie, en songeant à la vocation originelle de l’espéranto : une meilleure compréhension, tolérance et acceptation entre les peuples. Le brave dentiste utopique à l’origine de l’espéranto doit se retourner dans sa tombe. Enfin, gageons qu’il aurait au moins la satisfaction de voir que son rêve s’est finalement concretisé, l’anglais ayant juste remplacé l’espéranto. »

                              Rappelons la « Charte du Journaliste » (je souligne les paragraphes concernés) :

                              LA CHARTE DU JOURNALISTE

                              « Un journaliste, digne de ce nom, prend la responsabilité de tous ses écrits, même anonymes ;

                              tient la calomnie, les accusations sans preuves, l’altération des documents, la déformation des faits, le mensonge pour les plus graves fautes professionnelles ;

                              ne reconnaît que la juridiction de ses pairs, souveraine en matière d’honneur professionnel ;

                              n’accepte que des missions compatibles avec la dignité professionnelle ;

                              s’interdit d’invoquer un titre ou une qualité imaginaire, d’user de moyens déloyaux pour obtenir une information ou surprendre la bonne foi de quiconque ;

                              ne touche pas d’argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées ;

                              ne signe pas de son nom des articles de réclame commerciale ou financière ;

                              ne commet aucun plagiat, cite les confrères dont il reproduit un texte quelconque ;

                              ne sollicite pas la place d’un confrère, ni ne provoque son renvoi en offrant de travailler à des conditions inférieures ;

                              garde le secret professionnel ;

                              n’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée ;

                              revendique la liberté de publier honnêtement ses informations ;

                              tient le scrupule et le souci de la justice pour des règles premières ;

                              ne confond pas son rôle avec celui du policier. »

                              — -

                              On peut remarquer, en passant, que l’auteur :

                              - n’a pas le courage de signer de son vrai nom (la marge est étroite entre l’anonymat et le « pseudonymat ».
                              - ne trouve pas d’argument plus fort que celui de traiter les usagers de l’espéranto d’ « espéranteux ».
                              - traite un sujet dont il ne connaît à peine plus que le nom (le coup du dentiste, mais c’est peut-être justifié si l’on considère, pour ce qui le concerne, l’expression « menteur comme un arracheur de dents » ! http://www.pourquois.com/2007/03/pourquoi-menteur-comme-un-aracheur-de.html smiley
                              - il pratique ce qui pourrait s’appeler un détournement d’appellation : l’anglais ne répond en rien au « cahier des charges » d’une langue internationale tel qu’il avait déjà été présenté par l’American Philosophical Society, à la fin de 1887. Les principaux critères étaient :

                              - la simplicité de la grammaire,
                              - l’orthographe et la phonétique,
                              - les racines aussi internationales que possible (voir « Langues sans frontières », de Georges Kersaudy, éd. Autrement, à des fins de comparaison)
                              - l’euphonie (harmonie des sons).

                              Le dernier critère est assez subjectif, mais, pour les trois premiers, l’anglais ne peut pas se mesurer à l’espéranto.

                              Enfin, sous le titre « Polémique médiatique autour de l’espéranto » http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=11132 , j’ai moi-même traité le thème du « maljournalisme » de Pierre Bénichou dont le comportement a été tout aussi inqualifiable.


                              • Henri Masson 25 octobre 2007 08:55

                                Voici la lettre que j’avais envoyée le 29 octobre 1996 à Daniel Schneidermann quand il était rédacteur en chef du Monde :

                                Monsieur,

                                Non, Monsieur Schneidermann, l’anglais n’est pas un “espéranto mondial”, comme vous l’avez écrit dans Le Monde (supplément Télévision-Radio-Multimedia des 27-28 octobre).

                                Le mot “espéranto” est déplacé dans ce contexte, c’est pour ainsi dire un détournement d’appellation. Au départ langue d’une nation, l’anglais est devenu celle d’un empire colonial, puis d’un certain nombre de pays dont l’un marque le monde de son hégémonie. Dans son usage international, l’anglais reste un sabir pour l’écrasante majorité de ceux qui ont consacré même beaucoup de temps à son apprentissage. C’est un langage approximatif, un Bad English, un Broken English ou tout ce qui vous pouvez imaginer comme instrument inadapté pour le rôle de véritable langue mondiale. Malgré plusieurs siècles de domination britannique en Inde, l’anglais n’est maîtrisé que par un faible pourcentage de la population (1% d’après le Time !) ; il n’est pour les autres qu’un langage élémentaire, voire rudimentaire, un langage “pour se débrouiller”. L’anglais ne peut donc en aucune manière devenir la langue devant laquelle les peuples seront à égalité, ce qui est précisément la vocation de l’espéranto. Il est surtout le vecteur d’une manière de penser et d’un esprit qui sont à l’opposé de ceux de l’espéranto. L’espéranto a été conçu pour le rôle de langue internationale (tel est son nom d’origine) et il l’a toujours parfaitement joué entre ceux qui ont eu l’idée et l’audace de braver le monde des préjugés, de le découvrir autrement que par ouï-dire.

                                Je pense que vous avez malgré tout une excuse car si vous souhaitez savoir où en est aujourd’hui l’espéranto dans le monde, mieux vaut aller de par le monde et voir sur place - où naviguer dans le monde d’Internet - plutôt que de vous fier à Le Monde. Si Le Monde a toujours été votre principale source de référence en ce domaine, vous êtes obligatoirement passé à côté d’informations essentielles. Par exemple, vous n’avez jamais pu savoir :

                                - que, sous le patronage du président Vaclav Havel, un congrès universel d’espéranto s’est tenu cet été à Prague sans l’ombre d’un interprète avec 2971 participants de 60 pays qui ont eu le choix entre 160 programmes (conférences, spectacles et autres). Ce congrès a reçu des messages notamment de MM Boutros Boutros Ghali, Federico Mayor, de l’archevêque de Prague - espérantophone ;
                                - que l’Académie Internationale des Sciences de Saint Marin, dont la langue officielle et principale langue de travail est l’espéranto, a déjà plus de 1000 membres et un Prix Nobel (Reinhard Selten, sciences économiques, 1994) en moins de douze ans d’existence ;
                                - que la Commission Européenne a confié au professeur Selten le projet d’une étude sur les coûts effectifs de la (non)communication en Europe. Reinhard Selten a appris l’espéranto dans sa jeunesse. Obligé d’utiliser l’anglais, comme la plupart des scientifiques, il a malgré tout osé faire usage de l’espéranto pour des articles, des ouvrages et des conférences, et il n’hésite pas à exprimer publiquement sa préférence pour l’espéranto dans le rôle de langue internationale. Il me paraît donc être parmi les plus qualifiés pour faire la différence entre anglais et espéranto.

                                Nul n’a mieux décrit l’espéranto que Claude Hagège qui, sans en être partisan, a admis l’enseignement de l’espéranto comme sujet de débat : “C’est dans sa facture une langue que l’on peut considérer comme une des grandes langues de l’Europe”. (...) Je pense que l’espéranto est une solution parmi d’autres, et qu’il pourrait avoir pour lui l’avantage, sérieux, à savoir que, contrairement à n’importe laquelle des langues de vocation européenne, il n’est pas, lui, précédé ou suivi d’un engagement politique et national. C’est la langue d’aucune nation, d’aucun État.” Et c’était du reste l’idée de son inventeur, Zamenhof (...), en 1887, l’avait dit dès cette époque, quand il a publié (...) le premier livre qui proposait l’espéranto. On le sait depuis longtemps donc, l’espéranto a pour lui, avait pour lui, a toujours pour lui, de ne pas être la langue d’une nation et d’un peuple, encore moins d’un État au sens hégélien du terme, ce qui sont des traits plutôt favorables.” (lors d’une conférence à Valenciennes (2.12.1993).

                                Permettez-moi néanmoins de vous féliciter pour l’article en question qui, par ailleurs, comporte matière à réflexion. J’aurais bien entendu apprécié que votre allusion à l’espéranto - qui peut lui-même fournir une abondante matière à réflexion - soit du même niveau.

                                Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.

                                Coauteur de L’homme qui a défié Babel (Éd. Ramsay)


                              • Henri Masson 25 octobre 2007 14:30

                                Réponse manuscrite de Daniel Schneidermann, le 5 novembre 1996 :

                                — 

                                Monsieur,

                                Merci pour vos utiles précisions sur l’espéranto, mais cette allusion ne constituant qu’une brève allusion dans ma chronique, et vos précisions ne portant pas directement sur l’image de télévision, il me semble que leur publication dans le courrier des lecteurs du « Monde RTM » serait quelque peu déplacée.

                                Bien à vous.

                                DS.

                                — 

                                Remarque HM : Évidemment, mais je n’ai nullement demandé quelque chose de tel à DS. Il s’agissait seulement d’attirer son attention sur l’inexactitude de tels propos. Il ne me semble pas qu’il ait à nouveau utilisé cette formulation depuis, mais le problème, c’est que de telles expressions, quand elles viennent de personnages qui ont un certain poids médiatique, restent gravées dans le subconscient des lecteurs ou du public. Et c’est ainsi que se perpétuent les préjugés, les a priori. Le ouï-dire sert de référence.

                                Combien ont la lucidité et le courage d’un Jean-Marie Vodoz, le Seul Suisse à avoir été admis comme membre du Haut Conseil de la langue française, en 1984. Lors d’un entretien, il a dit entre autres : « L’anglais, qui s’impose comme langue internationale — même à Bruxelles... — n’est pas un espéranto neutre, mais le véhicule de la culture américaine. »

                                Dans les institutions européennes, de plus en plus de documents officiels sont désormais « available only in English ». A compétence professionnelle égale, voire même inférieure, les « native English-speakers » sont de plus en plus préférés à ceux pour qui l’anglais est la seconde langue. Pourquoi en effet se contenter d’une copie, même excellente, lorsque l’original se présente au même prix ? Il y aura une minorité d’Européens à part entière aux postes clé, et une majorité croissante d’Européens entièrement à part. Cette Europe-là est-elle bien la nôtre ?

                                Le journal « Mon Quotidien » (jeudi 25 septembre 1997), publié pour les enfants de 10-15 ans, a rapporté un entretien qu’ont eu Adeline, Clément et Constance avec le président Chirac. Extrait :
                                - « Parlez-vous anglais lors de vos séjours à l’étranger ? »
                                - « Oui, avec mes amis, mais jamais dans les discussions officielles, car je ne parle pas parfaitement cette langue et ce serait un handicap. Pour les sujets sérieux, il faut être sûr d’être bien compris.
                                 »

                                Après Chirac, on voit comment Sarkozy, qui n’a certainement pas fréquenté les plus mauvaises écoles, parle la langue des maîtres du moment : http://www.dailymotion.com/video/x1x63e_sarkozy-parle-anglais-enfin-essaye

                                Oui, pour les sujets sérieux, il faut une alternative à l’anglais, il faut la langue qui apparaît comme la moins étrangère des langues étrangères pour tous les peuples.


                              • Henri Masson 25 octobre 2007 16:34

                                Et voici un autre courrier adressé le 24 février 1998 à Thomas Ferenczi, médiateur du Monde et dans lequel je faisais allusion à Daniel Schneidermann :

                                — 

                                Monsieur,

                                Votre article intitulé “Un trop long silence“ et l’avis de Yannick Séité sur le mythe journalistique concernant le droit à l’information - “c’est le nom que la presse a donné à ses désirs“ - trouvent confirmation précisément dans votre quotidien sur un sujet que je connais bien. Ainsi, n’est-il pas paradoxal que, ces derniers mois, CNN ait prêté plus d’attention à l’espéranto que Le Monde depuis des années ? Le lecteur ou téléspectateur n’a-t-il d’autre ressource, pour découvrir la réalité et les possibilités de cette langue internationale, que de passer par l’anglais et par Internet où le seul mot clé « esperanto » livre un grand nombre de sites ? Si oui, Le Monde a-t-il encore sa raison d’être ? S’il est un domaine où Le Monde s’est coupé du monde, c’est bien celui des options possibles pour résoudre les problèmes de communication linguistique dans l’Union européenne et dans les institutions mondiales.

                                En novembre 1996, j’avais attiré l’attention de Daniel Schneidermann sur l’usage abusif du mot “espéranto” dans un contexte dans lequel il n’avait rien à voir : “... en anglais, langue de l’adversaire et espéranto mondial”. Aucune suite. Est-il possible qu’un journal renommé n’accorde jamais le droit de réponse à des lecteurs qui s’élèvent contre l’usage dévalorisant du mot “espéranto“ dans ses colonnes ? En fait, l’espéranto n’est jamais traité dans Le Monde autrement que par des allusions - négatives - ou par des boutades du genre “l’espéranto a échoué”, “l’échec de l’espéranto”, etc. J’y vois plutôt l’échec de l’information. Le comble est atteint ce mois-ci avec un de vos collègues du Monde de l’Éducation qui, en guise d’introduction à un dossier par ailleurs très bon sur les langues, parle “d’espoirs déçus de l’espéranto“ et, ce qui est grave et totalement faux, laisse entendre qu’il visait le statut de langue unique. Est-il normal que vos collègues et collaborateurs soient aussi ignorants que vos lecteurs, sinon plus, d’un sujet sur lequel les occasions d’informer se font toujours plus nombreuses ? On y trouve certes des articles qui reconnaissent l’impasse linguistique dans laquelle se trouve l’Union européenne, l’intrusion de l’anglais dans le rôle de langue unique, les attaques dont le français fait l’objet, etc. Mais on y tourne en rond. Ce qui est certain, c’est que l’espéranto est toujours bien vivant malgré les faire-part de décès publiés çà et là.

                                Ancien rédacteur de l’AFP, mon ami René Centassi - hélas disparu depuis peu - avec qui j’ai beaucoup travaillé sur une biographie du père de l’espéranto parue sous le titre L’homme qui a défié Babel (Ed. Ramsay), me confiait parfois sa consternation quand il voyait l’attitude de certains de ses confrères vis-à-vis de l’espéranto. Le fait que je sois un peu plus connu, pas seulement dans le monde de l’espéranto, amène de plus en plus de gens à me confier qu’après avoir écrit à votre quotidien, ils ont l’impression de s’être adressés au Monde... du silence. Ce “trop long silence“, ils le connaissent.

                                Jusqu’à quand Le Monde considérera-t-il l’espéranto comme une affaire classée, au moment où le professeur Claude Hagège admet l’éventualité d’un débat sur l’opportunité de l’introduire dans l’enseignement, où le professeur Umberto Eco a avoué s’en être moqué puis avoir changé d’avis à son sujet lorsque, pour des raisons scientifiques, il a été amené à faire des recherches, à l’étudier ? Vos collaborateurs se sont-ils interrogés sur leur connaissance du dossier “espéranto” ? Si connaissance il y a, est-elle établie sur l’étude approfondie, le vécu, la comparaison, comme cela se fait pour les autres dossiers, ou sur le ouï-dire ?

                                En 1996, à Prague, le professeur Robert Phillipson, directeur du département linguistique et culturel de l’Université de Roskilde (Danemark), auteur d’une monographie intitulée “Linguistic Imperialism“, avait assisté avec son épouse, elle-même spécialiste du bilinguisme et des droits linguistiques, comme observateur et intervenant au congrès universel d’espéranto. Il avait avoué une attitude de sa part qui est encore aujourd’hui celle de certains collaborateurs du Monde : “Le cynisme au sujet de l’espéranto a fait partie de notre éducation”. Il avait ajouté, à propos de cette langue : “Le congrès universel a été ma première expérience réelle sur son fonctionnement : expérience d’autant plus frappante que je reviens juste de Hongkong où j’ai pu entendre, lors d’une conférence sur les droits linguistiques, des Asiatiques parler de diverses variantes de l’anglais. D’après mes observations, l’espéranto parlé par des Asiatiques, ici, à Prague, est beaucoup plus coulant, plus décontracté, et ils ont moins de problèmes de prononciation dans cette langue.

                                Les lecteurs du Monde ne peuvent-ils pas attendre la même honnêteté de ce quotidien ? Le congrès universel d’espéranto se tiendra cette année à Montpellier, du 1er au 8 août. Y a-t-il au Monde des journalistes capables de traiter cet événement avec la compétence et la rigueur que l’on est en droit d’attendre pour tout autre sujet ?

                                Il n’est pas question de demander au Monde de prendre parti pour ou contre l’espéranto, mais seulement d’être honnête envers ceux qui lui font confiance. Chacun de ses collaborateurs pense sans doute l’être. Mais combien d’entre eux disposent de tous les éléments pour en juger ? Ne sont-ils pas eux-mêmes les premières victimes d’une désinformation ? Ce comportement ne confirme-t-il pas finalement que le mythe du droit à l’information existe bel et bien au Monde, un nom que Le Monde donne à ses désirs et qui est fort éloigné de la réalité ?

                                Comme le courrier de vos lecteurs en relation à l’espéranto est systématiquement passé sous silence, la publication de cette lettre dans le Service de Presse que je rédige n’est pas exclue.

                                Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les distingués.


                              • Henri Masson 25 octobre 2007 16:56

                                Le 18 août 1998, nouveau courrier à Thomas Ferenczi, médiateur du Monde. Là, la mesure est comble :

                                — 

                                Monsieur,

                                A l’occasion du congrès mondial d’espéranto qui s’est tenu à Montpellier, plusieurs quotidiens ont permis à leurs lecteurs de découvrir le déroulement de tels événements ainsi que quelques facettes de cette langue internationale. Midi-Libre en a assuré une couverture honnête et originale, avec des entretiens traduits de l’espéranto. La Croix (aussi bien que L’Humanité ou Le Figaro) a donné un compte-rendu irréprochable soulignant le caractère exceptionnel d’un tel « Mondial » où tant de nationalités étaient représentées sans problèmes de communication linguistique, et le fait qu’en France, où cette année marquait le centième anniversaire de la fondation de la première association d’espéranto, un tel congrès ne s’était tenu pour la dernière fois qu’en 1957, il y a quarante-et-un ans. La comparaison de ces articles avec celui qui est paru dans Le Monde du 8 août donne un éclairage sur une dérive informationnelle de votre quotidien qui ne concerne pas que l’espéranto.

                                Entre autres, le bulletin des Citoyens du Monde (15, rue Victor-Duruy, 75015 Paris), avait déjà évoqué, dans son numéro 1998/2, un « massacre à la tronçonneuse au journal  »Le Monde« à propos d’un texte fourni à un journaliste : les 3/4 ont été supprimés, au point que le quart restant perdait son sens, donc son intérêt, et déformait finalement la démarche de ce mouvement aux yeux des lecteurs. Du fait que le journaliste avait donné son accord pour un texte de 5000 signes, il est fort possible que le massacre ait été perpétré à un autre niveau. Pour le correspondant du Monde à Nîmes, Richard Benguigui, qui a »couvert« le congrès de Montpellier, le ton ne laisse guère penser qu’il ait pu en être ainsi. Dans le genre »Je suis venu, je n’ai rien vu et voici mon compte-rendu", c’est un chef d’oeuvre. Dans la banalité et la désinformation, il est difficile de faire mieux.

                                Là où Benguigui a vu des « adeptes de cette langue apatride » (sic) se rencontrer « pour le simple plaisir de bavarder », Jacques Molénat, de La Croix, a noté les raisons économiques, sociales, politiques et culturelles qui justifient la promotion d’une langue libre de tout lien avec quelque puissance que ce soit. Là où le correspondant du Monde affirme que les occasions de pratiquer la langue sont « plutôt rares », il démontre la superficialité de son travail face aux journalistes d’autres quotidiens qui, eux, ont souligné qu’ « Internet pourrait bien donner une nouvelle jeunesse à l’espéranto » (La Croix). Il existe en effet des sites Web qui donnent les indications utiles pour participer non seulement aux congrès et rencontres mais à des tournées de conférences présentées par des espérantistes de divers pays, ou pour voyager au contact des gens à moindres frais. Il y a aussi les forums (soc.culture. esperanto). Dans toute l’histoire de l’espéranto, jamais il n’a été possible de l’entendre avec un confort d’écoute tel que le permettent aujourd’hui les émissions radio diffusées sur Internet (RealAudio) et retransmises par satellites. Là où Benguigui a conclu que « le mouvement, porté avant guerre par les cheminots, est en perte de vitesse et, malgré les efforts déployés, le public des congrès est chaque année un peu plus vieillissant », Midi-Libre a titré le même jour :« Espéranto : les vrais succès d’une utopie réalisée ».

                                Par ailleurs, si les cheminots constituent l’association spécialisée d’espéranto la plus importante, et si elle effectue toujours un travail exemplaire (traduction et édition des termes de l’Union Internationale des Chemins de Fer / UIC), il est excessif de dire que l’espéranto a été porté par eux. Enseignants et scientifiques, par exemple, ont joué aussi un rôle très important, sans compter les travailleurs (au sens large) de l’Association Anationale Mondiale (SAT), qui est indépendante de l’Universala Esperanto-Asocio.

                                Ensuite, Benguigui fait silence sur le congrès des enfants qui, en même temps, non loin de là, à Sommières, en réunissait une centaine. Il oublie que les jeunes (ou les couples avec de jeunes enfants) n’ont pas toujours les moyens et le temps de participer à tous les congrès. Celui de la jeunesse espérantiste mondiale s’était tenu la semaine précédente à Rijeka, en Croatie (363 participants de 32 pays) ; celui de SAT, auquel des jeunes ont pris part à Odessa, en Ukraine, a pris fin une semaine avant, comme le séminaire durant lequel, à Pékin, quatre associations de jeunes espérantistes de Chine, du Japon, de Corée et de Hong Kong ont décidé d’unir leurs efforts dans un mouvement de la jeunesse espérantiste asiatique.

                                Enfin, avec 1468 participants en 1957 à Marseille, 3081 à Montpellier en 1998, sans compter les centaines de personnes qui, comme moi, n’ont visité ce congrès qu’une seule journée, voire deux ou trois, voilà une « perte de vitesse » pour le moins curieuse !...

                                Là où le correspondant du Monde n’a rien vu ou remarqué, d’autres ont découvert, par exemple, que ce congrès était placé sous le patronage de Marie-George Buffet, Ministre de la Jeunesse et des Sports, qu’Albert Jacquart et Théodore Monod appartenaient au Comité d’Honneur ; que le nouveau président de l’Association Universelle d’Espéranto est l’ancien procureur général et ministre australien de la justice Kep Enderby ; que le prochain congrès mondial se tiendra à Berlin et celui de l’an 2000 à Tel Aviv ; que 250 Nippons et une cinquantaine de Chinois - fait sans précédent - ont participé à celui-ci ; que les Africains y étaient plus nombreux que d’habitude ; que Guy Béart, à qui son père avait enseigné l’espéranto, a donné un concert ; que la première couverture d’un événement par la Radio polonaise en Real-Audio a été celle de ce congrès par sa rédaction d’espéranto ; que deux médecins de Montpellier ont créé une association « Réinsertion et Espéranto » afin d’aider les chômeurs et Rmistes ; qu’il y avait un imposant service librairie (photo dans Midi-Libre) témoignant d’une littérature importante en espéranto, etc. En bref : tout ce qui était sans intérêt et qui brouillait les pistes se trouvait dans Le Monde.

                                Autre différence : la plupart des médias ont donné une adresse permettant aux personnes curieuses ou intéressées de s’informer, de comparer, de juger. Rien de tel dans Le Monde, comme s’il était gênant de voir une langue, que ce quotidien considère depuis des décennies avec dédain, se regénérer sans cesse, étendre son champ d’applications, gagner de nouveaux pays. Il n’est pas question de demander au Monde de prendre parti pour l’espéranto, mais seulement d’être honnête envers ceux qui lui font confiance. S’il est un domaine, parmi d’autres, où Le Monde s’est coupé du monde, c’est bien celui des options possibles pour résoudre les problèmes de communication linguistique dans l’Union européenne et dans les institutions mondiales, pour toutes les populations.

                                Ce que je constate, c’est que d’autres quotidiens nationaux, parisiens ou provinciaux n’ont rien à envier au Monde, qui prétend être le quotidien de référence, sur la qualité et la fiabilité de l’information.

                                Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les distingués.

                                Henri Masson
                                Secrétaire Général de SAT-Amikaro Coauteur de L’homme qui a défié Babel (Éd. Ramsay)


                              • Henri Masson 25 octobre 2007 18:24

                                Affaire Benguigui (Le Monde) :
                                Le 8 novembre 1998, j’écrivais la lettre suivante de remerciements au journaliste Roland-Pierre Paringaux suite à la publication d’un article de pleine page qui semblait, enfin, réparer le préjudice, mais nul n’ignore que Le Monde est tombé par la suite dans les mains d’américanolâtres forcenés - Jean-Marie Colombani (« Nous sommes tous Américains ! » — 13 Septembre 2001), et Alain Minc qui préconisait la « marche forcée » vers l’anglais...

                                — 

                                Monsieur,

                                Sans doute avez-vous pris conscience, lors de votre enquête sur l’espéranto, du fait que le sujet est plus vaste qu’on ne le pense trop souvent. Je crois que vous avez eu à coeur de le traiter honnêtement. Si votre analyse paraît ci et là incomplète ou insuffisamment profonde, je pense que c’est à mettre sur le compte du temps qui était compté, de l’espace qui vous était imparti, et surtout de l’impossibilité de pouvoir consulter des documents dans la langue sur laquelle vous deviez enquêter. Un journaliste appelé à traiter d’économie ou de physique nucléaire est habituellement choisi en fonction de sa spécialisation, et il me semble qu’il n’existe pas encore au Monde un journaliste capable de juger l’espéranto sur pièce. Votre tâche n’était donc pas des plus faciles. J’espère que votre article marquera malgré tout un terme au véritable mur du silence qui entourait ce sujet dans un quotidien qui se veut de référence. En effet, pourquoi montrer du doigt les pays où sont interdites les antennes de réception par satellites et, en même temps, entourer de tabous une idée de la communication dans laquelle tous ceux qui l’ont éprouvée - y compris et même surtout des anglophones et des polyglottes - trouvent maintes satisfactions ?

                                Hormis un article de votre collègue Jean-Pierre Péroncel-Hugoz sur l’UNESCO et l’espéranto, et un autre d’une demi-page paru sous ma signature dans le numéro des 15-16 avril 1979, il n’y a guère eu d’information sur ce sujet dans Le Monde. Si vous pouviez faire une recherche avec le mot clé « espéranto » dans tous les numéros du Monde parus depuis une trentaine d’années, vous seriez sans doute surpris de constater que l’on y trouve souvent ce mot isolé dans un contexte dévalorisant, dans des boutades, et rarement dans des articles ayant un véritable caractère d’information. Vous pourriez par exemple rechercher, dans les années 70, un article publié sur la visite officielle du président de la république d’Autriche, Franz Jonas, à Paris où celui-ci - qui parlait couramment l’espéranto - avait rencontré les espérantistes français à l’Hôtel Crillon. Vous y trouveriez une réflexion désobligeante à l’égard d’un président que le peuple autrichien avait réélu et qui avait appris l’espéranto lorsqu’il était adolescent. Oui, comme vous l’avez écrit très justement en introduction : “L’espéranto attire toujours des jeunes du monde entier“ et ceci malgré tous les obstacles à l’information qui existent autour de cette langue. Internet contribue à rompre ce silence. Les médias peuvent-ils espérer un regain de confiance déjà sérieusement entamée en maintenant des tabous qui sauteront inexorablement ?

                                Il m’a semblé préférable d’attendre la parution du « Service de Presse » de novembre (ci-joint) pour vous remercier, d’autant plus que j’y mentionne votre article, mais aussi pour vous donner un aperçu des avancées de cette langue. Car en effet, contrairement à ce que vous écrivez à propos de cette diaspora “en perte de vitesse“, il y a bel et bien des avancées même si certains pays, pour des raisons compréhensibles, connaissent une régression qui ne touche pas que l’espéranto. Par exemple le Congo démocratique, qui était l’un des pays africains où l’espéranto était le mieux implanté. Il y a aussi la Russie, mais on peut remarquer une transformation du mouvement et une amélioration en qualité qui finira, compte tenu des facultés de progression rapide de l’espéranto dans des conditions normales, par amener la quantité. Il y a aussi - et ça, c’est plus général - une vision plus équilibrée du rôle de l’espéranto qui, trop souvent, a été confiné dans un idéalisme sans prise réelle avec la réalité. On ne peut nier que des espérantistes aient une part de responsabilité, mais une analyse de cette situation demanderait de longs développements et surtout une meilleure connaissance de l’histoire de l’espéranto. Il me paraît important de souligner que la progression de cette langue a été entravée essentiellement par des atteintes aux droits de l’homme (peut-être serait-il bon de le rappeler à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme), et il existe à cet égard un ouvrage que tout chercheur ou journaliste appelé à traiter le sujet de l’espéranto devrait lire : « La danĝera lingvo » (la langue dangereuse), par Ulrich Lins, qui est paru aussi en allemand (« Die gefährliche Sprache », Bleicher Verlag) et en japonais.

                                Ces avancées sont vérifiables :
                                - progression du nombre de radios qui émettent en espéranto et de la durée des programmes (voir le site http://osiek.org/aera),
                                - progression du nombre de livres publiés autour de l’espéranto en édition de librairie depuis le “Que sais-je“ n° 1511 et la méthode Assimil en 1973 jusqu’à cette année : deux chez L’Harmattan en 1994 et 1998, un chez Ramsay en 1995. Avant, c’était le silence total,

                                - progression du nombre d’établissements d’enseignement supérieur où l’espéranto est enseigné à titre officiel,
                                - progression du nombre de thèses ayant l’espéranto comme sujet,
                                - progression dans l’édition manuels et de dictionnaires pour apprendre l’espéranto à partir de langues autres que les langues de grande diffusion. Le Service de Presse ci-joint fait état de la parution de manuels pour Ouzbeks et Coréens. Il faut savoir par exemple qu’un dictionnaire Esperanto-Swahili n’est paru qu’en 1996, et il existe beaucoup d’exemples semblables. Aux États-Unis, on ne trouve le « Comprehensive English Esperanto Dictionary » de Peter Benson (First Edition) que depuis 1995. Cette année, une terminologie de médecine chinoise en quatre langues (chinois, anglais, français, espéranto) est parue à Pékin. Comme vous pouvez le lire aussi, un groupe de travail fondé à Chicago prépare une terminologie de l’aviation en espéranto. La progression de l’informatique et d’Internet permet aujourd’hui la compilation et la remise à jour rapides de dictionnaires. Le « Plena Ilustrita Vortaro de Esperanto » (édité à Paris par SAT), sorte de «  Petit Larousse » de l’espéranto, n’est paru dans sa première édition qu’en 1970 ; il a reçu un supplément de remise à jour par la suite et une refonte doit paraître en l’an 2000. SAT-Amikaro, qui a réédité le « Grand Dictionnaire Esperanto-Français » en 1994, travaille sur une réédition du Dictionnaire Pratique Français-Espéranto/Espéranto-Français à paraître aussi en l’an 2000.
                                - Lancé par votre confrère Stefan Maul, directeur de la section politique du quotidien allemand « Augsburger Allgemeine », le magazine « Monato » n’existe que depuis 1980. Il est lu dans 65 pays et a un réseau de 100 collaborateurs permanents dans 45 pays. Stefan Maul est l’actuel président de l’association mondiale des journalistes espérantistes et c’est sans aucun doute l’une des personnes qu’il serait intéressant d’interviewer pour d’éventuelles suites à votre enquête : <[email protected]>.

                                J’apprends ce matin, par un communiqué de « Ret-info » (sorte d’agence d’information sur l’espéranto établie à Budapest et dont la fondation est récente) qu’une filiale de l’Académie Internationale des Sciences de Saint Marin, elle aussi de fondation relativement récente, dont la principale langue de travail est l’espéranto et qui a un Prix Nobel en son sein (Reinhard Selten, sciences économiques 1994), va s’établir à Mexico (il y en a déjà dans divers pays). Il y a donc une multitude de faits et d’initiatives sans précédent dans l’histoire de l’espéranto, et une autre page du Monde ne suffirait pas pour en faire le tour. Au vu des informations que je collecte régulièrement sur l’espéranto, il y aurait largement la matière à une page hebdomadaire sur l’espéranto dans votre quotidien...

                                J’espère en tous cas que Le Monde s’attachera désormais à être vraiment le quotidien de référence, y compris pour ce qui touche l’espéranto.

                                Avec mes excuses d’avoir été si long et mes remerciements les plus sincères.

                                Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

                                Henri Masson

                                Secrétaire Général de SAT-Amikaro Coauteur de L’homme qui a défié Babel (Éd. Ramsay)

                                — 

                                Remarque à propos de Franz Jonas, mentionné dans cette lettre : Lors d’une visite officielle à Paris, le 22 mars 1972, le président Jonas avait réservé un instant pour une délégation de trois espérantistes français (dont Roland Grandière pour SAT-Amikaro) à l’Hôtel Crillon, où se tenait une réception avec de nombreux ambassadeurs étrangers, ministres et journalistes. A la grande surprise de tout ce beau monde, il avait eu l’audace de parler en espéranto, comme à des amis de longue date, avec ces trois représentants. Il avait manifesté de l’intérêt pour la situation de la langue en France, en particulier auprès des jeunes. Dans son numéro du 25 avril 1974, après la mort du président (le 24.4), le correspondant à Vienne du « Monde » n’avait rien trouvé de mieux que de faire une allusion désobligeante à son « goût immodéré pour l’espéranto ». Une allusion du même tonneau était déjà parue dans le numéro de ce quotidien après la visite du président à Paris.

                                Extrait — toujours d’actualité — du discours prononcé en espéranto par le président Jonas lors de l’ouverture du congrès universel d’espéranto qui s’était tenu à Vienne en 1970 :

                                « Bien que la vie internationale devienne toujours plus intense, le monde officiel perpétue les vieilles et inadéquates méthodes de compréhension linguistique. Il est vrai que la technique moderne contribue à faciliter la tâche des interprètes professionnels lors des congrès, mais rien de plus. Leurs moyens techniques sont des jouets inadaptés par rapport à la tâche d’ampleur mondiale à accomplir, c’est-à-dire s’élever au-dessus des barrières entre les peuples, entre des millions d’hommes. »

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