Apprenez « le parler creux »
Nous rentrons en turbulences électorales : cantonales, puis suivrons présidentielles et législatives.
Il est temps pour les candidats de fourbir leurs arguments, mais surtout, d’apprendre à parler pour ne rien dire, ce qui est l’apanage des grands éligibles.
Alors, les méthodes pour arriver à parler creux, et à être convaincant sont multiples.
Premier conseil, lorsque vous êtes appelés à prendre la parole, annoncez que votre réponse comportera plusieurs points.
Ainsi, on ne pourra pas, en principe, vous reprendre la parole tant que vous n’aurez pas égrené tous les points annoncés.
Mais ce qui vous donnera un avantage certain sur les autres, ce sont les mots que vous utiliserez.
Certains d’entre eux peuvent se combiner dans n’importe quel sens, pour tout dire, et en même temps ne rien dire.
Un informaticien ingénieux à mis au point un tableau Excel : 13 colonnes horizontales et 5 colonnes verticales,
A chaque ligne un mot, un verbe, un adjectif, et en appuyant sur la touche F9, des phrases aléatoires vont naitre sous vos yeux.
De quoi vous construire un joli discours sans peine.
Exemple : « l’évaluation renouvelle les résultats pragmatiques de la hiérarchie », ou bien « l’intervention dynamise les indicateurs systémiques du groupe » ou même : « le management ponctue les indicateurs participatifs de l’entreprise »…
Sur ce lien, un exemple de ce qui est possible, et sur celui-ci, un autre générateur de phrases.
Mais au delà des mots, c’est la tonalité de votre discours qui sera essentielle.
Pour Guy Carlier, dans sa chronique du 10 février dernier sur « Europe 1 », il faut savoir parler en « la mineur »
Une voie douce, mais pas doucereuse, consolante, chargée de compassion, mais savoir aussi y aller « en la majeur », lorsqu’il faut dégager des messages républicains indignés.
Comme le dit si bien Carlier, le « la mineur » c’est la tonalité qu’utilise le président lorsqu’il veut donner à son discours un air d’humanité doux et mélancolique, une affaire de technique vocale que Nicolas Sarkozy a du étudier avec Armande Altaï… je vous explique : un accord mineur c’est un accord majeur dont on a diminué l’une des notes d’un demi ton, ce qui donne à cet accord un accent de « douce mélancolie » et dans "paroles de français", lorsque Sarközi s’adresse aux participants, il leur parle en « la mineur » et en les appelant par leur prénom (…) ce soir il y aura une pharmacienne cambriolée à plusieurs reprise, et là pour en revenir à la technique musicale il va passer du « la mineur » pour la compassion avec la pharmacienne au majeur, « je comprend, Catherine, et j’admire votre abnégation pour vous remettre au travail après chaque braquage, et là hop, il va passer « en majeur » un accord majeur, çà en impose : la Marseillaise, c’est du majeur, c’est de l’accord autoritaire (…) et là on aura tout les couplets en majeur qu’on connait, depuis que Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur (je n’admettrais aucun laxisme, etc.) … »la totalité de sa chronique est sur ce lien
Il faut donc, on l’aura compris, avoir pris des cours de théâtre.
Et la forme importe mieux que le fond.
Travailler les silences, ménager le suspense, tenir son auditoire en haleine.
Il faut surtout n’avoir aucun scrupule à tout promettre, et dire aux auditeurs ce qu’ils ont envie d’entendre.
Au hasard, n’hésitez pas à promettre que si vous êtes élu, « vous allez tout mettre en œuvre pour que la misère quitte le pays…qu’il y aura du travail pour tous…et qu’ensemble tout est possible ».
Mais l’astuce la plus productive pour être performant, consiste à amener l’intervieweur sur son propre terrain de connaissance.
Par exemple, vous maitrisez totalement le sujet sur la culture des fraises Gariguette en pays Poitevin : vous connaissez les quantités produites, vous pouvez en décrire les avantages, vitamines, sels minéraux, époque de production, recettes multiples, voire même les noms des producteurs.
Attendez l’occasion propice afin d’orienter le débat sur le sujet que vous maitrisez, et là, gardez la parole le plus longtemps possible.
Plus sérieusement, il est important d’avoir quelques chiffres à proposer d’autant que les journalistes arrivent souvent les mains vides, et ne pourront contester sur place ceux que vous avancez.
La « prestation » de Sarkösi le 10 février 2011 en est la preuve.
Mais l’essentiel est aussi de savoir manier la langue de bois, chère à Djack, de Blois, et à beaucoup d’autres.
« C’est une bonne question, je vous remercie de l’avoir posée », et on passe à autre chose.
Et si le journaliste a l’outrecuidance d’insister, de prétendre que vous ne lui avez pas répondu, ne vous démontez pas, rétorquez lui du tac au tac n’importe quelle phrase, l’essentiel est de persister.
L’humoriste Frank Lepage a dans ce domaine de très bons conseils à vous proposer et vous pouvez les découvrir sur cette vidéo.
Mais la gestuelle aussi est importante :
Si l’on en croit Joseph Messinger, évitez de pointer le doigt sur votre interlocuteur, qui est un geste agressif, à moins que n’ayez envie de l’être.
Evitez aussi de tortiller une mèche de cheveux entre vos doigts, ce qui est signe de tentative de séduction, à moins que…
Un geste est très régulièrement pratiqué par nos tribuns républicains, celui de joindre le bout des doigts écartés main contre main.
Ne le faites surtout pas, ce geste qui parait anodin dénote une attitude de soumission de la part de quelqu’un qui aime jouer au petit professeur pénétré de connaissances qu’il maîtrise mal, ou pas du tout. (Voir l’image illustrant l’article).
Messinger a d’ailleurs analysé la « sarko attitude » dans un livre, et l’explique dans cette vidéo à découvrir.
Il faut noter ce geste que pratique régulièrement le chef de l’Etat, qui consiste à lever le pouce, la main fermée, le coude posé sur la table et que Messinger traduit par « il s’agit de quelqu’un qui veut tout pour rien et ne vaut rien du tout »
Dans son livre, « les gestes vous trahissent » (first éditions mars 1999), nos candidats ont beaucoup à apprendre s’ils ne veulent pas, par leur comportement, montrer involontairement, qu’ils pensent le contraire de ce qu’ils disent.
Car comme dit mon vieil ami africain :
« Certains discours politiques sont si profonds qu’ils en deviennent creux ! Ils éblouissent plus qu’ils n’éclairent »
Merci à Xian pour ses conseils avisés.
L’image illustrant l’article provient de « telos-eu.com »
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