Ces télévisions qui nous remercient de les regarder
« Le pouvoir des médias ne réside pas tant dans ce qui est publié et diffusé à l’antenne quant dans ce qui ne l’est pas »*. Pour nier l’existence d’une personnalité ou d’un évènement, il suffit de ne pas en parler. Et tant pis si en parle la concurrence. Car seul existe dans l’esprit du public ce qui existe dans les médias. Nombre de vedettes et de manifestations n’existent que par le bon vouloir des médias qui les promeuvent et qui s’en servent. Il suffit qu’ils éteignent leurs projecteurs pour que choses et personnes disparaissent à tout jamais.
En mettant en avant des évènements et en en occultant d’autres, les médias nous présentent une réalité partielle, quand ils ne créent pas carrément dans le public une vision déformée de la réalité.
Deux questions surviennent à l’esprit :
1) Pourquoi ?
2) A qui cela profite-t-il ?
Le cas très actuel de la querelle entre les USA et l’Iran sur le
nucléaire est un exemple significatif. Sans être américanophobe, on ne
peut que constater que ces derniers temps, tous les journaux, de la
presse écrite, radios ou télévisés, ne cessent de nous rappeler combien
les USA sont fâchés à l’encontre des iraniens, qu’ils soupçonnent de
vouloir se doter de l’arme nucléaire. Inondés comme nous le sommes de
détails, d’explications et d’approfondissements qui nous montrent le
point de vue des américains et de leurs alliés sur le sujet -qu’on peut
résumer en ces termes : la bombe atomique c’est pas bien- pas un
journaliste ne nous apprend que l’arme nucléaire les américains et
leurs alliés eux, l’ont déjà ; et que dès lors, comment nier aux autres
ce qu’on s’accorde à soi même ?
On pourrait objecter que si on ne nous l’apprend pas, c’est parce que nous sommes censés être au courant. Pas forcement.
Les enfants par exemple, ne le savent pas. Si on le leur apprenait,
justement ils objecteraient « Pourquoi les américains y ont droit et
pas les iraniens ? ». Cette question, pourtant toute bête, « pourquoi
les américains oui et les iraniens non », n’est jamais posée dans les
médias. Ni d’ailleurs dans les plus hautes instances de l’ONU, du moins
publiquement. Si elle était posée, elle ne pourrait obtenir qu’une
seule réponse : les américains et leurs alliés veulent garder le
contrôle du proche et du moyen orient, ils ne peuvent tolérer que dans
la région, d’autres jouent à armes (nucléaires) égales.
C’est une réponse qui ne plaît pas, car elle présuppose que les
rapports entre les états (et les gens) sont des rapports de force,
violents donc, fondés sur l’injustice, car c’est le plus fort qui a
raison. Comme on n’aime pas la réponse, on évite de poser la question.
En occultant une partie de cette réalité, la réalité qui est présentée est forcement fausse et déformée. Oui, mais elle est rassurante.
Si on nous dit que les iraniens veulent s’équiper de l’arme nucléaire,
mais heu-reu-se-ment qu’il y a les américains pour les empêcher de
faire des ravages dans la région, nous sommes rassurés et par
conséquent bien disposés envers ceux qui nous rassurent. Si par contre
on nous dit que les iraniens sont pressés de se doter de l’arme
nucléaire parce que ils ne veulent pas se faire avaler en une seule
bouchée (comme récemment leurs voisins irakiens), il y a de fortes
chances pour que nous soyons moins bien disposés envers les américains
et que probablement nous n’achèterions plus de coca-cola pendant une
semaine. Quand on sait que certains travaillent pour « préparer les
cerveaux des gens à acheter du coca », on comprend pourquoi, dans ce
cas précis mais également d’une manière générale, une partie de la
réalité soit occultée et à qui cela profite-t-il.
En publiant des informations et en en occultant d’autres, connexes, les
médias contribuent à créer un climat serein, qui favorise les affaires
; et si par la force des choses, le climat n’est pas tout à fait
serein, les médias s’emploient afin qu’il soit au moins rassurant au
point de ne pas trop gêner les affaires.
Le téléspectateur est donc traité tel un enfant, devant qui, lors des
repas familiaux, on évite d’aborder les sujets qui fâchent, pour
préserver la paix familiale.
Censés nous informer, bien souvent les médias font œuvre de
désinformation, par négligence quand ce n’est pas par pur calcul
économique.
La télévision, et généralement les médias qui vivent de publicité,
tendent à empirer à cause de la course à l’audience. Les pires
résultats de cette course, on les observe particulièrement dans
l’information et dans tout ce qui a trait à l’objectivité. Cette course
présuppose que l’on attire à soi le plus grand nombre de
téléspectateurs, pour ce faire on gomme et on lime tout ce qui pourrait
ne pas plaire au plus grand nombre, quand on ne fabrique pas carrément
pour les besoins de la cause, une information lisse, neutre et
consensuelle.
Au fond, ce qui compte ce ne sont pas tant les nouvelles qu’on nous
donne (50000 morts au Bangladesh, un chat perdu sur les toits de
Paris...), quant la manière dont elles sont annoncées. Le ton employé,
uniformisant, est fait pour soustraire de l’intensité à la tragédie des
50000 morts et pour en rajouter à celle du chat perdu sur les toits.
Le but de ce ton uniformisant est : soyez rassuré, il ne se passe rien
de grave, et même si des choses graves se passent, cela arrive très
loin de chez nous, et si quelque chose devait arriver chez nous, ça ne
pourrait être que des choses sans grande gravité : un chat perdu sur un
toit, un sdf à qui les organisations charitables offrent à boire
pendant la canicule...
L’essentiel de l’actualité, selon la formule rituelle, ayant été
traité, les informations touchent à leur fin ; on nous invite à
regarder la prochaine émission de la chaîne, on nous remercie d’avoir
suivi les infos, la publicité arrive.
La clé pour comprendre le sens de ce type d’information, réside
peut-être dans ce remerciement final : après tout, pourquoi nous
remercie-t-on ? On vient de nous informer pendant 30 minutes,
gratuitement, en plus on nous remercie. C’est le monde à l’envers, ce
serait plutôt à nous, les téléspectateurs, de remercier. Un doute
surgit alors sur la qualité de ce qu’on vient de nous servir : nous
remercie-t-on d’avoir gentiment gobé de la pourriture ?
La multiplication des sources d’information (des dizaines de nouvelles
chaînes de télévision ont vu le jour ces dernières années) n’a pas
favorisé l’éclosion d’une information plurielle. Que l’on regarde Tf1,
Bfm ou i-télé, les informations se suivent et se ressemblent. Dans le
contenu, bien sûr, mais aussi dans une certaine scénarisation
croissante des sujets : l’information n’est pas simplement relatée par
l’œil subjectif et, on l’espère, un petit peu objectif du journaliste,
elle est aussi traitée d’un point de vue émotionnel. Tel un film de
cinéma, l’information est censé dégager de l’émotion afin de provoquer
l’adhésion d’un plus grand nombre de téléspectateurs. En effet, à la
recherche continuelle d’annonceurs publicitaires, la tentation est
grande pour les médias de ne considérer un sujet qu’à la lumière de sa
capacité à faire de l’audience, car on le sait plus l’audience est
élevée, plus les annonceurs payent cher pour une insertion. Si les
informations sont banales et peu susceptible d’attirer du monde (après
tout, un chat perdu sur les toits on s’en fiche un peu), on leur fait
dégager de l’émotion en mettant en scène l’inquiétude de la mamie
propriétaire de la bête, les dangers encourus par celle-ci qui peut
tomber et s’écraser d’un moment à l’autre, le soulagement pour
l’arrivée des pompiers appelés à la rescousse, la participation des
voisins qui assistent aux opérations de sauvetage...
Les informations se suivent et se ressemblent, donc, d’une chaîne à
l’autre à la manière de certaine presse gratuite, mais aussi payante,
qui à force de copier-coller donne parfois l’impression qu’un article,
un sujet, n’est qu’un espace séparant deux publicités, et un lecteur un
pauvre idiot prêt à gober n’importe quoi. Mais qu’il faut quand même
remercier.
* D’après Emergence des « médias de masse individuels » par M. Castells, Le Monde Diplomatique, août 2006
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