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Accueil du site > Actualités > Politique > 2 Gauches, 3 Droites ?

2 Gauches, 3 Droites ?

La France est-elle à droite comme sa cuisine est au beurre ? Certes il est courant de dire aujourd'hui que deux gauches y sont irréconciliables quand la droite aurait réussi son unité.

3 droites ?

Quand on dit de la droite qu'elle a réussi son unité, on entend généralement qu'elle a mis fin à ses divisions intestines qui avaient écœuré son électorat.[i] Mais il n'est question ici que de deux droites qui se déchirent. L'idée de trois droites qui peuvent se réconcilier émane de l'académicien René Rémond. En 1954, il publia son fameux livre, La Droite française de 1815 à nos jours, qu'il republia en 1963, en 1968 et 1982, où il distingue la droite légitimiste, la bonapartiste et l'orléaniste.

On remarque que la première édition date de la fin de la IVème République et la dernière de l'accession aux affaires de François Mitterrand. Mais on peut se demander si la théorie des trois droites a survécu à son auteur, qui est mort le 14 avril 2007, à la veille du premier tour des élections présidentielles. Cet auteur n’avait-il pas lui-même l’intuition que sa triade ne lui survivrait pas ? En 2005 déjà, dans Les Droites aujourd'hui, sa perspicacité lui permettait de remarquer : « La droite que j’appelais “légitimiste” (…) n'existe plus guère que comme une survivance archaïque et davantage comme école de pensée que comme expression d’une force politique. »

Certes, il écrivait aussi que « La distinction entre les deux autres droites, “orléaniste” ou libérale, et “bonapartiste” ou autoritaire, est plus vive que jamais : toute l'histoire des droites sous la Ve République s'ordonne autour de leurs rapports ». Mais cette distinction n’est devenue qu’une courtoisie avec la Vème République, l’orléaniste Pompidou succédant dès 69 au bonapartiste de Gaulle dont il avait été le Ministre principal, quoique contesté par les barons et les grognards. Lui succéda un membre affirmé de la famille orléaniste et, on ne sait trop pourquoi, il avait fait sa campagne sur un air bonapartiste (et peut-être prémonitoire) : le Chant du départ.

René Rémond en venait même à se demander : « le moment n'est-il pas venu d'enregistrer la naissance ou de prendre acte du passage à droite d'autres composantes du spectre politique et idéologique ? » Et même de conclure : « La question se pose pour la démocratie d'inspiration chrétienne comme pour tel rameau du radicalisme. »

Cependant il répugnait à reconnaître la réalité d’un « fascisme français », en dehors du Parti populaire français. Mais cette question du « fascisme français » prenait tout son sens avec le « nouveau » Front National. En effet, Jean Marie Le Pen n’envisageait pas sérieusement de mettre fin à une carrière d’opposant et ses références à la Seconde Guerre mondiale étaient des clins d’œil au nostalgiques du nazisme qui étaient actifs dans ses rangs. Sa fille peine toujours à le tuer symboliquement, même si elle est parvenue à l'écarter provisoirement elle ne pourra sans doute pas participer à une majorité de droite (et même à une minorité de droite) tant qu’il sera vivant et en état de nuire. Mais, au sens historique, elle est en train de fonder un fascisme à la française. 

D'ailleurs, à la fin du règne de Nicolas Sarkozy, son fidèle Claude Guéant n’a pas hésiter à déclarer que le Front National était devenu un parti « nationaliste et socialiste ». Et dans la bouche de ce policier, le qualificatif le plus grave était le second, évidemment.

Un autre conseiller de Nicolas Sarkozy est revenu sur le sujet fin 2013. Dans son livre La cause du peuple, il écrit de René Rémond : " L’ordre catégoriel qu’il invente, et qui est promis à un bel avenir achoppe cependant sur un préjugé essentiel : que des courants puissent être classés à droite suffit-il à en faire ontologiquement des forces de droite ? (...)deux des trois droites répertoriées par Rémond n’ont en fait de droite que le nom. Elles ne sont de droite que par la position qu’elles occupent sur le spectre politique, ce qui en fait, tout au plus, des « droites situationnelles » qu’il convient de distinguer de la droite originelle. Tels sont les cas du bonapartisme et de l’orléanisme que les vicissitudes de l’histoire ont progressivement déportés vers la droite, mais qui ont été originellement des centres ; le premier par sa volonté de synthèse entre les idées révolutionnaires et conservatrices, le second au titre de son rejet des extrêmes républicains et légitimistes. Plus encore que la Révolution française, c’est le capitalisme qui constitue la pierre de touche de la droite."

 

Deux gauches ?

Depuis le milieu du XIXè siècle, la critique du capitalisme constituait la pierre de touche de la gauche. Le terme de nouvelle gauche est apparu dans les années soixante et septante pour désigner une gauche à la gauche des gauches officielles (New Left, d'abord aux Etats-Unis, agitation étudiante, contre la guerre du Vietnam, contre les impérialismes et pour l'écologie, pour les droits des minorités, etc...). La deuxième gauche est sans doute issue de cette nouvelle gauche, mais elle en est une spécialité française "évoquée par Michel Rocard lors du Congrès socialiste de Nantes en 1977". Elle a pu sembler, dans un premier temps, se situer à la gauche des gauches officielles, PS et PCF. Elle était fondée sur la critique de la bureaucratie stalinienne et avait séduit quelques trotskystes, conseillistes, syndicalistes autogestionnaires...

Cette deuxième gauche est parvenue au pouvoir en 1981, en compagnie de la "première", que faisait semblant de soutenir François Mitterrand. Car s'il ne se départit jamais d'un mépris policé envers Michel Rocard, il adopta, assez rapidement en somme, ses idées sur le marché. Sur le marché des idées, ce fut "le tournant de la rigueur" que théorisèrent et mirent en musique les fidèles Attali, Delors et consorts. Trente cinq ans plus tard, les deux gauches ont été déclarées "irréconciliables" par le Premier ministre du second Président de la République issu du parti dit "socialiste".

Il est vrai que ces trente cinq ans écoulés avaient vu l'URSS s'écrouler, et sur le plan national, les PC se racornir, la CFDT se recentrer, le PS "se réconcilier avec l'entreprise", et croître les inégalités. Or, la critique des inégalités était au cœur de la critique de gauche du capitalisme. La critique de droite du capitalisme dont se fait le chantre l'abbé Buisson, elle se trouve dans cette lettre du comte de Chambord en 1865 qu'il cite avec enthousiasme, "dans laquelle il affirme sans ambages que le « travailleur » a des « droits à l’intérêt public », assigne aux riches la « mission d’être ici-bas la Providence du pauvre », le tout au nom de « la royauté patronne des classes ouvrières ». En réalité, c'est la charité chrétienne qui est convoquée ici, les "devoirs moraux du puissant envers le faible", la mythologie du roi très chrétien résumée sans vergogne dans cette maxime : " Ces Français qui faisaient fièrement face à l'injustice, parce que se disant : "Si le Bon Roi savait cela". Contre-Révolution

L'abbé Brel le chantait plus crûment  : " Oui, not’ Monsieur oui not’ bon Maître Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? " Mais si l'abbé Buisson se permet de faire ainsi la leçon à la gauche dans son ensemble, c'est que la deuxième gauche, "la gauche de gouvernement", a insensiblement renoncé à la lutte pour l'égalité en se lançant dans le combat pour la diversité. Un auteur étatsunien, qui a peut-être été proche de la nouvelle gauche dans sa jeunesse, n'hésitait pas écrire il y a dix ans  : "La soi-disant gauche est devenue une sorte de département des ressources humaines de la droite."[ii]

 

Glissement de sens à droite

Au terme du mandat de François Hollande, il n'aura échappé à personne que l'électorat français, quand il ne s'abstient pas, incline résolument à droite. Les droites qui s'affirment comme telles, "nationale" ou décomplexée, totalisent plus de 50 % des votants, quand les gauches "égalitaires" en sont réduites à moins de 20 %. Les quelque 30 % qui restent se partagent entre le parti dit "socialiste" et les "centres" qui ont en commun la défense de l'euro et du marché.

Le moment n'est-il pas venu d'enregistrer la naissance ou de prendre acte du passage à droite d'autres composantes du spectre politique et idéologique ? Peut-être même de constater que les vicissitudes de l’histoire ont progressivement déportés vers la droite, dès la fin du XXè siècle, la deuxième gauche et les "centres" qui lui faisaient cortège avec plus ou moins de succès ?

Trois droites semblent se recomposer qui résultent à la fois des combinaisons des trois qui ont fait le succès de René Rémond et des vicissitudes que signale Patrick Buisson. Cette recomposition est en cours et le résultat sera la conséquence à la fois de la décomposition de la gauche en France et de la "nouvelle donne" au Royaume Uni et surtout aux Etats Unis.

 Sur la base des dernières consultations électorales et des derniers sondages, on peut distinguer aujourd'hui trois blocs qui sont eux-mêmes divisés et seront peut-être assez prochainement différemment combinés :

- une droite nationaliste : elle se regroupe principalement autour du Front National. Ce Front résulte de la fédération des extrêmes droites (catholique, monarchiste, maurrassienne, fasciste, néo-nazi...) qu'a su faire autour de lui en 1972 son fondateur Jean Marie Le Pen. En 2011, lui succède sa fille Marion Anne Perrine dite Marine. La même année, c'est l'adhésion au FN de Florian Philippot. On a vu dans son ascension la naissance d'un nouveau FN qu'on a appelé parfois Rassemblement Bleu Marine.

Les bisbilles qui ont suivi dans la famille Le Pen, la rupture spectaculaire entre le père et sa fille, puis les différends de celle-ci avec sa nièce Marion, ont dévoilé des divergences qui pourraient mener à une division sur le problème de l'euro et à une autre recomposition (les uns se rapprochant de Dupont-Aignan, Asselineau, etc ; les autres, de la droite décomplexée désormais captée par Fillon). D'un côté, la tendance "souverainiste républicaine" menée par Florian Philippot qui est à l'origine des derniers succès électoraux dans les terres ouvrières du Nord et de l'Est ; de l'autre, la veille garde des "nationaux révolutionnaires", qui après la mise sur la touche du père Le Pen, s'est trouvé une passionaria en la personne de Marion Maréchal (nous voilà !) Le Pen. Ce FN historique s'est implanté depuis longtemps dans le Sud Est. Les "identitaires" bruyants ont été incités à un peu de discrétion par la direction du parti et les références monarchiste, maurrassienne, fasciste, néo-nazi ont été mises sous le boisseau.

 Mais la navrante Manif pour Tous a permis à la Marion Maréchal de se réapproprier la référence catholique que son grand père négligeait un peu. Elle a pu ainsi engager un combat "sociétal", proposé par la "gauche", mais que sa tante n'avait pas voulu entreprendre. En effet, Marine Le Pen a entrepris, elle, de "dédiaboliser" le FN et de contester l'appellation d'extrême droite qui lui était appliquée depuis l'origine.

Cependant l'extrême droite ne se résume pas aux nostalgiques de la saga hitlérienne. La droite légitimiste et catholique (la seule droite selon Buisson et qu'on retrouve aussi chez Fillon) a longtemps eu l'honneur de ce titre. Et le souverainisme républicain de Philippot peut être considéré historiquement comme ce "fascisme à la française", sans les éructations d'un führer germanique. D'un autre côté, quand ses opposants internes et des membres de l'ex-UMP en viennent à traiter la Marine de "gauchiste", il convient de ne pas oublier que c'est son père qui, avant le premier tour de 2002, exprima sa stratégie, empruntée à un discours d'Hitler en 1932 [iii] : " Socialement je suis de gauche, économiquement de droite et, nationalement, je suis de France. "

- une droite décomplexée : c'était d'abord l'UMP de Sarkozy, rebaptisée par lui LesRépublicains, et c'est depuis la machine de guerre que lui a volée son ancien collaborateur Fillon. C'était donc avec Sarkozy une relation très décomplexée avec l'argent, le gaullisme et la télévision, une relation complexe avec la chiraquie et les affaires, et une relation complexée avec l'histoire et le pouvoir. Célébré pour son énergie et son agitation, Sarkozy était naturellement une caricature de Bonaparte quand le gaullisme passait pour un bonapartisme pacifique adapté à son temps.

Désormais, avec Fillon, tellement propre sur lui quand Sarkozy n'en finissait pas de vouloir briller à tout prix, c'est une droite plus radicale que décomplexée qui prétend se pointer. Elle est revancharde et mériterait le titre de versaillaise comme cette droite qui a suivi la commune de Paris. Cette fois, il ne lui sera pas nécessaire de massacrer une commune insurrectionnelle, mais seulement de détricoter l'Etat social, car il a vécu au-dessus des moyens des possédants. Elle regroupe, comme l'UMP à sa création, cette autre partie de la droite légitimiste et catholique qui n'est pas au FN, la majeure partie de la droite orléaniste et la droite bonapartiste à l'exception de celle qui se trouve chez les souverainistes opposés à l'euro. Son programme est assez proche de celui du MEDEF et il me plait de rebaptiser cette coalition Les Repus.

- une droite Libérale, Sociétale et Démocratique  : c'est d'abord la deuxième gauche qui se résout enfin à (se) glisser sans vergogne à droite. Elle vient de comprendre qu'elle n'en fera jamais assez- dans la rigueur économique et sociale- pour complaire aux marchés qui sont devenus pour elle la réalité du monde. Aujourd'hui, pour les nouveaux chiens de garde, le triomphe du capitalisme est devenu une évidence, il n'est plus contestable. Leurs propriétaires, les propriétaires du monde mondialisé, ont donc signifié aux "nouvelles gauches"(qui avaient leur utilité à la fin du siècle dernier) qu'elle ne seront jamais aussi légitimes que des droites décomplexées, voire fortes et autoritaires. Quant un Manuel Valls prend de mâles accents pour déclarer « J'aime l'entreprise », Pierre Gattaz, s'il sourit de contentement, pense en lui-même que la gauche, même réconciliée avec l'entreprise, c'est un peu comme le Canada Dry.

Emmanuel Macron l'a bien compris. Alors que son Manuel Valls se contentait de vouloir changer le nom du PS, il déclare sans ambages : « Je suis de gauche, j’assume d’où je viens. Mais je veux fonder une offre politique progressiste, car le vrai clivage aujourd’hui, il est entre les progressistes et les conservateurs, plus qu’entre la gauche et la droite... »[iv]. Disant d'où il vient, on entend clairement où il va, il assume les lois du marché et « les vicissitudes de l’histoire » qui déportent progressivement les progressistes « vers la droite ». Il pourrait presque reprendre cette déclaration de Jean Marie Le Pen en en corrigeant le premier mot et en en ajoutant deux ou trois pour finir en beauté : « Sociétalement je suis de gauche, économiquement de droite et, nationalement, je suis de France... et... partout ».[v]

François Hollande n'est pas parvenu à faire la synthèse entre ses deux anciens ministres, il est seulement parvenu à faire trébucher le plus âgé dans le premier tour de la primaire. Manuel Valls a déclaré avec autorité en vue du second tour : « Un choix très clair se présente à vous. Le choix entre la défaite assurée et la victoire possible. Le choix entre des promesses irréalisables et infinançables, et une gauche crédible ». Est-il lui-même intimement convaincu qu'en avril il écarterait son rival Macron et accéderait à la finale du mois de mai ?

La deuxième gauche, c'est-à-dire ce PS qui n'est plus "socialiste" et ses alliés qui n'ont plus d'"écologistes" que le nom, est aujourd'hui dans un tel état de décomposition qu'elle ne peut rien faire d'autre que de tenter de la faire passer pour une recomposition. Même vainqueur des primaires, Manuel Valls sera contraint, soit d'affronter Emmanuel Macron dans une lutte intestine (car ne les séparent vraiment que leurs égos), soit de composer avec lui. Leurs glissements à droite (plus rapide et plus assumé chez le plus jeune) les ont déportés sur une partie du "spectre politique et idéologique", occupé aujourd'hui par les divers centres "radicaux" et démocrates-chrétiens (Modem, UDI et Nouveau Centre) qui ont déjà effectué leur glissement à droite, François Hollande leur ayant interdit un glissement au "centre gauche".

Une Nouvelle Droite avait tenté de percer dans les années septante de l'autre siècle. Elle est en train de réussir à s'implanter comme droite Libérale, Sociétale et Démocratique, fondée sur la défense à tout prix de l'Europe et même de l'euro.

 C'est donc la réunion en train de se faire, sur un même espace politique, de cette deuxième gauche (qui s'est voulu nouvelle pendant quarante ans) et de ce nouveau centre (qui a toujours peiné à voir le jour). Ce sont, pour une part, les lambeaux "réalistes" du PS et de ses satellites écologistes et "macroniens" ; d'autre part, cette partie de la droite orléaniste (les "cathos zombis" de droite) qui n'a pas suivi François Fillon dans sa dérive "radicale", "national-catholique".

 

Conclusion provisoire

Que des courants comme le PS, le PRG, EELV et En Marche puissent être classés à gauche suffit-il à en faire ontologiquement des forces de gauche ?

Une gauche originelle est apparue pendant la révolution américaine, puis pendant la révolution française. Pour elle, c’est la propriété privée, et non pas le capitalisme, qui constitue la pierre de touche. Bien sûr cette gauche a été mise en minorité, voire éliminée. Concernant la France, Emmanuel Todd remarque (et pour s’en féliciter) que la révolution française (comme l’anglaise, d’ailleurs) a choisi la propriété privée[vi]. Et cinq plus tard, François Furet fusera bien joliment : « La passion mère des citoyens s’est déplacé de la liberté vers l’acquisition des bien. »[vii]

La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789[viii] avait déjà consacré ce glissement contre lequel se levèrent en vain les "partageux".

Mais Proudhon en 1840 s'en prend encore à la propriété pour dénoncer les capitalistes. Cependant il n'utilise pas le mot capitalisme. Il semble que ce terme n'apparaisse pas en français avant 1842, emprunté à l'allemand où Marx et Engels semblent l'avoir introduit. Proudhon l'emploie alors 2 fois dans un livre de 1862.

Mais avant d'apparaître comme vocable, le capitalisme existait déjà comme fait social fondé sur la propriété privée des moyens de production. Et c'est sur cette notion de propriété privée, sur sa critique et sur sa défense, que s'opposeront depuis les idéologies communistes et capitalistes. Evidemment, les expériences russes, chinoises etc. parviendront à discréditer durablement la critique de la propriété privée et du capitalisme. En revanche, les idéologues capitalistes se présenteront comme les chantres du libéralisme, les défenseurs de la liberté et de la petite propriété, du petit commerce, du petit paysan, aujourd'hui de l'auto-entrepreneur et "l'indépendant non salarié".

La gauche que j'oppose ici à trois droites concurrentes mais conciliables n'en est pas pour autant une seule gauche authentique. Elle encore est divisée et largement coupée des classes populaires. Si la gauche de la gauche en arrive à passer aujourd'hui pour la gauche, c'est simplement en raison du glissement à droite de tout le "spectre politique et idéologique" (la droitisation de la société diront les journalistes) qui laisse un espace politique, voire un vide à la gauche de ce spectre.

Cet espace politique, c'est celui du combat pour l'égalité dans un monde où les inégalités ont explosé ; et du combat pour la planète quand le système "économique" est en en train de la détruire.

Ces deux combats n'en font qu'un. C'est la critique de la propriété privée et du capitalisme. Dans son Histoire Populaire des Etats-Unis, Howard Zinn raconte un épisode de l'année 1776, une révolte populaire « à l’assaut des grandes fortunes et du principe de propriété privée illimitée ».[ix] Ce principe est bien celui qui prévaut de nos jours puisque qu'il permet à quelques possédants de tenir en pleine propriété la majeure partie de la planète ; et à quelques "laboratoires" de prétendre à la propriété intellectuelle du vivant.

C'est ce que Raoul Vaneigem appelait l'appropriation privative.[x] Mais c'est un autre oxymore qui a été popularisé depuis une quarantaine d'année : la destruction créatrice. Ceux qui s'en gargarisent rappellent que Joseph Aloïs Schumpeter en est l'auteur, mais oublient généralement de préciser que ce concept est apparu en 1941 dans un livre intitulé Capitalisme, socialisme et démocratie. Et ce livre est une défense du capitalisme dans une époque où il le voyait menacé par le socialisme : " L'incompatibilité d'humeur entre l'esprit public et le capitalisme est désormais si absolue que l'opinion passe condamnation, sans plus autre informé, sur le régime et sur ses œuvres - de tels jugements a priori étant presque devenus de règle dans les discussions. Quelles que soient ses préférences politiques, tout écrivain ou orateur s'empresse de se conformer à ce code d'étiquette et à affirmer son attitude critique, son refus de toute « complaisance », sa croyance à l'insuffisance des accomplissements capitaliste, son aversion à l'égard des capitalistes et sa sympathie pour les intérêts anticapitalistes. Toute autre attitude est tenue, par consentement mutuel, non seulement pour absurde, mais pour anti-sociale et est flétrie comme étant l'indice d'une servilité immorale. Or, un tel complexe d'hostilité est, bien entendu, parfaitement naturel."

Aujourd'hui, ce texte serait aisément détourné : on y remplacerait capitalisme par socialisme. Les propriétaires de ce monde sont presque parvenus à faire croire qu'ils sont légitimes ; qu'il n'y a pas d'alternative au monde qu'ils nous imposent ; et que toute critique de leur domination serait empreint d'une sympathie pour le régime de la Corée du Nord.

Nul doute que l'éventuelle élection d'un Emmanuel Macron serait saluée par eux, comme l'a été très rapidement celle de Donald Trump.

 

 (A suivre)

 

[i] Giscard et Chirac trahissant Chaban, Chirac trahissant Chaban puis Giscard, Balladur et Sarkozy trahissant Chirac...

[ii] Walter Benn Michaels, La diversité contre l'égalité (trad. 2009)

[iii] " Unser Nationalsozialismus ist die Zukunft Deutschlands. Trotz diese Zukunft wirtschaftich rechtsorientiert wird, werden unsere Herzen links orientiert bleiben. Aber vor allem werden wir niemals vergessen, dass wir Deutschen sind " (Notre national-socialisme est l'avenir de l'Allemagne. Bien que cet avenir soit économiquement orienté à droite, nos cœurs demeurent orientés à gauche. Mais avant tout, nous n'oublierons pas que nous sommes des Allemands. ) Adolf Hitler (novembre 1932 discours de clôture du parti nazi NSDAP)

[iv] Amusant dialogue sur France Inter ce lundi 23 janvier 17  : Léa Salamé : Emmanuel Macron, il est socialiste ?

Jean Pierre Mignard : Je pense qu'il est de gauche, mais d'une gauche.......On connaît tous le Parti Démocrate américain... Je le verrais... C'est en effet...typiquement la gauche qui serait dans le Parti Démocrate américain, c'est-à-dire progressiste et démocrate, ça, c'est une évidence, donc c'est un homme de gauche, mais j'veux dire... un homme de gauche du XXIème siècle. https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-23-janvier-2017

[v] Mais pas que, comme disent les médias dans un langage de jeunes : Professionnellement, je suis banquier, personnellement, j'ai ma vie privée...

[vi] La Troisième Planète (1983) : « le pouvoir de Cromwell a, comme celui de Robespierre cent cinquante ans plus tard, deux caractéristiques fondamentales : il est temporaire, il respecte la propriété privée. »

[vii] La Révolution, de Turgot à Jules Ferry (1988)

[viii] " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité." Ce dernier article de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 modère évidemment la portée du premier : " Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune."

[ix] « Dès le milieu de l’année 1776, les ouvriers, artisans et petits commerçants, qui agissaient illégalement lorsque les voies politiques étaient impraticables, étaient clairement aux commandes de Philadelphie ». Soutenus par certaines personnalités de la bourgeoisie (Thomas Paine, Thomas Young et d’autres), ils « se lancèrent vigoureusement à l’assaut des grandes fortunes et du principe de propriété privée illimitée ».

[x] « dans un monde régi par l'appropriation privative, la seule fonction de l'objet, c'est de justifier le propriétaire » Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations (1967)


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6 réactions à cet article    


  • Crab2 27 janvier 2017 14:36

    Manuel Valls est certes des candidats des gauches et des droites qui sait faire la différence entre ce qui relève de la religion*1, de ce qui relève des « Droits de la femme et de la citoyenne »*2, [ aussi ] de ce qui relève des « droits des femmes » et des homosexuel-e-s*3

    Benoît Hamon - l’homme clé de l’obscurantisme

    http://laicite-moderne.blogspot.fr/2017/01/benoit-hamon-lhomme-cle-de.html


    • Pilule Rouge Pilule Rouge 27 janvier 2017 18:14

      @Tous !

      (Ceci n’est pas un spam mais une urgence nationale)

      Ce dimanche, éjectons définitivement Valls de la présidentielle, votons Hamon ! (ensuite on s’occupera aussi de lui) : https://www.youtube.com/watch ?

      Version Dieudo :

    • Nuccia Nuccia 27 janvier 2017 18:03

      Cet éclairage de la recomposition politique en cours permet de mieux comprendre ce qui différencie en réalité les droites des gauches . 


      L’époque étant à la confusion, illustrée au mieux par celui que les médias propulsent de façon lancinante, à savoir E. Macron, il est judicieux de le remettre à sa juste place en la définissant .

      Un énarque, banquier, ex-ministre du gouvernement de F. Hollande, séducteur d’élites, homme de réseaux financiers, ami d’anciens libéraux défraîchis parvient - dans ce chaos de la pensée organisé- à se travestir en héros « anti-système », héraut d’un capitalisme « progressiste » et d’un « renouveau » rebattu ...par quel miracle ?
      Probablement par ce tour de main caractéristique de la social démocratie déclinante consistant à escamoter le social au profit du sociétal, l’égalité au profit de l’équité, la fraternité au profit de la diversité, la liberté au profit de l’individualisme, etc.. Et par ce tour de rein qui permet de fuir pauvres et ouvriers pour mieux « Aimer l’Entreprise ». 

      C’est au prix de telles contorsions que la droite Libérale Sociétale Démocratique se revêt du costume du clown progressiste et tente de produire une sorte d’hallucination collective, tel le joueur de flûte suivi de toutes les formes de la famille des muridés .




      • zygzornifle zygzornifle 27 janvier 2017 18:04

        pas de problème d’unité a droite , a fond contre les pauvres sans dents ,les retraités sans dentiers , les smicards , les malades , bref a fond contre tous ceux qui gagnent moins que Pénélope mais qui travaillent et vivent dans le monde réel ......


        • baldis30 28 janvier 2017 11:47

          deux gauches , trois droites,.... en pleine gueule du peuple français

          Pas étonnant qu’il soit K.O. !

          Outre les coups bas pas sanctionnés par les arbitres ...


          • zygzornifle zygzornifle 28 janvier 2017 12:45

            2 gauches plus 3 droites cela fait 5 raisons de se faire pourrir la vie encore pendant 5 ans .....

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