Comment orienter un sondage d’opinion ?
L’effet d’association appliqué aux sondages sur la proposition de François Hollande d’augmenter l’imposition sur les plus hauts revenus.
Les Français sont les 1er ou les 2ème consommateurs au monde en matière de sondage ; en moyenne on publie tous les jours (mais beaucoup plus actuellement) 2 à 3 sondages.
En période électorale, ces publications sont souvent instrumentalisées par les politiques ou les commentateurs et nous n’avons pas toujours le temps ou les compétences de décoder l’information qui nous est délivrée.
Voici un petit exemple très récent illustrant une technique qui, dans la rédaction de questions, permet d’influencer un résultat.
Comment favoriser l’adoption ou le rejet d’une proposition : l’effet d’association.
Très récemment à 3 jours d’intervalle, deux instituts ont réalisé des sondages portant sur la proposition de François Hollande d’augmenter l’imposition pour les revenus les plus élevés.
Les 15 et 16 janvier, BVA pose la question suivante à un échantillon de 1004 personnes : « François Hollande vient d’indiquer que si le parti socialiste remportait les élections, il augmenterait l’impôt sur le revenu pour « les contribuables qui ont un salaire de plus de 4000 euro net soit 5000 euro brut ». Vous personnellement, êtes-vous tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt opposé ou tout à fait opposé à cette mesure ? » 2 jours plus tard, le CSA pose la question suivante à un, échantillon de 1003 français . « Etes-vous favorable ou opposé à une augmentation des impôts pour ceux qui gagnent plus de 4000 € net par mois par personne. Seraient concernées les personnes seules gagnant plus de 4000 € net par mois, les couples sans enfant gagnant plus de 8000 € net par mois et les couples avec deux enfants gagnant plus de 12000 € net par mois. Vous y êtes tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt opposé ou tout à fait opposé... ? »
Les questions sont relativement différentes, les échantillons ne sont pas tout à fait les mêmes dans la mesure où BVA a interrogé des Français à partir de 18 ans et le CSA à partir de 15 ans.
Les scores obtenus sont assez nettement différents : 50% d’opinons favorables à l’augmentation d’impôts pour le sondage BVA, 57% pour le sondage CSA. Soit 7% d’écart.
Mais savez-vous ce qui a surtout produit cette différence ? Pour le voir de façon flagrante, il faut s’intéresser aux résultats en fonction de la sympathie politique. Sur les électeurs de Ségolène au 1er tour ou les sympathisants PS, la différence de score n’est pas très importante : 64% d’opinions favorables pour BVA, 68% pour le CSA. Mais quand on s’intéresse aux scores obtenus par les électeurs de Sarkozy ou les sympathisants UMP, les écarts sont énormes : 34% d’opinions favorables pour le sondage BVA, 52% pour le sondage CSA, soit 18 points d’écarts,... Une différence tout à fait anormale...
Qu’est-ce qui a joué ?
On peut le penser, essentiellement la formule introductive dans le sondage BVA : « François Hollande vient d’indiquer que si le parti socialiste remportait les élections ... ». Par cette formule, BVA produit un effet majeur : il attribue la mesure au chef du parti socialiste et il la conditionne à la victoire du candidat socialiste. En conséquence les sympathisants UMP se déclarent opposés à la mesure. Mais ont-ils répondu à la mesure ou ont-ils répondu à une proposition de François Hollande et à la victoire possible du parti socialiste ?
Inversement, dans la formulation du CSA, la mesure n’est pas attribuée. Il est très probable qu’une partie non négligeable des personnes interrogées ne sait pas que la mesure est une proposition de François Hollande. Les personnes se prononcent sans référence à un leader politique et à une hypothèse de victoire du parti socialiste... Ils se positionnent sur la mesure, et les électeurs Sarkozystes se retrouvent favorables à la mesure alors que les sympathisants UMP y étaient farouchement opposés.
Y a t-il intention d’orienter la question ?
Il y a quelques années, un sondeur écrivait qu’il fallait se demander à quelle question, la personne enquêtée avait répondu, Dans la question posée par BVA, à quelle question, les enquêtés ont-ils répondu ? Ont-ils répondu à une question sur une mesure d’augmentation des impôts, sur les hauts revenus ou ont-ils répondu à une question sur une mesure qui serait prise par le parti socialiste en cas de victoire ?
Le principe est le suivant : Si on associe une affirmation à une personne et qu’on vous demande votre opinion sur cette affirmation, votre réaction à cette affirmation va dépendre de votre opinion sur la personne. C’est un effet d’association
Que pensez-vous que serait votre réaction si on vous demandait de vous positionner sur une affirmation prononcée par Goebbels, Hitler ou Pétain et que pensez-vous qu’elle serait s’il s’agissait de Gandhi ou de sœur Emmanuelle ?
Y a t-il eu volontairement orentation de la question ? L’identité du commanditaire est toujours importante pour répondre à cette question. Le Sondage BVA était destiné à une publication dans les Echos et à une diffusion sur BFM ; pas spécialement des médias orientés sur un public de gauche. Le sondage CSA était destiné à France Europe Express / France Info...
Il est difficile de répondre à cette question, et plusieurs éléments ont pu jouer. Il est possible que la question ait été proposée par les journalistes, ... Par ailleurs, étant donné le peu de temps dont les instituts de sondages disposent, la formulation des questions est peu testée et l’hypothèse de la négligence n’est pas non plus impossible. Mon sentiment personnel est que le sondage BVA a cherché à minimiser l’adhésion à la mesure en précisant qu’il s’agissait d’une mesure socialiste.
La réponse des sondeurs sera probablement qu’il ne s’agit pas de la même question et ils auront raison. Mais dans le maëlstrom d’informations dont nous sommes bombardés, avons-nous le temps de faire ces analyses sémantiques ?
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