Éloge et défense de Christine Boutin
Répétons le donc sans trêve : sa paisible outrecuidance ne réclame pas des clameurs, des huées, mais plutôt des soins précautionneux. L’embaumement même dû aux plaies purulentes déjà très avancées. Par exemple, à la suite de quel parcours extraordinaire cette pimpante victime a-t-elle pu s’élever si haut pour descendre si bas, au jeudi soir, au JT de vingt heures ?
Tel qu’il se présente fort brièvement, son parcours décrit par elle-même selon les usages du Who’sWho ne comporte dans ses débuts rien d’éblouissant ni même d’inédit, sauf au Lycée Balzac de Tours, puis d’une inscription à la faculté de droit de Paris, sans aucun succès particulier. De l’évasif du début à la fin. Cette énigme la conduit à ce qu’elle appelle pompeusement « les Relations extérieures du CNRS », sans qu’il soit vraiment possible de savoir si elle y travaillait en spécialiste de quelque chose ou modeste dactylographe. Ensuite, elle apparaît comme adjointe au secrétariat de la Caisse nationale du Crédit Agricole, sans d’ailleurs aucune précision géographique propre à savoir si elle œuvrait à Paris ou à la Ferté sous Jouarre.
A partir de cette activité bancaire, voilà qu’elle se déclare soudain « journaliste ». Le meilleur ou le pire des métiers selon les caractères. De hautes consciences, les défenseurs dévoués du bien public y côtoient, parfois dans la même rédaction, de purs chenapans prêts à toutes les compromissions. Il s’y croise aussi d’authentiques aventuriers séduits par des reportages dangereux au cœur de pays en guerre. Sa nature tranquille éloigne Madame Boutin des polémiques tumultueuses comme des coups de fusil ou éclatent comme se disloquent de grandes carrières. Beaucoup plus prudente, elle s’implique dans le très modeste mensuel de bureau « Dossier Familial » fabriqué lui aussi par le Crédit Agricole pour sa clientèle. Pas de quoi écraser une poule. Qu’elle y passe de 1979 à 1986 plus d’une demi-douzaine d’années suscitera peut être quelques sarcasmes. A tort ! Ses tribulations récentes rappellent qu’avec cette sainte n’y touche paisible, l’œil clair trompe assez facilement son monde.
En 1977, elle accède en effet sans tambours ni trompettes à l’obscur Conseil municipal d’Auffargis, dans le département boisé des Yvelines. A part le muguet en aout et la chasse à partir de septembre, il ne s’y passe jamais grand-chose. Mais sous la ronde silhouette de la jeune dame, une ambition nouvelle commence à frétiller : sortir d’un sort obscur par la politique. Une riche idée ! Prise comme métier, la politique présente ce miracle en effet de réussir par les défauts propres à conduire aux échecs dans n’importe quelle autre profession. Un médecin sans diagnostics ni traitements face aux maladies, un commerçant incapable de vendre, un comptable de calculer, perdent rapidement toute clientèle. Au contraire, n’importe quel représentant du prétendu peuple souverain peut mentir, se tromper, s’épanouir entre l’impuissance, les échecs, voir même les scandales sans qu’il ne lui en coûte rien. A la retraite quelques uns des pires chevaux de retour en deviennent même populaires, comme Chirac.
Après le fameux chien de Pavlov, le bœuf électoral obéit en effet à des réflexes conditionnés fort simples, très bien connus des spécialistes. Prononcés avec toute l’emphase, l’émotion voulue, les mots « République », « démocratie », « justice pour tous », « liberté d’entreprendre » lui arrachent des larmes. Larme de gauche, larme de droite, larmes quand même. A « l’égalité des chances », il salive. Rien n’arrête plus ses sécrétions. Catholique ostentatoire, Christine Boutin ajouta sa défense personnelle des mœurs de la famille chrétienne à ces exercices assez simples. Avec par-ci par-là une solide communion à la messe du dimanche, elle y gagna l’appui des paroissiens assez nombreux dans l’Eglise et même, bien au-delà, celui discret mais efficace du Vatican. Pas mal pour une modeste petite main du Crédit Agricole ! Ainsi entre-t’elle en 1986 au Palais Bourbon, pour devenir ministre avec Chirac puis demeurer sous Sarkozy ministre de la Ville et du Logement. Sans doute ce métier politique si attirant pour les médiocres incapables de réussir autre part comporte-t-il des servitudes particulières : l’aptitude à savoir parler pour ne rien dire, confondre le noir avec le blanc, l’eau et le feu, se contredire sans qu’un imperceptible mouvement des cils exprime le moindre embarras. Et puis, règle suprême, ne devenir jamais sincère avec toujours des actes, des sourires intéressés. En somme, pour monter, sans cesse descendre. Du matin au soir, une vie d’esclave. Si l’échec survient, une espèce d’entretien financier occulte sous le nom de « Mission » imaginaire à 9500 euros garantit alors l’avenir. Une espèce d’assurance prostitutionnelle réglée avec l’argent des contribuables.
Quand même mise en cause pour cette rémunération discutable, notre glorieuse retraitée jure qu’elle continuera le travail sur « les conséquences sociales de la mondialisation » à ses frais dans un total bénévolat. « je suis une bosseuse » assure t’elle. Pourquoi pas ? Entre le Ministère de l’Economie, ceux des Affaires étrangères, du Travail, de l’Industrie, l’Administration dispose au moins d’une cinquantaine de spécialistes avertis, capables de conduire la recherche à bien dans l’exercice de leurs tâches ordinaires sans qu’il en coûte aucune charge nouvelle à l’Etat. Par rapport aux synthèses qu’ils peuvent produire, même une « bosseuse » exceptionnelle manque de moyens comparables aux leurs. Sans doute arrive t’il parfois qu’un esprit solitaire supérieur, genre Prix Nobel ou Raymond Aron découvre par sa seule science ou les intuitions du génie des phénomènes nouveaux encore inaccessibles au commun des mortels. Oui, des prodiges de cette nature peuvent se produire. Sans vouloir vexer personne, observons qu’ils émanent rarement d’humbles créatures instruites six ans de suite au Dossier familial du crédit agricole.
Au XVIIe siècle, Molière théâtralise brillamment Tartuffe, un beau modèle d’imposture catholique, l’œil vers la sacristie mais les doigts toujours prêts à sauter sur la caisse. En ce temps de prépondérance des mâles, l’individu s’identifiait au genre masculin. Avec la parité entre les sexes, notre époque en exige la féminisation d’urgence. Madame Boutin nous produit donc une Tartufette tout-à-fait digne d’admiration. Le lynchage médiatique sans discernement qu’elle vient de subir n’a pas reconnu ce mérite autant qu’il négligea l’histoire comme la psychologie du personnage. Injustices réparées.
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